La Valse des tulipes, Ane Cestero #1, Ibon Martín.

L’estuaire d’Urdaibai, poumon de la Biscaye au Pays Basque (déclaré réserve de la biosphère par l’Unesco), paradis qui vit au rythme des marées, voit soudain sa tranquillité mise à mal par le meurtre inexpliqué de plusieurs femmes, âgées d’une cinquantaine d’années. Ane, une jeune inspectrice de Bilbao, férue de rock énervé et de mythologie, est aux commandes d’une nouvelle unité d’élite, chargé des affaires sortant de l’ordinaire. Objectif : résoudre l’affaire avant que la presse ne fasse souffler un vent de panique sur toute la région.

J’avais envie de lire ce roman depuis que je l’ai acheté, à sa parution, pour la médiathèque. Je l’avais même mis dans mon Cold Winter Challenge l’an dernier ! (Et pas lu, mais je suis très contente d’avoir finalement emporté ce roman sur la plage cet été).

Bon, déjà, je dois avouer un truc : j’avais envie de lire ce roman parce que je connais bien la région dans laquelle il se situe, et que c’est un endroit que j’apprécie ! C’était de fait assez confortable de visualiser très précisément les endroits où se déroulent les péripéties (et ça m’a donné envie d’y retourner, tiens).

Le roman débute en fanfare avec une scène de meurtre très cinématographique, puisqu’une femme, ligotée à une chaise, est écrasée par le train régional… que conduisait son mari. Le tout retransmis en direct sur les réseaux sociaux. Bonne ambiance, non ?
Après ce début assez marquant, l’auteur revient à un rythme beaucoup plus calme, qui va permettre d’installer proprement les personnages. Ane Cestero, l’enquêtrice en charge de l’unité, va rejoindre des collègues issus d’autres commissariats de la communauté autonome (certains qu’elle apprécie, d’autre avec qui c’est plus compliqué…). C’est un peu lent, mais il faut bien ça pour camper les personnages (d’autant que l’auteur semble parti pour en faire une série).

Il faut aussi dire que les indices sont maigres, et que l’enquête peut sembler piétiner dans les premiers temps. Le récit se déroule donc avec une certaine lenteur, que je n’ai pourtant pas trouvée désagréable. En effet, l’auteur multiplie les arcs narratifs secondaires, notamment consacrés aux personnages, à leurs histoires personnelles, ou à leurs relations entre eux. Évidemment, la plupart de ces arcs narratifs viennent nourrir l’intrigue principale, par micro-touches, ou par grosses révélations. Malgré ce rythme un peu lent, l’ensemble est très efficace : les péripéties, les révélations et les meurtres se succèdent à une bonne cadence, ce qui maintient un suspense assez agréable.

La narration joue sur une alternance entre le présent (la majorité des chapitres), et le passé, dans des chapitres assez courts, montrant l’enfance (affreuse) d’un inconnu au bataillon – que l’on soupçonne assez vite d’être le meurtrier. Plus l’on avance dans le récit, plus les indices sur son identité se multiplient donc… et nous embrouillent, car son passé (enfant solitaire, pêcheur, amateur de radio, etc.) correspond à celui de beaucoup d’hommes de la région (et donc de personnages du récit). La construction est classique, mais j’ai trouvé qu’elle était bien utilisée ici, et qu’elle servait vraiment bien le récit !
De plus, les allers-retours présent/passé sont loin d’être artificiels, puisque l’intrigue puise ses sources dans le passé (parfois chaotique) de l’Espagne. Rapidement, les enquêteurs trouvent sur leur piste un couvent important de la région, dans les affaires duquel il est difficile de fouiller. Sans trop spoiler, je peux vous dire que le passé franquiste ultra-catholique de l’Espagne remonte à la surface, entraînant à sa suite quelques vilains secrets de famille que les gens pensaient bien enfouis.
Le rythme s’accélère nettement à la fin, rompant le rythme assez lent instauré jusque-là. Ce n’est pas précipité, mais c’est bien plus trépidant que dans les chapitres précédents ! J’ai été assez surprise par certains rebondissements finaux : l’enquête est bouclée, mais on ne peut pas vraiment parler de happy end… J’ai trouvé ça agréablement surprenant !

J’ai trouvé que le roman était aussi très en prise avec notre époque. Ibon Martín campe deux héroïnes célibataires et libres, et toute une partie du récit tourne autour du féminisme. Évidemment, la question des droits des femmes est au centre du récit avec toute l’intrigue tournant autour du couvent, mais on parle aussi beaucoup de violences faites aux femmes (avec notamment l’évocation du délit de violence de genre).

Enfin, et c’est un point non négligeable, parlons de l’immersion ! Ibon Martín a commencé sa carrière en écrivant des guides touristiques du Pays basque… et cela se sent. Le récit met vraiment la région d’Urdaibai à l’honneur, avec moult descriptions détaillées (pas trop longues, et bien réparties dans le récit). Quel que soit l’endroit visité, il n’est pas difficile de le visualiser, tant l’auteur s’attache aux lieux. On s’y croirait ! Côté immersion, le texte utilise aussi de nombreux mot en basque (tous repris dans un glossaire final, donc pas panique). D’ailleurs, je me suis demandé si les ertzaina (police basque) travaillaient en basque, ou bien en espagnol ? (Je ne sais même pas si le roman en VO répond à cette question).

Excellente découverte pour ma part, donc, que ce polar espagnol, qui nous emmène en bord de mer. Si l’intrigue peut sembler lente à se déployer, j’ai apprécié l’immersion dans les lieux et dans les histoires des personnages. Je les retrouverai d’ailleurs avec plaisir dans les tomes suivants !

La valse des tulipes, Ibon Martín. Traduit de l’espagnol par Claude Bleton.
Babel (noir), réédition mai 2022, 624 p.

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La Guerre du Pavot #1, R. F. Kuang.


Deux pays s’affrontent depuis des siècles : l’immense empire de Nikara et une petite île voisine, Mugen. Jeune orpheline, Rin décide de tout faire pour échapper au mariage qu’ont arrangé ses parents adoptifs. Aidée d’un bibliothécaire qui s’est pris d’affection pour elle, elle se met à étudier en vue du concours Keju, qui ouvre aux enfants les plus brillants du pays accès à l’académie militaire de Sinegard, chargée de former les futures élites de l’Empire. Sous l’égide d’un vieux maître fantasque et mystérieux, elle s’éveille peu à peu aux pouvoirs chamaniques qui sont les siens, mais quand la guerre larvée éclate de nouveau, sous les coups de boutoir de Mugen, l’Académie est dissoute et ses membres affectés à l’une des douze divisions des Douze Provinces qui composent l’Empire. Rin rejoint les sicaires de l’Impératrice…

Voilà un roman de fantasy qui m’a fait de l’œil dès l’annonce de sa parution. Et une fois terminé ? Eh bien, je suis ravie de l’avoir découvert, et suis curieuse de lire la suite.

La guerre du pavot se découpe, globalement, en deux grosses parties aux ambiances marquées.
La première met à l’honneur le récit d’apprentissage. On y suit Rin lorsqu’elle prépare ardemment le Keju (redoutable concours donnant accès aux académies du pays) et ce qu’il y a après ce fameux concours.
Cette partie m’a vraiment rappelé Le Nom du vent de Patrick Rothfuss, tant les parcours des personnages sont proches (un.e étudiant.e sans le sou qui tente par tous les moyens d’intégrer une académie très sélect, laquelle accueille plutôt des candidats fortunés). Mais les ressemblances s’arrêtent là, puisque le contexte des aventures de Rin est bien différent – mais j’y reviens plus tard. Au cours de cette – copieuse – première partie, émergent des thèmes assez courant dans un récit d’initiation comme la quête de soi, ou la formation. Et on ne parle pas uniquement de la formation estudiantine ou magique, puisque Rin va avoir le déplaisir de découvrir le monde merveilleux des menstruations, dont elle ignorait tout jusque-là et auquel un tierce personnage va la former. J’ai trouvé ça intéressant, car le sujet n’est pas si fréquent en littérature de l’imaginaire (il me semble), même si l’héroïne trouve un moyen un peu radical de résoudre ses problèmes.
Outre cet aspect, on assiste aux révisions acharnées des uns et des autres, comme aux cours (parfois exotiques !) auxquels ils assistent.

– Toute guerre est fondée sur la tromperie.
En vue du Tournoi, la classe entière s’accrochait au dix-huitième Postulat de Sunzi. Les élèves cessaient d’utiliser les salles d’entraînement accessibles à tous durant les heures de cours communes. Ceux qui avaient hérité des arts martiaux de leur famille s’étaient soudainement arrêtés de pavoiser à leur sujet. Nezha lui-même avait renoncé à ses démonstrations du soir.
– C’est comme ça tous les ans, avait dit Raban. Je trouve ça un peu débile, honnêtement. Comme si les pratiquants d’arts martiaux de votre âge avaient quelque chose à cacher.
Débile ou non, les étudiants de leur classe paniquaient sincèrement. On accusait tout le monde de dissimuler une arme dans sa manche, et on soupçonnait ceux qui n’avaient jamais fait démonstration d’un art hérité d’en couver un dans le secret.
Un soir, Niang confia même à Rin que Kitay avait hérité du Poing venteux du nord, un art oublié qui permettait à son pratiquant de neutraliser ses adversaires en touchant quelques points de pression précis.
– J’ai peut-être contribué à propager la rumeur, avoua Kitay quand Rin l’interrogea sur le sujet. Sunzi qualifierait ça de guerre psychologique.
Rin poussa un grognement.
– Sunzi appellerait ça des grosses conneries.

L’autre thème qui émerge est celui du racisme, auquel Rin est confrontée en tant qu’orpheline de guerre mais aussi en tant que ressortissante du sud du pays. Sa peau basanée (et décrite ainsi dans le roman) est mal perçue par ses snobinards de camarades de classes, issus de l’élite et donc dispensés de travail au grand air dans leur jeune âge. À ce stade, j’imagine qu’il faut toucher deux mots de la couverture : il est vraiment dommage que le personnage représenté dessus colle si peu à la description donnée dans les pages. Celle-ci est pourtant sommaire… tant elle se concentre sur le teint de l’héroïne. Vraiment, c’est dommage.

La seconde partie, quant à elle, nous fait changer radicalement d’ambiance, puisque la guerre est arrivée. On quitte donc le récit d’apprentissage pour plonger dans la dark fantasy militaire, qui s’impose par des scènes nettement plus nerveuses, où prédominent l’action, la violence et la peur. Ce sentiment est hyper présent et j’ai apprécié cet aspect. Certes, les personnages que l’on suit sont des miliaires de carrière… mais la plupart sont encore étudiants et ne se sentent pas vraiment à la hauteur de la tâche.
Ceci étant dit, plus l’on avance vers la fin, plus ils s’y mettent : la violence va grandissant, et l’autrice ne nous épargne aucune des scènes terribles que l’on pouvait attendre de la guerre (tortures, viols, etc.), avec une description par le menu de toutes les atrocités. Il faut parfois s’accrocher.
C’est également dans cette partie que se développe le système de magie. Alors que, jusque-là, Rin tâtonne avec ses pouvoirs, elle est amenée à les exploiter de plus en plus. Le système, fortement inspiré du shamanisme (d’ailleurs les guerriers dotés de pouvoirs sont appelés des shamans) est assez simple, mais peut-être sera-t-il un peu plus détaillé par la suite car certains aspects sont laissés un peu en suspens. En tout cas, l’idée est vraiment intéressante !

Bien que l’ambiance de la seconde partie soit bien différente, les thèmes ébauchés dans la première sont toujours présents en toile de fond, notamment celui du racisme. Cela s’explique peut-être par l’inspiration du roman. En effet, au vu des sonorités des noms, et des atrocités décrites, il est difficile de ne pas penser aux guerres sino-japonaises. J’ai eu l’impression de lire de la fantasy historique, même si j’aurais du mal à le classer dans cette catégorie, dans la mesure où l’univers est clairement fictif. Quoi qu’il en soit, on assiste à certaines scènes (notamment dans les laboratoires) qui rappellent fortement des faits réels.

Dès le départ, je me suis laissée embarquer par l’ambiance et l’intrigue. Les péripéties s’enchaînent sans submerger les lecteurs, et l’autrice s’est attachée à développer ses personnages. Toutefois, j’ai trouvé le dernier tiers nettement moins prenant. D’une part, j’ai eu l’impression que la logique d’enchaînement des événements était parfois étrange – comme si tout arrivait trop vite, ou trop à point nommé. De plus, les relations entre personnages ne sont pas hyper développées – ou alors elles sont racontées et pas tellement mises en scène. L’intrigue, de plus, semble un peu plus brouillonne dans cette partie-là, avec des enchaînements que j’ai trouvés soit peu logiques, soit un peu trop faciles. Ce qui m’a laissé une impression de dernier tiers un peu bâclé (ou en tout cas, moins travaillé que les deux précédents), et m’a parfois fait décrocher. Malgré tout, j’ai lu le roman avec intérêt jusqu’au bout, c’est simplement que celui-ci était un peu moindre sur la fin.

Malgré un dernier tiers en demi-teinte, j’ai trouvé ce roman particulièrement prenant. J’ai apprécié l’univers et le système de magie (même si celui-ci reste assez simple), comme l’apparente inspiration historique. Je dois dire que j’ai été assez surprise (positivement !) par le brusque changement de ton entre la première et la seconde partie, mais cela a fait redoubler mon intérêt pour ce que j’étais en train de lire. Je trouve que ce premier tome (car oui, c’est une trilogie) a un bon potentiel, et je suis assez curieuse de lire la suite.

La guerre du pavot #1, R. F. Kuang. Traduit de l’anglais (américain) par Yannis Urano.
Actes Sud (Exofictions), juillet 2020, 565 p.

 

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