La semeuse d’effroi, Eric Senabre.

Paris, 1926.
Sophie voit son monde s’écrouler. Alors que la jeune orpheline vient d’être recueillie par son parrain, l’adorable Rodolphe, celui-ci est accusé d’un crime et jeté en prison ! Elle a le sentiment d’avoir tout perdu. Tout ? Non. Il lui reste sa soif de vengeance et… une arme « inattendue ». Dotée d’une souplesse qu’elle a travaillée avec sa mère (acrobate à l’Opéra de Pékin), Sophie met son entraînement à profit, court sur les toits, s’introduit partout où elle le peut, dans l’objectif de récolter des informations et d’aider comme elle le peut son parrain. Au fil de ses pérégrinations, elle rencontre la troupe du Grand Guignol, un théâtre spécialisé dans les pièces horrifiques et les effets spéciaux sanguinolents, ce qui ne tarde pas à lui donner des idées.
Bientôt, l’heure de la justice sonnera. Car rien n’arrêtera plus la Semeuse d’Effroi !

Eric Senabre, pour moi, c’est un peu comme David Moitet : une valeur sûre ! Donc j’étais ravie de voir débarquer ce titre dans ma PAL de travail.

Le début de l’histoire nous emmène à Paris, début XXème siècle. Sophie, dont les parents viennent de mourir en Chine (sans doute dans les prémisses de la guerre civile), est recueillie par Rodolphe, son parrain. La jeune fille doit à la fois faire son deuil et s’habituer à son nouveau pays. Pas facile, lorsque la gent parisienne lui rappelle sans cesse qu’elle a des yeux « de bridés » et qu’elle ne fait pas « très française ». Pour ne rien arranger, elle assiste à une altercation durant laquelle son parrain est abreuvé d’insultes antisémites. Bonne ambiance, dans le Paris des années 20, non ? Et ça ne s’arrange pas lorsque Rodolphe est jeté en prison et Sophie expédiée au pensionnat, où elle est rejetée par ses coreligionnaires. On n’en est pas au niveau de La Petite Princesse, mais il s’en est fallu de peu !

« Rolande eut un sourire en coin qui était quasiment un abrégé de perfidie. »

Le récit semble puiser à plusieurs sources qui se marient fort bien. Sophie, d’une part, avec sa cape, son sens de la répartie et sa manie de courir sur les toits, évoque immanquablement Fantômette (qui, de toute façon, est citée dès la dédicace !). Mais le roman d’aventure se teinte de temps en temps de scènes horrifiques parfaitement menées, en témoigne la scène d’introduction – coercition menée par cadavre en pièces interposé. Cette scène d’ouverture, très marquante, fait d’emblée un effet bœuf. Au fil des pages, on comprendra que Sophie emprunte en fait tous les artifices terrifiants qu’elle utilise à la troupe du Grand Guignol – ce qui occasionne une réflexion intéressante tant sur le théâtre, que sur les apparences.
Sophie, d’ailleurs, joue beaucoup sur la sienne, la véritable, comme celle de la Semeuse d’effroi : sous son apparence véritable, on pense voir une frêle jeune fille, sans penser qu’elle boxe admirablement bien ; sous celle de la Semeuse, en revanche, jamais on n’imaginerait une adolescente de quinze ans.

« Et qu’auriez-vous fait si je n’étais pas un vrai policier ?
– Ah ! Je me serais enfuie, pardi !
– Vous pensez courir plus vite que moi ? demanda-t-il, de plus en plus amusé.
– Je n’en sais rien. Mais je grimpe sûrement mieux aux gouttières. Et puis…
– Oui ?
– Rien ne dit que je n’aurais pas pu vous étendre. Vous n’êtes pas un gros gabarit, si je puis me permettre. Méfiez-vous des femmes.
– Ah oui, on m’a déjà dit ça, répliqua-t-il en démarrant. »

L’intrigue se déroule sans temps mort : le jour, Sophie subit ses cours (inintéressants) et le harcèlement de ses petites camarades, la nuit, elle court partout et enquête. La tension est bien présente, car l’enquête n’est pas si aisée, et qu’elle est rythmée par l’épée de Damoclès au-dessus de la tête de Rodolphe (la peine de mort, donc). Heureusement, la tension est souvent allégée par l’humour piquant de Sophie, les réparties dont elle abreuve son entourage. Celui-ci, justement, est bien dépeint et l’auteur a fait attention à donner de la consistance à chacun des personnages qui gravitent autour d’elle.
Entre deux péripéties palpitantes, le récit évoque quelques sujets touchants : il est beaucoup question de relations familiales (avec la famille que l’on subit, celle que l’on se choisit), mais aussi de sujets très en prise avec l’époque dans laquelle se déroule le récit comme le racisme, l’antisémitisme ou encore l’éducation – déplorable – des jeunes filles. Malheureusement, on ne peut pas dire que ces sujets aient tous disparu des radars. Le récit comporte aussi d’intéressantes réflexions sur la double culture : Sophie est sans cesse renvoyée à la part chinoise de son identité par des gens qui fantasment complètement son pays (l’orientalisme n’est pas si loin). Elle rétablit parfois la vérité, fait des comparatifs entre différentes traditions, ou évoque la richesse culturelle de son pays. C’est fait subtilement et à bon escient, donc on ne verse pas dans le fameux orientalisme cité précédemment !

Lerne rejeta la tête en arrière.
– Très bien mademoiselle. Je vous promets que nous examinerons cette piste. En attendant, n…
– Je sais : « ne faites rien qui pourrait vous causer du tort, blah blah blah ». Est-ce que j’ai une tête à écouter les conseils des grandes personnes, monsieur le commissaire ?
– Non. Hélas !

Très bonne pioche, donc, que ce titre d’Eric Senabre ! Le roman d’aventure se pare d’une ambiance horrifique parfaitement amenée, puisque le récit couple les meilleurs moments de Fantômette aux artifices sanguinolents du Grand Guignol. L’intrigue, menée sans coup férir, fait la part belle aux péripéties, comme aux traits d’humour. J’ai passé un excellent moment avec les personnages, et serai ravie de relire un jour les aventures de Sophie.

La semeuse d’effroi, Eric Senabre. Didier Jeunesse, 12 octobre 2022, 288 p.

Le second visage d’Arsène Lupin, Boileau-Narcejac.


Arsène Lupin a légué au Musée du Louvre les trésors de l’Aiguille creuse et a tiré sa révérence. Finis les cambriolages effectués d’une main de maître, les évasions pleines de panache, les billets d’excuse adressées aux victimes… La Griffe a pris le relais et ne fait pas de quartiers : cambriolages avec effraction, enlèvements, brutalité, et meurtres. Arsène Lupin ne peut pas laisser cet individu entacher la profession et semer la terreur. D’autant plus que La Griffe le défie avec insolence. Lupin doit contre-attaquer. Il est certes cambrioleur, mais gentleman avant tout !

En 2019 (je pensais pourtant que c’était l’an dernier !!), j’ai lu avec un immense plaisir La Poudrière, deuxième épisode (sur cinq) du pastiche d’Arsène Lupin écrit par le duo Boileau-Narcejac. Comme j’ai passé un excellent moment, je me suis offert la suite (on verra plus tard pour le tome 1, donc !), avec Le second visage d’Arsène Lupin.

Avant même de commencer, j’étais hyper emballée (déjà par la perspective d’un nouveau pastiche), mais aussi parce que mes deux titres préférés de la série originelle (La double vie d’Arsène Lupin et La femme aux deux sourires) comportent l’idée de dualité dans leur titre. Je me suis donc dit que c’était de bon augure !

Comme dans La Poudrière, Arsène Lupin va endosser son costume d’enquêteur, plutôt que celui de cambrioleur, même si sa vraie nature ne va pas tarder à revenir sur le premier plan de la scène. Car en effet, un autre cambrioleur de génie ose le défier et s’en prendre directement à sa réputation ! Cela mérite de sortir de sa retraite !

L’intrigue se déroule en fait juste après L’Aiguille creuse. Au vu de la fin, Arsène Lupin est tout simplement en train de cuver sa dépression et a complètement raccroché les gants. J’ai trouvé vraiment intéressant que les auteurs se glissent dans les interstices de la chronologie du personnage, et qu’ils exploitent les éléments des romans d’origine. Là, on est face à un Lupin au fond du seau, plus torturé que jamais et, comme dans le tome précédent, parfaitement écrit. Contrairement au tome précédent, il est aussi assez seul : son organisation a été dissoute et il se retrouve quasiment sans appui. Or, dès qu’il se lance dans la bagarre, cela peut jouer en sa défaveur… ce qui ajoute grandement au suspense général de l’intrigue.

Celle-ci reprend les codes que j’apprécie dans les Arsène Lupin : des opposants déterminés, des faux-semblants, des machinations menées de main de maître et des déguisements, beaucoup de déguisements ! D’ailleurs, il y a un côté très amusant quand on songe à la Griffe, qui se grime en Arsène, ce qui fait un peu pastiche dans le pastiche. Donc on est dans un vrai (ou presque !) Arsène Lupin, avec ce que cela comporte de moments de tension, mais avec en plus un petit côté comédie parodique bien agréable.
Comme je le disais un peu plus haut, l’intrigue est particulièrement prenante. J’avais deviné l’identité de l’opposant avant la fin (je pense que j’ai lu trop d’Arsène Lupin, maintenant, cela joue en ma défaveur), mais j’ai quand même passé un excellent moment de lecture avec ce titre. Je suis même carrément déçue de savoir qu’il ne m’en reste plus que trois à lire !

Encore une excellente pioche donc, dans la série de pastiche commise par le duo Boileau-Narcejac. Le style est impeccable et, s’ils se sont parfaitement approprié l’œuvre originelle, ils proposent une intrigue complètement originale, mais aussi particulièrement prenante, qui m’a tenue en haleine (et ce malgré le fait que j’aie deviné la fin). Je suis donc très, très curieuse de lire les trois tomes de la série qu’il me reste à découvrir !

Arsène Lupin : le second visage d’Arsène Lupin, Boileau-Narcejac.
Éditions du Masque, réédition 2013, 217 p.

Arsène Lupin : la poudrière, Boileau-Narcejac.

1912. Alors qu’il sort du théâtre du Châtelet, le prince Sernine, alias Arsène Lupin, sauve la comtesse de Mareuse de deux gaillards mal intentionnés. Bien décidé à nouer contact avec elle, le prince déchante rapidement : la jeune femme lui a donné une fausse adresse et en a profité pour filer à l’anglaise. Voilà qui titille la curiosité du gentleman-cambrioleur. Alors qu’il remonte sa piste, il se fait enlever puis séquestrer par des geôliers parlant difficilement le français. Puis c’est au tour d’un détective privé fraîchement trucidé, et manifestement sur la piste de la comtesse lui aussi, de croiser sa route. Il n’en faut pas plus pour piquer pour de bon la curiosité du prince Sernine, d’autant qu’une jolie jeune femme est concernée. Qui sont exactement les deux groupes impliqués, et que cherchent-ils à obtenir de la comtesse ?

Comme vous le savez peut-être, j’adore la série des Arsène Lupin et ne résiste jamais à la tentation d’un bon pastiche (même si certains sont moins bons que d’autres). Du duo Boileau-Narcejac, je pense avoir lu étant plus jeune un opus de la série Sans Atout, mais cette lecture s’est perdue dans les limbes. La poudrière n’est peut-être pas le meilleur roman pour découvrir leur œuvre littéraire propre, puisqu’il s’agit du pastiche de l’œuvre d’un autre, mais ce qui est certain, c’est que ce roman m’a donné envie d’en savoir plus à leur sujet !

Car Pierre Boileau et Thomas Narcejac se sont parfaitement approprié le style de Maurice Leblanc et les caractéristiques des aventures d’Arsène Lupin. À tel point qu’au cours de ma lecture, j’ai été plusieurs fois surprise d’apercevoir du coin de l’œil leurs noms sur la couverture, tant j’avais l’impression de lire un Lupin de Leblanc !
Cette aventure s’inscrit dans celles où Lupin est plus enquêteur que cambrioleur – elles ne sont pas majoritaires, mais il y en a quelques-unes. Comme souvent dans ces cas-là, l’intrigue est fortement géopolitique. Nous sommes dans les années 1910, et le spectre de la guerre mondiale hante tous les esprits, notamment celui d’Arsène Lupin, dont le patriotisme n’est plus à prouver.
De prime abord, l’intrigue semble très emberlificotée : il y a d’abord cette mystérieuse comtesse après laquelle courent des détectives privés et des étrangers prêts à tuer, un cambriolage violent démenti par voie de presse, une sœur amnésique après une tentative de suicide, la visite d’un prince étranger issu des Balkans et des papiers de la plus haute importance, qui s’avèrent être vierges. Vraiment, on patauge, d’autant qu’on a du mal à comprendre – tout comme Lupin – qui fait exactement quoi là-dedans. Et cela fait partie du charme de l’intrigue : on cogite, on place les pièces du puzzle dans différentes positions, on s’inquiète des actions que mènent les uns et les autres. Le suspense est donc très au rendez-vous.

Et pour soutenir tout cela, Lupin est plus Lupin que jamais : comme souvent, il se parle à lui-même (pour s’invectiver ou se lancer des fleurs), s’appuie sur une organisation dont les ramifications semblent sans limites, réfléchit avec plusieurs coups d’avance, se trompe, dragouille de-ci de-là, fait des filatures, se déguise, ou n’hésite pas aller se battre frontalement avec les ennemis déclarés. On retrouve tous les codes des romans de Lupin, mais savamment dosés, sans avoir l’impression que les auteurs ont essayé de tout balancer en dépit du bon sens. Et ce qui est intéressant ici, c’est que Lupin n’est pas maître des événements. Certes, il s’adapte à merveille ou provoque précisément ce qui l’intéresse, mais c’est un autre personnage qui détient les clefs du mystère, qui ne seront révélées qu’en toute fin de roman. Et c’est diablement bien fait, car les indices sont assez ténus, disséminés, et nous amènent peu à peu à une révélation d’ampleur.

Côté style, comme je le disais en introduction, Pierre Boileau et Thomas Narcejac se sont parfaitement approprié celui de Leblanc et les caractéristiques de son personnage fétiche. Clairement, on s’y croirait, ce qui rend cette lecture d’autant plus délicieuse. Comme Leblanc, lorsque l’intrigue se pare d’une dimension internationale, ils ont intégré à merveille des intérêts géopolitiques européens fictifs et réels, en les liant au contexte historique de l’époque. Et même si une partie de l’intrigue politique relève de la pure fiction, la crédibilité est au rendez-vous. En un mot, j’ai trouvé ça génial.

Excellente pioche donc que ce pastiche d’Arsène Lupin ! J’ai été littéralement embarquée dans ma lecture et conquise par la reprise faite par le duo Boileau-Narcejac. Ce qui m’a donné très envie de lire leurs autres pastiches, mais aussi leur œuvre originale !

Arsène Lupin : la poudrière, Pierre Boileau et Thomas Narcejac.
Éditions du Masque, 2013 (1987 pour l’original), 2019 p.

813, Maurice Leblanc.

Quelle mystérieuse entreprise amène à Paris Rudolf Kesselbach, le richissime et ambitieux roi du diamant sud-africain ? Que signifie ce nombre, 813, inscrit sur un coffret en sa possession ? De quel secret le nommé Pierre Leduc, qu’il recherche dans les bas-fonds de la capitale, est-il le détenteur ? Telles sont quelques-unes des questions autour desquelles s’affrontent la police – en l’occurrence un certain Lenormand, chef de la Sûreté –, l’impitoyable baron Altenheim et le gentleman-cambrioleur Arsène Lupin. Or, pour la première fois, Arsène Lupin commet l’irréparable, Arsène Lupin est coupable de meurtre ! À moins que… quelqu’un ne cherche à lui faire porter le chapeau ? En ce cas qui ? Et pourquoi ?

En ce début d’année, j’ai eu envie de me replonger dans les aventures d’Arsène Lupin, pour lesquelles j’entretiens un – gros – faible. Je me rappelais fort bien que 813 était de mes favorites, sans bien me rappeler pourquoi. Bref : le choix a donc été vite vu ! Et me voici replongée dans ce roman en deux parties, respectivement intitulées Les trois crimes d’Arsène Lupin et La double vie d’Arsène Lupin (lues dans une intégrale, donc chroniquées sous la même forme).

Dès le premier chapitre, Maurice Leblanc instaure un climat de malaise : Rudolf Kesselbach se sent épié, traqué et ne sait mettre de mots sur cette indéfinissable angoisse. Qu’il ne simule pas, puisqu’il ne tarde pas à passer l’arme à gauche, de bien mystérieuse façon. S’engage alors une enquête de police qui, déjà, met au jour des indices des plus étranges – parmi lesquels le fameux nombre 813, qui nous tiendra en haleine quasiment jusqu’à la fin.
Et Lupin ? Eh bien Lupin commence fort ! S’il fait peu œuvre de cambriole dans cette première partie, les lecteurs les plus assidus le détecteront bien vite sous une de ses identités d’emprunt !

Contrairement aux autres aventures du gentleman-détrousseur (du moins celles que j’ai lues, et je dois admettre qu’il m’en manque encore quelques-unes), celle-ci est abordée sur un ton résolument sombre. D’une part car, dès le départ, il est question de meurtres, évidemment. Mais le roman touche aussi aux intérêts nationaux de la France : il est beaucoup question de l’Alsace-Lorraine et de la situation pas franchement tendue, mais pas franchement sereine non plus avec la voisine allemande à l’époque (le récit se déroulant juste avant la Première Guerre mondiale, et faisant fortement écho à la guerre de 1870). Dans le même temps, l’action est plus étirée qu’à l’accoutumée : on est plus dans la réflexion, dans la recherche que dans les péripéties échevelées, ce qui donne au roman un rythme nettement plus calme que ce à quoi on est habitués avec Lupin. En plus de cela, l’antagoniste reste très mystérieux jusqu’aux derniers chapitres, faisant planer un air de danger imminent sur le récit. Tout cela donne au roman de faux airs de roman d’espionnage pas désagréables du tout.
Et ce qui contribue sans doute à cette impression (tant de calme que d’espionnage), c’est que Lupin n’est pas totalement libre de ses mouvements – puisqu’il passe une grande partie de l’intrigue dans ses appartements de Santé-Palace. La prison, oui, elle-même. Si vous êtes adepte des romans policier hyper rythmés, pas de panique : les dialogues sont savoureux, les stratagèmes de Lupin également et on n’a absolument pas le temps de s’ennuyer.

L’autre point qui, je trouve, distingue 813 des autres romans de la série, est le caractère de l’ami Arsène. Arrêtez-moi si je me trompe, mais il ne me semble pas se montrer aussi imbuvable dans les autres aventures. Certes, on le connaît manipulateur et assez orgueilleux mais là, il faut dire qu’il atteint clairement le summum. Lui qui est habituellement si cabotin se fait ici très sombre, voire un brin inquiétant par moments. Rassurez-vous, ses piques et son caractère audacieux sont toujours bien présents, heureusement, et il faut lui reconnaître qu’il s’amende un peu sur la fin.
Tout cela s’explique peut-être par la présence d’un ennemi aussi invisible qu’implacable. Et il ne s’agit pas d’Herlock Sholmès, grand absent de cette intrigue : si le détective est bien mentionné à plusieurs reprises, on ne le croise pas une seule fois – et il ne nous inquiète pas non plus. En revanche, l’opposant principal se révèle parfaitement insaisissable, mystérieux, prêt à tout, en deux mots : parfaitement flippant. De plus, j’ai parlé rapidement de la dimension internationale du récit, mais c’est encore plus flagrant dans la seconde partie, où le patriotisme de Lupin revient au galop (si tant est qu’il avait un jour disparu). Au passage, ce volume est parfait pour réviser ses notions d’histoire et de géographie de l’Europe du début du XXe siècle (même s’ils sembleraient que les Grands-Ducs Hermann soient pure fiction).

Du côté de l’enquête, je dois dire que j’ai été servie. Certes, j’avais totalement oublié les différents ressorts de l’intrigue et la résolution du principal mystère. C’est donc presque comme une nouvelle découverte que j’ai attaqué ma relecture et, comme la première fois (il me semble), j’ai sagement attendu de voir révélés les secrets (à part des détails mineurs que j’avais bien retenus, sans me l’expliquer). Et je dois encore une fois saluer le génie de Maurice Leblanc pour les petites trouvailles, les détails de prime abord insignifiants qui s’avèrent capitaux, les différents codes à résoudre. J’en viens à regretter que ce monsieur n’ait pas conçu des escape-games, je suis certaine qu’il aurait été sensationnel !

Même après relecture, 813 reste une des aventures d’Arsène Lupin que je préfère, pour sa complexité, et pour l’heureux mélange qu’elle propose entre espionnage, enquête et lupinades audacieuses. L’intrigue est bien menée et Maurice Leblanc parvient à garder certains mystères quasi intacts jusqu’à la fin, tout en donnant régulièrement quelques indices (minces) pour les résoudre. Suspense garanti, donc ! Bien que le récit et le personnage soient plus sombres qu’à l’accoutumé, on retrouve avec plaisir les cabotinages d’Arsène, ses grands plans géniaux et son sens de la répartie. En bref : que des bonnes choses !

813, Maurice Leblanc. 1910. Réédition R. Laffont (Bouquins).

 

Il y a plein d’autres lectures lupinesques sur le challenge illimité orchestré par Mypianocanta !

La longue marche des dindes, Kathleen Karr.

Plus personne ne peut vous dire comment les bons élèves de cette école de campagne du Missouri ont occupé leurs vacances d’été 1860. Non. Le seul qui soit resté dans l’Histoire, c’est Simon Green, le cancre, celui qui avait quadruplé son CE1. Cette année-là, les dindes avaient pondu comme des lapins. Beaucoup trop. Valaient des clopinettes. Cette année-là, à Denver, à mille kilomètres d’ici, on bâtissait à tour de bras, et rien à se mettre sous la dent. Là-bas, ils étaient prêts à payer une dinde cinq dollars. C’est bien simple, Simon, à peine sorti de l’école, il a fait ses comptes. A emprunté toutes ses économies à l’institutrice. A acheté mille dindes. A embauché comme charretier Bidwell Peece, le plus grand ivrogne du pays devant l’Éternel. Et s’est juré de faire fortune à la fin de l’été. L’oncle Lucas lui a fourgué en héritage son chariot le plus pourri. Et vogue la galère ! Ils n’étaient pas nombreux, ceux qui auraient parié sur un attelage pareil : l’ex-ivrogne repenti, le cancre indécrottable et les mille dindes réclamant chacune ses cinq litres d’eau par jour. D’autant que, très vite, ils ont été rejoints par Jabeth, un esclave noir en cavale qui rêvait du pays de la liberté. Et comme si ça ne suffisait pas, des types à dos de chameau se sont mis à les poursuivre. Parole, à dos de chameau ! Avec des fusils partout. Et les Indiens Potawatomis et leur chef John Prairie d’hiver les ont arrêtés sur leur territoire sacré. Et il y a eu aussi la fille qui piquait sa crise de nerfs dans la prairie maudite, et la cavalerie qui n’avait pas cavalé depuis si longtemps qu’elle prétendait faire un carton sur les dindes, et… Enfin, de quoi créer des liens entre Simon, l’orphelin, Bidwell, le vieil ivrogne bon à rien, et Jabeth, l’esclave en fuite. Et faire d’eux des héros inoubliables. Au point de vous donner furieusement envie d’être cancre, dans le Missouri, en 1860.

Kathleen Karr a marqué ma vie de lectrice ; j’ai découvert avec un immense plaisir La Caverne lorsque j’étais au collège et je m’en souviens encore — d’ailleurs je vous en parlais pour mon premier Ray’s Day. Donc, l’an passé (oui, car cette chronique traîne en brouillon depuis des lustres), lorsque j’ai vu passer ce roman jeunesse, il m’a été difficile de résister — et bien que le texte ait été écrit dans les années 1990, il n’a pas pris une ride !

Dès les premières lignes, on plonge dans un Far West parfaitement remis en scène, jusque dans l’accent des personnages. Nous suivons les traces de Simon, qui passe pour l’idiot du village — et entre nous soit dit, il peut se montrer gentiment benêt. Pourtant, le jeune homme a d’indéniables talents poétiques et… mathématiques !
Simon est un personnage extrêmement touchant, souvent terre-à-terre, mais avec des fulgurances incroyables. Et qui sont d’autant plus percutantes que les autres personnages les prennent, généralement, pour purs traits de sa légendaire bêtise — avant de s’apercevoir que c’est plutôt l’expression de son génie !

Ces fulgurances ponctuent une route pour le moins éprouvante. Car dans le Far West de 1860, on peut vivre mille aventures en autant de kilomètres et c’est presque ce qui arrive à Simon et à ses acolytes. Attaque d’indiens, esclavagistes en goguette et esclave en fuite, véritable troupe de cirque, escrocs en tous genres, pionniers à la dérive et famille acharnée, on est servis !
Les péripéties s’enchaînent à bon train, tout en ménageant un rythme équilibré à l’intrigue. Celle-ci n’est ni survoltée, ni trop indolente ; Kathleen Karr a trouvé un parfait dosage entre les différents éléments, ce qui rend la lecture absolument palpitante. Le vocabulaire, de son côté, est très accessible dans la narration, mais parfois un peu plus ardu dans les dialogues, lorsque les personnages dévoilent leur plus bel argot.
Au fil des pages, c’est un extraordinaire portrait sur le vif des États-Unis qui se dévoile. Si l’actualité économique n’est là qu’en toile de fond à l’aventure, des réflexions plus profondes sur la famille, l’amitié, l’esclavage ou le vivre-ensemble traversent les pages. Là encore, Simon aborde tout cela avec un mélange d’ingénuité et de sagacité qui fait vraiment plaisir à voir. D’autant que les autres personnages ne sont pas en reste et font preuve, eux aussi, d’une belle présence d’esprit. Surtout, et malgré les sujets parfois difficiles, le roman est extrêmement drôle ! Que l’on parle du décalage entre le ton très policé de John Prairie d’Hiver et les clichés sur les Indiens sanguinaires, ou le pragmatisme avec lequel Simon accueille un jeune esclave en fuite qui s’attend à être lynché, les dialogues sont toujours très savoureux.
Cela vient sans aucun doute du fait que les personnages sont vraiment bien étudiés. Évidemment, on s’en doute dès le départ, aucun d’eux n’est vraiment ce qu’il semble être : Bidwell Peece n’est pas qu’un ivrogne bon à rien, de même que Simon n’est pas bête à manger du foin. C’est sans doute le fait que les personnages partent de très très loin qui les rend si attachants, et qui fait de ce texte un roman d’aventure si prenant !

Si vous cherchez un bon roman d’aventure jeunesse (lisible dès 10 ans, en plus), arrêtez-vous : La longue marche des dindes est exactement ce qu’il vous faut. Kathleen Karr y ressuscite un Far-West haut en couleurs, encore pétri de préjugés racistes ou de classes, et sillonné par de véritables canailles (cachées sous des défroques d’escroc… ou institutionnelles). C’est un western avec tout ce qu’il faut dedans, de l’attaque des Indiens à l’arrivée de la cavalerie, avec le passage du cirque en prime. Et qui a, avec ça, le bon goût d’être prenant, drôle et intelligent !

 

La longue marche des dindes, Kathleen Karr. Traduit de l’anglais par Hélène Misserly.
L’École des Loisirs, 2018 (réédition), 251 p.

 

Chasseurs de livres #1, Jennifer Chambliss Bertman.

Un livre caché. Un message codé. La chasse peut commencer.
Émily est une passionnée de la Chasse aux livres, un jeu créé par son idole, le célèbre éditeur californien Garrison Griswold. Il s’agit de décrypter des messages codés pour trouver l’emplacement de livres cachés !
Mais lorsqu’elle emménage avec ses parents à San Francisco, patrie de la Chasse aux livres, elle est choquée d’apprendre que M. Griswold a été agressé alors même qu’il allait lancer une nouvelle quête livresque d’une ampleur inédite.
À elle et à ses amis de jouer !

Chasseurs de livres est un peu le mélange parfait pour les amateurs de lecture et de chasse au trésor : en effet, Émily est accro à Book Scavenger, un site qui répertorie des livres voyageurs que l’on ne peut trouver qu’en résolvant les énigmes laissées par ceux qui ont caché les livres. Vous, je ne sais pas, mais moi ça me vend du rêve.
De temps en temps, le créateur du jeu, Garrison Griswold, organise un jeu spécial dans sa ville, San Francisco. Ce qui est la seule raison pour laquelle Émily est, cette fois, contente de déménager — ses parents ayant en effet décidé d’avoir une maison dans chaque état des États-Unis, ils déménagent tous les ans, au grand dam de la jeune fille qui ne peut se lier d’amitié avec personne.

Jennifer Chambliss Bertman nous dresse le portrait d’une jeune fille solitaire, qui n’ose pas se lier avec les autres en raison de ses constants déménagements. En quelques pages, elle nous croque un portrait particulièrement touchant. Et l’intrigue de fond démarre rapidement, Émily mettant assez vite la main sur ce qu’elle pense être le départ du nouveau jeu issu du génial cerveau de Garrison Griswold. Et ce qui est palpitant, c’est que l’histoire démarre sur les chapeaux de roue, et à tous les niveaux : Émily se lance à fond dans sa quête mais, en même temps, rencontre son voisin James, lui aussi fan des crytpogrammes et avec qui elle se lie rapidement d’amitié. Parallèlement, elle doit faire face au gouffre qui se creuse entre elle et son frère, leurs goûts changeant avec l’adolescence. Tout en gérant sa propre adolescence, son arrivée dans une énième nouvelle école inconnue et une nouvelle maison !
Ainsi, sous des dehors de roman d’aventure dynamique — ce qu’il est indéniablement ! — le roman évoque des sujets de société comme le déracinement, l’amitié, les relations familiales, l’angoisse d’une nouvelle école où l’on ne connaît personne, ou la crainte de ne pas être adoubé par la majorité. Autant de thèmes susceptibles de parler au plus grand nombre !

Mais ce que j’ai préféré, c’est évidemment la chasse au trésor à laquelle se livrent Émily et James. Le texte est bardé d’énigmes, cryptogrammes et autres messages codés à décrypter — pas de panique, toutes les solutions sont données. La chasse au livre et au trésor est particulièrement prenante, d’autant qu’Émily et James ont affaire à de sérieux opposants, qui ne reculent devant aucun coup bas. J’ai également aimé que celle-ci soit fondée sur l’œuvre d’Edgar Allan Poe, dont la production sert de supports aux indices de la chasse? On en apprend donc pas mal sur la littérature du XIXe siècle, mais aussi sur l’histoire littéraire, qui dissimule elle aussi son lot de petites énigmes et de grandes disputes. Et ça m’a même donné envie de remettre le nez dans les écrits d’Edgar Allan Poe — qui m’a terrifiée au point de m’infliger de longs mois de cauchemars avec son Double assassinat dans la rue Morgue, que je n’ai jamais fini ! Mais pas seulement, car il est aussi question des écrits de Dashiell Hammett, Jack Kerouac et de la Beat Generation : idéal pour en apprendre un peu !

J’ai donc éprouvé une tendresse particulière pour la jeune héroïne de Jennifer Chambliss Bertman : Emily doit faire face à de nombreux problèmes qui touchent les adolescents (mais pas que, car les adultes ont également droit à leurs histoires) : ainsi, il est question au fil des pages de déracinement, de la vie en société, de la découverte d’un nouvel environnement, d’amitié ou de relations familiales. Le tout servi sous couvert d’une passionnante chasse au livre, truffée d’énigmes et d’anecdotes liées à la vie littéraire du XIXe siècle. L’intrigue est dynamique, les personnages attachants et le tout s’est avéré particulièrement prenant. S’il devait y avoir une suite, je ne manquerai pas de la lire !

Chasseurs de livres #1, Jennifer Chambliss Bertram. Traduit de l’anglais par . R. Laffont, février 2017, 429 p.

Louis Pasteur contre les loups-garous, Flore Vesco.

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Paris, 1840. Louis Pasteur a 19 ans et il entre comme boursier à l’institution royale Saint-Louis pour suivre des études scientifiques. L’année scolaire sera loin d’être de tout repos. Certaines nuits, une mystérieuse menace rode dans les couloirs du pensionnat, mettant en danger étudiants et professeurs. Décidé à mener l’enquête, Louis fait équipe avec une lycéenne de l’école d’en face. Sous ses airs de jeune fille modèle, Constance se révèle une alliée intrépide et courageuse.
Entre loups-garous et complots, ils useront de vaccins autant que de coups d’épée pour sauver les élèves et même… le roi Louis-Philippe !

Louis Pasteur, fraîchement débarqué de sa campagne jurassienne, découvre les joies de la vie parisienne à l’Institution Saint-Louis, en tant qu’élève – boursier ! – de première année en sciences. De l’autre côté de la cour, l’établissement accueille quelques lycéennes qui font des études « longues » – jusqu’au baccalauréat – où on leur dispense cours de danse, de maintien, de broderie… on en passe et des meilleures.
Louis, donc, découvre avec curiosité et stupéfaction le snobisme parisien, un sexisme revendiqué, des professeurs plus en recherche de gloire personnelle que soucieux d’instruire les élèves, mais aussi… la gent féminine !

Flore Vesco ouvre chaque chapitre par sa composition chimique, laquelle reprend une partie des éléments chimiques qu’utilisera Louis au cours du récit ainsi que des éléments d’intrigue (disparition, duel d’escrime ou encore élevage de poules dans les combles). Cela crée un effet d’attente fort efficace car on se demande dans quelle mesure et comment vont apparaître les éléments cités. D’ailleurs, la façon dont tout cela s’articule est souvent assez drôle et inattendue !

Dès le départ, on plonge dans un récit d’aventures qui mêle agréablement histoire (notamment des sciences) et fantasy. Car Louis débarque plein d’idées et d’intuitions dans sa nouvelle école et va se dépêcher des les mettre en œuvre : de ce côté-là, on est servis, car Flore Vesco retrace le brillant et juvénile parcours scientifique du jeune homme. D’autre part, le mystère se pare des atours de la fantasy dès le chapitre 2, lorsqu’on commence à soupçonner la nature de la bête qui rôde dans les couloirs, laquelle a tout à voir avec celle du Gévaudan !
Au fil des pages, on revisite donc l’Histoire, sauce fantasy, dans un univers que l’on met peu de temps à apprivoiser : de sombres créatures rôdent, souvent dues aux humains et des sociétés secrètes s’affrontent pour les cantonner aux ténèbres ou tout simplement pour les éradiquer. D’ailleurs, et on ne peut que s’en réjouir, la suite des aventures de ces secrets sociétaires est déjà annoncée !

L’histoire est diablement prenante car le style de Flore Vesco est vif, enlevé et enjoué : usant d’un vocabulaire recherché et varié, elle nous entraîne à la suite de ses héros pour des aventures échevelées et pleines de suspens. Car si l’on soupçonne assez vite ce dont il est question, il faut toute la durée du roman aux personnages pour révéler l’ampleur du complot et toutes ses subtilités. Et c’est loin d’être simple, ce qui participe aussi du charme de l’histoire. D’ailleurs, dès que j’arrêtais de lire, je passais mon temps à espérer pouvoir reprendre ma lecture, tellement j’étais dedans !

Mais cela tient aussi et surtout aux personnages mis en scène, notamment à notre duo phare. Louis et Constance sont deux jeunes justiciers que l’on suit sans aucune difficulté tant ils sont attachants. Tous deux font montre d’une intelligence et d’une logique redoutables, leur permettant d’éliminer, l’un après les autres, les obstacles qui parsèment leurs routes. Et ce qui est bien, c’est que l’histoire mêle à la fantasy des histoires typiquement adolescentes. Un jeune homme poursuit donc de ses assiduités Constance – qui s’en passerait bien – et Louis, de son côté, découvre que la gent féminine peut ne pas être seulement purement décorative. En se mettant en duo, ils se découvrent également des compétences complémentaires : si notre jeune scientifique combat le mal à coup de formules chimiques et tubes à essai soigneusement mitonnés, Constance, elle, défend leurs intérêts à grands coups de fleuret, une arme pour laquelle elle s’est découvert une soudaine et brillante prédilection : une répartition des rôles vraiment intéressante et pas si courante – le plus bourrin des deux n’étant pas nécessairement celui auquel on pense spontanément !

Un duo de jeunes enquêteurs audacieux et attachants, une intrigue palpitante qui revisite Histoire, histoire des sciences et légendes du Gévaudan, un style enlevé et riche, une dose d’humour bienvenue, voilà les excellents ingrédients du roman de Flore Vesco – dont j’attends, il va sans dire très impatiemment, la suite annoncée !

Louis Pasteur contre les loups-garous, Flore Vesco.
Didier jeunesse, septembre 2016, 212 p. 

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L’Assassin qui rêvait d’une place au paradis, Jonas Jonasson.

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Après trente ans de prison, Johan Andersson, alias Dédé le Meurtrier, est enfin libre. Mais ses vieux démons le rattrapent vite : il s’associe à Per Persson, réceptionniste sans le sou, et à Johanna Kjellander, pasteur défroqué, pour monter une agence de châtiments corporels. Des criminels ont besoin d’un homme de main ? Dédé accourt ! Per et Johanna, eux, amassent les billets. Alors, le jour où Dédé découvre la Bible et renonce à la violence, ses deux acolytes décident de prendre les choses en main et de le détourner du droit chemin…

Il semblerait que l’adage selon lequel les plaisanteries les plus courtes soient les meilleures prenne ici tout son sens. Autant j’avais adoré Le Vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire et se fit la malle, autant cet opus-ci m’a laissée de marbre.
Ceci étant dit, il faut reconnaître à l’auteur son aisance marquée dans le style du polar burlesque. Ce qui blesse, c’est finalement la désagréable impression de ne lire que du réchauffé.
De fait, l’histoire est loin d’être originale vu que le même schéma se répète sans arrêt (mise en place d’une arnaque, découverte du pot-aux-roses, échappée-belle et reprise à zéro ailleurs et sous une forme sensiblement différente). Une fois, passe encore, deux, cela commence déjà à faire trop…

À cette intrigue assez peu consistante vient s’ajouter un style pauvre et des répliques manquant vraiment de mordant : le roman n’est donc ni cocasse, ni prenant.
On pourrait espérer se consoler avec les personnages mais, là encore, on fait chou blanc. Le trio n’est pourtant pas inintéressant : l’auteur y oppose le dégoût blasé pour le monde entier que ressentent Per et Johanna (et qui préside à leurs multiples arnaques) à la bêtise crasse et souvent comique d’un Dédé plus que naïf. Hormis cela… rien. Les personnages sont réduits à leurs seules fonctions, ce qui n’est guère passionnant. Du côté des personnages secondaires, pas mieux, car les opposants sont rapidement interchangeables.

Bref, on peut donc dire que la sauce n’a pas pris avec ce nouveau roman de Jonas Jonasson, qui s’avère assez décevant.  

L’Assassin qui rêvait d’une place au paradis, Jonas Jonasson. Traduit du suédois par Laurence Mennerich.  Presses de la Cité, 2016, 381 p.

Les Nouvelles aventures d’Arsène Lupin #1, Les Héritiers, Benoît Abtey & Pierre Deschodt.

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Qui est-il? D’où vient-il? Nul ne le sait. Arsène Lupin est partout mais personne ne connaît son véritable visage. Il est le plus célèbre malfaiteur de son temps, le plus distingué aussi. Seulement, on ne s’en prend pas aux puissants de la terre sans subir leur colère…
En 1897, au lendemain de l’incendie du Bazar de la Charité – temple de la bonne société parisienne – Lupin disparaît. On le rend responsable du drame. Athéna, surtout, l’amour de sa vie, meurt dans le brasier. Plus rien, désormais, ne compte à ses yeux.
Dix ans plus tard, un scandale éclate et le ressuscite. Lupin, changé en monstre, serait-il passé à l’ennemi? Un quotidien, le Patriote, l’accuse d’avoir dérobé des secrets militaires pour les vendre à l’Allemagne ! La guerre est imminente.
Lupin va-t-il enfin sortir de son silence?

Si vous êtes familiers de ce blog, vous savez qu’Arsène Lupin est un des rares personnages à être entré dans mon Panthéon personnel. Aussi un pastiche le mettant en scène ne pouvait-il que m’interpeller !

Une chose est sûre, Benoît Abtey et Pierre Deschodt maîtrisent leur sujet et s’y connaissent en lupineries. Tout y est ! On trouve dans cette nouvelle aventure un contexte géopolitique à la mesure des aventures de notre gentleman-cambrioleur préféré : la guerre est proche, les nations s’entre-déchirent et le climat social n’est guère au beau fixe. De plus, les auteurs investissent quelques faits divers qui ont fait les gros titres à l’époque, comme l’incendie du Bazar de la Charité (dont Gaëlle Nohant a tiré un fabuleux roman, La Part des flammes, soit dit en passant), en y plaçant judicieusement Lupin et ses relations.
Les péripéties sont nombreuses et variées : on a à peine le temps de souffler et le roman est, de ce point de vue, extrêmement divertissant.

Malheureusement, il y en a un peu trop pour être honnête. Les auteurs ont repris tous les codes des romans de Lupin et les ont tous réutilisés : Lupin disparaît, semble mourir mais renaît toujours de ses cendres, se coule dans les déguisements les plus improbables, usurpe des identités, manigance, parvient à ses fins et rencontre – bien sûr – des ennemis coriaces avec de solides raisons de lui en vouloir. L’ennui, c’est que les auteurs abusent de ces stratagèmes alambiqués et grand spectacle. Qu’on en ait un, voire deux par roman, pourquoi pas. Au-delà, cela devient franchement lassant et tue le suspens dans l’œuf. On ne s’inquiète donc guère pour l’ami Arsène, qui bénéficie ici d’une chance insolente et s’en sort toujours haut la main.
L’épilogue m’a, par ailleurs, laissée dubitative. Soit j’ai décroché pour les raisons citées ci-dessus et loupé une étape, soit les auteurs font intervenir un personnage bel et bien décédé depuis longtemps, sans aucune cohérence ni raison valable. Les dernières pages m’ont donc laissée franchement perplexe.

Malgré tout, j’ai passé un moment plutôt sympa car, comme je l’ai dit en ouverture, les auteurs savent s’y prendre et proposent, dans l’ensemble une bonne aventure d’Arsène Lupin, avec tous les ingrédients qu’il faut pour contenter le lecteur – suffisamment pour me donner envie de tenter une autre potentielle aventure de Lupin sous la plume de Benoît Abtey et Pierre Deschodt, malgré ce qui m’a chagrinée dans celle-ci. 

Les Nouvelles aventures d’Arsène Lupin #1, Les Héritiers, Benoît Abtey & Pierre Deschodt.
XO Éditions, mars 2016, 351 p.

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Le Retour de Zita ; Zita, la fille de l’espace #3, Ben Hatke.

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Zita a déjà sauvé des planètes, parcouru la galaxie, a triomphé de monstres… Mais dans ce tome 3 elle va affronter son plus grand défi. Prisonnière sur une planète-bagne, Zita devra redoubler d’audace et d’ingéniosité pour réussir à s’échapper de ce lieu infernal, dirigé par le Maître des Oubliettes, un triste sire aux ambitions de conquête interstellaire… D’autant que cette fois, c’est la Terre qui est l’objet de ses convoitises ! Heureusement qu’un mystérieux justicier masqué semble décidé à aider Zita… Comment rejoindra-t-elle sa bande d’amis ? Retrouvera-t-elle enfin le chemin de la Terre ?

Troisième (et dernière ?) aventure de Zita, la fille de l’espace. Après avoir sauvé Scriptorius, être devenue une star interplanétaire, s’être fait voler son identité, Zita est devenue une hors-la-loi. Direction, la prison. Inutile, donc, de préciser que le début de ce troisième volume est nettement moins marrant que les précédents. Malgré sa persévérance, Zita ne parvient pas à quitter sa geôle. C’en est désespérant et on craint pour la jeune fille.

Heureusement, sa combativité n’a pas complètement disparu… et ses amis non plus. Ben Hatke propose à nouveau une intrigue extrêmement riche en péripéties, sentiments et retournements de situation in extremis. Ce tome 3 réunit tous les personnages croisés jusque-là : Pipeau, Madrigall, Mulot, Gros Costaud, Glissando, N°1, N°4 et Joseph ! Côté opposants, on franchit encore un cran par rapport à ceux qu’on avait jusque-là : ce n’est pas pour rien que ce tome est bien plus sombre que les précédents.

Comme dans les deux premiers tomes, le comics laisse la part belle aux dessins : c’est une série idéale pour les jeunes lecteurs, non seulement parce qu’elle s’adresse à eux, mais aussi parce que le texte n’est pas trop imposant – ça ne fait donc pas peur. De plus, le style est léger et plein d’humour, y compris dans les situations les plus dramatiques : en témoignent les compagnons de geôle de Zita, un tas de chiffon et un squelette parlants, qui permettent de dédramatiser la situation catastrophique.

Ben Hatke reste fidèle à ce qu’il a mis en avant jusque-là : cette dernière aventure de Zita est, à nouveau, une riche aventure humaine, qui met en avant l’amitié, l’entraide et la persévérance. Que demander de plus ?
Il se paye même le luxe de nous offrir une fausse fin, dynamitée par la conclusion ouverte, un véritable appel au rêve et à l’aventure : une fin parfaite, à l’image de l’ensemble de la série – et qui laisse un peu d’espoir pour une suite potentielle, rêvons un peu.

En commençant Zita, la fille de l’espace, je m’attendais à un comics jeunesse mignon et j’y ai trouvé bien plus que cela : c’est mignon, certes, mais c’est aussi et surtout une aventure riche en réflexion et souvent émouvante, qui plaira sans aucun doute aux jeunes lecteurs (d’autant que le texte n’est pas omniprésent), mais aussi aux lecteurs plus âgés. Ce dernier tome, un peu plus sombre que les précédents, vient conclure une série dynamique, originale, inventive, qui réussit en outre à être intelligente, souvent drôle et émouvante. Qu’attendez-vous pour la lire ?

◊ Dans la même série : Zita, la fille de l’espace (1) ; La légende de Zita (2) ;

Zita, la fille de l’espace #3, Le Retour de Zita, Ben Hatke. Traduit de l’anglais par Basile Bèguerie. Rue de Sèvres, 2014, 235 p.

 

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