Il y a très longtemps, il y avait deux hivers : la Grande, avec ses froids polaires et ses blizzards, et la Petite, avec ses glissades joyeuses et ses batailles de boules de neige. Mais depuis que la Petite a disparu, tout est détraqué au village de Brume ! Les adultes sont inquiets, plus personne ne rit aux bonnes farces d’Alfred et, surtout, les trolls passent leur temps à voler des objets, qu’ils emportent à tout jamais dans la taïga. Lorsque l’oncle d’Alfred se porte volontaire pour rapporter les objets volés et qu’il disparait sous ses yeux, avalé par la tempête, c’en est trop : il faut partir à sa recherche, coûte que coûte, braver les dangers de la forêt boréale, et affronter la Grande Hiver…
Une fois n’est pas coutume, j’ai acheté ce roman surtout en raison de la couverture de Tristan Gion que je trouve fabuleuse ! Cerise sur le gâteau : il se trouve que l’intérieur m’a plu tout autant !
Le roman débute par le récit fondateur de la relation des deux sœurs, la Grande et la Petite Hiver. Or, depuis 10 ans, la belle synergie qui les unissait et assurait des hivers réguliers aux habitants a cessé, la Petite Hiver ayant brutalement disparu. La Grande fait souffler sans discontinuer les hivers rigoureux. Mais ce n’est pas le point de départ du récit ! Celui-ci se trouve plutôt dans les farces commises par les trolls, qui volent des objets précieux aux habitants du village où vit Alfred. Trop, c’est trop et les villageois se doivent de faire quelque chose.
Le récit nous entraîne donc dans la bise glacée d’un royaume viking, qui mêle influences scandinaves : on y prie couramment Loki, les sames mènent leurs rennes paître dans la taïga et la forêt est infestée de petits trolls farceurs qui peuvent se transformer en cailloux à la moindre alerte. Le fait que l’intrigue se déroule en hiver ne fait que renforcer cette ambiance. D’ailleurs, plus le récit avance, plus la mythologie nordique et ses légendes particulières s’invitent dans le récit, et viennent en bousculer le fil.
Dans ce décor particulièrement enchanteur, l’intrigue se construit à la fois comme un récit d’aventure et un récit d’apprentissage – Alfred devant apprendre seul à se débrouiller pour retrouver son oncle. Les péripéties sont prenantes et scandent bien le récit, qui se fait tour à tour épique, poétique, émouvant. On se croirait vraiment dans un conte, et c’est une ambiance que j’ai vraiment appréciée. Il y a aussi des pointes d’humour vraiment bienvenues, car Alfred a un esprit farceur qui parfois peut se retourner contre lui, ce qui occasionne de savoureuses situations.
J’ai apprécié de retrouver une certaine diversité dans les personnages et un choix narratif vraiment intéressant. Les trolls, en effet, n’ont pas de genre défini, aussi les pronoms pour les désigner sont-ils le duo ul/uls. Qu’on ne s’inquiète pas : on ne les rencontre pas tant que ça au fil de l’histoire et la démarche est expliquée au début, ce qui facilite grandement la compréhension, y compris pour de jeunes lecteurs – le lectorat cible semblant être les préadolescents. Sous couvert d’un récit très traditionnel, le roman aborde en fait des sujets modernes avec justesse, et une certaine dose de légèreté très bienvenue.
J’ai parlé en intro de la splendide couverture : on retrouve des illustrations (en couleurs !) tout aussi sublimes à l’intérieur, celles-ci venant ponctuer le récit. C’est d’une part très agréable à l’œil, mais cela renforce d’autant l’impression si agréable de lire un conte d’hiver.
Jolan Bertrand et Tristan Gion signent donc un roman jeunesse d’excellente facture : les sublimes illustrations servent un texte accessible, très prenant, qui se fait tantôt poétique, tantôt épique, et qui nous immerge dans une ambiance de conte hivernal particulièrement agréable. On en redemande !
Les sœurs Hiver, Jolan C. Bertrand. Illustré par Tristan Gion. L’École des Loisirs, février 2022, 228 p.
Et avec ceci, je valide la catégorie « Chant de Noël » du Cold Winter Challenge 2022 !