La sorcière du solstice, Le Garçon-sorcière #3, Molly Knox Ostertag.

Aster participe au festival du solstice d’hiver, un événement où la famille Vanissen se réunit pour des compétitions de sorcellerie et de métamorphose. Cette année, le jeune garçon est impatient de prendre part au tournoi annuel en tant que sorcière —et non comme métamorphe, contrairement aux autres garçons —, mais il hésite à bousculer les traditions. De son côté, Ariel semble préoccupée par d’autres événements étranges : une mystérieuse sorcière qui prétend être sa tante affirme connaître la vérité sur son passé…
Pour Aster et Ariel, rien ne se déroule comme prévu lors du festival. Conflits et traîtrises se mêlent à la partie! Mais quand une force puissante et sinistre s’infiltre dans la réunion, ils devront à tout prix résister à la magie noire et trouver le courage de combattre ensemble.

Voilà une série que j’apprécie énormément et j’avais à la fois envie de la finir et celle de laisser traîner la découverte de ce tome 3. C’est enfin chose faite !
Ce tome nous emmène à la découverte d’une tradition de la famille Vanissen : la fête du solstice et le Jolrun, une épreuve opposant jeunes sorcières et jeunes métamorphes dans une ambiance qui rappelle les olympiades familiales – mais à base de magie.

Comme dans le tome précédent, l’apprentissage d’Aster et le sombre passé d’Ariel s’entremêlent intimement dans l’intrigue. Alors que le premier peine à faire accepter son existence à la famille étendue, la seconde fait une découverte familiale pour le moins inattendue. Une découverte qui va la faire hésiter entre la pratique de la magie telle qu’on l’enseigne chez les Vanissen, dans la tolérance, la bienveillance et le respect de l’autre, et celle prônée par sa tante, nettement plus puissante… mais aussi plus discutable.
Alors que chacun des deux personnages se débat avec son dilemme moral, tout cela vient se mêler à leurs aspirations profondes.
Ariel, au fond, n’aspire qu’à être aimée pour ce qu’elle est, ce que propose justement la famille d’Aster, mais peut-être pas aux conditions qu’Ariel est prête à accepter. De son côté, Aster aimerait se sentir soutenu par sa famille, notamment sa mère… laquelle est prise entre deux feux : soutenir et conforter son fils, soutenir et conforter Ariel, sachant que les deux programmes sont incompatibles et que si le premier a des enjeux émotionnels et de construction de soi très élevés, le second y adjoint un enjeu qui va impacter toute la communauté magique.

Eh oui, car ce tome 3, même s’il est pétri d’une ambiance de bienveillance qui fait chaud au cœur, marie aussi les enjeux plus trépidants, liés à la magie et à sa pratique, en plus du tournoi proprement dit.
De fait, l’action et le suspense sont bien présents dans ce dernier opus. D’une part parce que les jeunes compétiteurs se demandent s’ils vont réussir à maîtriser leurs pouvoirs et à parvenir à la fin de l’épreuve, bien sûr. Mais d’autre part parce qu’Ariel, dans son coin, se débat avec des forces qui la dépassent, dont elle n’ose parler, et dont le lecteur perçoit rapidement la dangerosité. Il en résulte un récit mené avec du rythme et ce qu’il faut de suspense pour garder les lecteurs en haleine du début à la fin, ce qui n’a rendu ce tome 3 que meilleur !

Comme dans les deux tomes précédents, l’autrice pare l’intrigue de chouettes messages. Il y a cette romance qui se noue sereinement entre deux filles (elle n’est pas au centre du récit, mais c’est beau et bien fait, sans aspect artificiel de « je coche une case »). Il y a aussi cette scène très émouvante entre Aster et la petite sœur de son principal opposant, lorsque la fillette lui avoue que, plus tard, elle sera métamorphe. ça n’a l’air de rien, mais cela rejoint le discours tenu quelques bulles plus tôt sur l’importance d’avoir des modèles auxquels s’identifier ! Ce que j’aime par-dessus tout dans les comics de Molly Knox Ostertag, c’est que tout ce contenu militant (que d’aucuns n’hésiteraient pas à qualifier du gros mot du moment, du « wokisme »!) sont en fait pleins de douceur et de bienveillance, et montrent au passage que cette voie est aussi possible en littérature, a fortiori jeunesse (où l’on affectionne ces thèmes, mais généralement pour faire souffrir de mille maux les protagonistes, sans forcément d’issue heureuse !).

En bref, Molly Knox Ostertag clôt sa série dans la même ambiance tendre et douce qu’elle l’a commencée. Mais tendresse et douceur ne veulent pas dire que l’on est au pays des bisounours ! L’intrigue sait aussi ménager ses tensions, un suspense palpitant et des enjeux qui dépassent clairement le cadre du confort ou de la vie intime des protagonistes. En plus de cela, on profite de graphismes vraiment agréables à l’œil, ce qui ne gâche clairement rien. Je suivrai avec grand plaisir les prochaines parutions de l’autrice-illustratrice !

◊ Dans la même série : Le Garçon sorcière (1) ; La sorcière secrète (2) ;

Le Garçon-sorcière #3, La sorcière du solstice, Molly Knox Ostertag.
Traduit de l’anglais par Romain Galand. Kinaye, janvier 2021, 208 pages.

La Sorcière secrète, Le Garçon sorcière #2, Molly Knox Ostertag.

Les parents d’Aster ont finalement accepté que leur fils devienne une sorcière et non un métamorphe, contrairement aux autres garçons de leur famille. Aster suit des cours avec sa grand-mère qui lui demande en retour de veiller sur son grand-oncle dont les pouvoirs ont presque détruit la famille.
Pendant ce temps, Charlie, l’amie d’Aster est aux prises avec de sérieux ennuis… Quelqu’un tente de lui jeter un sort! Avec l’aide d’Aster, elle réussit à échapper à la malédiction, mais tous deux doivent maintenant trouver le responsable avant que d’autres soient victimes du malfaiteur.

Après l’excellente découverte du premier tome, j’étais curieuse de lire la suite de cette trilogie de comics. Et le deuxième tome a clairement été à la hauteur !

L’été est terminé, et Charlie a retrouvé les bancs du lycée. Aster… aussi, puisqu’il est enfin admis aux cours de sorcellerie normalement dispensés aux jeunes filles de sa famille, pour son plus grand plaisir (mais pas pour celui de toutes les femmes de sa famille). Ce tome poursuit donc tranquillement l’arc narratif autour de la construction de soi et de l’importance de trouver sa place amorcé dans le précédent volume. Car l’exemple d’Aster a fait des émules ! Sedge, son cousin, est terrorisé à l’idée de perdre de nouveau le contrôle de sa métamorphose et ne souhaite qu’une chose : avoir une scolarité normale, dans un établissement général (ce qui ne risque pas d’être du goût de l’ensemble de la famille !).

Mais ce n’est pas tout ! L’autrice renouvelle vraiment son univers en introduisant un nouveau personnage, Ariel, une nouvelle élève venant d’arriver et qui a déjà subi du harcèlement scolaire. Parallèlement, il s’avère que Charlie est poursuivie par une sombre malédiction contre laquelle Aster va l’aider à lutter, dans la mesure de ses moyens.
De fait, l’intrigue est riche en rebondissements et on ne s’ennuie pas un seul instant, tant Molly Knox Ostertag sait conjuguer péripéties et sujets personnels, sans oublier quelques touches d’humour, ce qui ne gâche rien.

« Alors… c’est comment ? Aller à l’école, vivre en ville et tout ça ?
– C’est normal. Bon, j’imagine que pour toi, ça n’a rien de « normal ». Je monte dans un gros bus jaune avec un tas d’autres enfants pour me rendre dans un bâtiment en briques où on mange de la nourriture dégueu et où on apprend les maths.
– ça paraît pas trop mal…
– Tu sous-estimes à quel point la nourriture est mauvaise. »

A nouveau, au fil des pages, des sujets profonds sont traités en douceur, sans que l’on sente la volonté de l’autrice de faire passer ses messages. Ainsi, par le biais d’Ariel, elle montre subtilement les ravages du harcèlement et de la haine sur soi comme sur les autres, comme l’importance du soutien (de la famille, comme des amis). De même, il est question des relations familiales, de la difficulté de changer, comme d’accepter l’autre et d’ouverture d’esprit – tout comme dans le premier opus. Même si l’ensemble se déroule dans un univers résolument fantasy, le traitement de ces sujets est bien fait, et particulièrement réaliste. Ce qui n’a fait que me rendre cette lecture plus passionnante encore !

« C’est la spirale de la haine… au début, ça fait du bien et ça paraît juste. Tu as été blessé et donc tu blesses les autres. Le mal s’infiltre en toi et tu ne peux pas l’arrêter, et un jour, tu réalises qu’il n’y a pas de différence entre lui et toi. »

Comme dans le premier tome, les graphismes simples et clairs, les couleurs chaudes, sont un régal. A nouveau, il y a une vraie diversité dans les personnages représentés : cela ne sert pas l’intrigue nécessairement, c’est simplement présent en toile de fond. Cela change agréablement de la production actuelle !

J’ai adoré le premier tome, je persiste et signe avec celui-ci. L’intrigue est idéalement renouvelée, les personnages creusés, tout comme l’univers. Des messages forts et bien traités émaillent le texte, ce qui rend l’ensemble très prenant. Et encore une fois, le récit complet et appréciable… tout en donnant très envie de lire le troisième et dernier tome !

◊ Dans la même série : Le Garçon sorcière (1) ;

Le Garçon sorcière #2, La sorcière secrète, Molly Knox Ostertag.
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Romain Galand. Kinaye (Graphic Kids), 3 juillet 2020, 207 p.

BL Métamorphose #1, Kaori Tsurutani

 

À 75 ans, Yuki vit le quotidien réglé d’une petite mamie japonaise : mots-croisés deux fois par semaine, et cours de calligraphie aux enfants. En flânant un jour dans une librairie – dans laquelle elle n’est entrée que pour fuir la chaleur ! – elle craque pour un manga, intriguée par la couverture chatoyante et la chaude recommandation des libraires.
Or, ce n’est qu’en rentrant chez elle qu’elle s’aperçoit qu’elle a acheté un boy’s love, un yaoi, c’est-à-dire une romance entre garçons. Et contre toute attente, elle tombe littéralement sous le charme de ce récit dont elle n’a plus qu’une hâte : lire la suite.
C’est donc avec beaucoup de surprise qu’Urara, la jeune libraire qui a encaissé son achat la veille, voit revenir Yuki plus décidée que jamais à explorer ce segment littéraire en achetant la suite de la série, quitte à commander les tomes manquants. La jeune fille, timide, est justement accro au genre, mais ne trouve personne avec qui partager sa passion. La voici propulsée conseillère personnelle de la vieille dame en la matière. Au fil des chapitres et des lectures, le duo se fait de plus en plus complice !

Attention, alerte coup de cœur ! J’ai découvert  un peu par hasard cette série en 2019 (comme le temps passe !), très concrètement après qu’on m’ait mis le tome 1 entre les mains en me disant « Lis-le, tu vas voir, c’est extraordinaire ». Et de fait, ça l’est !

J’ai tout d’abord été happée par le dessin de Kaori Tsurutani. Son trait est simple, mais débordant de tendresse. Les planches sont plutôt dépouillées, puisque la mangaka ne dessine que le strict nécessaire, mais pas vides pour autant : le dessin est vraiment précis, ce qui rend l’immersion dans le quotidien des deux personnages vraiment facile. Bref, rien que pour ça, j’étais conquise. Mais il se trouve qu’en plus, l’histoire tient la route !

Celle-ci, donc, narre l’amitié naissante entre Yuki, notre vieille dame nouvellement amatrice de boy’s love et d’Urara, lycéenne et libraire. Sans trop de surprise, toutes deux se mettent assez vite à discuter de leur marotte : lectures en cours, découvertes, goûts personnels… Tout cela les change agréablement de leur solitude habituelle. Et c’est là que je trouve que le manga est génial. Oui, il y a évidemment un éloge discret mais vibrant au boy’s love, un genre hyper apprécié au Japon (en France aussi, je pense, mais peu visible dans la presse littéraire institutionnelle, comme toute les littératures de genre). Mais ce n’est pas tout ! Outre la superbe histoire d’amitié intergénérationnelle, l’autrice aborde quelques autres thèmes avec douceur et subtilité. Il est donc question de solitude (Urara a du mal à se lier d’amitié avec ses congénères, Yuki traverse doucement son veuvage en pensant qu’elle va, de toute façon, bientôt mourir), et de vieillesse (Yuki est en plein dedans et Urara se pose des questions sur le sujet à force de côtoyer la vieille dame). Mais le manga ne verse ni dans le pathos, ni dans la tristesse ! Bien au contraire ! Dialogues et situations sont bourrés d’humour, un humour fin et qui a fait mouche pour moi – ce qui, évidemment, n’a fait que me conquérir !

En bref, voilà un premier tome de manga qui m’a touchée et qui m’a mise dans le même état que celui de Yuki, arrivée au terme des mangas publiés de sa série en cours : en manque ! J’avais envie de connaître immédiatement la suite de ce manga tendre, rafraîchissant, empreint d’une douceur et d’une bienveillance bien agréables !

BL Métamorphose #1, Kaori Tsurutani. Traduit du japonais par Géraldine Oudin. Ki-oon, juin 2019, 139 p.

Le Garçon sorcière #1, Molly Knox Ostertag.

Dans la culture du jeune Aster, treize ans, toutes les filles sont élevées pour devenir des sorcières et les garçons, des métamorphes. Toute personne qui ose contrevenir à cette tradition est exclue. Malheureusement pour Aster, il demeure incapable de se métamorphoser… et il est toujours aussi fasciné par la sorcellerie, bien qu’elle lui soit formellement interdite.Lorsqu’un danger mystérieux menace les autres garçons, Aster sait qu’il peut aider… avec la sorcellerie. Avec les encouragements d’une nouvelle amie excentrique, Charlie, Aster se laisse enfin convaincre d’exercer ses talents de sorcière. Mais il aura besoin d’encore plus de courage pour sauver sa famille… et en réalité, se sauver lui-même.

Cela faisait un moment (plus d’un an !) que j’avais noté ce comics dans un coin d’une liste-à-lire-un-jour. C’est enfin fait et quel régal ! Je suis tombée sous le charme du trait et de l’histoire créée par Molly Knox Ostertag – et vu l’excellente découverte, j’ai bien l’intention de poursuivre avec le reste de son œuvre.

Le garçon sorcière nous plonge dans un univers de fantasy, qui pourrait se situer de nos jours. Aster vit dans une grande famille dotée de pouvoirs magiques. Toutes ses tantes, sœurs, cousines sont des sorcières. Et lui, comme tous les mâles de la famille, est voué à devenir un métamorphe, destiné à protéger les sorcières et à se battre contre les démons. Au cas où cela vous titillerait : oui, c’est hyper genré et cliché. Mais justement ! Aster préfère pratiquer (discrètement) la sorcellerie et la métamorphose ne lui est vraiment pas innée. Cela le rend carrément malade rien que d’y penser. La mission qu’il se fixe contre le démon qui kidnappe ses camarades va lui permettre d’utiliser ses pouvoirs de sorcière pour faire quelque chose d’utile.

Là encore, l’histoire pourrait sembler cliché (les pouvoirs inattendus, la quête, la figure de l’élu, etc.), mais pas du tout. Molly Knox Ostertag utilise plutôt ce point de départ pour livrer une ode à la différence, à la quête et à l’acceptation de soi. Dans cette épreuve, Aster est aidé par une amie (totalement humaine), Charlie, qui elle aussi se sent obligée de faire ses preuves dans la société dans laquelle elle vit. Les deux amis s’entraident et nouent une belle relation d’amitié, malgré tout ce qui pouvait sembler les séparer. Charlie encourage vivement Aster à vivre pleinement qui il est, peu importe ce qu’on lui a inculqué !
Le récit incite donc à se questionner sur la société genrée dans laquelle on vit. Mais c’est fait subtilement et sans gros sabots, ce qui rend le comics d’autant plus délicieux !

De même, l’histoire prend place au sein d’une famille assez nombreuse (dont l’arbre généalogique est donné dès le départ), qui aligne pléthore de cousins. Et mine de rien, cette famille est diversifiée que ce soit en termes de couples, modes de vie ou couleurs de peau. Cela ne sert pas l’intrigue, ni un propos sous-jacent, c’est juste comme cela dans le paysage, de façon très naturelle. Et cela change agréablement de ce que l’on peut voir en BD jeunesse !

Côté graphismes, j’ai fondu dès les premières pages pour les dessins à la fois simples et clairs, aux couleurs chaudes et agréables. C’est beau ! Les scènes représentant la magie sont particulièrement réussies.

Excellente découverte donc, que ce premier tome du Garçon sorcière. J’ai adoré l’intrigue, les graphismes, comme les messages portés par le texte. Même si ce volume propose un récit complet, j’ai hâte de lire les deux tomes suivants tant j’ai apprécié ma découverte !

Le Garçon sorcière #1, Molly Knox Ostertag. Trad. de l’anglais (États-Unis) par Romain Garland.
Kinaye, 24 janvier 2020, 224 p.

A Silent voice, Yoko Kurahashi & Yoshitoki Oima.

Shoko est malentendante depuis la naissance. Même équipée d’un appareil auditif, elle peine à saisir les conversations et à comprendre ce qui se passe autour d’elle. Quand Shoko est transférée dans une nouvelle école, elle s’emploie à surmonter ses difficultés mais, malgré ses efforts pour s’intégrer dans ce nouvel environnement, rien n’y fait : les persécutions se multiplient, menées par Shoya, le leader de la classe.
Tour à tour intrigué, fasciné puis, pour finir, exaspéré par cette jeune fille qui ne sait pas s’exprimer comme tout le monde, le garçon décide de lui rendre la vie impossible par tous les moyens. Psychologiques puis physiques, les agressions se font de plus en plus violentes… jusqu’au jour où la brimade de trop provoque une plainte de la famille de Shoko et l’intervention du directeur de l’école. C’est alors que tout bascule pour Shoya : ses camarades, qui jusque-là ne manquaient pas, eux non plus, une occasion de tourmenter la jeune fille, vont se retourner contre lui et le désigner comme seul responsable…
En terminale, le jeune homme, devenu à son tour un paria, prend son courage à deux mains et décide de retourner voir Shoko. Mais leurs retrouvailles ne se déroulent absolument pas comme il les avait imaginées.

Lorsque j’ai vu que la série de manga éponyme était adaptée en light novel – après l’avoir été en version anime ! – j’étais ravie ! L’adaptation serait-elle à la hauteur du manga d’origine ?

Eh bien oui… et non. Commençons par les bons points !

L’adaptation est incroyablement fidèle. Les chapitres du roman collent à la perfection à ceux du manga, et aux différents épisodes narrés dans l’œuvre originelle. Pas d’ajouts, pas de manques non plus : l’adaptation est presque littérale. Donc si vous l’avez lu en manga, il n’y a pas de nouveauté à découvrir, les personnages étant identiques à ceux du manga ; mais si vous ne l’avez pas lu, vous ne passerez à côté d’aucun détail, tout étant parfaitement relaté.

Mais c’est justement là que le bât blesse : l’adaptation est peut-être trop fidèle. Je m’explique : l’autrice a calqué l’alternance des scènes, le développement des fils narratifs secondaires et les apparitions des personnages. Or, ce qui peut vraiment fonctionner en version dessinée, puisque le cadrage aide aux transitions, ne fonctionne pas nécessairement en version entièrement narrée. Et justement, ici, on ne peut pas dire que la forme soit particulièrement efficace.
De fait, les transitions entre chapitres, voire entre paragraphes, sont extrêmement abruptes. Dans les derniers chapitres, on a même des paragraphes introduits par le prénom du personnage au centre du récit à ce moment-là. Procédé extrêmement étrange, dans la mesure où la narration s’intéresse, depuis le premier tiers, à différents personnages… sans utiliser l’artifice de nous donner le prénom du personnage concerné. Étrange, non ?

Ceci vient sans doute du système narratif choisi. Au départ, l’histoire est majoritairement centrée sur Shoya, multipliant les adresses au lecteur (ou tentatives de), les commentaires en aparté, et le discours indirect libre. Mais, dès le départ, le narrateur oscille aussi sans arrêt entre focalisation interne et focalisation externe, tentant de donner des informations sur les personnages, l’univers, les enjeux de l’intrigue… Ce qui donne régulièrement des impressions de récit brouillon, qui hésite sans arrêt.
De plus, le récit est terriblement descriptif : les pensées, les réactions des personnages sont intégralement narrées, mais jamais montrées. Résultat ? Eh bien on l’impression de lire une histoire aussi plate que scolaire, qui peine à nous passionner pour les personnages – ce qui est bien dommage.

Car ainsi, j’ai trouvé qu’on passait un peu à côté des enjeux du récit. Normalement, il y est question de harcèlement scolaire et justement, du double point de vue des enfants harcelés, comme des harceleurs. Et dans les grandes largeurs, puisque l’idée du suicide caresse plusieurs fois les personnages. Mais cette fois, difficile de décrypter tous les enjeux, comme de s’attacher aux personnages. En effet, le style descriptif à souhait n’encourage aucune implication, puisque l’on ne ressent aucunement les doutes, interrogations ou cheminements de pensée des personnages. Et c’est bien dommage. Difficile, donc, d’adhérer au récit de l’amitié naissante des personnages, comme au cheminement intérieur de Shoya ! De même, alors que le manga parvenait à rendre les scènes où les personnages signent à la fois touchantes et intéressantes, le passage à la narration les gomment totalement – puisqu’elles sont présentées comme du dialogue, simplement portées en italique, et pas toujours introduites.

J’avais beaucoup aimé le manga initial et l’adaptation animée, mais on peut dire que l’adaptation en roman aura été une déception. Et celle-ci n’est pas due à l’adaptation en elle-même, qui s’avère extrêmement fidèle, mais plutôt à la forme qu’elle prend. Le récit suit pas à pas les épisodes du manga, sans tenter de créer un fil narratif cohérent ; de plus, le style plat et scolaire rend l’implication assez difficile. Bien dommage !

A Silent voice, Yoko Kurahashi. Illustrations de Yoshitoki Oima. Lumen, juin 2021, 412 p.


Akata Witch #1, Nnedi Okorafor.

Mon nom est Sunny Nwazue et je perturbe les gens. Je suis Nigériane de sang, Américaine de naissance et albinos de peau. Être albinos fait du soleil mon ennemi. C’est pour ça que je n’ai jamais pu jouer au foot, alors que je suis douée. Je ne pouvais le faire que la nuit. Bien sûr, tout ça, c’était avant cette fameuse après-midi avec Chichi et Orlu, quand tout a changé. Maintenant que je regarde en arrière, je vois bien qu’il y avait eu des signes avant-coureurs. Rien n’aurait pourtant pu me préparer à ma véritable nature de Léopard. Être un Léopard, c’est posséder d’immenses pouvoirs. Si j’avais su en les acceptant qu’il me faudrait sauver le monde, j’y aurais peut-être réfléchi à deux fois. Mais, ce que j’ignorais alors, c’est que je ne pouvais pas empêcher mon destin de s’accomplir.

Cela fait un moment que j’ai noté les romans de Nnedi Okorafor sur ma liste-à-lire. J’avoue que je pensais plutôt à Qui a peur de la mort ? pour attaquer son œuvre, mais c’est finalement par le rayon jeunesse que je l’ai découverte. Et avec beaucoup de plaisir, je dois dire !

L’autrice déploie ici un univers fourmillant d’idées que j’ai trouvé proprement fascinant ! Je n’ai pas eu l’impression d’être assommée de descriptions et pourtant, le roman m’a laissé de fortes impressions visuelles.
Il faut dire qu’elle met le paquet : entre le funky train, les sortilèges aux effets bœufs et les mille et une petites choses de la vie – magique ou civile – qui font partie de l’intrigue (comme les matchs de foot ou les découvertes des lieux réservés aux sorciers), il est extrêmement facile de s’immerger.
Le système de magie est vraiment intéressant, surtout la façon dont les Léopards (le peuple des sorciers) gagnent des chittims, la monnaie locale : pour cela, il leur suffit d’apprendre. Plus la leçon est importante, plus la somme gagnée l’est ! En plus de cela, la valeur des chittims est inversement proportionnelle à la matière dont ils sont faits. En gros, les chittims d’or, c’est la menue monnaie, les chittims de bronze, ce sont les grosses pièces. C’est peut-être un peu classique, mais j’ai trouvé ça vraiment sympa comme trouvaille.

– T’aimerais bien l’être, toi, affirma Chichi avec un petit sourire satisfait. Bref, Kehinde et Taiwo, les jumeaux, ont passé le dernier niveau et sont devenus « les érudits des liens ». Une vieille femme nommée Sugar Cream est la quatrième, c’est « l’érudite du dedans ». Elle vit la majorité du temps dans la bibliothèque Obi. C’est la plus âgée et la plus respectée de tous. C’est elle la bibliothécaire en chef.
– La bibliothécaire ? répéta Sunny en fronçant les sourcils. En quoi est-ce si import…
– Laisse-moi t’expliquer un truc que Chichi et Sasha ont du mal à intégrer, intervient Orlu en reposant sa fourchette. Les Léopards – partout dans le monde – ne sont pas comme les Agneaux. Les Agneaux pensent que l’argent et tout ce qui est matériel sont les choses les plus importantes dans la vie. Tu peux tricher, mentir, voler, tuer, être bête à bouffer du foin, mais si tu peux te targuer d’avoir du fric et de posséder des tas d’objets, et que tu te vantes à raison, tu peux tout faire. L’argent et les possessions matérielles font de toi un roi ou une reine au royaume des Agneaux. Rien de ce que tu fais alors n’est mal, tout t’est permis. Les hommes et femmes Léopards sont différents. La seule manière de gagner des chittims, c’est en apprenant. Plus tu apprends, plus tu en obtiens. La connaissance est au centre de tout. Le bibliothécaire en chef de la bibliothèque Obi est le gardien du plus grand gisement de connaissances de toute l’Afrique de l’Ouest.

Au début du roman, j’ai eu (je dois dire) l’impression que l’autrice nous enfilait quelques clichés. La société est discrètement séparée entre Léopards et Agneaux – les Moldus locaux -, il y a une école de magie cachée, on mange des plats exotiques assez étranges et les adultes ont une fâcheuse tendance à déléguer des tâches d’une importance capitale à des petits nouveaux pas formés. Cela vous rappelle quelque chose ? Eh bien pas de panique, car c’est surtout pour les côtés roman d’apprentissage magique, école cachée et univers follement original que l’on s’y retrouve ! En effet, Nnedi Okorafor avance ses pions avant de détourner complètement les tropes et de prendre des directions un peu moins attendues. Bref, c’est drôle et bien mené !

Le récit évoque aussi à merveille les sujets de la différence et de la difficulté à s’intégrer. Sunny a en effet bien du mal. Déjà parce qu’elle est albinos et qu’aux yeux de ses compatriotes, elle n’a ni la bonne couleur, ni la bonne nationalité (puisqu’elle a grandi aux États-Unis). La vie à l’école est hyper difficile, la vie à la maison l’est tout autant, elle a du mal à se faire des amis et vit la découverte de son identité de sorcière comme une libération. Et si la part du roman d’apprentissage est importante, elle s’efface presque devant l’originalité de l’intrigue et de l’univers, ce qui forme un ensemble bien équilibré.
Outre les inventions propres aux Léopards, l’univers s’appuie fortement sur la mythologie et les coutumes nigérianes, qui s’entremêlent fortement aux pratiques magiques. Franchement ? Cela change agréablement dans le paysage de l’imaginaire ! Le texte est d’ailleurs parsemé de caractères nsibidi, une langue idéogrammatique utilisée par les Léopards. J’ai hautement apprécié le glossaire très riche en fin de volume, qui éclaire les lecteurs non seulement sur les mots utilisés en nsibidi, mais aussi dans les autres langues pratiquées au Nigeria. Tout cela permet une excellente immersion dans l’univers !

Cerise sur le gâteau ? Eh bien Akata Witch propose une véritable conclusion. Bien sûr, l’intrigue appelle à une exploration plus poussée de l’univers (et ça tombe bien, car il existe un tome 2 !), mais en proposant une fin très satisfaisante. Donc c’était parfait !

En bref, j’ai adoré commencer l’œuvre de Nnedi Okorafor par ce roman jeunesse qui propose une fantasy vraiment originale. Le récit est hyper fluide, sait se tirer des clichés que l’on sent se profiler tout en proposant une aventure complète. Excellente pioche pour ma part, donc, et je compte bien lire le tome 2 cette année !

Akata Witch #1, Nnedi Okorafor. Traduit de l’anglais (Nigeria) par Anne Cohen-Beucher.
L’École des Loisirs, 15 janvier 2020, 362 p.

À quoi rêvent les étoiles, Manon Fargetton.


Titouan ne sort plus de sa chambre.
Alix rêve de théâtre.
Luce reste inconsolable depuis la mort de son mari.
Gabrielle tient trop à sa liberté pour s’attacher.
Armand à construit sa vie entière autour de sa fille.
Cinq personnages, cinq solitudes que tout sépare. Il suffira pourtant d’un numéro inconnu s’affichant sur un téléphone pour que leurs existences s’entrelacent…
« Hasard, destin, alignement de planètes…
Appelez ça comme vous voulez, moi j’appelle ça magie ».

« Qui a décidé
un jour
en regardant le cosmos
que certaines étoiles allaient ensemble ?
Qu’assemblées,
elles dessinaient des géants,
des centaures,
des demi-dieux ?
C’est un miroir
que ces personnes ont vu dans le ciel nocturne.
C’est nous que les constellations relient.
Nous qui, connectés les uns aux autres,
devenons des géants,
des centaures,
des demi-dieux. »

Alors, à quoi rêvent les étoiles dans les constellations ? Vaste question, s’il en est ! Mais point d’astronomie, ici, puisque les étoiles sont plutôt les cinq protagonistes qui, comme les constellations, ont des liens (insoupçonnés !) qui les unissent. Ce qui aussi intéressant que paradoxal puisque le point de départ du roman, c’est la solitude de chacun d’entre eux.
Chacun d’entre eux s’est isolé, à sa manière, et a plus ou moins coupé les ponts avec son entourage. Jusqu’au point déclencheur : le SMS que Luce, à bout, envoie au numéro de son défunt mari… lequel a été réattribué à Titouan. Or, celui-ci comprend bien que s’il ne répond pas, l’affaire risque de mal finir. Et le voilà engagé dans une relation épistolaire avec la vieille dame – premier domino qui va déclencher tous les autres.

Premièrement, j’ai trouvé que le prétexte pour que les personnages s’entrechoque était à la fois bien trouvé, bien amené et extrêmement bien filé. Oui, il y a de bonnes raisons que tous s’entrecroisent, et à aucun moment cela ne m’a semblé artificiel.
Outre la solitude que chacun ressent et vit à sa manière, les trajectoires des personnages permettent d’évoquer une foule d’autres sujets, tous aussi bien traités les uns que les autres. Parmi ceux-ci, en vrac, le deuil, l’amour, l’amitié, les relations familiales (peut-être un des plus importants). On passe de l’un à l’autre, même si, au fond, eux aussi sont tous un peu liés les uns aux autres. Et vu les sujets traités… il faut s’attendre à quelques scènes fortes en émotion !

Autre thème vital dans ce roman : le théâtre. Il infuse littéralement le texte. D’une part parce que celui-ci est monté exactement comme une pièce de théâtre. Cela commence avec la mention des lumières, et finit avec celle du noir. Il y a des actes, des scènes (réparties par personnages) et des entractes, narrés par un personnage légèrement extérieur mais partie prenante de l’intrigue (dont l’identité est révélée à la fin, mais que l’on peut deviner avec un brin d’attention !), qui vient faire des commentaires et des résumés à la façon d’un coryphée. D’autre part, c’est un sujet qui tient à coeur d’au moins deux des personnages, Alix et Gabrielle. La première ne rêve que de devenir comédienne, la seconde est celle qui lui fait découvrir la discipline – ainsi qu’aux autres élèves du conservatoire. D’ailleurs, les scènes de Gabrielle sont écrites à la façon de scènes théâtrales, avec répliques (en vers libres !) et didascalies, parfois mêlées à de la narration. Le mieux ? On passe de façon extrêmement fluide de l’un à l’autre et j’ai trouvé que cette construction, comme l’attention portée au thème, était un des énormes points forts du roman.

Deuxièmement, ce qui m’a énormément plu, c’est que A quoi rêvent les étoiles est un excellent roman pour les ados… mais pas que. De fait, si l’on fait le compte, trois des cinq protagonistes sont des adultes. Et dans l’entourage des deux ados, Titouan et Alix, il y a d’autres adultes qui gravitent. Or, on l’a vu dans le résumé, il n’y a pas que les ados qui se posent des questions existentielles sur la vie, l’univers et le reste. Et ici, les trajectoires de leurs parents est aussi travaillée (si ce n’est plus) que les leurs. Tout en restant hyper accessible à des ados car, soyons honnêtes, les comportements des uns et des autres sont assez similaires. Dans une interview, Manon Fargetton a dit que les adultes étaient des « ados comme les autres ; des enfants qui jouent à être des adultes toute leur vie » et on voit ici combien c’est vrai. Les préoccupations autour de l’amour, de l’amitié, des relations familiales sont quasiment les mêmes. Avec des degrés divers, évidemment, mais tout cela reste parfaitement similaire. J’ai vraiment aimé que le roman joue sur les deux publics et donne à la fois des clefs de lecture des comportement ados aux parents… et des clefs de lecture des comportements parentaux aux ados, car le tout est fait sans la moindre once de moralisation ou de discours didactique.

Je crois que c’est le premier roman réaliste de Manon Fargetton que je lis et je suis ravie de ma découverte (je l’ai lu en moins d’une journée !). Elle nous propose un roman à la construction originale, qui embrasse un certain nombre de sujets. On sent une vraie tendresse pour les personnages, qui rend le récit très prenant. Surtout, le texte s’adresse à la fois à deux lectorats (les ados et les adultes), sans laisser aucun des deux de côté. Dans l’interview citée plus haut, Manon Fargetton a dit « J’espère que les adultes s’y retrouveront au moins autant que les adolescents ». Qu’elle se rassure, c’est bien le cas.

À quoi rêvent les étoiles, Manon Fargetton. Gallimard jeunesse, 17 septembre 2020, 400 p.

Triangle amoureux (ou pas), Marisa Kanter.

Hallie et son meilleur ami sur Internet, Nash, peuvent parler de tout… sauf de qui elle est vraiment – un secret qu’elle garde jalousement pour une raison mystérieuse. Sur les réseaux sociaux, elle incarne Kels, l’énigmatique créatrice d’un bookstagram à qui ses coups de cœurs littéraires inspirent des recettes inédites de cupcakes. Kels a tout ce dont manque Hallie : des amis par dizaine, une assurance inébranlable… et Nash.
Mais ça, c’était avant. Au détour d’un énième déménagement, Hallie tombe par hasard sur Nash, le vrai, en chair et en os. Bonne nouvelle ? Pas vraiment… Car quand vient l’instant de se présenter, dos au mur, elle choisit de mentir. Furieuse de devoir entretenir cette mascarade dans les couloirs de l’unique lycée de leur petite ville, elle commence par battre froid le garçon à qui elle révèle pourtant presque tout d’elle chaque soir sur les réseaux sociaux. Si elle franchit le pas et révèle qui elle est, c’en est fini de leur amitié et de sa notoriété sur Internet…

Un livre dont la protagoniste est blogueuse et bookstagrameuse ! Forcément, je me sens intriguée ! Et je dois avouer que j’ai englouti le roman en moins de deux jours.

On y suit donc Hallie qui, dès le départ, se trouve empêtrée dans ses problèmes de double-personnalité et de vie virtuelle cachée. Si elle a toujours entretenu le mystère sur internet, cela s’explique aisément. Outre les traditionnelles précautions autour de la vie privée (que tout adolescent devrait observer !), elle ne souhaite pas que son lectorat sache qu’elle est, d’une part, la fille de Mad et Ari Levitt, deux documentaristes-presque-oscarisés et, d’autre part, la petite fille de Miriam Levitt, légende de l’édition. Qui, en plus, éditait jusqu’à son récent décès des romans destinés aux jeunes adultes, ce qui est pile poil le genre de lectures favori d’Hallie. La jeune fille ne souhaite donc pas que son blog soit soupçonné de collusion avec le monde de l’édition, d’autant moins qu’elle aimerait bien y travailler, dans l’édition – plutôt comme attachée de presse que comme éditrice, d’ailleurs, ce qui change un peu.
À cela s’ajoute la personnalité virtuelle qu’elle s’est construite : celle d’une fille cool, qui maîtrise sa vie et ses paroles, bien entourée et sûre d’elle. Ce qui est assez éloigné de sa personnalité réelle. Or, voilà le problème : une fois qu’elle est devant son meilleur ami, IRL, elle panique. Et s’il la trouvait inintéressante ? Donc paf, omission, et voilà Hallie forcée de jongler avec son double-elle.

Bref, voilà un roman qui commence doublement bien, avec deux thèmes qui me plaisent : la lecture (et la blogosphère littéraire, en l’occurrence), et la double-vie. Quelques autres thèmes comme l’amitié et l’amour (sans surprise), les relations familiales, le deuil et les études s’ajoutent rapidement mais sont traités avec un peu moins de profondeur que les deux thèmes phares.
Ce n’est pas gênant et cela apporte même du corps à l’intrigue. Car en même temps que le pataquès qu’elle a créé, Hallie doit gérer la relation avec son grand-père que le deuil a profondément transformé. Deuil qu’elle est elle-même en train de vivre. Elle est en terminale, donc elle doit également candidater à l’université et proposer un dossier qui plaira à celle de New-York, celle qui la préparera aux métiers de l’édition. À ce titre, on se rend compte que si feu Admission-Post-Bac avait été un véritable enfer à traverser (j’imagine que son petit frère, Parcoursup, est à l’avenant), les dossiers pour les facs américaines ne sont pas non plus de tout repos. Leur orientation, leur poursuite d’études et leurs carrières futures occupent toutes les pensées des personnages – du moins celles qui ne sont pas accaparées par leurs blogs respectifs. Et, bien sûr, elle doit tenter de maintenir / réparer son amitié avec Nash, à laquelle elle tient infiniment. Et ce n’est pas facile…

« Une amitié – une vraie -, ça ne se construit pas en un jour. Le chemin est pavé de maisons Barbie détruites, de hurlements sur un parking de cinéma et d’erreurs – parfois terribles. L’amitié, c’est un chaos de lignes tracées dans le sable, de loyautés remises en question et de réponses difficiles par messages. C’est oser se comparer et exposer ses insécurités.
Mais l’amitié, c’est aussi jouer au bowling selon ses propres règles. Rire à en avoir mal au ventre et les joues baignées de larmes. C’est savoir qu’on peut compter sur quelqu’un, des personnes en chair et en os à travers tout le pays, qu’un texto ou un appel suffit à rameuter. C’est avoir moins peur de sombrer dans les ténèbres quand on a des guides pour nous aider à progresser dans le noir.
L’amitié, ça n’a rien de simple. C’est difficile, énervant, génial, fragile, durable, impossible… Mais ça en vaut toujours la peine.
Toujours. »

Autre point que j’ai apprécié : la famille d’Hallie est juive et, si elle et son frère ont été élevés dans le respect global des traditions majeures, leurs parents n’ont jamais vraiment insisté sur les offices religieux. Or, le grand-père d’Hallie et Oliver, lui, tient vraiment à cette partie de son existence. De même que les camarades de lycée d’Hallie qui, peu à peu, va s’intéresser à ce que fait la communauté. Pas de panique si le prosélytisme vous colle de l’urticaire : l’autrice ne verse pas du tout  là-dedans. C’est juste un élément du décor et comme je n’ai pas l’impression de croiser souvent celui-ci, j’ai trouvé ça plutôt chouette.

Je ne vous spoile pas tellement sur l’intrigue en vous disant qu’Hallie et Nash vont peu à peu se rapprocher, du moins autant que possible avec les mensonges qu’Hallie a dressés entre eux. De ce point de vue-là, il est possible que vous ayez envie de coller de temps en temps des baffes à la jeune fille qui a mille fois – au bas mot – la possibilité d’avouer la supercherie… et n’en fait rien. Je dois dire que c’est là ce qui m’a le plus refroidie dans ma lecture et m’a empêchée de la trouver fabuleusement géniale.
L’autre détail qui m’a agacée chez Hallie est son inflexibilité quant à la littérature young-adult. D’après elle, il n’est rien de plus fatigant qu’échanger avec des adultes persuadés que la littérature YA leur est destinée. Eh bien, jeune fille, en tant que future attachée de presse spécialisée dans la littérature young adult, n’as-tu pas l’impression que tu vas devenir toi-même… une adulte lisant et défendant de la littérature YA ? Humm ? Alors ? Allez, elle a 17 ans, on lui pardonne cette erreur de jeunesse. (Même si c’est un peu idiot).
En tant que blogueuse, j’ai apprécié toutes les péripéties qui tournent autour du blog d’Hallie. Celle-ci imagine des cupcakes en accord avec les couvertures des romans qu’elle a lus et aimés. C’est vraiment un roman qui m’a (re)donné envie de bloguer, bouquiner… et cuisiner des cupcakes (du coup j’en ai fait, mais ce n’est pas ma pâtisserie préférée, en fait). Pour cette raison, je pense que le roman plaira aux blogueurs, booktubers et autres bookstragrameurs, comme aux passionnés de lecture. Mais ceux-ci n’auront peut-être pas la folle envie de se mettre au blogging, puisque l’autrice en montre aussi les effets pervers : le minutage de l’emploi du temps de Hallie pour lui permettre de jongler entre études/vie sociale/vie familiale/alimentation du blog en contenus, la gestion de ses réseaux sociaux et des trolls qui y traînent, les réflexions autour de sa personnalité numérique et des prises de position que sa communauté attend d’elle – ou pas. Bref : beaucoup de pression pour une jeune fille.

En bref, voilà un roman ado bien sympathique et qui n’aura pas fait long feu. Certaines péripéties et certains points de vue ne m’ont pas tellement convaincue, mais le style fluide et l’enchaînement rapide des rebondissements ont rendu ma lecture très prenante. Si l’intrigue n’est pas follement surprenante, je me suis laissée porter par l’histoire d’Hallie – ses amitiés, ses amours, ses emmerdes, si l’on peut dire. Une petite lecture douceur parfaite pour l’été !

Triangle amoureux (ou pas), Marisa Kanter. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Mathilde Montier.
Lumen, juin 2020, 433 p.

[2017] Petit bilan estival

Une fois n’est pas coutume, c’est un bilan pour les deux mois de juillet et août que je vous propose (faute de temps pour faire celui de juillet). Mine de rien, j’ai pas mal lu, mettant à profit un tas d’heures de transport et quelques jours de vacances – bien méritées, de mon point de vue !

Carnet de lectures. 

Côté romans.

Dans la peau de Sam, Camille Brissot, éd. Syros.
Charlie est belle, populaire et pas toujours des plus sympathiques, n’hésitant pas à se moquer de Sam, le loser du collège dont tout le monde se moque. En même temps, tout le monde se moque de lui, donc c’est facile. Alors qu’elle est à la fête foraine, Charlie aperçoit Sam en train de s’introduire dans une caravane dont l’accès est interdit au public. Curieuse, elle le suit… et mal lui en prend. Car dans la caravane se dissimule une attraction secrète qu’ils expérimentent un peu par inadvertance. Et c’est le drame ! Car à la sortie, Charlie est piégée dans le corps de Sam, et vice-versa. Et pas le temps de se renseigner, car voilà déjà l’heure de rentrer, chacun chez soi. Objectif : donner le change et surtout, récupérer chacun son corps !
L’intrigue est très courte (le roman fait une petite centaine de pages) et bien menée : les adolescents sont vite et bien caractérisés et l’histoire démarre très vite. Evidemment, vous vous doutez bien que les personnages vont finalement se découvrir et s’apercevoir que leurs bisbilles reposent sur du vent. Mieux, Charlie (que l’on suit plus que Sam), s’aperçoit que la position du harcelé est vraiment atroce… ce qui va la faire réfléchir à ses actes. Sans être moralisateur, le roman amène à une réflexion et c’est parfait ! En bref : une intrigue assez classique, mais néanmoins particulièrement efficace !

On n’a rien vu venir, collectif (éd. Alice).
Des manifestations de liesse populaire ont lieu dans tout le pays : le Parti de la Liberté a gagné les élections…
Mais, très vite, le nouveau pouvoir exclut tous ceux qui s’éloignent un tant soit peu de la norme – les « mal-habillés », les « trop-fonçés », les « pas-assez-valide »…- et instaure des règles de plus en plus contraignantes : une heure de lever obligatoire pour tous, des jours de congés fixes, des choses que l’on ne peut pas dire, faire, manger ou porter… La liste des nouvelles lois et prohibitions s’allonge, les contrevenants sont traqués et des caméras de surveillance sont installés dans certains domiciles.
Comment en est-on arrivé là ?
Dans ce roman à 7 voix, 7 grands noms de la littérature jeunesse (Sandrine Beau, Séverine Vidal, Fanny Robin, Agnès Laroche, Annelise Heurtier, Clémentine Beauvais, Anne-Gaëlle Balpe) livrent un roman d’anticipation reposant sur les résultats des élections, mettant au pouvoir un parti d’extrême-droite dont l’arrivée est perçue de différentes façons par les familles que l’on suit : il y a celle qui a voté pour et qui se réjouit, ceux qui partent faire le tour du monde sur un voilier, ceux qui n’ont pas la bonne teinte et sont terrifiés.
Évidemment, dans le contexte actuel, c’est une lecture frappante. Et ce d’autant plus qu’elle est narrée à hauteur d’enfants, lesquels ont des réflexions percutantes. Un roman à lire et à relire et, surtout, à faire circuler !

La Mythologie viking, Neil Gaiman (Au Diable Vauvert)
Gaiman est fin connaisseur des mythes nordiques et ça se voit. Il les reprend en une quinzaine de nouvelles, allant d’avant la création des neuf mondes au Ragnarok. Au milieu, quelques 15 textes mettant en avant la sagesse d’Odin, l’impétuosité de Thor ou la rouerie de Loki, lequel finit généralement par s’en sortir sans égratignures.
La plongée dans la mythologie est très accessible : les récits sont courts, les péripéties s’enchaînent et les histoires, si elles se dirigent toutes clairement vers le Ragnarok, semblent pourtant légèrement déconnectées les unes des autres – idéal pour une lecture morcelée, donc. Malheureusement, j’ai trouvé les récits à la fois un peu courts et un peu trop superficiels ; j’avais l’impression que l’on restait toujours trop à la surface des personnages comme des péripéties. L’avantage, c’est que l’entrée en mythologie est facile et qu’on appréhende rapidement les particularités des mythes nordiques, d’autant que les péripéties sont limitées à leurs plus stricts développements – on ne se perd pas en circonvolutions inutiles. Une chouette plongée chez les dieux nordiques, mais qui m’a laissée un poil sur ma faim.

Rose givrée, Cathy Cassidy.
On ne présente plus Cathy Cassidy. Ou bien si ? Allez, vite fait. Elle est l’auteure de la série (jeunesse) au très long cours Les Filles au chocolat qui met en scène les aventures d’une famille nombreuse recomposée. Dans Rose givrée, on suit Jude, 13 ans, dont la famille l’embarrasse énormément : sa grand-mère est atteinte de la maladie d’Alzheimer et éprouve une passion immodérée pour les écharpes de trois pieds de long qu’elle tricote n’importe où ; son père est un sosie officiel d’Elvis et ne trouve rien de mieux que de débarquer en costume de scène à la réunion parents-profs du collège ; sa mère, quant à elle, digère mal le naufrage de sa vie, le futur remariage du père de Jude, et s’est donc remise… à boire. On comprend donc que Jude tente au maximum d’éloigner ses camarades de sa famille ou de toute question trop personnelle. L’histoire ressemble à une chronique adolescente : on suit Jude dans la période plus que turbulente qu’elle traverse, marquée par des thèmes très forts (Alzheimer, alcoolisme, amour, deuil…). Le roman se présente sous des dehors acidulés mais s’avère, finalement, nettement plus profond qu’il n’y paraît. Mais Cathy Cassidy parvient à conserver une légèreté de ton bien appréciable qui rend à la fois le roman très accessible (pour de jeunes lecteurs) et pas trop déprimant (malgré quelques passages plutôt tristes). Bonne pioche, donc !

The Generations, tome 3, Alone, Scott Sigler.
On retrouve Em et les autres un an après la fin du tome précédent ; les Sauterels et eux ont noué une alliance et oeuvrent de concert sur Omeyocan, tentant de comprendre les machines dont dispose l’Observatoire. L’inquiétude règne pourtant : trois vaisseaux, plus le Xolotl, qui transporte les Adultes, font route vers la planète, avec des intentions manifestement belliqueuses. De plus, des Sauterels renégats, les Querelleurs, attaquent aussi bien leurs congénères que le peuple d’Em. Celle-ci constate en outre que les siens deviennent de plus en plus violents, et voient le meurtre comme une réponse acceptable au moindre problème… Se pourrait-il que le Dieu du Sang existe vraiment et qu’il attise la violence des uns et des autres ?
J’avais bien aimé les deux premiers tomes de cette série mais force est de constater qu’avec celui-ci, la sauce n’a pas pris. Au début, je me suis copieusement ennuyée. Pourtant, il se passe plein de choses ! Mais, pour une raison qui m’échappe, impossible d’accrocher aux aventures d’Em et compagnie. Comme dans le tome précédent, j’ai eu l’impression que l’action ne démarrait vraiment qu’une fois passée la moitié du roman (soit 300 pages, quand même, à l’issue desquelles j’étais plus lassée que véritablement intéressée). Une fois que celle-ci a été installée, j’ai eu du mal à accrocher à ce que vivaient les protagonistes ; non pas que ce ne soit pas inventif (c’est même plutôt très original !) mais je n’étais pas du tout dedans. Attention, je spoile dans la phrase suivante.
Je crois que l’aspect larve cosmique qui manipule tout le monde ne m’a pas du tout parlé.

Fin du spoiler.
Je me suis astreinte à le finir (des fois que…) mais la fin, quoique vraiment bien tournée, n’a pas réussi à m’emballer davantage.
◊ Dans la même série : Alive (1), Alight (2).

Rayon bulles. 

Un autre regard : trucs en vrac pour voir les choses autrement, Emma. 
Vous connaissez peut-être le blog d’Emma ? Elle y parle de tout un tas de sujets d’actualité, sur lesquels elle porte un regard réaliste, féministe et politique. Et elle vient de signer sa première publication papier, que j’ai lue cet été.
Premier constat : ça se lit extrêmement vite ! En fait, les illustrations sont celles du blog, sur fond blanc, donc de fait, c’est assez rapide à lire. D’autant qu’Emma expose les sujets assez rapidement et qu’elle va droit au but dans ses explications. Celles-ci sont évidemment subjectives, mais également réalistes car Emma se base sur des témoignages de personnes. Au fil des pages, il est question de violences policières contre les opprimé-es, de la charge du regard masculin (notamment en entreprise !), du mépris général que subissent les femmes (au niveau médical, social, personnel !) et d’un tas d’autres choses, de préférences pêchées dans les sujets tabous ou royalement ignorés par la presse généraliste. Et au final ? C’est drôle, vivant, hyper instructif et ça donne envie de se remonter les manches.

Culottées, tome 1, Pénélope Bagieu.
Pénélope Bagieu dresse les portraits de 15 femmes (d’origines et d’époques diverses) qui ont outrepassé les normes sociales dans lesquelles on aurait aimé les enfermer pour faire des choses extraordinaires : d’Agnodice, gynécologue de l’Antiquité grecque à N’zingha, reine Angolaise, en passant par Tove Jansson, la maman des Moomins, et Margaret Hamilton, terrifiante sorcière du Magicien d’Oz, elle brasse large. Chaque femme est croquée en deux-trois pages, dans un graphisme épuré (parfois trop à mon goût) et usant de peu de couleurs. Les portraits contiennent évidemment un tas d’infos passionnantes mais sont aussi drôles et enlevés – et pointent du doigt les incohérences de la société, au passage. L’ennui, c’est qu’un portrait en si peu de pages, c’est vraiment trop court, donc pas possible de creuser le sujet, malheureusement. Mais c’est une bonne entrée en matière pour découvrir plus avant l’oeuvre de ces pionnières !

Cinéma.

J’ai été un peu plus assidue au ciné cet été (bon, toutes proportions gardées, j’y suis allée deux fois, mais ça reste un bon score vu ma fréquentation dramatique des salles obscures en ce moment…).
Et dans l’été, je me suis fait violence, et je suis allée voir… Mission Pays Basque. Sans surprise, c’était moisi – et plus si affinités.
C’est donc l’histoire de Parisienne Blondinette qui fait un boulot chiant dans le commerce et qui débarque à Bayonne city (même si c’est Saint-Jean de Luz qui est filmé) pour racheter la quincaillerie du vieux Fernan, de préférence en l’entubant sec, puisque le cul-terreux n’y entend forcément rien en immobilier. L’ennui, c’est que le vieux n’a plus toute sa tête et qu’il ne sait plus trop où il range les 50 briques que Parisienne Blondinette lui a refilées sous le manteau en guise de promesse de vente (au cas où vous vous poseriez la question, non, ce n’est pas légal). D’ailleurs, il n’a même pas la possibilité de vendre sa boutique, vu qu’il est sous tutelle et que, pour ça, il faudrait s’adresser à Beau-Brun-Ténébreux-Basque-et-Célibataire, son neveu (chemise de bûcheron sur l’affiche, fabricant d’espadrilles et repreneur officiel de Luis Mariano. Qui a dit cliché ?).
Celui-ci n’est pas jouasse d’apprendre que la touriste espère implanter sa cochonnerie commerciale au pays et attend la donzelle de pied ferme – laquelle ne tarde pas à revenir, car son boss n’est pas content et son mec, qui est accessoirement son responsable et futur mari (spoiler : plus pour longtemps), non plus. Parisienne Blondinette débarque donc avec armes et bagages, lesquels contiennent en sus son futur (et très jeune) beau-frère, en stage pour préparer sa rentrée dans une école de commerce huppée et très chère (et à qui les scénaristes ont carrément consacré une histoire secondaire qui n’apporte rien, sinon de l’ennui). À compter de là, un seul objectif pour Parisienne Blondinette : conquérir Beau-Brun-Ténébreux-Basque-et-Célibataire afin de racheter une bouchée de pain la boutique et implanter sa supérette, de préférence en lui en mettant plein la vue avec sa supériorité de citadine – stratégie qui, on s’en doute, ne passe pas super bien : après tout, c’est un bouseux, et les bouseux, ça ne connaît rien au chic et choc.
S’ensuivent, à partir de là, une flopée consternante de clichés confinant à l’erreur, pour les biens de la prod’ (laquelle ne prend même pas la peine de corriger son abyssale connerie et s’y roule allègrement) : en vrac et dans le désordre, l’ours brun en goguette en montant à l’Atxurria entre Sare et Zugarramurdi (alors oui, il y a des ours dans les Pyrénées, mais là, certainement pas…) ; Luis Mariano ad nauseam (c’est vrai qu’il n’existe rien de plus moderne en musique en dehors de lui dans le coin) ; et, bien entendu, l’inévitable complot terrorriste orchestré par la Belle-et-Rebelle-Ex de Beau-Brun-Ténébreux-Basque-et-Célibataire-Plus-Pour-Longtemps-Non-Plus (pour laquelle le damoiseau a ÉVIDEMMENT fait de la prison. Parce que c’est bien connu, le Basque est forcément terroriste ET ex-taulard, sinon c’est du toc). Mais là, au moins, faisons contre mauvaise fortune bon coeur : les musulmans en prennent à peu près autant plein la gueule que leurs infortunés compagnons de clichés, puisque le-dit complot vise à fournir les premiers en armes automatiques. Tant qu’à faire, autant brasser large, hein, on n’est pas sectaires.
Je passe rapidement sur la fatidique romance cul-cul qui se noue entre Blondinette Parisienne et Beau-Brun-Ténébreux-Basque-plus-tellement-Célib’, parce que c’est tellement cliché que ça en devient fatigant de prévisibilité. Mais bon, vous comprenez, elle découvre subitement l’amour de la Terre et de la campagne et de l’air pur, plaque son boulot chiant et devient commerçante locale (pour diffuser ses petits producteurs amoureusement choisis) parce c’est tellement plus bio-bobo-écolo éthique et responsable. Et en plus, ils s’aaaiiiment. Mais que demande le peuple ?!
Bref. J’ai fait ma BA, on ne m’y reprendra pas – j’ai quand même noté qu’ils avaient sans doute eux aussi souffert sur Rencontre pimentée à Espelette et décidé de faire partager. Merci les gars, fallait pas. (Vraiment).

Heureusement, le reste était mieux.
Pendant la Nuit des Étoiles, vu que le temps n’était pas trop de la partie (ciel couvert), je suis allée voir Valérian et la Cité des mille planètes et je dois dire que j’ai passé un bon moment – même si j’ai pas mal grogné pendant le film.
Valérian et Laureline sont des agents spatio-temporels, mandatés par le Ministre de la Défense pour enquêter sur ce qui se cache au sein de l’Alpha, une extraordinaire cité intergalactique où se croisent des espèces venues de l’univers entier. En effet, ce qui se cache là semble être radioactif et en pleine expansion, donc autant dire que c’est pas glop.
L’histoire est un peu cousue de fil blanc mais menée à bon train, ce qui fait qu’à aucun moment je me suis dit que c’était long et pénible (premier bon point). Les dialogues sont vifs, il y a du suspens, des retournements de situation intéressants et, si le jeu des acteurs ne m’a pas toujours transcendée, Valérian est cabotin comme je l’imaginais. En revanche, je suis vachement plus circonspecte sur le rôle de Laureline qui tient lieu, au mieux, de side-kick dispensable (que Valérian va sauver, évidemment, parce qu’après tout, s’il n’y a pas de donzelle en détresse, Hollywood est grognon). Bon, et vous allez dire que je chipote, mais je n’ai pas tellement kiffé non plus l’armure de Laureline, qui semble en surajouter côté protubérances mammaires. Alors que les militaires ont toutes des gilets en kevlar plat, là, on ne sait pas pourquoi, elle a une armure avec des meules agressives. Sans doute pour terroriser l’ennemi ?
Heureusement, comme je le disais, on se rattrape sur la photographie : les combats sont cools (même si pas toujours faciles à suivre), l’univers tient visuellement la route et les aliens ont de la gueule. Mention spéciale à la longue scène montrant la construction de la cité des mille planètes, qui m’a tout l’air d’avoir été pensée comme un hommage aux grands films de SF et à leurs aliens respectifs. S’il y a une suite, j’irai la voir.

 

Au rayon séries, je me suis littéralement enfilé The 100, adapté du roman éponyme de Kiera Cass – lequel m’est, lui, littéralement tombé des mains tellement je l’ai trouvé chiant et mal écrit.
Il y a un petit siècle, un holocauste nucléaire a décimé la population terrienne ; les seuls survivants sont les 2 400 habitants des douze stations spatiales en orbite à ce moment-là, qui se regroupent pour n’en former qu’une : l’Arche. Trois générations nées dans l’espace plus tard, les ressources s’épuisent sur l’Arche et l’oxygène vient à manquer drastiquement malgré les mesures draconiennes prises pour assurer la survie (un seul enfant par famille, peine capitale sauf pour les mineurs, etc.). La direction prend donc la décision d’envoyer secrètement 100 prisonniers (mineurs, si vous avez bien suivi) à la surface de la Terre, afin de voir si celle-ci est de nouveau habitable ou non. Parmi les 100, Clarke, fille du médecin en chef de l’Arche, Wells, fils du Chancelier, Finn qui a grillé un mois d’oxygène pour offrir une sortie dans l’espace à sa copine, ou encore Bellamy et Octavia, seuls frères et soeurs de l’Arche qui vont devoir s’allier (ou pas) pour survivre et assurer la survie des leurs.
Pour ce que j’ai pu en voir, la série ne suit que d’assez loin les romans (ceux-ci tiennent sur quelques jours à peine par tomes alors que la première saison s’étale déjà sur un gros mois) et elle s’est révélée très prenante ! Le côté survival est rapidement mâtiné de polar et d’espionnage – car, évidemment, les 100 ne sont pas tous seuls et les autres ne les voient pas nécessairement débarquer d’un très bon oeil. Sans compter qu’ils ne sont pas forcément d’accord entre eux sur ce qu’il convient de faire et qu’ils peuvent s’opposer assez méchamment.
Dans les premiers épisodes, Clarke me tapait gentiment sur le système mais, le temps passant, je me suis prise d’affection pour elle. Les personnages sont vraiment soignés et proposent des personnalités à la fois tranchées et complexes. Ils sont souvent embringués dans des dilemmes moraux qu’ils résolvent à leur sauce, qui n’est pas forcément la nôtre mais qui est toujours intéressante.
L’univers est vraiment bien travaillé lui aussi : car les Terriens ont développé leurs propres sociétés, pour certains leur propre langue (j’ai trouvé que le travail sur la langue était d’ailleurs excellent) et leurs propres coutumes. Comme tout le monde essaie de survivre, je ne vous cache pas que c’est parfois assez trash – et je ne parle pas seulement de voir votre personnage favori succomber sous les coups de l’ennemi après avoir vaillamment lutté. Si les scénariste n’évitent pas quelques clichés du genre, dans l’ensemble, ils savent se renouveler pour proposer des péripéties intéressantes, qui ne tournent pas trop en rond et qui explorent quelques pistes traditionnellement délaissées (ce qui change un peu). La saison a été officiellement renouvelée pour une saison 5 (il m’en reste donc deux à voir) et c’est une bonne nouvelle !

Tops & Flops.

C’est un bilan sur deux mois, mais comme je n’ai eu que 3 lectures en demi-teinte, j’ai gardé le principe de la rubrique : 3 déceptions ou assimilés (dont je vous parle en premier), 3 chouettes découvertes.

Je l’attendais avec impatience, car le résumé me semblait prometteur : le premier tome de The Effigies, Les Flammes du destin (de Sarah Raughley) mais, malheureusement, le roman ne m’a pas tellement emballée. L’héroïne ne m’a pas toujours semblé bien crédible et la narration non plus (d’autant que c’est elle qui se charge de l’histoire). Néanmoins, l’univers était très intéressant !


J’ai déjà parlé des deux autres déceptions plus haut dans ce bilan ; je n’ai pas été tellement emballée par La mythologie viking de Neil Gaiman et par Alone de Scott Sigler qui, pourtant, se présentaient tous deux sous les meilleurs augures.

Côté excellentes découvertes, en revanche, j’ai été servie et il m’a même été assez difficile d’arrêter mon choix sur seulement trois titres. Je vais donc les présenter dans l’ordre des lectures.
J’étais très curieuse de lire la suite de Je suis Adele Wolfe, de Ryan Graudin, dont j’avais adoré le premier volume. Celui-ci a été à la hauteur de mes attentes (malgré l’absence des motos) et a carrément propulsé la série entière au rang de mes romans post-apocalyptiques favoris !

Ensuite, j’ai découvert un livre qui sort fin septembre, L’aube sera grandiose, un FABULEUX roman d’Anne-Laure Bondoux, que j’ai lu d’une traite, scotchée par l’intrigue hautement palpitante et les personnages plus qu’attachants qui l’animent. Je suivrai avec attention l’actualité éditoriale d’Anne-Laure Bondoux !

Enfin, j’ai lu cet été avec un immense plaisir le troisième tome des Récits du Demi-Loup de Chloé Chevalier, Mers brumeuses et quelle découverte, encore une fois ! J’adore cette série et chaque tome semble être un nouvel enchantement !
Si vous êtes curieux, Chloé Chevalier répond actuellement à une interview participative et au long cours ici chez Bookenstock ! (Vos questions sont les bienvenues).

 

Citations.

« Oh, beau tee-shirt, Inès, ajoute-t-il un brin railleur en le découvrant sur les épaules de la jeune fille.
– Merci. C’est près de chez moi, sourit Inès en montrant le logo du golf de Bassussary avec son index.
– Un peu touristique, non ? demande-t-il plus sérieusement cette fois. C’est le drame de l’Iparralde. C’est un paradis pour touristes mais les habitants, ceux qui y sont nés, y vivent, y travaillent, sont chassés toujours plus loin du fait du prix des terrains. »
Galeux, Bruno Jacquin.

***

« Il est systématiquement précisé (et souligné comme un fait inouï) que Wu Zetian était « redoutable », « ambitieuse » et « intransigeante ». Des traits de caractère communs (et valorisés) chez à peu près tous les empereurs de l’histoire… mais visiblement moins faciles à digérer chez une impératrice. »
Culottées, tome 1, Pénélope Bagieu.

***

« J’ai deux mules et trois maris. Je sais reconnaître une face obstinée quand j’en vois une… »
« Prydain, tu ne m’as pas menti. Ce ne sont pas les mots qui nous blessent le plus, mais bien les silences qui nous tuent. »
Boudicca, Jean-Laurent Del Socorro.

***

« Loki, déclara-t-il. C’est Loki qui a fait ça.
– Pourquoi dis-tu cela? […]
– Parce que, lui dit Thor, dès que quelque chose ne va pas, la première idée qui me vient toujours à l’esprit est d’y voir la faute de Loki. Ça fait gagner un temps considérable. »
La Mythologie viking, Neil Gaiman.

***

« Alexandre, dégageait une telle confiance qu’il parvenait à me mettre à l’aise.
Souvent.
Le reste du temps, j’avais envie de le gifler. »

« Comment réveille-t-on les princesses, d’habitude?
Je la gifle. »
Le Noir est ma couleur, tome 2, La Menace, Olivier Gay.

***

– Pourrais-tu regarder le moteur ?
A le voir, on aurait dit qu’il n’était capable de rien, à part se rendormir. Luka avait vu des plantes mortes possédant davantage d’aplomb.
Je suis Adele Wolfe, tome 2, Ryan Graudin.

***

« Vous pensez qu’ils l’ont tué ? demanda-t-elle d’un ton incertain.
– S’ils l’ont tué, je les tuerai, affirma Bluebell, qui avait envie d’occire quelqu’un. »

« Elle commençait à apprécier Lang, comme elle finissait par apprécier tout le monde. Rowan avait ce charme particulier qui faisait que les gens avaient envie de faire des choses pour elle. Depuis quelques semaines qu’il était arrivé, Lang lui avait déjà sculpté des poupées, l’avait aidée à remettre un oisillon dans son nid et s’était mis à quatre pattes pour qu’elle le chevauche comme un poney. »

« Après votre dernière visite, je l’ai trouvé triste. C’était à cause de vous ?
– J’ignore ce que Snowy a dans le coeur, marmonna Bluebell.
Cela arrivait parfois lorsqu’elle baisait un type : il tombait amoureux d’elle. Et pourtant, elle était moche comme une meule avec son nez cassé et recassé. Elle ne s’attendait pas à pareille réaction de la part de Snowy. Merde, il avait été son favori. »
Le Sang et l’Or, tome 2, Les Soeurs du feu, Kim Wilkins.

Chasseurs de livres #1, Jennifer Chambliss Bertman.

Un livre caché. Un message codé. La chasse peut commencer.
Émily est une passionnée de la Chasse aux livres, un jeu créé par son idole, le célèbre éditeur californien Garrison Griswold. Il s’agit de décrypter des messages codés pour trouver l’emplacement de livres cachés !
Mais lorsqu’elle emménage avec ses parents à San Francisco, patrie de la Chasse aux livres, elle est choquée d’apprendre que M. Griswold a été agressé alors même qu’il allait lancer une nouvelle quête livresque d’une ampleur inédite.
À elle et à ses amis de jouer !

Chasseurs de livres est un peu le mélange parfait pour les amateurs de lecture et de chasse au trésor : en effet, Émily est accro à Book Scavenger, un site qui répertorie des livres voyageurs que l’on ne peut trouver qu’en résolvant les énigmes laissées par ceux qui ont caché les livres. Vous, je ne sais pas, mais moi ça me vend du rêve.
De temps en temps, le créateur du jeu, Garrison Griswold, organise un jeu spécial dans sa ville, San Francisco. Ce qui est la seule raison pour laquelle Émily est, cette fois, contente de déménager — ses parents ayant en effet décidé d’avoir une maison dans chaque état des États-Unis, ils déménagent tous les ans, au grand dam de la jeune fille qui ne peut se lier d’amitié avec personne.

Jennifer Chambliss Bertman nous dresse le portrait d’une jeune fille solitaire, qui n’ose pas se lier avec les autres en raison de ses constants déménagements. En quelques pages, elle nous croque un portrait particulièrement touchant. Et l’intrigue de fond démarre rapidement, Émily mettant assez vite la main sur ce qu’elle pense être le départ du nouveau jeu issu du génial cerveau de Garrison Griswold. Et ce qui est palpitant, c’est que l’histoire démarre sur les chapeaux de roue, et à tous les niveaux : Émily se lance à fond dans sa quête mais, en même temps, rencontre son voisin James, lui aussi fan des crytpogrammes et avec qui elle se lie rapidement d’amitié. Parallèlement, elle doit faire face au gouffre qui se creuse entre elle et son frère, leurs goûts changeant avec l’adolescence. Tout en gérant sa propre adolescence, son arrivée dans une énième nouvelle école inconnue et une nouvelle maison !
Ainsi, sous des dehors de roman d’aventure dynamique — ce qu’il est indéniablement ! — le roman évoque des sujets de société comme le déracinement, l’amitié, les relations familiales, l’angoisse d’une nouvelle école où l’on ne connaît personne, ou la crainte de ne pas être adoubé par la majorité. Autant de thèmes susceptibles de parler au plus grand nombre !

Mais ce que j’ai préféré, c’est évidemment la chasse au trésor à laquelle se livrent Émily et James. Le texte est bardé d’énigmes, cryptogrammes et autres messages codés à décrypter — pas de panique, toutes les solutions sont données. La chasse au livre et au trésor est particulièrement prenante, d’autant qu’Émily et James ont affaire à de sérieux opposants, qui ne reculent devant aucun coup bas. J’ai également aimé que celle-ci soit fondée sur l’œuvre d’Edgar Allan Poe, dont la production sert de supports aux indices de la chasse? On en apprend donc pas mal sur la littérature du XIXe siècle, mais aussi sur l’histoire littéraire, qui dissimule elle aussi son lot de petites énigmes et de grandes disputes. Et ça m’a même donné envie de remettre le nez dans les écrits d’Edgar Allan Poe — qui m’a terrifiée au point de m’infliger de longs mois de cauchemars avec son Double assassinat dans la rue Morgue, que je n’ai jamais fini ! Mais pas seulement, car il est aussi question des écrits de Dashiell Hammett, Jack Kerouac et de la Beat Generation : idéal pour en apprendre un peu !

J’ai donc éprouvé une tendresse particulière pour la jeune héroïne de Jennifer Chambliss Bertman : Emily doit faire face à de nombreux problèmes qui touchent les adolescents (mais pas que, car les adultes ont également droit à leurs histoires) : ainsi, il est question au fil des pages de déracinement, de la vie en société, de la découverte d’un nouvel environnement, d’amitié ou de relations familiales. Le tout servi sous couvert d’une passionnante chasse au livre, truffée d’énigmes et d’anecdotes liées à la vie littéraire du XIXe siècle. L’intrigue est dynamique, les personnages attachants et le tout s’est avéré particulièrement prenant. S’il devait y avoir une suite, je ne manquerai pas de la lire !

Chasseurs de livres #1, Jennifer Chambliss Bertram. Traduit de l’anglais par . R. Laffont, février 2017, 429 p.