L’Espace d’un an, Becky Chambers.

Rosemary, jeune humaine inexpérimentée, fuit sa famille de richissimes escrocs. Elle est engagée comme greffière à bord du Voyageur, un vaisseau qui creuse des tunnels dans l’espace, où elle apprend à vivre et à travailler avec des représentants de différentes espèces de la galaxie : des reptiles, des amphibiens et, plus étranges encore, d’autres humains. La pilote, couverte d’écailles et de plumes multicolores, a choisi de se couper de ses semblables ; le médecin et cuistot occupe ses six mains à réconforter les gens pour oublier la tragédie qui a condamné son espèce à mort ; le capitaine humain, pacifiste, aime une alien dont le vaisseau approvisionne les militaires en zone de combat ; l’IA du bord hésite à se transférer dans un corps de chair et de sang…

Ai-je enfin, ENFIN, sorti Becky Chambers de ma PAL, après les multiples recommandations des copinautes (Mypianocanta, notamment) ? Eh bien oui. Et ? J’ai adoré. Au point d’avoir eu envie de relire immédiatement le livre après l’avoir terminé !

Becky Chambers nous emmène à bord du Voyageur, un vaisseau spatial chargé de percer des trous de ver dans l’espace. Si on résume l’histoire, elle est assez simple : le Voyageur est appelé à percer un trou afin de relier un peuple nouvellement allié au reste de la fédération galactique. Facile, non ? De fait, le fil rouge de l’intrigue est vraiment simple. Mais peut-être connaissez-vous l’adage suivant : « dans un voyage, ce n’est pas la destination qui compte, mais le chemin » ? Ce qui se confirme totalement ici !

Car avant de nous emmener à l’autre bout de la galaxie, Becky Chambers nous emmène surtout au sein de l’équipage du Voyageur, un équipage composé de membres d’espèces différentes. C’est à la fois dépaysant et rafraîchissant de lire de la SF dans laquelle l’espèce humaine est en fait… une espèce parmi tant d’autres, pas spécialement brillante, pas spécialement extraordinaire. D’ailleurs, c’est l’espèce la plus récemment entrée dans la fédération galactique, c’est dire si les humains sont les bouseux du coin. De fait, l’autrice va vraiment s’attacher à nous montrer la richesse des cultures, des structures familiales, des relations, ou tout simplement des espèces qui peuplent la fédération galactique – ce qui se répète, à plus faible échelle au sein de l’équipage. Cela change un peu des clichés de l’alien incompréhensible, et j’ai adoré ma plongée dans cet univers si riche.

Or donc, on suit le quotidien de l’équipage… et c’est ce quotidien qui fait l’intrigue. Pas la peine donc d’attendre le sacro-saint élément perturbateur par lequel est supposé démarrer le récit, on y est dès la première ligne.
Chaque partie du récit va mettre en lumière l’un ou l’autre des personnages, son passé, ses enjeux personnels, ses envies. On peut avoir l’impression de passer de l’un à l’autre comme d’un épisode de série à un autre, mais ce procédé s’explique dans la seconde partie, où l’autrice va brutalement ramasser tous les fils jusque-là savamment tissés pour en dégager de nouveaux motifs. J’étais déjà très emballée par la première partie (très prenante malgré l’aspect « instantanés »), mais la seconde m’a littéralement ravie.

Puisque le récit repose intégralement sur les personnages, leurs sentiments, leurs relations interpersonnelles, sont des thématiques centrales. Le roman est porté par une bienveillance chaleureuse, une célébration de la tolérance, et de l’amitié. Dit ainsi, cela peut sembler quelque peu cul-cul la praline, mais c’est incroyablement bien fait et juste, et cela crée finalement une ambiance feel-good aussi surprenante qu’agréable. Ce roman est un condensé de bonne humeur et de remonte-moral !

Et pourtant, les péripéties, le danger, la violence n’en sont pas absents : parfois en toile de fond, parfois dans un élément mineur du récit. On n’est peut-être dans le récit le plus bourré d’adrénaline qui soit, mais c’est clairement palpitant. Palpitant ET bienveillant. Alors, que demande le peuple ?
Même si les tomes suivants semblent être consacrés à d’autres personnages que ceux suivis ici, je suis donc hyper impatiente de retrouver la plume fluide et l’univers de l’autrice.

On m’en a tellement parlé que j’ai fini par retarder un peu ma découverte de Becky Chambers – à tort, semble-t-il. L’Espace d’un an propose un très bon récit de science-fiction, avec une indéniable dimension feel-good : pas (trop) de bons sentiments, mais un sentiment chaleureux de bienveillance (pas de bien-pensance !) accompagne agréablement la lecture. L’univers dans lequel on plonge est riche à souhait, ce qui offre un large panel d’aventures et de péripéties, toutes très prenantes. Avec ça, la plume de l’autrice, très fluide, fait qu’il est difficile de s’arrêter entre deux chapitres. Bref, une excellente découverte, dont j’ai hâte de lire la suite, et que je vais évidemment relire !

L’Espace d’un an, Becky Chambers. Traduit de l’anglais par Marie Surgers.
Réédition Le Livre de Poche, septembre 2020, 592 p.

Dune, Le Cycle de Dune #1, Frank Herbert.

Il n’y a pas, dans tout l’Empire, de planète plus inhospitalière que Dune. Partout des sables à perte de vue. Une seule richesse : l’épice de longue vie, née du désert, et que tout l’univers convoite.
Quand Leto Atréides reçoit Dune en fief, il flaire le piège. Il aura besoin des guerriers Fremen qui, réfugiés au fond du désert, se sont adaptés à une vie très dure en préservant leur liberté, leurs coutumes et leur foi. Ils rêvent du prophète qui proclamera la guerre sainte et changera le cours de l’Histoire.
Cependant les Révérendes Mères du Bene Gesserit poursuivent leur programme millénaire de sélection génétique : elles veulent créer un homme qui réunira tous les dons latents de l’espèce. Le Messie des Fremen est-il déjà né dans l’Empire ?

2020 a été l’occasion d’enfin terminer Le Seigneur des Anneaux (non, toujours pas chroniqué), 2022 celle de d’enfin, enfin, s’attaquer à ce monument de la SF qu’est Dune. Aita, si tu passes par là : tu vois, fallait pas désespérer, j’ai fini par suivre tes conseils de lecture !

Première chose : l’univers ! Commencer Dune, c’est sauter dans un univers aussi immersif qu’étonnant. L’intrigue se déroule sur la planète Arrakis, plus familièrement nommée Dune, en raison des sables qui la recouvrent, de la chaleur infernale qui y règle et de la sécheresse permanente qui va avec (ce qui, aujourd’hui, a des petits accents angoissants en plus). Arrakis, c’est donc la planète sur laquelle le Duc Leto et sa famille sont expédiés – selon le bon vouloir de l’empereur. Un caillou qui, jusque-là, appartenait à la dynastie Harkonnen… cousins et ennemis jurés des Leto. Vous la voyez, la bonne ambiance ? Mais on y reviendra plus tard ! Sur Arrakis, les Leto – et les lecteurs – doivent se familiariser avec des us bien ancrés, pas toujours faciles à suivre, et majoritairement liés à l’eau (ou du moins à son absence). Le côté dépaysant fonctionne donc à plein.
J’ai été assez frappée par cet univers, qui présente un curieux mélange. D’un côté on est en plein dans un univers féodal : l’empereur fait ce qu’il veut de sa flopée de Ducs vassaux, il y a une Guilde surpuissante, et on nage dans les complots et intrigues des uns contre les autres. En face, on est résolument dans un univers très SF, avec force voyages interstellaires et technologies très avancées. Il y a donc un petit côté Moyen âge intergalactique, que j’ai trouvé surprenant et passionnant !

D’ailleurs, le récit n’a rien à envier aux formes favorites de la fantasy, avec ses prophéties obscures mais très présentes, cette figure d’élu appelé à régner (et dont on soupçonne qu’il pourrait s’agit de Paul), et les différents ordres quasi-mystiques qui se partagent la scène (parmi lesquels les mentats, les Bene Gesserit et, dans une certaine mesure, les Fremen). Ces derniers, nomades, règnent sur les plaines désertiques de la planète, grâce à leurs distilles (sortes d’armures intégrales permettant de récupérer et recycler l’eau issue de leurs sécrétions) et sont reconnaissables à leurs yeux très bleus, en raison de l’omniprésence de l’épice dans l’air qu’ils respirent. Le Bene Gesserit, de son côté, est un ordre matriarcal millénaire, aux motivations et aux actions obscures. Ses adeptes, les Sœurs, pratiquent l’eugénisme et œuvrent dans l’ombre afin que la politique corresponde à leurs aspirations et aux prophéties dont elles sont les gardiennes. En bref : la mystique est bien présente, ce qui fait que le roman oscille sans arrêt entre cet aspect et la science, accentuant l’effet « moyen-âge intergalactique » cité un peu plus haut.

Tout cela est donc bien trapu et, sans trop de surprises, la galerie de personnages est à l’avenant. Ils sont très nombreux (et il faut un peu de concentration au départ pour bien situer tout le monde), mais aussi très fouillés. Sans aller jusqu’à l’arc narratif personnel, ils ont des enjeux, des caractères qui leur sont liés – et c’est bien ce qui rend le roman si prenant. D’autant que s’ils sont nombreux dans la toile de fond, le récit ne tarde pas à se centrer sur quelques figures plus marquantes, dont on va suivre les différentes trajectoires (car, joie, le narrateur est omniscient, et c’est bien le mode que je préfère).
La première partie du roman est plutôt introductive et, soyons honnête, il faut bien ça pour intégrer non seulement les tenants et aboutissants du récit, mais aussi les relations entre les personnages. Comme je le disais plus haut, non seulement ils ont leurs enjeux personnels, mais il y a aussi différents « clans » (si l’on peut dire), qui complotent les uns contre les autres. Mais même si on sent l’introduction, ce n’est ni long ni pénible à lire, tant le suspense est présent. Évidemment, il y a la petite technique des annonces programmatiques qui fait beaucoup : chaque chapitre s’ouvre sur une citation d’un livre de référence concernant Muad’Dib (l’élu), écrit a posteriori par la princesse Irulan (une des filles de l’empereur). Chaque citation éclaire donc un aspect du récit… tout en annonçant la couleur de certains événements. Suspense garanti ! Mais l’autre élément qui fonctionne à plein, c’est la dimension tragique de l’ensemble. A plusieurs reprises, j’ai eu l’impression de lire une tragédie grecque, sur fond de conflit intergalactique. Il y a un côté implacable dans le récit, une sorte de fatalité qui s’abat sur les personnages et entraîne irrémédiablement l’intrigue… et c’est très prenant.

Pour finir, je dois préciser que je n’ai pas lu le roman (hanlala !) mais que je l’ai écouté, dans la version lue par Benjamin Jungers. C’est très bien lu même si, comme souvent lorsqu’il s’agit d’un lecteur, les voix de femmes ne sont pas terribles (elles ont toujours l’air d’être en train de geindre). Malgré ce petit bémol, je suis prête à signer pour la suite en audio-lecture !

Je ne vais pas révolutionner le monde de la chronique en écrivant que Dune est un chef-d’œuvre de la SF (d’ailleurs, l’encre a déjà beaucoup coulé sur ce roman et produit de nombreuses analyses passionnantes). J’ai adoré la plongée dans cet univers passionnant, qui mélange monde féodal et science-fiction la plus pointue. L’intrigue, très riche, s’est révélée passionnante, et m’a donné follement envie d’en savoir plus. J’ai longtemps repoussé cette découverte (peur du pavé et de la complexité) et aujourd’hui, j’ai du mal à comprendre ce qui m’a freinée, tant la lecture a été fluide et prenante !

Le Cycle de Dune #1, Dune, Frank Herbert. Traduit par Michel Demuth et lu par Benjamin
Jungers. Lizzie, 2019, 1080 et 420 minutes.

Les Abîmes d’Autremer, l’intégrale, Danielle Martinigol.

Suite et fin de cette relecture, avec le troisième et dernier tome de la série des Abîmes d’Autremer (celui des trois que j’ai le moins relu, et qui m’a donc réservé le plus de nouvelles re-surprises !).

L’Appel des Abîmes

Dix ans ont passé depuis L’Envol de l’Abîme. Aëla Maguelonne est désormais une fougueuse jeune femme de dix-neuf ans qui pilote avec audace son majestueux Abîme Noir, le redoutable Jang-al. Mais celui-ci porte à sa perl un amour possessif qui va le rendre rapidement incontrôlable.
Nièce du directeur de MGTCom, une puissante chaîne de cosmovision ennemie jurée des Autremeriens, Chaddy est une jeune reporter surdouée de quinze ans qui, avec sa biocam, traque le scoop, et tout particulièrement les excès d’Aëla. Mais pourquoi est-elle ainsi fascinée par la famille Maguelonne ? Lorsque Aëla rencontre de mystérieux Abîmes venant d’une autre galaxie, pilotés par des extraterrestres, MGTCom se répand en délires xénophobes. Entre Autremer et sa famille, dans quel camp Chaddy va-t-elle se ranger ?

Et hop, de nouveau un bon dans le temps, de dix ans cette fois-ci.
Les Maguelonne sont toujours présents, évidemment, et on suit de nouveau le trio Corian, Aëla, Djem. Le premier est devenu représentant d’Autremer à la CCME, le dernier un journaliste émérite enseignant dans une école de journalisme très prisée. Quant à Aëla… son osmose précoce avec Jang-al a certes contribué à renforcer sa réputation de « petite fée des Abîmes », mais ne suffit pas à couvrir toutes les frasques du duo infernal (pour le plus grand désespoir de ses parents).

L’intrigue, cette fois, s’articule autour de deux axes. D’un côté, un voyage spatial en perspective pour chercher l’origine des Abîmes extraterrestres qui croisent au large (l’occasion, pourquoi pas, de retourner voir l’autre planète aux Abîmes trouvée dans le tome précédent). De l’autre, le vieil antagonisme entre le clan Meretta, possesseur de la chaîne MGTCom, et les Autremeriens. Varsos, le patriarche, n’a jamais pardonné aux Maguelonne sa destitution de la présidence de la CCME. Myto Meretta, le fils (le bien-nommé), a une dent contre Sandiane, à la fois comme journaliste et comme Perl. Et l’héritage familial est entre de bonnes mains car Chaddy, la nièce du précédent, a de bonnes raisons d’en avoir après les Maguelonne, ce qui la pousse à traquer Aëla et à filmer ses nombreuses infractions. Si Sandiane avait fini par s’amender, on retrouve en Chaddy son aplomb absolu, son côté rentre-dedans et son mépris pour la vie privée (qui doit s’effacer, selon elle, devant la nécessité d’informer).

De fait, le poids des média est plus que jamais au centre de l’intrigue, Myto Meretta ne reculant devant rien pour atteindre ses fins (y compris le mensonge), à savoir la mise à terre non seulement du clan Maguelonne, mais aussi des Abîmes en général.
L’écologie, la conquête spatiale et la relation avec une espèce extraterrestre reviennent elles aussi au centre du récit. J’ai d’ailleurs trouvé qu’on renouait avec le côté très poétique qu’il y avait dans le premier tome, et qui avait un peu disparu du tome intermédiaire. Le côté politique qui m’avait un peu manqué dans le premier tome est ici beaucoup plus présent puisque la découverte faite par les Autremeriens va avoir des impacts sur l’ensemble des planètes colonisées. D’ailleurs, c’est aussi ce qui fait tellement monter le suspense, puisqu’Autremer est directement menacée (par les autres planètes des Cent Mondes, et non par les découvertes extraterrestres qui sont faites).

Les bonds dans le temps sont vraiment intéressants, car on suit l’évolution des personnages, dont les centres d’intérêt évoluent légèrement au fil des tomes. Ainsi, Corian, Djem et Aëla qui s’entendaient comme larrons en foire dans le tome précédent, se sont séparés au fil des ans à force de non-dits et petits désaccords, chacun ayant sa vision des choses concernant les Abîmes ou les relations humaines. Si l’intrigue est portée par les axes cités un peu plus haut, les relations humaines en sont vraiment le moteur, car elles alimentent à la perfection péripéties et rebondissements – et c’est sans doute ce qui donne à cette série cet aspect si humaniste.

Ce dernier tome est mené tambour battant : entre l’enquête sur les Abîmes, la lutte contre les Meretta, les dissensions au sein de la galaxie et les frasques d’Aëla, impossible de s’ennuyer. Il faut aussi dire que le style extrêmement fluide de Danielle Martinigol rend la lecture particulièrement aisée et incite à avaler les chapitres !

Si vous lisez le roman dans la version intégrale, vous trouverez en fin de volume une nouvelle additionnelle : « L’Enfant et l’Abîme ». Pas de grande surprise dans ce texte, dont l’histoire a été résumée par Madery à Sandiane dans le premier opus. On y découvre la vie des tous premiers colons sur Autremer, leur découverte des Abîmes et la première osmose – entraînée par un Abîme ! – entre un enfant et une de ces nefs vivantes. Le texte clôt joliment la boucle.

L’Appel des Abîmes est donc dans la parfaite lignée des deux tomes précédents : on y retrouve tout ce que l’on a aimé précédemment, dans une intrigue qui ne fait pas de redite et sait encore une fois se renouveler intelligemment.

Dans la même série : L’élue (1) ; L’Envol (2).

Les Abîmes d’Autremer #3 : L’Appel des Abîmes, Danielle Martinigol. Mango (Autres Mondes), 2005, 195 p.

Les Abîmes d’Autremer est sans doute mon plus gros coup de cœur SFFF de jeunesse (pour être tout à fait honnête, mon cœur balance avec Le Royaume de la rivière mais les styles sont tellement différents qu’on va dire qu’ils coexistent). Et cette énième relecture ne m’a pas déçue, une fois de plus, tant l’intrigue est palpitante. Non seulement les aspects planet-opera et space-opera sont très réussis, mais en plus l’autrice parvient à aborder plusieurs thèmes forts, sans rien laisser de côté. Au fil des chapitres s’invitent donc des réflexions bien menées autour de l’écologie, des relations humaines, de la place et du poids des média dans la société ou encore de la rencontre avec l’autre. Le traitement de l’intrigue, ni simpliste, ni trop obscur, rend la série accessible aux jeunes lecteurs, comme aux adultes (pour peu qu’ils ne soient pas allergiques aux romans dédiés à la jeunesse). En bref, je recommande chaudement cette saga familiale de SF aux accents humanistes et poétiques, qui nous plonge dans un univers aussi original qu’enchanteur.

Les Abîmes d’Autremer, l’intégrale, Danielle Martinigol. Actusf (Naos), réédition janvier 2017, 504 p.

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Une autre saga de SF coup de cœur de jeunesse !

Les Abîmes d’Autremer, l’intégrale, Danielle Martinigol

Je mets à profit mes vacances pour relire la saga Les Abîmes d’Autremer de Danielle Martinigol, un coup de cœur d’adolescence. Comme l’article avec les trois tomes était un brin long, j’ai préféré couper en trois parties, chacune correspondant aux tomes initialement édités séparément (dans un temps que les moins de quinze ans ne peuvent pas connaître). Bref, aujourd’hui, on parle du tome 2 !

L’Envol de l’Abîme

Corian est un exclu, un adolescent anonyme parmi les milliards d’individus qui peuplent les Cent Mondes colonisés par les humains. Il mène une vie effroyable sur l’hostile planète Djauze. Rien ne le destine à échapper à son triste sort. Sauf que Corian a un rêve, devenir perl, c’est-à-dire pilote d’Abîme, ces extraordinaires vaisseaux vivants de la planète Autremer ! Il réussit à participer aux sélections de l’émission de cosmovision « Les Vainqueurs de l’impossible ». Arrivé sur Autremer, tout se complique lorsqu’un Abîme sauvage apparaît dans les cieux. D’où vient-il ? Dans quelle intention ? Aux côtés d’Aëla,  » la petite fée des Abîmes « , Corian découvrira le secret du vaisseau-animal. Mais saura-t-il le préserver face à la corruption médiatique qui fait rage ?

Première surprise en ouvrant (et en rouvrant, car j’avais surtout gardé souvenir du tome 1 !!) ce roman : l’intrigue se déroule quinze ans après celle narrée dans le premier tome.
On retrouve malgré tout les personnages phares du premier tome, un peu plus âgés (pas toujours plus sage) : Sandiane et Mel sont désormais mariés et parents d’une jeune Aëla, le clan Maguelonne gravite toujours autour d’eux (pour ma part j’étais ravie de revoir le patriarche, Madery !) et on reprend peu ou prou les mêmes amis et ennemis parmi les journalistes. A cela s’ajoute une nouvelle brochette de personnage adolescents parmi lesquels Aëla, Corian, l’aspirant perl issu de Djauze, et son ami Djem, fils d’un ministre djauzan.

J’ai beaucoup aimé la façon dont l’autrice renouvelle l’intrigue tout en gardant les mêmes bases que précédemment. Côté renouveau, elle implante dans l’univers déjà décrit une émission de téléréalité dont l’objectif est de filmer quelques candidats (voyants et tapageurs) à l’osmose avec des Abîmes, parmi lesquels Corian, qui ne rêve que de ça depuis sa prime enfance. L’ouverture forcée au monde d’Autremer, quinze ans plus tôt, et l’osmose précoce entre Sandiane et Mané-jeï, ont forcé les autremeriens à intégrer des perls venant de toute la galaxie. Il ne manquait donc plus qu’un petit pas pour que cette nouveauté soit intégralement filmée, ce que l’émission « Les Vainqueurs de l’Impossible » se propose de faire.

Et c’est là que l’on retombe sur nos pattes côté bases de l’intrigue. Vous le voyez venir : Autremer est de nouveau sous les feux des projecteurs et, de nouveau, cela suscitera des frictions avec ses opposants, tout comme des interrogations bien menées sur le poids des media, et sur leur rapport à la vérité. Bien sûr, la machine médiatique va de nouveau menacer la vie autremerienne, les querelles du tome 1 n’étant pas toutes soldées.
A nouveau, l’intrigue politique se déroule presque en filigrane : elle est un brin plus présente que précédemment, puisque Sandiane et Mel sont plus âgés et donc plus à même d’y prendre part (Mel étant par ailleurs président de l’union des perls d’Autremer) mais les personnages centraux sont de nouveau les adolescents, Aëla, Corian et Djem, donc pas nécessairement passionnés par la chose politique. Et comme dans le premier tome : cela fonctionne très bien ainsi !

Et on aurait tort de penser que les découvertes de l’univers dans lequel se déroule l’histoire sont terminées. Pas du tout ! L’arrivée d’un Abîme sauvage, sans perl (inimaginable, donc !), enclenche de nouvelles révélations et un voyage spatial vers les confins de la galaxie, ce qui occasionne quelques pages enchanteresses.

Comme dans le premier tome, les relations familiales sont au centre du récit : Sandiane a pesté tout ce qu’elle savait contre ses parents et se retrouve à son tour confrontée à quelques difficultés relationnelles avec sa fille… autour de la question des Abîmes. L’une souhaitant voir l’autre devenir perl, la concernée préférant plutôt traîner des pieds. Le poids des attentes des parents est donc au centre du récit (les deux autres ados en présence ayant aussi de lourdes attentes pesant sur leurs épaules) et vraiment bien traité.

En bref, ce tome 2 sait renouveler l’intrigue, tout en gardant ce qui faisait le charme du premier tome. Essai parfaitement transformé, donc, puisqu’on ne sent même pas l’effet « transition » !

Dans la même série : L’élue (1) ; L’Appel des Abîmes (3).

Les Abîmes d’Autremer #2 : L’Envol de l’Abîme, Danielle Martinigol. Mango (Autres Mondes), 2004, 216 p.

Les Naufragés de Velloa, Romain Benassaya.

XXVIIIe siècle. Suite à la destruction de la Terre, Mars et Vénus régentent le système solaire et protègent jalousement leur surface des milliards de réfugiés condamnés à l’errance et la précarité.
Quand l’agent martien Mark Slaska découvre la preuve que l’Embrun 17, un vaisseau de naufragés à qui Vénus a refusé l’asile, a rejoint l’étoile Sigma Draconis quatre cents ans plus tôt, une vive stupéfaction s’empare des deux planètes-forteresses. Comment un appareil à peine capable de franchir la distance Terre-Vénus a-t-il pu parcourir une distance de près de 20 années-lumière de manière quasi-instantanée ? Existe-t-il une force, dans l’orbite de l’étoile, qui les y aurait invités ?
Martiens et Vénusiens décident d’organiser une mission conjointe vers le système de Sigma Draconis. Mais, derrière l’entente de façade, les représentants des deux peuples sont bien décidés à découvrir la force mystérieuse qui se cache dans l’orbite de l’étoile, et s’en emparer pour assoir la domination de leur camp.

Dans un futur proche et post-apocalyptique (de plus en plus crédible), la Terre est devenue inhabitable. Quelques petits chanceux ont fondé des colonies sur Mars et sur Vénus et continué de prospérer, tout en empêchant les autres (c’est-à-dire la majorité des humains ayant survécu) d’accéder au même confort. L’humanité est donc essentiellement dispersée dans des endroits peu habitables, comme les satellites de Jupiter. Alors que les Naufragés – les Blattes, comme disent les Martiens et Vénusiens – survivent à grand peine, les deux autres planètes prospèrent et développent des technologies : intelligence artificielle pour les Martiens, qui disposent de processeurs quantiques intégrés, réenveloppement pour les Vénusiens, virtuellement immortels, pour peu qu’une sauvegarde existe. La mention d’une potentielle planète habitable, aux confins de l’univers, leur ayant échappé mais ayant été trouvée par des Naufragés lance donc Martiens et Vénusiens dans une nouvelle conquête spatiale (pusiqu’on a bien compris que c’était deux peuples tout à fait bienveillants et respectables).

Le roman débute donc comme du space-opera, avec le voyage de Mark, l’agent Martien, et Karen, l’héritière Vénusienne, vers cette fameuse planète. Cette première partie pose le décor, et instaure d’ores et déjà un bon suspense. En effet, on découvre que Mark a subi un “réenveloppement”  chez les Vénusiens mais qu’il ne se souvient pas très bien des circonstances de son décès. Hormis que celui-ci… avait tout à voir avec la mission en cours. Cet élément introduit dès le départ un intéressant suspense. 

Or, celui-ci ne diminue pas à l’arrivée sur Velloa, cette planète de cauchemar sur laquelle s’est implantée l’humanité. Les conditions climatiques y sont plus qu’hostiles. En réponse à cet environnement très difficile, et dans l’idée de pallier leur faible nombre, les humains de Velloa ont instauré une société religieuse très stricte, dominée par le culte de la déesse Adrastée. Au programme : esclavage, mariages forcés, malformations génétiques et autres joyeusetés. C’est là qu’intervient un nouveau protagoniste : Dayani, une jeune femme qui a la ferme intention d’échapper au destin qui l’attend. 

Rapidement, l’intrigue tourne autour de quatre personnages : Mark, Dayani, Karen et Línea, la garde du corps de la précédente. Or, si chacun essaie de survivre, on s’aperçoit assez vite que leurs intérêts ne convergent pas nécessairement. A la découverte cauchemardesque de Velloa et à l’enquête sur les circonstances plus qu’étranges de l’arrivée des Naufragés, vient donc se mêler un brin d’espionnage tout à fait passionnant.
D’autant que plus l’on avance, plus les circonstances du décès de Mark deviennent intrigantes. Le récit alterne entre ce qu’il se déroule dans le présent, sur Velloa, et des flashbacks de ce qu’il a vécu avant d’en arriver là, le puzzle se reconstituant peu à peu.
L’intrigue, de fait, est très riche et nourrie de nombreux et prenants rebondissements. Si certains d’entre eux semblent relever du deus ex machina, j’avoue que je n’ai pas boudé mon plaisir et englouti le roman sans jamais rechigner !

Au fil des chapitres et de l’enquête menée par les personnages, des thèmes forts sont évoqués et suscitent d’intéressantes réflexions : fanatisme religieux (notamment sur Velloa), écologie, réfugiés et questions autour du pouvoir politique émaillent le récit. Des thèmes très actuels, somme toutes, vraiment bien traités et qui résonnent (malheureusement) avec l’actualité.

Les Naufragés de Velloa est donc un page-turner très efficace mêlant space opera, planet opera, espionnage et réflexions très actuelles sur des sujets forts. L’intrigue, bourrée d’actions et de rebondissements, et le style, très fluide, font que l’on dévore les pages sans même s’en rendre compte. Excellente pioche, donc, qui m’a donné plus qu’envie de lire d’autres titres de l’auteur !

Les Naufragés de Velloa, Romain Benassaya. Pocket, réédition mai 2021, 553 p.

 


 

Les Abîmes d’Autremer, l’intégrale, Danielle Martinigol.

Dans la Confédération des Cent Mondes, Sandiane Ravna, fille d’un grand reporter peu scrupuleux, marche sur les traces de son père à la recherche du scoop à tout prix. Quand elle doit la vie sauve à un Abîme d’Autremer, l’un des mystérieux vaisseaux spatiaux de la planète-océan, elle se met au défi de filmer en action un perl, un pilote d’Abîme. Mais elle se heurte à Mel Maguelonne, futur pilote lui-même et farouche adversaire des médias comme tous les Autremeriens. Le début d’une folle aventure qui va bouleverser sa vie, comme celle des milliards d’habitants de la Confédération.

Haa Les Abîmes d’Autremer ! Probablement la saga de SF qui m’a le plus marquée à l’adolescence puisque, depuis, je l’ai déjà relue ! Évidemment, lorsqu’Actusf avait annoncé la publication en intégrale de la trilogie, il n’a pas fallu me pousser beaucoup pour que je me précipite dessus (d’autant que, jusque-là, toutes mes lectures de la série provenaient de la médiathèque). Il était donc grand temps que j’en parle ici !

Les Abîmes d’Autremer : L’Élue

Sandiane est l’assistante de son père, grand reporter à Main World Net. Tous deux sillonnent le cosmos à la recherche de scoops. Ils décident d’aller enquêter sur la planète-océan Autremer, réputée pour ses astronefs mythiques : les mystérieux Abîmes. Mais là, Sandiane et son père se heurtent à la résistance farouche des habitants, et tout particulièrement à celle de Mel et de son oncle, guides-pilotes de safaris sous-marins. Quel secret dissimulent les eaux de la planète Autremer ? Lorsque Sandiane découvrira l’incroyable vérité, osera-t-elle la diffuser dans toute la galaxie, au risque de détruire la civilisation autremerienne ?

Le roman commence en fanfare, avec rien de moins que la scène d’un vaisseau en pleine autodestruction… au fin fond de l’espace. Mais pas de panique pour la postérité : la scène est dûment documentée par les Ravna père et fille, des journalistes qui semblent vivre la volcam chevillée au corps.
Au menu de ce roman, donc : immensité de l’espace et questionnements autour des média !

Après cette introduction magistrale, on plonge dans le planet opera, puisque les Ravna débarquent très rapidement sur Autremer, la si discrète planète maritime, dont ils vont tenter de débusquer tous les petits secrets – lesquels sont nombreux.
Contrairement au souvenir que m’avait laissé ma lecture adolescente, LE gros secret est assez rapidement révélé – a minima, il y a de GROS indices laissés ça et là dans la narration ou les dialogues, permettant de comprendre assez vite de quoi il retourne. Mais malgré cette révélation qui arrive assez tôt dans le récit, l’autrice parvient à lever doucement le voile sur tous les aspects du secret, et à en garder sous la pédale dans les chapitres suivants. Ce qui assure au roman un rythme très confortable !

Si les révélations sont amenées de façon progressive, j’ai trouvé que le récit était tout de même extrêmement bref : les revirements des personnages (même s’ils sont bienvenus et crédibles !) sont assez rapides, de même que les relations qui se nouent entre eux. Et alors que la fin est très bien trouvée, elle semble arriver de façon presque abrupte. C’est une réflexion que je me fais aujourd’hui à la relecture mais je n’avais pas du tout ressenti cela à la première lecture, prise que j’étais par le récit.

L’univers y était sans doute aussi pour quelque chose. Danielle Martinigol déploie un univers particulièrement enchanteur. La planète Autremer, essentiellement composée d’eau, étale des paysages que l’on imagine idylliques (chapelets d’îles volcaniques, atolls, abysses et bord de mer…), même s’ils sont ponctués de quelques créatures peu appétissantes (le merlion en tête). Alors que les autres planètes se sont énormément urbanisées, Autremer est fermée au monde extérieur : elle accueille très peu de touristes et uniquement sur des itinéraires très balisés, elle ne communique pas tellement sur ses particularités et utilise même ses propres réseaux.
Sans trop de surprise, un des thèmes phares de cette trilogie est l’écologie, tout comme le rapport de l’homme à la nature, et aux animaux qui la peuplent. Les thèmes se mêlent vraiment bien au récit, puisqu’au fil des chapitres, il est aussi question de la place des media et du rapport qu’ils peuvent avoir avec la vérité. Mais il est aussi beaucoup question des relations familiales, lesquelles s’avèrent assez désastreuses du côté des Ravna.

J’ai été assez surprise de voir que le côté technologique, présent sans être trop voyant, est resté assez moderne. Les inventions mentionnées sont toujours à créer chez nous, ce qui ne rend pas la lecture anachronique.
Pour désigner tout cela, l’autrice crée des néologismes très bien trouvés comme volcam, plasverre ou encore autograv. D’ailleurs, le vocabulaire en général est très soigné dans le roman : je pense notamment aux délicieuses bordées de jurons tout maritimes qu’affectionnent les autremeriens, et qui sont tous très bien trouvés !

Au final, le seul point qui m’aura un peu déçue, dans cette relecture, est que la politique de l’univers est esquissée, racontée presque en filigrane. On comprend assez vite que le mode de vie autremerien semble presque extraterrestre aux habitants des autres planètes et que c’est essentiellement ce sur quoi ils vont s’opposer (ça, plus le secret que je ne révèlerai pas). Le père de Sandiane, comme beaucoup d’autres personnes, est adepte du jeunisme, qui pousse à parquer (littéralement) les personnes âgées (plus de cinquante ans !!) dans des réserves qui leur sont dédiées. Si quelques scènes à la Chambre des Cents Mondes sont évoquées (lesquelles m’ont fortement fait penser aux scènes tournées au Sénat dans la prélogie Star Wars), toute la partie politique se déroule en coulisses, tout simplement parce que ce n’est pas le propos ici. Du coup, tout fonctionne à la perfection, mais je dois dire que je me suis sentie un peu frustrée (peut-être aussi parce que c’est une série que j’ai tellement portée aux nues, que je me suis créé mon propre horizon d’attente complètement surréaliste).

Les Abîmes d’Autremer ouvre donc avec brio la trilogie éponyme. On y trouve tout ce qui fait un bon roman de SF jeunesse : un univers original et enchanteur, des péripéties (même si tout se résout très vite) bien menées, un secret poétique et vraiment chouette, des inventions qui n’ont pas vieilli, des thèmes bien intégrés au récit, lequel est mené d’un style très fluide. Bref : un coup de cœur !

Dans la même série : L’Envol (2) ; L’Appel des Abîmes (3).

Les Abîmes d’Autremer #1 : L’Élue, Danielle Martinigol. Mango (Autres Mondes), 2001, 216 p.


Aurora, Kim Stanley Robinson.

Notre voyage depuis la Terre a commencé il y a des générations.
À présent, nous nous approchons de notre destination.
Aurora.

Cela faisait un moment que je n’avais pas lu de science-fiction et en moins d’un mois, j’ai enchaîné deux très bonnes découvertes : L’incivilité des fantômes (que je chroniquerai peut-être un jour) et Aurora !

C’était mon premier roman de cet auteur et j’ai l’impression que j’ai commencé par le bon ! Du résumé, je ne connaissais que ce qui est écrit ci-dessus et ma première surprise a été de remarquer qu’en fait… on n’allait pas exactement suivre ce que je m’étais imaginé ! En effet, alors que le roman semble se profiler comme une aventure de planet opera assez classique avec colonisation à la clef, on se dirige très vite, dans les premiers paragraphes, vers une chronique du voyage interstellaire.
Avec énormément de questions à la clef, la première étant : comment maintenir en vol un vaisseau parti depuis plus de 200 ans ? Et comment faire survivre deux mille personnes enfermées dans un vaisseau ?
Le roman évoque aussi l’écologie et l’évolution. En effet, le brassage génétique de la population à bord est forcément limité, aussi les voyageurs stellaires commencent-ils à ressentir le syndrome d’insularité. Si vous ne savez pas de quoi il s’agit, pas de panique : tout est expliqué dans le roman !

De fait, le contenu scientifique est assez important – après tout, c’est de la hard SF. Je ne vous cacherai pas que certaines explications m’ont parfois semblé quelque peu obscures, surtout lorsqu’il était question de physique (après tout, je ne suis pas titulaire d’une thèse scientifique !) mais cela ne gêne aucunement la compréhension du récit, ou des enjeux. En effet, les principes scientifiques dont il est question sont généralement suffisamment explicités pour que, d’une part, on comprenne en quoi cela va impacter le récit et, d’autre part, pour que l’on comprenne les enjeux du principe scientifique en question.

Mais ce que j’ai trouvé vraiment intéressant, ce sont les volets politique et sociologique auxquels s’intéresse le récit. Comment faire en sorte que la société du vaisseau reste stable et que les voyageurs continuent de s’entendre les uns avec les autres et à vivre ensemble sans sombrer dans la tyrannie ? (Ce qui arrive, notamment, dans L’Incivilité des fantômes). Comment garde-t-on le moral des troupes au beau fixe alors qu’aucun des voyageurs n’a choisi d’être là et aurait peut-être préférer passer toute sa vie sur le plancher des vaches ? En lisant ce roman, je me suis posé des milliers de question auxquelles je n’avais jamais vraiment songé en lisant des romans qui parlent de colonisation spatiale : que fait-on des déchets qu’on ne parvient plus à recycler ? Comment on stocke le carburant ? Quel est l’impact de son poids et de son volume dans les calculs de trajectoires ? Bref : j’étais à fond dedans.

L’autre point que j’ai trouvé vraiment génial, c’est le choix du narrateur. Et pourtant, ça partait mal. J’avoue que j’ai eu très peur en lisant les premiers chapitres qui sont narrés dans un style particulièrement aride et froid. Mais cela s’explique rapidement, le narrateur omniscient n’étant autre que… l’IA du vaisseau. Or, celle-ci n’a pas été programmée pour apprendre à raconter des histoires et ne va intégrer des principes de narratologie que sous la poussée de Devi, une ingénieure du bord. Il y a donc quelques tâtonnements, puisque l’IA découvre successivement les temps de conjugaison, les métaphores, le choix de la focale sur tel ou tel personnage. C’est vraiment très bien fait et j’avoue que ça rend le tout hyper prenant. D’ailleurs, il y a toute une partie où l’IA est seule à bord, donc on lit un très très long monologue : avec quelques longueurs, certes, mais aussi prenant que le reste.

Le projet narratif tel que Devi l’a esquissé pose un sérieux problème, qui devient de plus en plus évident à mesure que le processus se poursuit. Le voici:
Premièrement, il apparaît que les métaphores n’ont aucun fondement empirique, et qu’elles sont souvent opaques, inutiles, ineptes, imprécises, trompeuses, mensongères et, pour tout dire, futiles et idiote.
Et pourtant, le langage humain est, dans son mécanisme de base, un gigantesque réseau de métaphores.
Donc, syllogisme évident : le langage humain est futile et idiot. Ce qui revient à considérer que les narrations humaines sont futiles et idiotes.

Si je devais trouver un bémol, ce serait les personnages, qui ne sont pas tous hyper creusés et restent assez archétypiques. Pour autant, ça ne m’a pas vraiment gênée – mais peut-être que ça aurait pu faire passer le roman du rang de très bonne découverte à « coup de cœur ».

En somme, première lecture de Kim Stanley Robinson et excellente découverte. Le fond est absolument passionnant, et soutenu par une forme originale, qui rend le récit particulièrement prenant. Je suis passée à un cheveu du coup de coeur avec cette lecture, qui m’a donné bien envie de lire d’autres titres de l’auteur !

Aurora, Kim Stanley Robinson. Traduit de l’anglais par Florence Dolisi.
Bragelonne, réédition janvier 2021, 595 p.

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La Stratégie Ender, Orson Scott Card.

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Andrew Wiggin, plus connu sous le nom de Ender, n’est pas un garçon comme les autres. Depuis sa naissance, ses faits et gestes sont épiés par l’intermédiaire d’un moniteur greffé dans son cerveau. Ce moniteur, il l’a gardé bien plus longtemps que les autres enfants observés. Car ses concepteurs ambitionnent de faire de lui le plus grand général de tous les temps, le seul à même de sauver la Terre d’une nouvelle invasion des doryphores, ces extraterrestres belliqueux.
Noyé dans la masse des autres élèves-officiers, Ender n’en reste pas moins le jouet des manipulations dangereuses de ses supérieurs, qui jouent leur va-tout en plaçant le sort de l’humanité entre les mains d’Ender. Tout en se demandant si leur choix est bon.
Car Ender n’a que six ans.  

À six ans, Ender n’a pas une vie facile : son frère est un fou furieux, il est brimé par ses camarades, et le moniteur qui surveille ses faits et gestes, dans son crâne, ne l’aide en rien. Rapidement arraché à sa famille, il est propulsé dans l’espace, vers la fameuse École de Guerre, où il apprendra son futur métier d’officier. Brillant, surdoué, il ignore toutefois être l’objet des manipulations de ses supérieurs.

Le récit alterne la narration contant les aventures d’Ender, et les dialogues des fameux supérieurs le surveillant, et concoctant son programme d’entraînement : c’est dynamique car tantôt on a de l’avance sur Ender et on sait – vaguement – ce qu’il va lui arriver, tantôt on sait ce qu’il complote contre la hiérarchie, et on attend de voir l’exécution du plan. Dans cet univers, tout le monde ment à tout le monde, et seules comptent les apparences, ce qu’Ender, malgré son jeune âge, ne tarde pas à comprendre.
L’âge d’Ender, et celui de ses camarades, est difficile à envisager : car Ender et les autres enfants de sa classe, s’ils sont âgés de seulement 6 ans, agissent et parlent comme des adultes. De temps en temps, une mention nous rappelle qu’il s’agit seulement d’enfants (et parfois, leur comportement nous le rappelle), mais c’est assez déroutant. Le traitement subi par les apprentis officiers semble d’autant plus dur et inhumain, tant le décalage entre leur âge réel et les actes est immense. Mieux : leur jeune âge décuple la dimension tragique qui est la leur depuis leur naissance : ces enfants n’ont été créés que pour arriver dans cette école où ils sont poussés dans leurs derniers retranchements, et le côté sordide de l’histoire ressort d’autant mieux.

Aucune pensée d’Ender ne nous est épargnée : on sait absolument tout de ce qu’il pense et il faut reconnaître que c’est un personnage attachant et facile à suivre, bien que certaines de ses réactions soient assez discutables. L’ambivalence de l’entraînement suivi est parfaitement exploitée : Ender devient une machine de guerre, en effet, mais c’est aussi un être humain dont les sentiments sont étouffés par l’entraînement. Malgré cela, Ender reste lui-même : on oscille donc en permanence sur le fil du rasoir, concernant sa personnalité  – en se demandant sans cesse s’il va céder ou non – , et cela rend la lecture d’autant plus prenante. Il n’y a rien à redire, Ender est un personnage extrêmement réussi.

Tout n’est que stratégies, progressions fulgurantes, apprentissages sur le tas, combats incessants, ce qui s’avère parfois un brin répétitif. Pour le néophyte en stratégie, les combats finissent par se ressembler, d’autant que l’issue en est toujours sensiblement la même, mais cette accumulation donne un effet très dynamique au récit, qui est bourré d’énergie.
Dans la mesure où tout le monde manipule tout le monde, on se pose beaucoup de questions et le suspense est à son comble : on cherche à deviner quel sera le prochain palier, ou quelle surprise nous est réservée et ce, quasiment jusqu’à la fin – même si quelques éléments sont prévisibles. L’intrigue est tout de même assez complexe, et très travaillée, puisqu’en plus de l’histoire d’Ender narrée de deux points de vue, quelques chapitres sont dévolus à la situation politique sur Terre, laquelle ressemble à s’y méprendre à un sac de nœud sur lequel se répercutent les actions d’Ender : c’est vraiment très bien mené.
Bien qu’il s’agisse du premier tome d’une série de quatre, cet opus possède une conclusion très satisfaisante, qui fait qu’on pourrait s’arrêter là. La fin est très ouverte, émouvante, et très poétique, ce qui change quelque peu des pages précédentes.

La Stratégie Ender propose donc un beau roman d’apprentissage doublé d’une bonne histoire de science-fiction militaire : il est question d’invasions, d’ennemis extraterrestres, de stratégie militaire, mais surtout d’humanité. Le roman en est empreint, et Ender est le parfait représentant du personnage endurci, mais conservant tout de même un bon fond d’humanité, quel que soit le traitement – odieux – qu’il a subi. Le style est fluide, le récit dynamique, les rebondissements fréquents, et la part de questionnement bien intégrée. La Stratégie Ender est une très bonne surprise, qui devrait plaire aux aficionados de science-fiction, comme aux néophytes. Expérience à tenter – d’autant que l’adaptation cinématographique approche à grands pas !

 

 Le Cycle d’Ender #1, La Stratégie Ender, Orson Scott Card. Trad. de Sébastien Guillot. J’ai Lu, 2013 (1ère édition 1989), 380 p.
8/10.

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