Le petit cœur brisé, Moka.

Melaine est une jeune fille dont la vie n’est pas remplie de bonheur… elle a déjà perdu ses parents et son grand-père. Il ne lui restait que sa grand-mère, jusqu’au jour où cette dernière meurt. Elle est recueillie par des cousines éloignés avec qui elle vit plein d’aventures et découvre l’existence d’une petite fille sur une photo avec le même médaillon que celui dont elle a hérité… Est-ce un hasard ou le destin ? Qui est cette jeune fille sur la photo ?

Avril ayant été synonyme d’une petite panne de lecture, j’ai dégainé mon arme ultime dans ce genre de cas : la relecture d’un livre aimé. Et donc j’ai ressorti ce roman de Moka, une autrice qui a marqué mon adolescence ! Je me souvenais avoir bien aimé ce roman, mais j’en avais au final très peu de souvenirs précis (hormis le fait qu’il y avait un personnage narcoleptique, mais c’est probablement parce que c’est là que j’ai appris ce mot !).

Le roman est assez court et centré sur un secret de famille. Mélaine, la jeune protagoniste, est recueillie par deux petites cousines au décès de sa grand-mère. Celle-ci l’a désignée comme légataire universelle de tous ses biens, ce qui entraîne une forte dispute entre les membres de la famille qui avaient vu sur son patrimoine : on parle quand même d’une maison, d’un potentiel manoir, de tout le mobilier qui va avec et de bijoux fabuleux. Outre cette bisbille, Mélaine met rapidement le doigt sur une affaire louche et qui va l’obséder : lorsque sa grand-mère était enfant, sa petite sœur chérie, Mélanie, a disparu.

J’aime beaucoup ce court récit car il mélange l’enquête de Mélaine, la recherche dans le passé de sa famille, et sa vie loufoque chez les deux petites vieilles, Heidi et Gretchen. Celles-ci la sortent de l’école (sans trop en parler au juge des tutelles), lui apprennent la photo et un tas d’autres trucs très utiles (mais hors programmes scolaires). Après la vie difficile et triste que Mélaine a vécue chez sa grand-mère (un personnage assez dur), subitement elle trouve de la joie de vivre, de la bienveillance et un environnement chaleureux. Il y a un côté très enthousiaste dans ce récit, avec des petites touches d’humour, notamment parce que Gretchen a tendance à tomber en catalepsie aux pires moments, ce qui est souvent assez drôle (même si parfois la situation devient très tendue). De fait, j’ai trouvé l’ensemble (à nouveau) très plaisant.

Mais ce n’est pas pour autant un récit de bisounours, loin de là. Au fil de ses recherches et des questions qu’elle pose à ses tutrices, Mélaine découvre la vérité sur le passé de sa grand-mère, une petite fille intelligente et maltraitée par son père (on parle de sévices corporels et de maltraitance psychologique graves). Le récit oscille donc sans arrêt entre une part lumineuse et une autre part nettement plus sombre. Si les sévices subis par la grand-mère dans son enfance sont décrits sans pathos, ils ne sont pas non plus édulcorés.

L’intrigue présente aussi une ambiance fantastique légère. En effet, une rumeur court autour de la disparition de Mélanie : son fantôme hanterait la maison familiale, et l’autrice joue parfaitement sur cette ambiance jusqu’à la fin. J’ai trouvé le mélange entre l’aspect fantastique, les découvertes terribles de Mélaine, et sa vie haute en couleur chez Heidi et Gretchen aussi équilibré que réussi.

Au final, le roman est assez court, mais les péripéties s’enchaînent à bon rythme, tout en ménageant des instants plus calmes. C’était vraiment une lecture extrêmement plaisante !

J’ai lu beaucoup de romans de Moka dans mon adolescence et j’avais celui-ci en tête comme étant un de mes favoris. Et la relecture a confirmé cette impression ! Le récit, quoique bref, est très prenant, parfaitement équilibré entre fantastique et recherche dans les secrets de famille. Le ton oscille sans cesse entre humour joyeux et considérations plus graves, à nouveau dans un mélange très réussi. Bref : coup de cœur confirmé !

Le petit cœur brisé, Moka. L’École des Loisirs, (2001) réédition 2016.

Le Cercle des Géographes, Emblèmes #1, Ina Siel.

Erèbe d’Aigremort ne quitte jamais son manoir, traumatisé par l’attaque d’une créature de cauchemar pendant son enfance. C’est pourtant son nom qu’une négociante nuptiale soumet à Cécilie, car il est le seul qui corresponde aux critères étranges de la jeune roturière fortunée.
Érèbe accepte la proposition d’union et se laisse convaincre de participer aux sélections pour intégrer le Cercle des Géographes, qui organise des expéditions de prestige vers Exotica, une terre peuplée de créatures magiques. Érèbe compte bien y retrouver les racines de son passé alors que Cécilie souhaite profiter de l’escale à La Scientifica, une terre de sciences et de progrès, pour s’échapper du carcan que Naturalia impose aux femmes.
Mais ils se retrouvent bien vite pris au piège de complots politiques qui les dépassent…

Ce premier tome d’Emblèmes (annoncé comme un diptyque), nous entraîne dès les premières pages dans un univers fascinant, séparé en trois zones géographiques. D’un côté, Naturalia, où débute l’histoire, et qui correspond peu ou prou à notre XIXe siècle : les femmes sont tout en bas de la société, laquelle est fascinée par les expéditions et l’exotisme, et repose sur un système de classes sociales rigide. En face, la Scientifica, une terre de sciences, dont l’équipement technologique est comparable à celui que nous connaissons aujourd’hui. Enfin, Exotica, une mystérieuse contrée de magie, où les deux précédentes nations ne s’engagent qu’en convois expéditionnaires, à leurs risques et périls.

Le récit débute en terres naturaliennes et met en scène un duo de personnages que j’ai trouvés très intéressants. D’une part, on suit Érèbe, héritier d’Aigremort, qui vit en reclus sur son domaine. Le jeune homme a une réputation sulfureuse, puisqu’il est soupçonné de mener des rites sacrificiels et de pratiquer la zoo-nécrophilie (rien que ça). Le châtelain est en fait terrassé par un cauchemar traumatique lié à une agression subie dans son enfance, trauma qu’il exorcise en pratiquant la taxidermie (ce qui entraîne quelques scènes assez trash où il se livre à son art). Comme si cela n’était pas suffisant, il est constamment suivi par un loup noir, et englué dans des relations familiales peu saines, sous l’emprise d’une mère omniprésente et qui tente par tous les moyens de le garder isolé du reste de la société.
En face, Cécilie, une jeune femme volontaire, héritière d’une entreprise textile (mais roturière), et qui cherche à tout prix à épouser un noble afin d’assouvir son besoin d’émancipation. Cela peut sembler antinomique mais le plan de Cécilie est simple : une fois mariée, être embauchée dans le corps expéditionnaire (il faut l’aval de son mari pour cela) et… mettre les voiles.
De fait, les personnages n’ont pas les mêmes objectifs : Erèbe espère retourner dans son manoir vivre sa vie de famille, Cécilie rêve de s’exiler à la Scientifica. On a donc, dès le début, une tension certaine qui s’installe entre les personnages car, si chacun d’entre eux vit dans le déni des souhaits de sa moitié, le lecteur, lui, sait que l’on se dirige droit sur un mur. Autre point que j’ai trouvé intéressant et bien mené : l’inversion des rôles classiques. Les personnages sont très forts et on a d’un côté un homme vulnérable, qui ne cache pas son handicap mental et de l’autre une femme forte, prête à tout pour sa liberté. Là où c’est intéressant, c’est que Cécilie, bien qu’elle rejette le patriarcat et ce que cela implique, agit en fait… exactement comme les hommes de Naturalia. Elle est particulièrement égocentrée, focalisée sur ses objectifs au détriment de son entourage et, contrairement à Érèbe, elle n’évolue clairement pas au long du récit – elle est d’ailleurs souvent détestable à souhait !

Emblèmes est aussi un roman d’ambiances et qui, si je puis dire, fonctionne sur le principe « deux salles, deux ambiances ». En effet, la première partie est placée sous les sceaux du gothique, de l’onirisme, du naturalisme : la forêt du manoir est omniprésente, on fête Willow, une fête païenne, les cabinets de curiosité ont le vent en poupe… mais on sent une noirceur galoper sous la merveille. Il y a un côté très fascinant, avec une esthétique léchée qui m’a beaucoup plu. La seconde partie, quant à elle, lorgne nettement plus du côté de la SF : on y suit une expédition quasi militaire, sur-armée de gadgets à la technologie hyper avancée que l’on reconnaît par les descriptions, mais qui semblent presque magiques aux protagonistes. La transition est assez surprenante, mais c’est vraiment bien fait, et cela donne aussi tout son sel au roman. Ce jeu d’ambiances tient aussi aux personnages : la première partie s’attache à bien décrire leurs émois intérieurs, à camper les deux protagonistes. L’un, solitaire et ténébreux, l’autre, dynamique et à la poursuite de ses objectifs. Le début est vraiment centré sur leur construction, sur l’évolution de leurs relations, alors que la seconde partie est plus rapide de ce point de vue-là. De fait, leurs évolutions sont plus hâtives (parfois presque trop), et c’est peut-être dû au fait que l’action est nettement plus présente.

Car dès que débute l’expédition, on s’embarque dans un récit d’aventure riche en péripéties. L’univers étant ce qu’il est, on renoue aussi beaucoup plus avec l’aspect fantasy : la faune et la flore y jouent beaucoup, comme les aptitudes des personnages qui confinent à la magie. Il y a aussi plus d’amorces d’intrigues secondaires, ce que j’ai trouvé à double tranchant : d’une part, cela densifie l’intrigue, mais cela entraîne aussi des longueurs de-ci de-là. Ceci étant, le roman s’achève sur un retournement de situation pas des plus original, mais qui a le mérite de relancer drastiquement la tension – et qui m’a donné très envie de lire la suite et fin !

En somme, Emblèmes est un roman à l’ambiance très prenante. Intimiste au départ, plus enlevé par la suite, le récit s’attache à un duo de personnages très réussi. Même si j’ai parfois regretté la rapidité de leurs évolutions, j’ai trouvé que leur psychologie servait bien l’intrigue et vice-versa. De plus, l’autrice déroule tout cela d’une plume particulièrement fluide, qui a rendu les arrêts de lecture entre chapitres assez difficiles. En termes de romans young-adult, Ina Siel sort clairement des sentiers battus avec ce titre, et cela fait du bien. Le tome 2 semble prévu pour le courant de l’année 2024 et j’ai d’ores et déjà envie de le lire !

Emblèmes #1, Le Cercle des Géographes, Ina Siel. Mnémos (Naos), septembre 2023, 379 p.

Battlestar Botanica, H. Lenoir

Futur lointain : le Loquace, vieux vaisseau capricieux, s’est perdu dans l’espace. Fun Fact ! Comme tous les vaisseaux galactiques, il a été volé à une race extra-terrestre ennemie et sa technologie n’est que partiellement maîtrisée par les humains. A son bord ? Kani, 17 ans, la pilote. Et tout un équipage d’humains et extra-terrestres aussi hétéroclite qu’attachant, dont le plus grand talent est de se précipiter la tête la première dans les ennuis galactiques.
Leur dernière idée en date ? Partir à la recherche d’une plante rare et très convoitée… Un peu trop convoitée.

Ce roman se déroule 200 ans après les événements décrits dans Félicratie, de la même autrice mais, pas de panique pour ceux qui débarquent (dont je fais partie) : ils sont indépendants (à la limite, il y a du spoiler sur la fin de Félicratie, mais c’est tout). Et si le premier roman tenait (semble-t-il) du post-apo, ici on est dans du space-opéra et du planet-opéra de la plus belle eau !

Avant de parler du fond, parlons de la forme. Le récit est découpé en chapitres assez courts, chacun centrés sur un personnage (quoiqu’en narration externe), ce qui donne à chacun d’entre eux une coloration, un mode de pensée particulier, puisqu’on est vraiment immergés dans le point de vue du personnage en question. Chacun de ces chapitres fonctionne comme un épisode à part entière (d’ailleurs, ils sont intitulés « épisodes »), avec une aventure complète. J’ai eu l’impression de lire toute une série vraiment bien menée, car chacun de ces épisodes vient évidemment nourrir l’intrigue générale ! En plus de cela, les épisodes sont séparés par des interludes intitulés « Fun fact », qui viennent apporter un éclairage sur le roman, que ce soit sur l’histoire de l’univers, le background des personnages, ou sur des points de linguistique ou de civilisation qu’il est bon de connaître pour apprécier le chapitre suivant. Double bonus, donc : cela complète l’univers et l’intrigue, tout en induisant un suspense certain pour le chapitre à venir (puisque les éléments sont immédiatement réinvestis dans le récit). Il faut ajouter à cela que les titres des chapitres sont à la fois programmatiques et hilarants (je pense notamment à « L’histoire avec les colons consanguins » ou à « L’histoire avec le crabe libidineux » !) et qu’ils nourrissent à merveille cet effet de suspense.

Le Loquace traîne à son bord un équipage attachant et hétéroclite (dont on a les portraits dans les pages de garde), qui mêle adultes assermentés et adolescents ou jeunes adultes, par les yeux desquels nous allons suivre cette histoire. Contrairement à la plupart des publications ado/YA, la présence d’adolescents est ici parfaitement justifiée : soit il s’agit d’aliens dont le passage des ans est différent de celui des humains soit, dans le cas de Kani, c’est à la fois parce qu’elle pilote le vaisseau de sa mère (la Capitaine) et à la fois parce que les pilotes sont forcément de jeunes gens, après quoi ils perdent leurs capacités à piloter les vaisseaux aliens (ce qui m’a follement rappelé Meryma et ses petites camarades dans La Honte de la galaxie, un autre space-opéra jeunesse que je vous recommande chaudement).
Côté équipage, j’ai vraiment apprécié qu’il soit divers et varié, que ce soit en termes d’origines ou d’orientations des personnages. Cerise sur le gâteau : les races extraterrestres dépeintes sont vraiment originales et bien pensées (on n’est clairement pas dans des ersatz d’humanoïdes). Et je ne parle pas seulement de cosmétique ! Les deux races (les lutiennes, une race aviaire, et les ekta, que l’on peut qualifier d’insectoïdes) ont des apparences bien particulières et dont les spécificités sont parfaitement exploitées. Les lutiennes, par exemple, ne peuvent arpenter certaines planètes dont l’atmosphère n’est pas adaptée. Mais ce n’est pas tout ! Les structures sociales de chacune des races sont complexes et bien pensées. Mieux : elles alimentent le récit, puisque les chapitres du point de vue de Liitip, un ado lutienne qui a bien du mal à s’adapter aux habitudes des yumans (les humains) sont riches d’enseignements, à la fois sur le mode de pensée de son espèce, sur sa culture et sur la structure sociale (bien différente) à laquelle il a été habitué et à la fois sur les nôtres, dont les bizarreries sont ici relevées. Cela ouvre clairement les horizons ! C’était un point que j’avais beaucoup apprécié dans L’Espace d’un an, je suis donc plus que ravie de le retrouver ailleurs. D’autant que là, les réflexions sont non seulement intéressantes, mais en plus menées en douceur, sans prendre le pas sur le récit d’aventure : le dosage est parfait entre action et réflexion, c’est extrêmement bien fait.

Car on suit aussi les personnages dans une aventure spatiale (qui mêle planet-opera et space-opera) de la plus belle eau : le récit d’aventure est donc parsemé de son content de batailles spatiales, courses-poursuites diverses et variées, plans alambiqués, espionnage, bastons mémorables et savoureux conflits internes des personnages. La mission, en plus, est originale et les péripéties carrément addictives. Le tout servi par une plume qui ne manque ni de mordant, ni d’humour, et qui a largement contribué à rendre ma lecture prenante ! A ce titre, j’aimerais saluer le dernier chapitre, qui vient parfaitement conclure le récit, tout en lui offrant une excellente chute.

En bref, c’était ma première lecture d’un roman d’H. Lenoir et j’en sors avec deux certitudes : d’une part, je relirai celui-ci et, d’autre part, j’ai bien l’intention de lire le reste de sa bibliographie (à commencer par Félicratie). Avec Battlestar Botanica, l’autrice livre un roman de SF parfaitement exécuté, qui mêle avec brio récit d’aventure et réflexions plus profondes. Le récit est prenant, enlevé, et ne manque ni d’humour, ni d’émotions alors, franchement, que demande le peuple ? (Rien, à part d’autres livres du même style). Voilà donc une excellente pioche, que je recommande aux adolescents évidemment, mais aussi aux amateurs de bons récits de SF de tout âge !

Battlestar Botanica, H. Lenoir. Sarbacane, août 2023, 387 p.

Si vous avez aimé, vous aimerez peut-être :

La société très secrète des sorcières extraordinaires, Sangu Mandanna.

Mika Moon a toujours – enfin, presque toujours – respecté trois grandes règles. Cacher sa magie (dans les vidéos qu’elle poste en ligne, elle fait juste semblant d’être une sorcière). Faire profil bas (après tout, qu’est-ce que 14 000 abonnés ?). Et rester à l’écart des autres sorcières (sauf à l’occasion de leur sacro-sainte réunion trimestrielle). La jeune femme a donc pris l’habitude d’être seule et a même passé le plus clair de sa vie d’adulte à déménager en prenant garde de ne jamais s’attacher à qui que ce soit.
Un jour, pourtant, elle reçoit une intrigante offre d’emploi : devenir la professeure particulière de trois jeunes sorcières dans une mystérieuse propriété du Norfolk baptisée la Maison de Nulle Part. Et voilà qu’en un coup de baguette magique (et contre toutes les règles élémentaires de sorcellerie), elle se retrouve bientôt mêlée aux secrets de ses quatre hôtes, aussi excentriques qu’attentionnés. Parmi eux, Jamie, bibliothécaire irlandais grincheux mais contre toute attente attirant, est prêt à tout pour défendre ses trois petites protégées. Or, à ses yeux, la nouvelle venue est une menace – une menace incroyablement irritante…

Qu’il soit dûment noté que j’ai volontairement lu une romance… et que j’ai aimé ça ! Je sais, c’est incroyable, mais tout arrive !
Il faut dire que j’ai attaqué cette lecture sur la bonne mine de sa couverture, sans trop regarder le résumé (je trouve qu’ils sont souvent trop révélateurs chez cet éditeur), donc je m’attendais à de la fantasy urbaine, mais pas nécessairement à une part romantique – qui, de fait, n’intervient pas tout de suite.

On suit donc les pérégrinations de Mika, trente-et-un ans, sorcière de son état dans un univers (le nôtre) qui ignore l’existence de la magie. Et on est loin de la communauté magique à la Harry Potter : les sorcières, en effet, vivent isolées les unes des autres, en respect de la Règle. De fait, leurs parents meurent systématiquement lorsqu’elles sont en bas âge et un trop-plein de magie, lorsqu’elles se regroupent, vire forcément à la catastrophe. Donc, pour vivre heureuses, elles vivent cachées et à l’écart les unes des autres, se retrouvant simplement quatre fois par an pour un « club de lecture », qui leur permet d’échanger entre consœurs. Pas hyper chaleureux comme mode de vie, donc. On comprend donc bien les réticences de Mika à accepter l’offre d’emploi visant à éduquer trois jeunes sorcières passées sous leur radar et qui, de surcroît, vivent ensemble. Et ce d’autant qu’elle-même a été élevée par une sorcière qui, si elle lui a prodigué la sécurité matérielle, a toujours été absente et avare d’affection.

Le récit tient dès lors plus de la cosy fantasy que de la fantasy tout court : certes, il y est question de magie, mais cela occupe une part relativement restreinte de l’intrigue, tout comme l’éducation des trois fillettes, qui passent après les relations entre les personnages. Et finalement… ce n’est pas gênant ! Car le récit met vraiment l’accent sur les émotions des personnages, et sur les liens qui les unissent, un parti-pris vraiment intéressant lorsque l’on connaît le passé de Mika. Ainsi, au fil du récit, il sera beaucoup question de relations familiales, avec l’apparition de thèmes forts comme l’abandon, les violences intrafamiliales, la solitude, le déracinement, ou les avantages comparés de la famille biologique et de la famille de cœur. La romance, de son côté, prend de plus en plus de place au fil des pages : il y a un petit côté enemies-to-lovers dans cette relation (et un soupçon de slow burn), un cliché qui a tendance à me sortir par les trous de nez, mais que j’ai trouvé ici bien mis en scène et bien exploité. Attention toutefois au lectorat si vous devez conseiller ce roman à un jeune public : sachez qu’il contient une scène de sexe explicite avant de vous attirer des foudres parentales !

J’ai parlé juste au-dessus des relations entre les personnages qui, pour moi, font tout le sel du récit. Mika débarque dans une maison hébergeant une famille reconstituée qui fonctionne plutôt bien, surtout si l’on prend en compte que quatre adultes dépourvus de magie encadrent trois fillettes aux pouvoirs souvent incontrôlables. Les personnages sont très divers, sans qu’ont ait l’impression que l’autrice en fasse des caisses de ce côté-là, et c’est très appréciable !
Il y a un côté très feel-good dans l’ambiance de la maison et dans ce qui unit cette famille pas comme les autres : beaucoup de bienveillance (mais aussi des plans de meurtres alambiqués pour se débarrasser de Mika), de l’amour inconditionnel (et des échanges savoureusement caustiques) et un soupçon de maladresse entre eux. Cela ne fait que renforcer le côté cosy déjà mentionné, et cela colle tout à fait à l’intrigue mise en place. La magie est alors un plus, et fait presque plus partie du décor que du récit lui-même, ce qui va vraiment bien avec l’ambiance générale. Et je dois dire que j’ai souvent bien ri, la palme revenant sans doute à Ian (le comédien aux idées farfelues), Terracotta (la fillette aux ambitions meurtrières) et Primrose (la sorcière distinguée et piquante) : vraiment, les échanges sont délicieux, l’humour est bien saupoudré et le tout relève idéalement les relations entre les protagonistes !

Même si le récit principal est assez simple, j’ai trouvé que les péripéties arrivaient à point nommé : le rythme de l’histoire est assez posé, et celle-ci est portée par un certain nombre de descriptions, entrecoupées d’échanges caustiques. Les scènes d’action ne sont pas légion, mais l’autrice sait insuffler de la tension (notamment psychologique) aux bons moments, ce qui fait que j’ai dévoré le roman en moins de deux. L’intrigue repose sur pas mal de secrets (de famille, notamment) et sur les petits mensonges des uns et des autres qui viennent éclater pile au bon moment. Le retournement de situation final est sans doute assez prévisible, mais je dois avouer que je me suis complètement laissée porter par le récit, sans chercher à additionner les indices laissés à notre portée – et c’est aussi une des raisons pour lesquelles j’ai tellement apprécié cette lecture.

En bref, voilà une lecture dont je n’ai fait qu’une bouchée ! J’ai follement apprécié l’ambiance et l’univers dans lesquels nous entraîne l’autrice. Si l’intrigue est résolument simple, elle est portée par des personnages hauts en couleurs que j’étais assez dépitée de quitter une fois la dernière page tournée. Le récit est sans doute un peu prévisible, mais j’en retiens surtout l’atmosphère cosy, les personnages drôles et attachants, la romance qui s’installe doucement mais sûrement. Excellente surprise, donc (surtout pour une romance !), et je guetterai les prochaines parutions de l’autrice avec attention !

La Société très secrète des sorcières extraordinaires, Sangu Mandanna.
Traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Laureline Chaplain. Lumen, 24 août 2023, 407 p.


Le Monde des Premiers #2, Lucie Thomasson.

Alors que Victoire suscite l’intérêt tout particulier des Hamilcar, Guilhem, lui, se frotte aux combines politiques des Litréans. Quant à Dimitri, son Destin lui fait prendre un chemin bien sinueux…
Pris dans les griffes de Premiers plus à cran que jamais, ils se retrouvent tous trois au cœur de l’affaire la plus scandaleuse du siècle. Démarre alors une machinerie féroce et sanglante : crimes, complots et assassinats se succèdent dans une course contre la montre où les clans déploient leurs plus sordides stratégies.
Victoire, Dimitri et Guilhem, dans la guerre politique qui fait rage, n’ont alors d’autre choix que de se jeter dans la mêlée, pour la paix du Continent, pour sauver leur peau et assouvir leur vengeance…

L’été dernier, j’avais découvert avec un immense plaisir le premier tome du diptyque Le Monde des Premiers et vu le coup de cœur de lecture, j’étais assez impatiente de lire la suite – et fin. Et quelle lecture !

Alors que le premier tome avait un aspect assez introductif (mais dans lequel il se passait quand même pas mal de choses), ici on est plutôt dans les révélations et rebondissements. De fait, un certain nombre de cartes sont abattues en tout début de récit, ce qui laisse place, dans la suite à la révélation des jeux (ô combien tordus) des un et des autres. Il en résulte un roman nettement plus sombre que le premier, une ambiance qui m’a éminemment plu !

De plus, l’intrigue prend un tour que je n’avais pas vu venir : les réseaux d’espionnage mentionnés ici et là dans le premier tome sont cette fois au centre du récit, qui prend aussi une tournure judiciaire très importante. Je ne m’y attendais pas, et l’ensemble s’est révélé particulièrement bien mené et prenant ! Car il ne faut pas oublier que la vengeance est la principale motivation de cet opus : coups bas, manigances et complots occupent donc la part belle de l’intrigue. Corollaire de cette ambiance : l’autrice n’hésite nullement à malmener – assez durement – ses personnages et je dois dire que je n’étais clairement pas prête pour certains retournements de situation !
Parallèlement, ses personnages révèlent des parts de noirceur qui viennent alimenter cette ambiance. On est passés dans une économie du « tout ou rien » et cela donne une saveur particulière à l’ensemble du récit, tant certaines péripéties nous font franchir des points de non-retour. C’est sombre, parfois très amer, mais en même temps parfaitement raccord avec tout ce qui a été mis en place jusque-là.

Avec tout ça, le récit aborde en filigrane des thèmes auxquels je ne m’attendais pas, mais qui sont vraiment bien traités : il y est notamment question de dépression, de maladie mentale ou d’emprise – lesquels expliquent beaucoup de choses concernant les agissements précédents des différents personnages.

La qualité de ce deuxième tome tient aussi aux choix narratifs. Comme dans le premier tome, on est face à un récit choral, dans lequel on suit successivement les voix de Dimitri, Guilhem et Victoire, encore une fois bien différenciées – ce qui est hautement appréciable. À ces trois voix de base s’ajoutent celles de Marie Eristène, nouvelle narratrice venue, dont le point de vue permet de compléter à la fois l’univers et la vision des enjeux en place, et celle d’Isaac, même si celle-ci est un peu particulière. En effet, contrairement aux autres, le personnage n’est pas narrateur, puisque l’on passe sur une narration à la troisième personne. Cette distance a aussi son intérêt dans la dissémination des informations ou dans la préparation des révélations !
Comme dans le premier opus, l’enchaînement n’est pas régulier et l’apparition, ou l’absence, d’une voix est source d’informations… comme de suspense.
Les parties narratives sont judicieusement entrecoupées d’extraits de périodiques, de correspondances et autres textes officiels qui, suivant leur placement, viennent compléter des informations, préparer des révélations, ou relancer la tension. Bref : le rythme est assuré de bout en bout et j’ai eu bien du mal à me détacher de ma lecture !

J’attendais avec impatience ce tome 2 et mes attentes n’ont pas été déçues ! L’autrice emmène son intrigue sur des chemins que je n’avais pas soupçonnés et que j’ai trouvés aussi prenants que bien menés. La vengeance, au centre de l’intrigue, rend le récit nettement plus sombre que le précédent, avec son lots de retournements de situation osés, de manigances bien menés et de choix discutables des uns et des autres. L’ambiance est léchée, le rythme soigné, et il m’a été difficile de lâcher ce roman. La fin, douce-amère, clôt le diptyque à merveille. Dans ma chronique du premier tome, je faisais mention d’un tome-compagnon : je ne sais pas s’il est toujours d’actualité, mais s’il l’est, je le lirai avec beaucoup de plaisir. Parmi la pléthore de sorties destinées au lectorat young-adult, cette série fait clairement partie du haut du panier ; je la recommande aux jeunes comme aux moins jeunes adultes !

Le Monde des Premiers #2, Lucie Thomasson. Mnémos (Naos), 17 mai 2023, 365 p.

La sorcière du solstice, Le Garçon-sorcière #3, Molly Knox Ostertag.

Aster participe au festival du solstice d’hiver, un événement où la famille Vanissen se réunit pour des compétitions de sorcellerie et de métamorphose. Cette année, le jeune garçon est impatient de prendre part au tournoi annuel en tant que sorcière —et non comme métamorphe, contrairement aux autres garçons —, mais il hésite à bousculer les traditions. De son côté, Ariel semble préoccupée par d’autres événements étranges : une mystérieuse sorcière qui prétend être sa tante affirme connaître la vérité sur son passé…
Pour Aster et Ariel, rien ne se déroule comme prévu lors du festival. Conflits et traîtrises se mêlent à la partie! Mais quand une force puissante et sinistre s’infiltre dans la réunion, ils devront à tout prix résister à la magie noire et trouver le courage de combattre ensemble.

Voilà une série que j’apprécie énormément et j’avais à la fois envie de la finir et celle de laisser traîner la découverte de ce tome 3. C’est enfin chose faite !
Ce tome nous emmène à la découverte d’une tradition de la famille Vanissen : la fête du solstice et le Jolrun, une épreuve opposant jeunes sorcières et jeunes métamorphes dans une ambiance qui rappelle les olympiades familiales – mais à base de magie.

Comme dans le tome précédent, l’apprentissage d’Aster et le sombre passé d’Ariel s’entremêlent intimement dans l’intrigue. Alors que le premier peine à faire accepter son existence à la famille étendue, la seconde fait une découverte familiale pour le moins inattendue. Une découverte qui va la faire hésiter entre la pratique de la magie telle qu’on l’enseigne chez les Vanissen, dans la tolérance, la bienveillance et le respect de l’autre, et celle prônée par sa tante, nettement plus puissante… mais aussi plus discutable.
Alors que chacun des deux personnages se débat avec son dilemme moral, tout cela vient se mêler à leurs aspirations profondes.
Ariel, au fond, n’aspire qu’à être aimée pour ce qu’elle est, ce que propose justement la famille d’Aster, mais peut-être pas aux conditions qu’Ariel est prête à accepter. De son côté, Aster aimerait se sentir soutenu par sa famille, notamment sa mère… laquelle est prise entre deux feux : soutenir et conforter son fils, soutenir et conforter Ariel, sachant que les deux programmes sont incompatibles et que si le premier a des enjeux émotionnels et de construction de soi très élevés, le second y adjoint un enjeu qui va impacter toute la communauté magique.

Eh oui, car ce tome 3, même s’il est pétri d’une ambiance de bienveillance qui fait chaud au cœur, marie aussi les enjeux plus trépidants, liés à la magie et à sa pratique, en plus du tournoi proprement dit.
De fait, l’action et le suspense sont bien présents dans ce dernier opus. D’une part parce que les jeunes compétiteurs se demandent s’ils vont réussir à maîtriser leurs pouvoirs et à parvenir à la fin de l’épreuve, bien sûr. Mais d’autre part parce qu’Ariel, dans son coin, se débat avec des forces qui la dépassent, dont elle n’ose parler, et dont le lecteur perçoit rapidement la dangerosité. Il en résulte un récit mené avec du rythme et ce qu’il faut de suspense pour garder les lecteurs en haleine du début à la fin, ce qui n’a rendu ce tome 3 que meilleur !

Comme dans les deux tomes précédents, l’autrice pare l’intrigue de chouettes messages. Il y a cette romance qui se noue sereinement entre deux filles (elle n’est pas au centre du récit, mais c’est beau et bien fait, sans aspect artificiel de « je coche une case »). Il y a aussi cette scène très émouvante entre Aster et la petite sœur de son principal opposant, lorsque la fillette lui avoue que, plus tard, elle sera métamorphe. ça n’a l’air de rien, mais cela rejoint le discours tenu quelques bulles plus tôt sur l’importance d’avoir des modèles auxquels s’identifier ! Ce que j’aime par-dessus tout dans les comics de Molly Knox Ostertag, c’est que tout ce contenu militant (que d’aucuns n’hésiteraient pas à qualifier du gros mot du moment, du « wokisme »!) sont en fait pleins de douceur et de bienveillance, et montrent au passage que cette voie est aussi possible en littérature, a fortiori jeunesse (où l’on affectionne ces thèmes, mais généralement pour faire souffrir de mille maux les protagonistes, sans forcément d’issue heureuse !).

En bref, Molly Knox Ostertag clôt sa série dans la même ambiance tendre et douce qu’elle l’a commencée. Mais tendresse et douceur ne veulent pas dire que l’on est au pays des bisounours ! L’intrigue sait aussi ménager ses tensions, un suspense palpitant et des enjeux qui dépassent clairement le cadre du confort ou de la vie intime des protagonistes. En plus de cela, on profite de graphismes vraiment agréables à l’œil, ce qui ne gâche clairement rien. Je suivrai avec grand plaisir les prochaines parutions de l’autrice-illustratrice !

◊ Dans la même série : Le Garçon sorcière (1) ; La sorcière secrète (2) ;

Le Garçon-sorcière #3, La sorcière du solstice, Molly Knox Ostertag.
Traduit de l’anglais par Romain Galand. Kinaye, janvier 2021, 208 pages.

Les sœurs Hiver, Jolan C. Bertrand.

Il y a très longtemps, il y avait deux hivers : la Grande, avec ses froids polaires et ses blizzards, et la Petite, avec ses glissades joyeuses et ses batailles de boules de neige. Mais depuis que la Petite a disparu, tout est détraqué au village de Brume ! Les adultes sont inquiets, plus personne ne rit aux bonnes farces d’Alfred et, surtout, les trolls passent leur temps à voler des objets, qu’ils emportent à tout jamais dans la taïga. Lorsque l’oncle d’Alfred se porte volontaire pour rapporter les objets volés et qu’il disparait sous ses yeux, avalé par la tempête, c’en est trop : il faut partir à sa recherche, coûte que coûte, braver les dangers de la forêt boréale, et affronter la Grande Hiver…

Une fois n’est pas coutume, j’ai acheté ce roman surtout en raison de la couverture de Tristan Gion que je trouve fabuleuse ! Cerise sur le gâteau : il se trouve que l’intérieur m’a plu tout autant !

Le roman débute par le récit fondateur de la relation des deux sœurs, la Grande et la Petite Hiver. Or, depuis 10 ans, la belle synergie qui les unissait et assurait des hivers réguliers aux habitants a cessé, la Petite Hiver ayant brutalement disparu. La Grande fait souffler sans discontinuer les hivers rigoureux. Mais ce n’est pas le point de départ du récit ! Celui-ci se trouve plutôt dans les farces commises par les trolls, qui volent des objets précieux aux habitants du village où vit Alfred. Trop, c’est trop et les villageois se doivent de faire quelque chose.

Le récit nous entraîne donc dans la bise glacée d’un royaume viking, qui mêle influences scandinaves : on y prie couramment Loki, les sames mènent leurs rennes paître dans la taïga et la forêt est infestée de petits trolls farceurs qui peuvent se transformer en cailloux à la moindre alerte. Le fait que l’intrigue se déroule en hiver ne fait que renforcer cette ambiance. D’ailleurs, plus le récit avance, plus la mythologie nordique et ses légendes particulières s’invitent dans le récit, et viennent en bousculer le fil.
Dans ce décor particulièrement enchanteur, l’intrigue se construit à la fois comme un récit d’aventure et un récit d’apprentissage – Alfred devant apprendre seul à se débrouiller pour retrouver son oncle. Les péripéties sont prenantes et scandent bien le récit, qui se fait tour à tour épique, poétique, émouvant. On se croirait vraiment dans un conte, et c’est une ambiance que j’ai vraiment appréciée. Il y a aussi des pointes d’humour vraiment bienvenues, car Alfred a un esprit farceur qui parfois peut se retourner contre lui, ce qui occasionne de savoureuses situations.

J’ai apprécié de retrouver une certaine diversité dans les personnages et un choix narratif vraiment intéressant. Les trolls, en effet, n’ont pas de genre défini, aussi les pronoms pour les désigner sont-ils le duo ul/uls. Qu’on ne s’inquiète pas : on ne les rencontre pas tant que ça au fil de l’histoire et la démarche est expliquée au début, ce qui facilite grandement la compréhension, y compris pour de jeunes lecteurs – le lectorat cible semblant être les préadolescents. Sous couvert d’un récit très traditionnel, le roman aborde en fait des sujets modernes avec justesse, et une certaine dose de légèreté très bienvenue.

J’ai parlé en intro de la splendide couverture : on retrouve des illustrations (en couleurs !) tout aussi sublimes à l’intérieur, celles-ci venant ponctuer le récit. C’est d’une part très agréable à l’œil, mais cela renforce d’autant l’impression si agréable de lire un conte d’hiver.

Jolan Bertrand et Tristan Gion signent donc un roman jeunesse d’excellente facture : les sublimes illustrations servent un texte accessible, très prenant, qui se fait tantôt poétique, tantôt épique, et qui nous immerge dans une ambiance de conte hivernal particulièrement agréable. On en redemande !

Les sœurs Hiver, Jolan C. Bertrand. Illustré par Tristan Gion. L’École des Loisirs, février 2022, 228 p.

Et avec ceci, je valide la catégorie « Chant de Noël » du Cold Winter Challenge 2022 !

La Valse des tulipes, Ane Cestero #1, Ibon Martín.

L’estuaire d’Urdaibai, poumon de la Biscaye au Pays Basque (déclaré réserve de la biosphère par l’Unesco), paradis qui vit au rythme des marées, voit soudain sa tranquillité mise à mal par le meurtre inexpliqué de plusieurs femmes, âgées d’une cinquantaine d’années. Ane, une jeune inspectrice de Bilbao, férue de rock énervé et de mythologie, est aux commandes d’une nouvelle unité d’élite, chargé des affaires sortant de l’ordinaire. Objectif : résoudre l’affaire avant que la presse ne fasse souffler un vent de panique sur toute la région.

J’avais envie de lire ce roman depuis que je l’ai acheté, à sa parution, pour la médiathèque. Je l’avais même mis dans mon Cold Winter Challenge l’an dernier ! (Et pas lu, mais je suis très contente d’avoir finalement emporté ce roman sur la plage cet été).

Bon, déjà, je dois avouer un truc : j’avais envie de lire ce roman parce que je connais bien la région dans laquelle il se situe, et que c’est un endroit que j’apprécie ! C’était de fait assez confortable de visualiser très précisément les endroits où se déroulent les péripéties (et ça m’a donné envie d’y retourner, tiens).

Le roman débute en fanfare avec une scène de meurtre très cinématographique, puisqu’une femme, ligotée à une chaise, est écrasée par le train régional… que conduisait son mari. Le tout retransmis en direct sur les réseaux sociaux. Bonne ambiance, non ?
Après ce début assez marquant, l’auteur revient à un rythme beaucoup plus calme, qui va permettre d’installer proprement les personnages. Ane Cestero, l’enquêtrice en charge de l’unité, va rejoindre des collègues issus d’autres commissariats de la communauté autonome (certains qu’elle apprécie, d’autre avec qui c’est plus compliqué…). C’est un peu lent, mais il faut bien ça pour camper les personnages (d’autant que l’auteur semble parti pour en faire une série).

Il faut aussi dire que les indices sont maigres, et que l’enquête peut sembler piétiner dans les premiers temps. Le récit se déroule donc avec une certaine lenteur, que je n’ai pourtant pas trouvée désagréable. En effet, l’auteur multiplie les arcs narratifs secondaires, notamment consacrés aux personnages, à leurs histoires personnelles, ou à leurs relations entre eux. Évidemment, la plupart de ces arcs narratifs viennent nourrir l’intrigue principale, par micro-touches, ou par grosses révélations. Malgré ce rythme un peu lent, l’ensemble est très efficace : les péripéties, les révélations et les meurtres se succèdent à une bonne cadence, ce qui maintient un suspense assez agréable.

La narration joue sur une alternance entre le présent (la majorité des chapitres), et le passé, dans des chapitres assez courts, montrant l’enfance (affreuse) d’un inconnu au bataillon – que l’on soupçonne assez vite d’être le meurtrier. Plus l’on avance dans le récit, plus les indices sur son identité se multiplient donc… et nous embrouillent, car son passé (enfant solitaire, pêcheur, amateur de radio, etc.) correspond à celui de beaucoup d’hommes de la région (et donc de personnages du récit). La construction est classique, mais j’ai trouvé qu’elle était bien utilisée ici, et qu’elle servait vraiment bien le récit !
De plus, les allers-retours présent/passé sont loin d’être artificiels, puisque l’intrigue puise ses sources dans le passé (parfois chaotique) de l’Espagne. Rapidement, les enquêteurs trouvent sur leur piste un couvent important de la région, dans les affaires duquel il est difficile de fouiller. Sans trop spoiler, je peux vous dire que le passé franquiste ultra-catholique de l’Espagne remonte à la surface, entraînant à sa suite quelques vilains secrets de famille que les gens pensaient bien enfouis.
Le rythme s’accélère nettement à la fin, rompant le rythme assez lent instauré jusque-là. Ce n’est pas précipité, mais c’est bien plus trépidant que dans les chapitres précédents ! J’ai été assez surprise par certains rebondissements finaux : l’enquête est bouclée, mais on ne peut pas vraiment parler de happy end… J’ai trouvé ça agréablement surprenant !

J’ai trouvé que le roman était aussi très en prise avec notre époque. Ibon Martín campe deux héroïnes célibataires et libres, et toute une partie du récit tourne autour du féminisme. Évidemment, la question des droits des femmes est au centre du récit avec toute l’intrigue tournant autour du couvent, mais on parle aussi beaucoup de violences faites aux femmes (avec notamment l’évocation du délit de violence de genre).

Enfin, et c’est un point non négligeable, parlons de l’immersion ! Ibon Martín a commencé sa carrière en écrivant des guides touristiques du Pays basque… et cela se sent. Le récit met vraiment la région d’Urdaibai à l’honneur, avec moult descriptions détaillées (pas trop longues, et bien réparties dans le récit). Quel que soit l’endroit visité, il n’est pas difficile de le visualiser, tant l’auteur s’attache aux lieux. On s’y croirait ! Côté immersion, le texte utilise aussi de nombreux mot en basque (tous repris dans un glossaire final, donc pas panique). D’ailleurs, je me suis demandé si les ertzaina (police basque) travaillaient en basque, ou bien en espagnol ? (Je ne sais même pas si le roman en VO répond à cette question).

Excellente découverte pour ma part, donc, que ce polar espagnol, qui nous emmène en bord de mer. Si l’intrigue peut sembler lente à se déployer, j’ai apprécié l’immersion dans les lieux et dans les histoires des personnages. Je les retrouverai d’ailleurs avec plaisir dans les tomes suivants !

La valse des tulipes, Ibon Martín. Traduit de l’espagnol par Claude Bleton.
Babel (noir), réédition mai 2022, 624 p.

Si vous avez aimé, vous aimerez peut-être :

La Sorcière secrète, Le Garçon sorcière #2, Molly Knox Ostertag.

Les parents d’Aster ont finalement accepté que leur fils devienne une sorcière et non un métamorphe, contrairement aux autres garçons de leur famille. Aster suit des cours avec sa grand-mère qui lui demande en retour de veiller sur son grand-oncle dont les pouvoirs ont presque détruit la famille.
Pendant ce temps, Charlie, l’amie d’Aster est aux prises avec de sérieux ennuis… Quelqu’un tente de lui jeter un sort! Avec l’aide d’Aster, elle réussit à échapper à la malédiction, mais tous deux doivent maintenant trouver le responsable avant que d’autres soient victimes du malfaiteur.

Après l’excellente découverte du premier tome, j’étais curieuse de lire la suite de cette trilogie de comics. Et le deuxième tome a clairement été à la hauteur !

L’été est terminé, et Charlie a retrouvé les bancs du lycée. Aster… aussi, puisqu’il est enfin admis aux cours de sorcellerie normalement dispensés aux jeunes filles de sa famille, pour son plus grand plaisir (mais pas pour celui de toutes les femmes de sa famille). Ce tome poursuit donc tranquillement l’arc narratif autour de la construction de soi et de l’importance de trouver sa place amorcé dans le précédent volume. Car l’exemple d’Aster a fait des émules ! Sedge, son cousin, est terrorisé à l’idée de perdre de nouveau le contrôle de sa métamorphose et ne souhaite qu’une chose : avoir une scolarité normale, dans un établissement général (ce qui ne risque pas d’être du goût de l’ensemble de la famille !).

Mais ce n’est pas tout ! L’autrice renouvelle vraiment son univers en introduisant un nouveau personnage, Ariel, une nouvelle élève venant d’arriver et qui a déjà subi du harcèlement scolaire. Parallèlement, il s’avère que Charlie est poursuivie par une sombre malédiction contre laquelle Aster va l’aider à lutter, dans la mesure de ses moyens.
De fait, l’intrigue est riche en rebondissements et on ne s’ennuie pas un seul instant, tant Molly Knox Ostertag sait conjuguer péripéties et sujets personnels, sans oublier quelques touches d’humour, ce qui ne gâche rien.

« Alors… c’est comment ? Aller à l’école, vivre en ville et tout ça ?
– C’est normal. Bon, j’imagine que pour toi, ça n’a rien de « normal ». Je monte dans un gros bus jaune avec un tas d’autres enfants pour me rendre dans un bâtiment en briques où on mange de la nourriture dégueu et où on apprend les maths.
– ça paraît pas trop mal…
– Tu sous-estimes à quel point la nourriture est mauvaise. »

A nouveau, au fil des pages, des sujets profonds sont traités en douceur, sans que l’on sente la volonté de l’autrice de faire passer ses messages. Ainsi, par le biais d’Ariel, elle montre subtilement les ravages du harcèlement et de la haine sur soi comme sur les autres, comme l’importance du soutien (de la famille, comme des amis). De même, il est question des relations familiales, de la difficulté de changer, comme d’accepter l’autre et d’ouverture d’esprit – tout comme dans le premier opus. Même si l’ensemble se déroule dans un univers résolument fantasy, le traitement de ces sujets est bien fait, et particulièrement réaliste. Ce qui n’a fait que me rendre cette lecture plus passionnante encore !

« C’est la spirale de la haine… au début, ça fait du bien et ça paraît juste. Tu as été blessé et donc tu blesses les autres. Le mal s’infiltre en toi et tu ne peux pas l’arrêter, et un jour, tu réalises qu’il n’y a pas de différence entre lui et toi. »

Comme dans le premier tome, les graphismes simples et clairs, les couleurs chaudes, sont un régal. A nouveau, il y a une vraie diversité dans les personnages représentés : cela ne sert pas l’intrigue nécessairement, c’est simplement présent en toile de fond. Cela change agréablement de la production actuelle !

J’ai adoré le premier tome, je persiste et signe avec celui-ci. L’intrigue est idéalement renouvelée, les personnages creusés, tout comme l’univers. Des messages forts et bien traités émaillent le texte, ce qui rend l’ensemble très prenant. Et encore une fois, le récit complet et appréciable… tout en donnant très envie de lire le troisième et dernier tome !

◊ Dans la même série : Le Garçon sorcière (1) ;

Le Garçon sorcière #2, La sorcière secrète, Molly Knox Ostertag.
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Romain Galand. Kinaye (Graphic Kids), 3 juillet 2020, 207 p.

Spy x Family, #1-2, Tatsuya Endo

Twilight, le plus grand espion du monde, doit pour sa nouvelle mission créer une famille de toutes pièces afin de pouvoir s’introduire dans la plus prestigieuse école de l’aristocratie. Totalement dépourvu d’expérience familiale, il va adopter une petite fille en ignorant qu’elle est télépathe, et s’associer à une jeune femme timide, sans se douter qu’elle est une redoutable tueuse à gages. Ce trio atypique va devoir composer pour passer inaperçu, tout en découvrant les vraies valeurs d’une famille unie et aimante.

J’avais vraiment hâte de découvrir cette série de manga et quelle découverte ! J’ai adoré ces deux premiers tomes !
Twilight est un agent infiltré de Westalis, déployé en Ostania, dans la métropole de Berlint. Sa mission ? Maintenir la paix entre l’Est et l’Ouest. Si les noms ont été (légèrement) modifiés, il est évident que l’histoire reprend les codes et les grandes lignes de la guerre froide et que l’on est manifestement dans une reprise de l’Allemagne avant la chute du Mur. Ambiance complots et espionnages à tous les étages, donc, d’autant que Twilight est un as du déguisement.

Pour sa nouvelle mission, le voici chargé de se monter une fausse famille, dont l’enfant devra intégrer la prestigieuse école Éden, afin d’approcher un haut responsable politique. Parmi toutes les personnes possibles… Twilight adopte une fillette télépathe et conclut un mariage arrangé avec une tueuse à gages. Sans compter qu’il n’a aucune expérience en relations familiales (encore moins dans l’éducation d’un enfant. Bref : c’est mal embouché.

A l’espionnage se mêle donc une forte part d’humour, Spy x Family lorgnant plus du côté de la comédie que du récit d’espionnage classique et c’est un des points qui m’ont tellement plu dans cette lecture. Malgré l’aspect loufoque, le suspense est hyper présent, car l’histoire mêle trois intérêts pas forcément convergents : Twilight doit accomplir ses missions ; Anya, la fillette, est bien décidée à rester dans cette famille coûte que coûte ; Yor, la mère adoptive, doit conserver sa couverture (les vieilles filles ont tendance à être arrêtées par la Gestapo locale) pour poursuivre ses missions d’assassinat. Le récit mêle donc assez joyeusement préoccupations familiales très mignonnes à la violence la plus sauvage, le tout parsemé d’un humour qui fait mouche. L’espionnage (avec tous ses enjeux au niveau relations internationales) et les scènes de la vie quotidienne offrent un mélange complètement décalé, mais qui m’a donné follement envie de poursuivre cette histoire.

Les personnages ne sont pas en reste. Tatsuya Endo a troussé des personnages convaincants, qui sont souvent en décalage avec le récit ou les situations qu’ils vivent (et c’est drôle), ce qui les rend très attachants.

En bref : un excellent premier tome, qui m’a donné très très envie de lire la suite. J’ai été plus que convaincue par ce mélange (improbable mais efficace) entre espionnage, vie quotidienne et comédie, porté par des personnages vraiment bien campés. Une excellente découverte !

Spy x Family #1, Tatsuya Endo. Traduit par Satoko Fujimoto.
Kurokawa, 10 septembre 2020, 207 p.

Accompagné d’Anya, sa (fausse) fille adoptive, et de Yor, sa (fausse) épouse et vraie tueuse, Twilight alias Loid Forger doit approcher le chef du parti Nation Unifiée. Le plan consiste à faire admettre la petite Anya à la prestigieuse école Éden, où se retrouvent les enfants de l’élite d’Ostania, puis de la faire figurer parmi les meilleurs élèves de l’école. Un objectif qui relève de l’impossible, à moins de déployer des trésors de ruse et d’ingéniosité… Mais n’est-ce pas là, justement, le cœur du métier d’espion ?

La mission STRIX continue… et se corse. Car si Anya a intégré Éden, voilà qu’elle doit rejoindre l’élite suprême des élèves, afin de permettre à Twilight d’accéder au saint des saints. Or, & la fillette récolte un mauvais point dès la visite de rentrée scolaire, car les relations sociales ne sont pas sont fort…

On retrouve dans ce tome 2 le mélange improbable, mais ô combien efficace, du tome 1 : espionnage, personnages barrés, comique de situation, rebondissements à foison sont de la partie. Impossible de s’ennuyer !
D’autant que parallèlement à la mission STRIX, Twilight croule sous les missions d’infiltration, toutes plus loufoques les unes que les autres (mention spéciale à la récupération du microfilm caché dans un pingouin, quand même). L’ajout de ces missions (justifiées par un manque de personnel drastique dans l’organisation), empêche qu’une quelconque routine s’installe dans la narration, et c’est bien ce qui rend le manga si prenant.

Il s’attache également à creuser un peu ses personnages. Anya, évidemment, est au centre du récit, puisque c’est son parcours (chaotique !) que l’on suit à l’école. La télépathie ne l’aide pas, bien au contraire, car elle saisit aussi bien les attentes de son faux père adoptif, que les pensées de ses petits camarades, sans toujours tout bien comprendre. Ce qui donne lieu à toutes sortes de quiproquos, plus drôles les uns que les autres !
Yor est également importante dans le récit, puisque son petit frère, à cause duquel elle a demandé à Twilight de jouer les conjoints, vient enfin lui rendre visite, sans lui annoncer qu’il fait partie de la police secrète de l’état : un statut qui annonce d’intéressants développements dans la suite, que j’ai d’ores et déjà hâte de lire !

Je me suis encore plus amusée avec ce tome qu’avec le précédent ! L’humour est tordant, et le mélange entre les situations très sombres, l’histoire d’espionnage bien troussée et cet aspect comédie parfaitement dosé. Excellente pioche au rayon manga, dont j’ai hâte de lire les tomes suivants !

Spy x Family #2, Tatsuya Endo. Traduit par Satoko Fujimoto.
Kurokawa, novembre 2020, 192 p.