Le Cercle des Géographes, Emblèmes #1, Ina Siel.

Erèbe d’Aigremort ne quitte jamais son manoir, traumatisé par l’attaque d’une créature de cauchemar pendant son enfance. C’est pourtant son nom qu’une négociante nuptiale soumet à Cécilie, car il est le seul qui corresponde aux critères étranges de la jeune roturière fortunée.
Érèbe accepte la proposition d’union et se laisse convaincre de participer aux sélections pour intégrer le Cercle des Géographes, qui organise des expéditions de prestige vers Exotica, une terre peuplée de créatures magiques. Érèbe compte bien y retrouver les racines de son passé alors que Cécilie souhaite profiter de l’escale à La Scientifica, une terre de sciences et de progrès, pour s’échapper du carcan que Naturalia impose aux femmes.
Mais ils se retrouvent bien vite pris au piège de complots politiques qui les dépassent…

Ce premier tome d’Emblèmes (annoncé comme un diptyque), nous entraîne dès les premières pages dans un univers fascinant, séparé en trois zones géographiques. D’un côté, Naturalia, où débute l’histoire, et qui correspond peu ou prou à notre XIXe siècle : les femmes sont tout en bas de la société, laquelle est fascinée par les expéditions et l’exotisme, et repose sur un système de classes sociales rigide. En face, la Scientifica, une terre de sciences, dont l’équipement technologique est comparable à celui que nous connaissons aujourd’hui. Enfin, Exotica, une mystérieuse contrée de magie, où les deux précédentes nations ne s’engagent qu’en convois expéditionnaires, à leurs risques et périls.

Le récit débute en terres naturaliennes et met en scène un duo de personnages que j’ai trouvés très intéressants. D’une part, on suit Érèbe, héritier d’Aigremort, qui vit en reclus sur son domaine. Le jeune homme a une réputation sulfureuse, puisqu’il est soupçonné de mener des rites sacrificiels et de pratiquer la zoo-nécrophilie (rien que ça). Le châtelain est en fait terrassé par un cauchemar traumatique lié à une agression subie dans son enfance, trauma qu’il exorcise en pratiquant la taxidermie (ce qui entraîne quelques scènes assez trash où il se livre à son art). Comme si cela n’était pas suffisant, il est constamment suivi par un loup noir, et englué dans des relations familiales peu saines, sous l’emprise d’une mère omniprésente et qui tente par tous les moyens de le garder isolé du reste de la société.
En face, Cécilie, une jeune femme volontaire, héritière d’une entreprise textile (mais roturière), et qui cherche à tout prix à épouser un noble afin d’assouvir son besoin d’émancipation. Cela peut sembler antinomique mais le plan de Cécilie est simple : une fois mariée, être embauchée dans le corps expéditionnaire (il faut l’aval de son mari pour cela) et… mettre les voiles.
De fait, les personnages n’ont pas les mêmes objectifs : Erèbe espère retourner dans son manoir vivre sa vie de famille, Cécilie rêve de s’exiler à la Scientifica. On a donc, dès le début, une tension certaine qui s’installe entre les personnages car, si chacun d’entre eux vit dans le déni des souhaits de sa moitié, le lecteur, lui, sait que l’on se dirige droit sur un mur. Autre point que j’ai trouvé intéressant et bien mené : l’inversion des rôles classiques. Les personnages sont très forts et on a d’un côté un homme vulnérable, qui ne cache pas son handicap mental et de l’autre une femme forte, prête à tout pour sa liberté. Là où c’est intéressant, c’est que Cécilie, bien qu’elle rejette le patriarcat et ce que cela implique, agit en fait… exactement comme les hommes de Naturalia. Elle est particulièrement égocentrée, focalisée sur ses objectifs au détriment de son entourage et, contrairement à Érèbe, elle n’évolue clairement pas au long du récit – elle est d’ailleurs souvent détestable à souhait !

Emblèmes est aussi un roman d’ambiances et qui, si je puis dire, fonctionne sur le principe « deux salles, deux ambiances ». En effet, la première partie est placée sous les sceaux du gothique, de l’onirisme, du naturalisme : la forêt du manoir est omniprésente, on fête Willow, une fête païenne, les cabinets de curiosité ont le vent en poupe… mais on sent une noirceur galoper sous la merveille. Il y a un côté très fascinant, avec une esthétique léchée qui m’a beaucoup plu. La seconde partie, quant à elle, lorgne nettement plus du côté de la SF : on y suit une expédition quasi militaire, sur-armée de gadgets à la technologie hyper avancée que l’on reconnaît par les descriptions, mais qui semblent presque magiques aux protagonistes. La transition est assez surprenante, mais c’est vraiment bien fait, et cela donne aussi tout son sel au roman. Ce jeu d’ambiances tient aussi aux personnages : la première partie s’attache à bien décrire leurs émois intérieurs, à camper les deux protagonistes. L’un, solitaire et ténébreux, l’autre, dynamique et à la poursuite de ses objectifs. Le début est vraiment centré sur leur construction, sur l’évolution de leurs relations, alors que la seconde partie est plus rapide de ce point de vue-là. De fait, leurs évolutions sont plus hâtives (parfois presque trop), et c’est peut-être dû au fait que l’action est nettement plus présente.

Car dès que débute l’expédition, on s’embarque dans un récit d’aventure riche en péripéties. L’univers étant ce qu’il est, on renoue aussi beaucoup plus avec l’aspect fantasy : la faune et la flore y jouent beaucoup, comme les aptitudes des personnages qui confinent à la magie. Il y a aussi plus d’amorces d’intrigues secondaires, ce que j’ai trouvé à double tranchant : d’une part, cela densifie l’intrigue, mais cela entraîne aussi des longueurs de-ci de-là. Ceci étant, le roman s’achève sur un retournement de situation pas des plus original, mais qui a le mérite de relancer drastiquement la tension – et qui m’a donné très envie de lire la suite et fin !

En somme, Emblèmes est un roman à l’ambiance très prenante. Intimiste au départ, plus enlevé par la suite, le récit s’attache à un duo de personnages très réussi. Même si j’ai parfois regretté la rapidité de leurs évolutions, j’ai trouvé que leur psychologie servait bien l’intrigue et vice-versa. De plus, l’autrice déroule tout cela d’une plume particulièrement fluide, qui a rendu les arrêts de lecture entre chapitres assez difficiles. En termes de romans young-adult, Ina Siel sort clairement des sentiers battus avec ce titre, et cela fait du bien. Le tome 2 semble prévu pour le courant de l’année 2024 et j’ai d’ores et déjà envie de le lire !

Emblèmes #1, Le Cercle des Géographes, Ina Siel. Mnémos (Naos), septembre 2023, 379 p.

2 commentaires sur “Le Cercle des Géographes, Emblèmes #1, Ina Siel.

  1. Zina dit :

    Le contexte a l’air original c’zst tentant

    J’aime

Mettre son grain de sel