Les sœurs Hiver, Jolan C. Bertrand.

Il y a très longtemps, il y avait deux hivers : la Grande, avec ses froids polaires et ses blizzards, et la Petite, avec ses glissades joyeuses et ses batailles de boules de neige. Mais depuis que la Petite a disparu, tout est détraqué au village de Brume ! Les adultes sont inquiets, plus personne ne rit aux bonnes farces d’Alfred et, surtout, les trolls passent leur temps à voler des objets, qu’ils emportent à tout jamais dans la taïga. Lorsque l’oncle d’Alfred se porte volontaire pour rapporter les objets volés et qu’il disparait sous ses yeux, avalé par la tempête, c’en est trop : il faut partir à sa recherche, coûte que coûte, braver les dangers de la forêt boréale, et affronter la Grande Hiver…

Une fois n’est pas coutume, j’ai acheté ce roman surtout en raison de la couverture de Tristan Gion que je trouve fabuleuse ! Cerise sur le gâteau : il se trouve que l’intérieur m’a plu tout autant !

Le roman débute par le récit fondateur de la relation des deux sœurs, la Grande et la Petite Hiver. Or, depuis 10 ans, la belle synergie qui les unissait et assurait des hivers réguliers aux habitants a cessé, la Petite Hiver ayant brutalement disparu. La Grande fait souffler sans discontinuer les hivers rigoureux. Mais ce n’est pas le point de départ du récit ! Celui-ci se trouve plutôt dans les farces commises par les trolls, qui volent des objets précieux aux habitants du village où vit Alfred. Trop, c’est trop et les villageois se doivent de faire quelque chose.

Le récit nous entraîne donc dans la bise glacée d’un royaume viking, qui mêle influences scandinaves : on y prie couramment Loki, les sames mènent leurs rennes paître dans la taïga et la forêt est infestée de petits trolls farceurs qui peuvent se transformer en cailloux à la moindre alerte. Le fait que l’intrigue se déroule en hiver ne fait que renforcer cette ambiance. D’ailleurs, plus le récit avance, plus la mythologie nordique et ses légendes particulières s’invitent dans le récit, et viennent en bousculer le fil.
Dans ce décor particulièrement enchanteur, l’intrigue se construit à la fois comme un récit d’aventure et un récit d’apprentissage – Alfred devant apprendre seul à se débrouiller pour retrouver son oncle. Les péripéties sont prenantes et scandent bien le récit, qui se fait tour à tour épique, poétique, émouvant. On se croirait vraiment dans un conte, et c’est une ambiance que j’ai vraiment appréciée. Il y a aussi des pointes d’humour vraiment bienvenues, car Alfred a un esprit farceur qui parfois peut se retourner contre lui, ce qui occasionne de savoureuses situations.

J’ai apprécié de retrouver une certaine diversité dans les personnages et un choix narratif vraiment intéressant. Les trolls, en effet, n’ont pas de genre défini, aussi les pronoms pour les désigner sont-ils le duo ul/uls. Qu’on ne s’inquiète pas : on ne les rencontre pas tant que ça au fil de l’histoire et la démarche est expliquée au début, ce qui facilite grandement la compréhension, y compris pour de jeunes lecteurs – le lectorat cible semblant être les préadolescents. Sous couvert d’un récit très traditionnel, le roman aborde en fait des sujets modernes avec justesse, et une certaine dose de légèreté très bienvenue.

J’ai parlé en intro de la splendide couverture : on retrouve des illustrations (en couleurs !) tout aussi sublimes à l’intérieur, celles-ci venant ponctuer le récit. C’est d’une part très agréable à l’œil, mais cela renforce d’autant l’impression si agréable de lire un conte d’hiver.

Jolan Bertrand et Tristan Gion signent donc un roman jeunesse d’excellente facture : les sublimes illustrations servent un texte accessible, très prenant, qui se fait tantôt poétique, tantôt épique, et qui nous immerge dans une ambiance de conte hivernal particulièrement agréable. On en redemande !

Les sœurs Hiver, Jolan C. Bertrand. Illustré par Tristan Gion. L’École des Loisirs, février 2022, 228 p.

Et avec ceci, je valide la catégorie « Chant de Noël » du Cold Winter Challenge 2022 !

Une couronne d’os et d’épines, Emily Norsken.

Bien au Nord, sur le royaume de Cnàimh, les Dieux, les Anciens et les Os veillent. Le souvenir du roi Teodor dit le Boucher hante toujours ses habitants. Pour survivre aux hivers glacials du dieu Wyrn, ces terres doivent rétablir les alliances défaites sous la lame des conquêtes de feu le dirigeant sanguinaire.
Nayla appartient au sang sombre, la chamane l’a désignée ainsi lors de son rituel de passage. Corbeau, elle devra devenir. Elle doit rejoindre cet ordre de femmes pour devenir les yeux et les oreilles du roi des Os, Ingvar le Juste. Guidée par la Reine des Corbeaux, Frihër Agn, Nayla devient Nå, son héritière.

C’était le dernier roman qu’il me restait à lire pour le PLIB 2022… et c’est sans doute celui sur lequel j’ai le plus peiné ! Si je ne l’avais pas lu en lecture commune avec mes habituelles comparses, je l’aurais sans doute abandonné avant la moitié.

Pourtant, cela démarrait plus que bien ! Le récit nous emmène sur des territoires nordiques âpres et bien décrits (en tout cas, je m’y croyais). Nayla rejoint les Corbeaux, une consœurie de femmes infertiles destinées à des postes de pouvoir (la Reine des Corbeaux régnant au même titre que le Roi Ingvar, alors que l’épouse de ce dernier est réduite au rang de consorte sans aucun pouvoir). L’univers est empreint de mythologie, de chamanisme, de rituels liés au sang, aux os et, de fait, se révèle particulièrement violent (si vous n’aimez pas les scènes de viol, passez votre chemin) (même si apparemment c’est pas grave, le garçon n’étant pas moche, sic).
L’organisation politique, reposant sur un roi avec le pouvoir central, et un réseau de femmes diplomates liées par les règles et les rituels de leur ordre, m’a beaucoup plu dès le départ. Malheureusement… le soufflé est très vite retombé. Car dès lors que Nayla progresse dans l’apprentissage de son ordre et que l’intrigue se dessine, tout semble jeté à l’eau.
L’ordre de diplomates chevronnées règle en fait tout par le sexe sans se poser plus de question, et je cherche encore l’intrigue politique. Oh, de la politique, il y en a bien, sans doute, quelque part. Mais l’héroïne ne narrant jamais les discussions ou éléments la faisant progresser, on a la désagréable impression qu’elle est aussi spectatrice du récit qu’est le lecteur. A la place, on a droit à l’intégrale de ses promenades et atermoiements sentimentaux (et c’est très agaçant). Et comme le récit est à la première personne, hormis de rares exceptions, pas moyen d’aller voir ailleurs ce qu’il se passe.

De plus, le récit souffre d’un problème de rythme. Il est composé d’énormément de péripéties (il fait près de 700 pages, quand même), de voyages dans des contrées étrangères et de découvertes étonnantes. Mais tout est survolé, au profit de paragraphes bavards de l’héroïne se plaignant de choses et d’autres, ou d’ellipses parfois malvenues. Avec ça, le récit est découpé en quatre grandes parties, séparées par des contes : ils sont intéressants pour l’univers en général, mais complètement anecdotiques, et viennent généralement couper le rythme.
On se retrouve donc dans l’ensemble avec des longueurs assez rebutantes, qui ont bien failli avoir raison de ma patience à plusieurs reprises. Pourtant il y a de la matière, on sent que c’est assez dense et qu’il pourrait y avoir de quoi faire un récit choral (d’ailleurs il y a tentative sur la fin, j’ai regretté que ce ne soit pas généralisé).

Malgré le bon a-priori de départ, j’ai regretté que l’on retombe assez vite dans du déjà-vu. A Cnàimh, les hommes gouvernent, les femmes obéissent (et ouvrent les cuisses). On se demande bien, dès lors, pourquoi on fait tout un foin du statut de la Reine des Corbeaux ? S’il s’agissait d’avoir un réseau de prostituées de luxe, pas la peine de nous rebattre les oreilles avec la diplomatie (dont on nous parle beaucoup, sans jamais nous la montrer, du reste). Avec ça, j’avoue que le viol comme technique d’apprentissage et épreuve pour forger le caractère, cela commence à bien faire (d’autant que le traitement de la scène en question, sous des aspects sensuels, est quand même assez particulier, pour ne pas dire dérangeant).
De plus, les Corbeaux se présentent comme une sororité. J’avoue que je la cherche encore (c’est pourquoi j’ai préféré le terme consœurie plus haut). Parce que si je résume, le credo de l’ordre, c’est langue de vipères et poignards dans le dos, pas de quoi s’enorgueuillir !

En fait, le récit recelait trop d’incohérences pour que j’y accroche. Il y avait ces incohérences du point de vue de la toile de fond, que je viens d’évoquer, mais il y en a d’autres (le personnage muet et analphabète qui s’exprime subitement comme un académicien avant de repartir du côté de l’homme des cavernes, notre héroïne soi-disant fine diplomate qui se fait berner comme une gamine de deux ans, et des réactions de personnages peu crédibles). L’aspect archétypique de nombreux personnages ne m’a pas non plus passionnée : la méchante est méchante parce que c’est la mode, et les autres se cantonnent à leurs rôles (le garde loyal bon, la traîtresse mesquine, etc.). Peu de surprises de ce côté là, malheureusement.

Enfin, il reste énormément de coquilles dans le texte, ce qui n’a en rien fluidifié la lecture ! Et c’est dommage, car l’autrice a une plume qui rend les scènes très visuelles, qui ne dédaigne pas quelques passages poétiques, et qui se lit vraiment bien – et qui explique aussi pourquoi je suis allée jusqu’au bout.

Lecture plus que mitigée, donc. Autant j’ai accroché aux divers éléments de l’univers, très prometteur, autant les incohérences dans le récit, le côté archétypique (tant de l’univers que des personnages), les longueurs, les multiples coquilles, et l’absence d’intérêt général pour l’intrigue, auront rendu cette lecture particulièrement pénible (au point que ça m’a sevrée de lecture pour plusieurs jours). Je ne voterai donc évidemment pas pour ce titre, mais dans la mesure où j’ai apprécié la plume de l’autrice, je guetterai ses prochains titres.

Une couronne d’os et d’épines, Emily Norsken. Les Trois Nornes, 1er septembre 2021, 658 p.
#PLIB2022 #ISBN9782492118043

Stand still, stay silent #1, Minna Sundberg.

90 ans se sont écoulés depuis l’époque de la grande maladie. Le vieux monde a été oublié et laissé à la merci des trolls, des bêtes et des géants. Une petite équipe d’explorateurs scandinaves est recrutée pour se lancer dans la première mission de recherche officielle.

Je ne savais pas trop dans quoi je m’embarquais en débutant cette grosse bande-dessinée et j’avoue avoir été un peu surprise, au début, lorsqu’il a rapidement été question d’épidémie (la rouille en l’occurrence)… puis de pandémie et de pays fermant leurs frontières. Un petit goût de déjà-vu…
Mais rapidement, le récit bascule 90 ans plus tard : la population mondiale a drastiquement chuté et il est temps de lancer une première mission de recherche officielle. C’est l’histoire que l’on va suivre !

Celle-ci démarre et s’installe à petits pas : il m’a fallu quelques chapitres avant de m’immerger totalement dans le récit, car l’univers dans lequel il s’installe est assez trapu. Mais ce qui était vraiment bien, c’est que cette lente introduction n’est pas synonyme de longueurs : je ne me suis pas ennuyée une seconde (ni au début, ni par la suite) ! Il faut dire aussi qu’outre l’univers – qui mélange avec brio post-apocalyptique et mythologie nordique – vraiment prenant, on en prend plein les yeux.
Les graphismes sont absolument fabuleux !! Mais je dois avouer que ma seule récrimination touchera également ce point : j’ai trouvé que les protagonistes se ressemblaient parfois un peu trop, ce qui m’a posé quelques soucis de suivi du qui-fait-quoi sur certaines cases. Heureusement, ces confusions ne sont intervenues qu’à la marge. En dehors de ce point, j’avoue que j’ai bavé à chaque page. Les décors sont splendides (même lorsqu’il s’agit de cités en ruines) et les rêves de Lalli, le mage de l’équipe, offrent des scènes à se damner, dans des tons bleu-verts qui collent à merveille à l’ambiance très poétique de ces songes. J’ai également beaucoup aimé la représentation des créatures mythologiques (un brin de magie et pas mal de gore !), issus du folklore scandinave. Et l’intrigue est rythmée par des double-pages explicatives aussi superbes que le reste, avec lesquelles on se rince les yeux.

Au fil du récit, la petite équipe progresse en exploration, donc, et en découvertes. D’autant qu’ils ont tous l’air ou borderline, ou pas tout à fait au point sur leurs missions, ce qui enlève un peu de crédibilité à leur expédition, mais assure aussi le côté humoristique de l’ensemble. (Soyons honnêtes : ce sont de vrais boulets !)
Le récit laisse aussi beaucoup de place à des petites tranches de vie et autres aperçus du quotidien des personnages. J’avoue que cela apporte beaucoup à l’histoire, permettant d’alléger quelques moments de tension, tout en octroyant une intéressante épaisseur aux personnages et à leurs échanges.
Il y a aussi tout un jeu sur les dialogues : les personnages ne pratiquent pas tous les mêmes langues, donc les bulles sont marquées du drapeau de la langue en question lorsqu’il y a des différences (ce qui met d’autant mieux en avant les quiproquos et autres incompréhensions entre les personnages).

Si l’univers est résolument post-apocalyptique, l’intrigue mêle des accents de fantasy. La mythologie est bien présente en raison des trolls et autres créatures, mais la magie ne semble pas bien loin – Lalli, après tout, est désigné comme mage de l’équipe. Le mélange des genres est parfaitement équilibré, et cela fait partie des éléments qui m’ont rendue totalement accro à la BD. J’ai hâte de lire la suite !

Énorme coup de cœur pour le premier tome de cette série, donc. L’intrigue, mêlant univers post-apocalyptique, fantasy, mythologies scandinaves et ambiance complètement foutraque se révèle particulièrement prenante. Les illustrations sont absolument sublimes, y compris dans les doubles-pages explicatives qui rythment le récit. Bref, j’ai adoré cette lecture, et j’ai hâte de découvrir les tomes suivants !

Stand still, stay silent #1, Minna Sundberg. Traduit de l’anglais par Diane Ranville.
Akileos, septembre 2018, 320 p.

Et voilà validée la catégorie Yule du Cold Winter Challenge !



La Fille de l’eau, L’Île des Disparus #1, Camilla et Viveca Sten.


La timide Tuva n’a pas grand-chose en commun avec ses camarades de classe. Elle ne se sent bien que sur l’île où elle habite, dans l’archipel de Stockholm dont elle connaît chaque recoin. Mais, alors que l’automne arrive, le changement se profile dans ce havre si tranquille. Des gens disparaissent en mer, des ombres se cachent sous les vagues et d’étranges lueurs éclairent la forêt. Lors d’une sortie, l’un des élèves s’évapore à son tour. La jeune fille se retrouve embarquée dans une terrible aventure, là où les vieilles superstitions des marins rencontrent la mythologie nordique…

Chouette surprise que cette Fille de l’eau !
Le roman débute tout en douceur : Tuva, la protagoniste, représente l’archétype du personnage malmené par ses camarades de classe. Pourtant, on sent dès le départ qu’il n’y pas que cela : un malaise certain plane sur le récit, sans doute induit par les disparitions inquiétantes dont il est question et l’atmosphère à la fois captivante et sinistre qui plane sur cet archipel perpétuellement caché dans les brumes. Ce qu’on ne connaît pas ou ne comprend pas fait peur et, dans l’archipel de Stockholm, il se passe beaucoup de choses totalement incompréhensibles.

Ainsi, si le roman débute comme un polar, avec la disparition d’un enfant, on bascule extrêmement vite dans une ambiguïté parfaitement maintenue : y a-t-il des forces surnaturelles à l’œuvre, ou l’archipel est-il aux prises avec un dangereux criminel ? Difficile à dire, dans un (long) premier temps et c’est bien ce qui est aussi palpitant. Tuva étant la seule narratrice, on progresse dans l’intrigue au même rythme qu’elle, la tension est donc bien présente.
L’intrigue fait la part belle à la mythologie et au folklore nordiques, comme aux mythes liés aux environnements maritimes – ce qui participe évidemment de l’ambiance fantastique qui se déploie.

Côté personnages, l’intrigue est essentiellement portée par Tuva (la narratrice) et Rasmus, le nouvel élève qui débarque de la ville et dont elle se fait rapidement un ami et un allié dans l’enquête. Autour d’eux gravitent d’autres personnages, comme une cohorte d’adultes plus ou moins bienveillants ou porteurs de réponses. Évidemment, les services de police mènent eux aussi l’enquête mais, comme c’est souvent le cas dans les disparitions en mer, ils abandonnent assez vite l’affaire, ce qui laisse toute latitude aux deux enfants pour enquêter (parfois maladroitement, il est vrai).
L’intrigue progresse donc lentement, au rythme de leurs maigres avancées mais l’ambiance est tellement prenante qu’il est difficile de s’arrêter dans sa lecture.

Malgré tout, les résolutions ne sont pas toutes follement surprenantes mais j’ai trouvé très intéressants les parallèles mis en place entre mythologie et écologie – ce dernier point étant nettement plus clair une fois que l’on a lu la postface.

En bref, La Fille de l’eau initie une trilogie mêlant polar, écologie et mythologie scandinave. Ce premier tome disposant d’une véritable conclusion (ouverte), j’ai hâte de voir à quels mythes se frotteront les suivants.

L’Île des disparus #1, La Fille de l’eau, Camilla et Viveca Sten. Traduit du suédois par Marina Heide.
M. Lafon, février 2018, 320 p.

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Bastards, Ayerdhal.

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Depuis qu’il a été récompensé par le prix Pulitzer, Alexander Byrd est à court d’inspiration. En désespoir de cause, il envisage de s’inscrire au cours d’écriture créative de Colum McCann, qui attire son attention sur un curieux fait divers, une très vieille dame qui se serait débarrassée de trois agresseurs avec un outil de jardin et la seule aide d’un chat, Cat-Oldie. Entre l’écrivain et la vieille dame naît une relation étrange. Des femmes aussi félines que fatales, sensuelles, protectrices et violentes, font leur apparition dans sa vie, se révélant impliquées dans une étrange guerre dont les racines plongent profondément dans l’histoire… La quête d’Alexander se transforme en une dangereuse investigation qui ravive une guerre entre services spéciaux impliquant cette mystérieuse matriarche, et le conduit à requérir l’assistance de ses amis Norman Spinrad et Jerome Charyn…

Aaaaaah, voilà une lecture qui m’aura hautement enthousiasmée ! À tel point que je regrette de n’avoir pas lu de roman d’Ayerdhal plus tôt !

Déjà, cela commence fort bien, avec un personnage principal auteur, accablé par le syndrome de la page blanche depuis son prix Pulitzer. En recherche d’inspiration, il croise donc un tas d’autres auteurs, parmi lesquels Colum McCann, Jérôme Charyn, Paul Auster ou Norman Spinrad, dont certains tiennent même des rôles absolument capitaux !
Voilà pour les hommes. Non parce qu’en fait, ce sont plutôt les femmes qui tiennent la dragée haute dans ce roman ! Et quelles femmes ! Alex, en effet, a le don de faire tourner les têtes : s’il pense toujours à son épouse (décédée dans les attentats du 11 septembre) et passe volontiers du bon temps avec Maria, sa meilleure amie, il ne tarde pas à rencontrer quelques perles rares parmi les recrues de Cat-Oldie.
Celle-ci semble régner sur une véritable organisation matriarcale, qui regroupe des femmes aussi rusées que puissantes ! Bien vite, on se retrouve à revisiter les mythes liés au chat, à l’Égypte ancienne et, bien sûr, à la féminité. Et je vais m’arrêter là afin de ne pas divulgâcher bêtement l’intrigue, car au vu de la qualité, ce serait franchement dommage.

Ayerdhal tisse les intrigues, entrecroise les destinées des personnages et les niveaux. Résultat, l’histoire flirte avec le thriller, le roman d’espionnage et le récit à tendance mythologique. L’auteur joue des codes des trois genres en virtuose, à un rythme qui ne laisse au lecteur aucune répit. Le roman, d’ailleurs, est découpé en grands actes, à la façon d’une pièce de théâtre, avec prologues annonciateurs et pleins de mystères, entractes et épilogues réussis. Difficile de s’arrêter entre les scènes et les actes tant l’histoire est prenante !
Avec ça, l’auteur joue sur mythes de l’Egypte antique et sur ceux liés aux guerres inter-services spéciaux. Le mélange entre antiquités et hyper-modernité est parfaitement réussi ! Hormis une ou deux résolutions un peu faciles, l’intrigue est excellente de bout en bout.
Et la plume ! Volontiers poétique, riche, travaillée, elle souligne à merveille l’histoire.

Excellente découverte donc, que ce roman d’espionnage signé Ayerdhal ! C’est vif, prenant, complexe, parfois un peu baroque et génial de bout-en-bout. Au passage, l’auteur en profite pour évoquer avec une grande justesse la façon dont certains milieux très fermés organisent le contrôle du monde. Et c’est un volume unique ! Vous n’avez donc plus aucune raison de passer à côté !

Bastards, Ayerdhal. Le Livre de Poche, février 2016, 648 p. 

Le Gardien invisible, La Trilogie du Baztán #1, Dolores Redondo.

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Le cadavre d’une jeune fille est découvert sur les bords de la rivière Baztán dans une étrange mise en scène. Très vite, la mythologie basque surgit : et si toute cette horreur était l’oeuvre du basajaun, un être mythologique ?
L’inspectrice Amaia Salazar, femme de tête en charge de l’enquête, se voit contrainte de revenir sur les lieux de son enfance qu’elle a tenté de fuir toute sa vie durant. Jonglant entre les techniques d’investigation scientifique modernes et les croyances populaires, Amaia Salazar devra mettre la main sur ce gardien invisible qui perturbe la vie paisible des habitants d’Elizondo.

Dolores Redondo squatte, avec sa Trilogie du Baztán (titre non officiel en français), le top des ventes en Espagne ; une adaptation cinématographique est même en cours de tournage !

Le moins que l’on puisse dire, c’est que cela démarre vite et bien : il ne faut pas attendre longtemps avant que l’intrigue montre des aspects un tantinet fantastiques et que la mythologie basque ne s’invite dans l’affaire. De fait, les scènes de crime multiplient les indices références au mythe du basajaun – sorte d’homme sauvage, à la fois protecteur de son espace naturel et croque-mitaine redoutable ; se prononce « bachadiaoun ».

Amaia Salazar, inspecteur chef au Bureau des Homicides de la police forale de Navarre est donc dépêchée aux alentours d’Elizondo, petite ville qu’elle a fui avec un immense plaisir et qui semble abriter quelques secrets de famille sur lesquels elle n’a guère envie de se repencher. De fait, l’intrigue oscillera sans cesse entre enquête policière, mythes, légendes et histoire personnelle d’Amaia. En effet, dès son retour, Amaia est parasitée par des angoisses terribles qui resurgissent et dans lesquelles s’entremêlent son passé, les éléments d’enquête et sa situation présente. De plus, elle est pétrie de contradictions : elle est un excellent flic, mais se fait allègrement détester par ses collègues en raison de ses bons résultats. Elle veut donc bien faire, mais ne souhaite pas être mal vue, sans toutefois bâcler son travail. Des intérêts difficile à concilier. Le personnage est extrêmement intéressant et fouillé à souhait : si l’enquête passe parfois au second plan, c’est pour mieux examiner la psychologie du personnage. Si Amaia est centrale, les autres protagonistes sont à l’avenant et tous s’avèrent aussi travaillés les uns que les autres et qui dépeignent une vaste palette d’émotions.
L’intrigue faisant appel aux mythes et légendes, elle est non seulement complexe à souhait, mais flirte en plus allègrement avec le fantastique. L’auteur s’appuie sur le folklore et les superstitions locales, les mâtinant de suffisamment d’éléments réalistes pour instaurer un doute raisonnable dans l’esprit du lecteur et ce quasiment jusqu’à la fin.

L’intrigue est, en outre, portée par une plume fluide et des descriptions puissamment évocatrices, qui donnent envie d’aller arpenter la vallée du Baztán. D’ailleurs, les lecteurs ne s’y trompent pas et ont relancé le tourisme local. On regrettera cependant que la traduction française soit riche en erreurs et incohérences, qui gâchent un peu la lecture…

Le Gardien invisible, excellent roman noir poétique, aura été une lecture fascinante, marquée par une plume soignée, une intrigue délicieusement complexe qui plonge dans les légendes basques et portée par des personnages fouillés, que l’on suit avec plaisir et que j’ai hâte de retrouver dans la suite, De chair et d’os. 

La Trilogie du Baztán #1, Le Gardien invisible, Dolores Redondo. Traduit de l’espagnol par Marianne Millon.
Stock, 2013, 464 p.

 

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Cœur de harpie, M.O.N.S.T.R.E #1, Hervé Jubert.

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Milo n’est pas tout à fait un adolescent comme les autres. D’une part, son père est multi-milliardaire. D’autre part, Milo a une véritable passion pour la mythologie, les créatures fantastiques et Chimera, un jeu en ligne qui reprend ces thèmes. Au sein du groupe M.O.N.S.T.R.E, Milo défait virtuellement les chasseurs de chimères, et s’érige en protecteur de ces créatures. Rien ne l’arrête ! 
Lorsque son père meurt, et qu’il hérite de l’empire financier, Milo sait que sa vie a basculé. Il ne s’attend certainement pas à retrouver les autres membres du groupe M.O.N.S.T.R.E chez lui, à Oxford. Ni à devoir protéger une véritable chimère en danger. Encore moins à être pris entre les feux des harpies et ceux des chasseurs. Et il est difficile de savoir qui, de la chimère ou du chasseur, est le plus dangereux…

MONSTRE est l’acronyme créé avec les initiales des membres du groupe : Milo l’Anglais, Onde la Française, Nathan l’Éthiopien, Sam la Québécoise, Takiko la Japonaise, Rolf le coureur des steppes et Émile l’Haïtien. Tous sont de fervents gamers, des pros de Chimera, leur jeu en ligne. C’est leur passe-temps favori, et une véritable complicité a fini par naître au sein de leur petit groupe.
Tout bascule dès l’instant où les membres sont mis en présence les uns des autres, et où ils comprennent que ce jeu repose sur un fond de vérité. Réel et virtuel s’entremêlent, les créatures mythiques envahissent la réalité, et les personnages se lancent dans une course contre de mystérieux adversaires.

Si les personnages sont de véritables pros de l’informatique, l’aspect jeu vidéo reste assez léger : quelques scènes au départ pour planter le décor, et on passe très vite à ce qui se passe dans la réalité. Inutile donc, de s’attendre à des tonnes d’aventures en ligne ! Il faut reconnaître que certaines péripéties semblent assez «faciles» : le regroupement des membres de MONSTRE, par exemple, même s’il est bien expliqué et justifié, ou la façon dont les garçons filent  à l’anglaise. Mais la fluidité du récit fait qu’on passe rapidement outre ce scénario pratique : Hervé Jubert narre cette aventure d’un style direct, incisif, et va droit au but. L’aventure est rondement menée, les décisions prises et appliquées avec rapidité. Non seulement on n’a pas le temps de s’ennuyer, mais en plus le rythme rapide fait qu’on suit l’aventure avec avidité.

Au fil des pages, on voyage beaucoup : Oxford, Italie, Bangkok, Nevada… L’auteur nous balade sur les traces du mystère laissé par Darius (ou autre) à notre fine équipe. Pas le temps de s’installer dans la routine, on décolle illico, et l’auteur sait varier ambiances et décor.

Sept personnages, sept tomes, sept aventures, sept créatures. Ce premier volume est donc consacré à Milo (en témoigne le M ouvragé du titre, que l’on retrouve dans le roman) et aux harpies. C’est un personnage intéressant : milliardaire (ce qui permet d’évacuer très vite les problèmes d’aspect financier dans l’aventure), mais terriblement solitaire : sa mère est partie, et son père, de son vivant, était toujours par monts et par vaux, et peu avec lui. Milo a certes une gouvernante et un majordome, mais ce n’est pas exactement la même chose qu’une famille aimante.
La psychologie des autres personnages est plus esquissée que celle de Milo, mais on peut déjà voir se dessiner telle ou telle personnalité ici et là. Ne reste qu’à attendre les tomes suivants pour les découvrir réellement !

En somme, Cœur de harpie est un tome introductif plus qu’intéressant: le décor est parfaitement planté, les personnages installés, et le ton du récit donné. Certes, c’est parfois un peu rapide ou facile, et on en aimerait plus sur la partie concernant les créatures fantastiques. Mais sachant qu’il reste six tomes à venir, celui-ci s’avère très satisfaisant. D’autant qu’il ne souffre ni de temps mort, ni d’une intrigue mal menée : c’est concis, efficace et l’auteur va droit au but. Que demander de plus ? Voilà donc une nouvelle série à l’actif d’Hervé Jubert, et c’est une série qui démarre vraiment bien !

 M.O.N.S.T.R.E #1, Cœur de harpie, Hervé Jubert. Rageot, 2014, 201 p.
8 /10. 

 

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