De Lune et de Sang #1, Erin Beaty.

Au cœur de la ville de Collis s’élève un immense Sanctum, en construction depuis des années. Et sur la plus haute de ses flèches se dresse la silhouette de Catrin, jeune orpheline qui inspecte travaux et échafaudages pour le compte du maître architecte, Thomas. Un soir de pleine lune, en mission pour celui qu’elle considère comme son père adoptif, elle fait une chute vertigineuse et se blesse… Pire encore, l’espace d’un instant, elle a la vision sanglante d’un meurtre et entend les appels au secours d’une femme.
Lorsque le brillant et énigmatique Simon de Mesanos est chargé d’élucider le mystère, Catrin se retrouve entraînée dans une dangereuse spirale, où le tueur ne cesse de frapper, encore et encore. Grâce aux instincts d’une précision effrayante du jeune homme, expert en matière de folie criminelle, le duo tente de remonter la piste du prédateur… Tout ce temps, la jeune fille doit aussi protéger son propre secret – elle découvre peu à peu que la lune lui accorde des pouvoirs surnaturels qui pourraient bien faire d’elle une paria… mais pourraient surtout être la clef de tout.

J’avais beaucoup aimé la trilogie La Couleur du mensonge d’Erin Beaty (même si je n’ai jamais chroniqué les tomes 2 et 3 !) donc j’étais assez curieuse de lire cette nouvelle parution de l’autrice, laquelle a tenu toutes ses promesses !

Ce nouveau récit nous emmène dans un univers de fantasy médiévale, ambiance construction des cathédrales – car oui, le Sanctum sur lequel travaille Catrin est très clairement une cathédrale – en Europe. Disons qu’avec des noms de pays ou villes comme Gallia ou Londinium, on peut s’imaginer en pleine Europe revisitée ! Mais c’est tout pour ce qui concerne le terrain connu : tout le reste est purement fictif.
À commencer par la société dans laquelle évolue Catrin : certes, elle est très fortement inspirée de l’Europe médiévale dans les tenues, ou l’architecture, mais se démarque de ce que l’on connaît du point de vue religieux. Collis présente en effet une population séparée en deux groupes : ceux qui prient le Soleil, et ceux qui prient la Lune. Ces derniers, les Selenae, sont très mal vus par le reste de la population, et ne quittent qu’extrêmement rarement les quartiers fermés dans lesquels ils vivent. On leur attribue toutes sortes de maux… et de pouvoirs magiques. Eh oui, c’est un roman de fantasy !

Mais il faut reconnaître que de fantasy, on n’en voit pour ainsi dire pas le bout du nez avant un long, très long moment. Je dirais que les deux gros premiers tiers du roman ont tous les atours du thriller, ambiance ésotérique. Les éléments fantasy (suspicion de présence de magie, par exemple), sont là en toile de fond, avant de prendre de plus en plus d’importance. Et, alors que je suis plus amatrice de fantasy que de thriller, j’ai trouvé ça vraiment chouette et bien fait. En effet, dans la plupart des romans de ce type, le protagoniste qui se découvre des pouvoirs va les mettre au service de l’enquête en cours ou de ses ambitions personnelles et ce, généralement, assez rapidement. Là, on est dans un autre type de schéma, puisque l’ambition personnelle de Catrin est, avant tout, de protéger son maître et sa cellule familiale. De fait, la découverte de ses pouvoirs passe complètement au second plan – ce qui s’explique aussi par le climat de suspicion qui règne envers les Selenae et toute forme de magie. J’ai beaucoup aimé que l’héroïne ne découvre pas ses pouvoirs et la façon de les utiliser en deux coups de cuiller à pot, avant de résoudre aisément l’enquête ! Cela change un peu ! À cela se mêle (quand même !) un brin de vie quotidienne des personnages et d’aspirations personnelles (et amoureuses, on n’y échappe pas), ce qui permet de donner du liant et de nous familiariser assez vite avec la galerie (assez nombreuse) de personnages.
Il arrive d’ailleurs parfois que cette partie semble prendre le pas sur les autres : la mise en place du récit, comme des éléments d’enquête (ou de découverte des pouvoirs) se fait donc assez progressivement, ce qui peut parfois donner l’impression que l’on piétine allègrement.

Autre point qui m’a beaucoup plu : les sujets abordés au fil de l’intrigue. Autant j’ai trouvé que la pseudo expertise de Simon de Mesanos était assez maladroitement amenée, autant cela m’a semblé s’améliorer par la suite. Dès le départ, Simon est présenté comme un expert de la folie, puisqu’il vient d’une ville qui y consacre ses forces vives (accueil des malades, soins, etc.). Entre ça et le fait que les personnages aient à peine vingt ans et se comportent comme des experts blasés du triple d’âge, j’ai trouvé qu’il y avait un petit décalage pas forcément seyant. Mais eh ! Après tout, c’est un roman young-adult donc, d’une part, cela fait partie des codes du genre et, d’autre part, on était sans doute matures beaucoup plus vite dans ces époques que dans la nôtre !
Mais trêve de digression : revenons-aux thèmes traités. La maladie mentale est vraiment le thème majeur qui hante le récit, avec différents spectres. Non seulement j’ai trouvé cela original, mais j’ai trouvé en sus que le tout était plutôt bien traité, sans trop de clichés (pour ce que j’y connais, c’est-à-dire : pas grand-chose). Il sera également question de relations familiales et d’identité, mais ces deux thèmes ont déjà été largement traités en littérature jeunesse et, s’ils sont bien exploités, ils n’ont pas l’originalité du précédent.

J’ai donc passé un très bon moment avec titre ! Certes, j’ai quelque peu levé les yeux au ciel devant les poncifs du genre (personnages très expérimentés, romance rapide), mais l’ambiance thriller sur toile de fond fantasy a suffi à m’emporter, tant l’enquête vient rythmer l’intrigue – et ce malgré une mise en place qui sembler un peu lente. Je me suis laissée berner par la chasse au coupable et, si la quête des origines de l’héroïne n’est guère surprenante, j’ai trouvé qu’elle était plutôt bien amenée. J’ai beaucoup aimé la façon dont était traité le thème de la maladie mentale, pas si fréquent dans ce type de publications. Et malgré un tome qui s’achève sur une conclusion convaincante, je suis assez impatiente de découvrir ce qui nous attend dans la suite et fin !

De Lune et de Sang #1, Erin Beaty. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Marie Kempf.
Lumen, 16 janvier 2023, 626 p.

Les sœurs Hiver, Jolan C. Bertrand.

Il y a très longtemps, il y avait deux hivers : la Grande, avec ses froids polaires et ses blizzards, et la Petite, avec ses glissades joyeuses et ses batailles de boules de neige. Mais depuis que la Petite a disparu, tout est détraqué au village de Brume ! Les adultes sont inquiets, plus personne ne rit aux bonnes farces d’Alfred et, surtout, les trolls passent leur temps à voler des objets, qu’ils emportent à tout jamais dans la taïga. Lorsque l’oncle d’Alfred se porte volontaire pour rapporter les objets volés et qu’il disparait sous ses yeux, avalé par la tempête, c’en est trop : il faut partir à sa recherche, coûte que coûte, braver les dangers de la forêt boréale, et affronter la Grande Hiver…

Une fois n’est pas coutume, j’ai acheté ce roman surtout en raison de la couverture de Tristan Gion que je trouve fabuleuse ! Cerise sur le gâteau : il se trouve que l’intérieur m’a plu tout autant !

Le roman débute par le récit fondateur de la relation des deux sœurs, la Grande et la Petite Hiver. Or, depuis 10 ans, la belle synergie qui les unissait et assurait des hivers réguliers aux habitants a cessé, la Petite Hiver ayant brutalement disparu. La Grande fait souffler sans discontinuer les hivers rigoureux. Mais ce n’est pas le point de départ du récit ! Celui-ci se trouve plutôt dans les farces commises par les trolls, qui volent des objets précieux aux habitants du village où vit Alfred. Trop, c’est trop et les villageois se doivent de faire quelque chose.

Le récit nous entraîne donc dans la bise glacée d’un royaume viking, qui mêle influences scandinaves : on y prie couramment Loki, les sames mènent leurs rennes paître dans la taïga et la forêt est infestée de petits trolls farceurs qui peuvent se transformer en cailloux à la moindre alerte. Le fait que l’intrigue se déroule en hiver ne fait que renforcer cette ambiance. D’ailleurs, plus le récit avance, plus la mythologie nordique et ses légendes particulières s’invitent dans le récit, et viennent en bousculer le fil.
Dans ce décor particulièrement enchanteur, l’intrigue se construit à la fois comme un récit d’aventure et un récit d’apprentissage – Alfred devant apprendre seul à se débrouiller pour retrouver son oncle. Les péripéties sont prenantes et scandent bien le récit, qui se fait tour à tour épique, poétique, émouvant. On se croirait vraiment dans un conte, et c’est une ambiance que j’ai vraiment appréciée. Il y a aussi des pointes d’humour vraiment bienvenues, car Alfred a un esprit farceur qui parfois peut se retourner contre lui, ce qui occasionne de savoureuses situations.

J’ai apprécié de retrouver une certaine diversité dans les personnages et un choix narratif vraiment intéressant. Les trolls, en effet, n’ont pas de genre défini, aussi les pronoms pour les désigner sont-ils le duo ul/uls. Qu’on ne s’inquiète pas : on ne les rencontre pas tant que ça au fil de l’histoire et la démarche est expliquée au début, ce qui facilite grandement la compréhension, y compris pour de jeunes lecteurs – le lectorat cible semblant être les préadolescents. Sous couvert d’un récit très traditionnel, le roman aborde en fait des sujets modernes avec justesse, et une certaine dose de légèreté très bienvenue.

J’ai parlé en intro de la splendide couverture : on retrouve des illustrations (en couleurs !) tout aussi sublimes à l’intérieur, celles-ci venant ponctuer le récit. C’est d’une part très agréable à l’œil, mais cela renforce d’autant l’impression si agréable de lire un conte d’hiver.

Jolan Bertrand et Tristan Gion signent donc un roman jeunesse d’excellente facture : les sublimes illustrations servent un texte accessible, très prenant, qui se fait tantôt poétique, tantôt épique, et qui nous immerge dans une ambiance de conte hivernal particulièrement agréable. On en redemande !

Les sœurs Hiver, Jolan C. Bertrand. Illustré par Tristan Gion. L’École des Loisirs, février 2022, 228 p.

Et avec ceci, je valide la catégorie « Chant de Noël » du Cold Winter Challenge 2022 !

Du roi je serai l’assassin, Jean-Laurent Del Socorro.

Andalousie, XVIe siècle. Sinan est un Morisque, un musulman converti au catholicisme. Il grandit avec ses deux sœurs, Rufaida sa jumelle, et Sahar la petite dernière, à Grenade, dans une Espagne réunifiée et catholique sous le règne de Charles Quint. Pour échapper à l’Inquisition qui sévit à Grenade, Sinan et Rufaida, les deux aînés de la fratrie, sont envoyés par leur famille à Montpellier, où ils suivront des études de médecine. Mais les deux enfants tombent dans une France embrasée par les guerres de religion.

J’avais beaucoup aimé Royaume de vent et de colères donc je n’ai pas tardé à acheter Du roi je serai l’assassin à sa sortie (même s’il a carrément traîné dans la PAL). Chronologiquement, ce récit se déroule avant celui de Royaume de vent et de colères, et ils sont indépendants, mais si vous souhaitez lire les deux, je recommanderai quand même de les lire dans l’ordre de parution pour bien tout saisir !

Je ne me rappelais pas, dans le précédent opus, que la narration était faite à la première personne et au présent de l’indicatif, ce qui généralement a tendance à me rebuter. Il m’a donc fallu quelques chapitres pour m’y remettre – l’auteur ayant une plume ciselée et fluide, cela s’est heureusement fait sans mal !
Le roman se découpe en trois grandes parties : la première est consacrée à l’enfance de Sinan et Rufaida, à Grenade ; la deuxième à leurs études montpelliéraines ; la troisième nous emmène, bien plus tard, à Marseille – et je n’en parlerai pas trop pour ne rien divulgâcher.

Alors évidemment, avec un roman qui débute en Andalousie au XVIe siècle, terre de persécutions, et qui se poursuit pendant les guerres de Religion en France, je m’attendais à une ambiance un peu sombre. Je ne m’attendais en revanche pas à ce que cette ambiance sombre et poisseuse s’invite dès les premiers chapitres et investisse l’enfance des personnages ! Ceux-ci vivent sous la coupe d’un père violent et autoritaire, que sa femme complètement effacée laisse faire. Les coups et les brimades pleuvent, personne ne s’en offusque, et il se dégage du récit une ambiance particulièrement morose.
Cela semble s’arranger à l’adolescence de Sinan et Rufaida, qui rejoignent Montpellier pour embrasser des études médicales. Sauf que… non seulement les jumeaux tombent en pleines guerres de Religion, mais Rufaida découvre en outre que jamais elle n’aura accès aux mêmes droits estudiantins que son frère, en raison de son sexe. De fait, la violence imprègne tout le récit et, côté bonne ambiance, on reste dans la même veine.
De la troisième partie, je dirai seulement qu’elle marque une rupture franche et audacieuse dans la narration et qu’elle fait appel aux événements narrés dans Royaume de vent et de colères (d’où ma recommandation d’ordre de lecture). Toutefois, si ce n’est pas lu, vous ne manquerez rien du récit présent, et cela vous donnera envie de découvrir l’autre pour combler les trous !

Comme dans d’autres romans de l’auteur, la précision historique du récit est admirable. Que ce soit dans les descriptions de paysages, des mœurs, ou dans les péripéties, on s’y croirait à chaque instant. L’élément fantasy m’a semblé assez lointain : la quête de la Pierre du Dragon et de l’art des Artbonniers est bien en tête des objectifs des jumeaux, mais ce n’est finalement pas ce qui occupe la majeure partie du récit. Dans la mesure où celui-ci est déjà très complet, le fait que la quête soit plutôt là en toile de fond ne m’a nullement gênée ! J’étais bien trop occupée à me demander comment les personnages allaient se tirer des divers guêpiers dans lesquels ils étaient fourrés.
Car le récit est particulièrement prenant. Qu’il s’agisse des stratagèmes pour oublier la colère paternelle, des fêtes et découvertes estudiantines, ou de la révolte contre les lois chrétiennes, il est difficile de s’ennuyer tant l’intrigue est palpitante. Ce n’est pas tellement que ce soit truffé de scènes d’actions trépidantes (sauf sur la fin), mais la tension constante qu’instille l’auteur instaure un rythme plus que confortable. Et il fallait bien ce rythme soutenu, je pense, pour absorber la violence et la noirceur des thèmes traités, puisqu’il est ici essentiellement question de violences, maltraitance, deuil, rejet ou acceptation de l’autre, le tout exacerbé par les différences de culture et/ou de religion. Et si j’ai lu le roman d’une traite, ce n’est pas une lecture que je recommande en période de déprime !

En bref, j’ai passé un très bon moment avec Du roi je serai l’assassin, qui propose un récit dramatique, mais particulièrement prenant. La plume ciselée et élégante de l’auteur contribue à rendre le récit hautement immersif, tout en évoquant avec une certaine délicatesse (quoique sans fards) des sujets de société. De fait, bien qu’il s’agisse d’un roman historique, on trouve dans le récit un écho très fort à l’actualité, puisque les guerres de religion, la violence, le sexisme et le racisme sont au cœur du récit. La touche fantasy étant assez ténue, j’ai bien envie de recommander ce titre, non seulement aux amateurs, mais aussi à des lecteurs qui lisent peu ou pas de fantasy, car cela pourrait être une bonne porte d’entrée !

Dans le même univers : Royaume de vent et de colères ;

Du roi je serai l’assassin, Jean-Laurent Del Socorro. Actusf, avril 2021, 368 p.

Sirem et l’oiseau maudit, Yasmine Djebel.

Depuis la fin de la guerre des Astres, Sirem travaille avec son père adoptif, Ziri, dans la bibliothèque de la cité d’Afra. Quand Ziri est victime d’un attentat, Sirem doit affronter les fantômes de son passé et le pouvoir autoritaire des Veilleurs, adorateurs du Soleil. Esseulée, elle pactise avec Tanit, une femme transformée en faucon par un sortilège. Mais peut-elle faire confiance à l’oiseau maudit ? Qui est-il vraiment, et quels sont ses secrets ?
La mystérieuse prophétie d’une voyante va lancer Sirem et l’oiseau dans une quête périlleuse où, à la lumière incertaine de la Lune, la magie peut revêtir des formes inattendues…

Voilà un roman jeunesse que j’avais hâte de découvrir, car il nous emmène sur des rivages pas si souvent arpentés dans le genre.

Sirem, notre héroïne, ne tarde pas, après le début, à se mettre dans la panade. L’intrigue nous plonge dès les premières pages dans un univers assez dense. Il y est question de peuples du Soleil et de la Lune, de la caste des Déconstellés et d’un univers qui ressemble à s’y méprendre à un régime totalitaire. Entre les particularités géographiques (chaque ville a ses spécificités, y compris celles qui ont disparu), les dispositions du régime et les enjeux des personnages, le début du récit se révèle assez trapu.

Après cette introduction, on retrouve un semblant de schéma classique : Sirem se retrouve armée d’une énigme-prophétie, d’un improbable allié (Tanit le faucon) et, au fil des péripéties, de plusieurs adjuvants. L’intrigue suit le déroulement d’un récit de fantasy initiatique assez linéaire, ponctué de multiples épreuves au cours desquelles les personnages vont devoir prouver leurs valeurs, leur courage ou leur intelligence. Déjà vu ? Un peu, mais tout ceci a aussi des allures de conte, ce qui rend le récit particulièrement prenant. Le conte s’invite d’ailleurs carrément dans un interlude, ce qui vient appuyer sur cette ambiance particulière.
Les épreuves font arpenter aux personnages les quatre coins du pays, ce qui va, peu à peu, contribuer à construire l’univers et affiner la présentation très dense du début. D’autant qu’au fil des péripéties, on se plonge aussi dans la mythologie orientale qui irrigue tout le récit. Celui-ci fait donc intervenir moult djinns et autres créatures des contes d’Orient, ce que j’ai hautement apprécié. Autre point que j’ai apprécié, c’est la nature des épreuves, qui sont truffées d’énigmes : ça change des grosses scènes de baston (même s’il y en a quelques-unes !), cela contribue à l’ambiance mystérieuse, et cela fait réfléchir, donc c’est tout bénéf’ !

Au milieu de toute cette action trépidante, le récit aborde aussi divers thèmes. Évidemment, l’amitié et la loyauté sont au centre du récit. Mais le récit évoque aussi le deuil (Sirem ayant perdu ses parents dans des circonstances tragiques), le déracinement et la difficulté pour un réfugié de survivre dans une société qui le rejette. Assez curieusement donc, sous ses allures de conte merveilleux, le roman évoque avec justesse des thèmes d’actualité assez sombres.
Il fallait donc bien l’ambiance merveilleuse pour contrebalancer !

Excellente découverte donc, que ce roman (unique !), qui nous entraîne en Orient, sur les traces d’une héroïne courageuse et attachante. L’autrice déroule son récit d’une plume fluide, qui rend le récit d’autant plus prenant. Je suivrai avec attention la suite de ses parutions !

Sirem et l’oiseau maudit, Yasmine Djebel. Rageot, 11 janvier 2023, 400 p.

Lettre D !




Robustia, Betty Piccioli.

Robustia. Une cité où chaque métal correspond à une position sociale. Où le combat peut vous élever dans la société.
Biann, conseillère d’Électrum, vient tout juste d’acquérir ce statut prestigieux en s’illustrant lors d’un tournoi. Mais la maladie qui la ronge à chaque cycle pourrait bien mettre un terme à sa carrière…
Kalel, conseiller d’Airain, se ne se remet pas d’avoir perdu sa position d’Électrum. Aveuglé par la rage, il est prêt à tout pour récupérer son pouvoir, jusqu’à se perdre lui-même…
Aequo, ancien habitant du royaume de Chromatopia, a entamé un long voyage loin de sa cité pour fuir ses démons. Jusqu’au jour où ses pas le conduisent face aux remparts de Robustia…
Ils ne le savent pas encore, mais leur rencontre pourrait bien sceller le sort des deux cités à jama
is.

J’avais été séduite par Chromatopia, dont le récit se déroule dans le même univers, donc j’étais assez curieuse de lire Robustia – qui peut se lire indépendamment. Si vous n’avez pas lu le précédent récit, pas de panique : les événements qui s’y déroulent et les enjeux qui en découlent sont largement rappelés dans le cours du texte (d’ailleurs, s’ils peuvent se lire indépendamment, je recommanderais quand même de commencer par Chromatopia, sans quoi vous risquez de vous divulgâcher complètement cette lecture !).

On découvre donc une autre cité au fonctionnement basé sur des castes, cette fois identifiées par des métaux. Pas de déterminisme ici, puisqu’il est tout à fait possible de changer de caste (vers le haut ou le bas), à l’occasion du tournoi guerrier annuel de la cité : la caste est déterminée par les résultats au combat de chacun.
C’est sur ce tournoi que s’ouvre justement l’histoire, tournoi dans lequel Biann va s’illustrer, et passer Conseillère d’Électrum, soit le plus haut rang qui soit – ce qui, au passage, lui attire la profonde inimitié de Kalel, qu’elle détrône sauvagement. Cette amertume va amener le jeune homme à des décisions politiques pas toujours très judicieuses, qui visent essentiellement à mettre son adversaire en difficulté et ce au détriment d’une politique fine. Troisième personnage : Aequo, qui a quitté Chromatopia à la fin de l’opus précédent et arrive à Robustia en qualité de touriste. La narration chorale va donc sauter de l’un à l’autre, dans une chronologie pas toujours linéaire (quelques petits retours dans le temps), ce qui nous donnera un aperçu assez global de la situation.

Les voix des personnages sont assez similaires, mais l’en-tête des chapitres et leurs préoccupations respectives permettent de toujours s’y retrouver. Comme dans l’opus précédent, j’ai apprécié leur diversité. Mais ce que j’ai trouvé hautement original, c’est que Biann souffre manifestement d’endométriose, un mal qui lui provoque des crises terribles et risque de mettre à mal sa position dans la cité – puisqu’on n’accepte pas la faiblesse, sous quelque forme que ce soit, à Robustia. Non seulement cette maladie est la source de quelques péripéties très prenantes, mais en plus de cela elle permet d’amener toute une réflexion sur le validisme de cette société, et le bien-fondé (ou non) à reléguer les « faibles » dans un quartier spécifique. En plus de cela, c’est assez rare de voir ce thème en littérature jeunesse, surtout traité ainsi, donc j’ai d’autant plus apprécié. J’ai simplement regretté qu’il semble s’amenuiser sur la fin (ceci étant dit, il se passe bien assez de choses sur la fin comme cela).
Chacun des personnages porte ses enjeux personnels et ses opinions. Je dois dire que celui que j’ai trouvé le plus intéressant à suivre est, finalement, Kalel, dont on suit l’aveuglement et l’entêtement qui mène aux pires décisions – tant politiques que personnelles. Je l’ai trouvé vraiment bien écrit, ce que je tiens à souligner, car je n’apprécie pas généralement les personnages sans nuances !

Ce qui peut sembler assez étonnant, c’est que le roman n’est pas tant bourré de scènes d’actions. Il y a évidemment des scènes de combat assez spectaculaires, de chasse ou de guerre, mais toute la tension réside plutôt dans les complots politiques qui agitent Robustia et dans lesquels les personnages sont pris. Les complots, et aussi les relations extérieures, notamment avec Chromatopia : il est beaucoup question de commerce, de géopolitique et des relations qu’entretient Robustia avec les cités alentours, ce qui m’a un peu surprise, car je m’attendais, vu le contexte guerrier, à de la baston en continu !

Chromatopia était une bonne découverte, Robustia l’a également été. L’intrigue, truffée de complots, est portée par un style fluide et entraînant qui rend la lecture difficile à arrêter. A lire si vous voulez faire une incursion en fantasy dystopique !

Dans le même univers : Chromatopia.

Robustia, Betty Piccioli. Scrinéo, 25 août 2022, 416 p.

Le Temps des sorcières, Alix E. Harrow.

Avant, quand l’air était si imprégné de magie qu’il laissait un goût de cendres sur la langue, les sorcières étaient féroces et intrépides, la magie flamboyait et la nuit leur appartenait. Ce temps n’est plus, les hommes ont dressé des bûchers, et les femmes ont appris à se taire, à dissimuler ce qui leur restait de magie dans des comptines, des formules à deux sous et des contes de bonne femme.
Mais la vraie sorcellerie n’a besoin que de trois choses pour renaître : la volonté de l’écouter, les vers pour lui parler, et les voies pour la laisser pénétrer le monde. Car tout ce qui est important va par trois.
Ainsi des sœurs Eastwood : Bella, Agnès et Genièvre. Mues par la colère, la peur… et une pulsation écarlate qui ne demande qu’à revivre, des dons qu’elles découvrent peu à peu. Il suffit pour cela de s’unir, et d’y croire, de traquer tous les interstices où elle se dissimule. Car la magie, c’est d’abord penser que chacun est libre d’agir, même si le mal rôde. Le temps des Sorcières pourrait alors bien revenir, pour notre plus grand bénéfice à tous, hommes et femmes.

1893, aux États-Unis : on pourrait penser que la fumée des bûchers de Salem est loin derrière le pays, mais il n’en est rien. Car à New Salem, on s’inquiète de ces suffragettes qui réclament le pouvoir. L’inquiétude se teinte d’angoisse lorsque, au beau milieu d’une de leurs manifestations, une ancestrale tour sentant la magie à plein nez se matérialise sur la place, avant de disparaître aussi vite. Qui a lancé ce sort ? Y a-t-il de vraies sorcières à New Salem ?

De fait, oui. Car dans cet univers, la magie est quelque chose de courant : on s’en sert pour repriser les chaussettes, donner du lustre à une coiffure, ou retaper un massif de fleurs. Bref : rien de folichon. Des sorts qui se transmettent de mères en filles, chuchotés dans des comptines, des ritournelles et dans les contes de fées. A côté de cela, il y a la magie ancestrale, celle pour laquelle on a brûlé tant de femmes, et qui permettait de déclencher des choses autrement plus spectaculaires.
C’est dans ce contexte que se retrouvent trois sœurs qui ne se sont plus vues depuis sept ans, Bella, Agnès et Genièvre. La première est bibliothécaire, la deuxième ouvrière et la troisième, recherchée pour le meurtre de son géniteur, ne rêve que de rétablir les pouvoirs disparus des sorcières.
Bon an mal an, les trois sœurs tentent de se rabibocher et de faire renaître la voie des sorcières, sur fond de mouvement politique féministe (les suffragettes étant en pleine action) et de secrets de famille profondément enfouis. Le parallèle tissé au départ entre la lutte politique des femmes et leur lutte ésotérique, s’efface peu à peu au profit de la seconde – ce que j’ai quelque peu déploré, car je trouvais le parallèle assez intéressant. Ceci étant dit, les jeunes femmes luttent contre les vieilles badernes de la politique locale, lesquelles ne dédaignent pas… un peu de sorcellerie de temps à autres. Ce qui explique sans doute pourquoi le récit se resserre sur l’une des deux luttes.

Elle s’empare avec morosité d’une des notes de Bella et y voit le croquis d’une femme crachant du feu par la bouche.
« C’est un sort d’embrasement ?
On dirait, oui.
Je peux l’essayer ?
Est-ce que tu peux allumer un feu magique dans une tour remplie de papier et de cuir ?
Genièvre réfléchit un instant. « Même si c’est un tout petit feu ? »

Le récit entremêle assez habilement préoccupations présentes des trois jeunes femmes, règlement de leurs contentieux passés (lesquels sont assez nombreux, notamment au sein de la famille Eastwood), et leurs différentes aspirations – et je dois dire que si chaque arc narratif est intéressant, c’est vraiment celui consacré à leurs relations qui m’a le plus emballée.
Chaque chapitre s’ouvre sur des vers, autant de sortilèges aux visées différentes, et qui généralement sont utilisés dans les pages ou chapitres suivants. Cela instaure un effet d’attente assez intéressant et qui redynamise l’intrigue. Et celle-ci en a bien besoin. En effet, difficile d’oublier à quel point la volonté des trois femmes de restaurer la voie des sorcières est forte, tant celle-ci est rabâchée, au point d’introduire des répétitions et des longueurs qui cassent le rythme du récit. Les chapitres, en outre, sont entrecoupés d’extraits de contes. Cela cadre bien avec le récit, puisque Bella est une lettrée travaillant sur les-dits contes, mais ils arrivent la plupart du temps comme un cheveu sur la soupe, grossièrement justifiés dans le récit. A nouveau, le rythme en pâtit et retombe comme un soufflé. Malgré cela, ce n’est pas inintéressant, notamment parce que les figures légendaires de l’Aïeule, la Mère et la Pucelle, un triptyque de personnages de contes, est hyper important dans le récit, et se trouve amené par ce biais-là.
Heureusement, la tension revient nettement dans le dernier tiers, où se suivent les scènes de lutte acharnée, les batailles rangées et les grandes démonstrations de magie – que j’espérais donc depuis le début !

« Béatrice attend, le sang en ébullition.
Il ne se passe rien. Naturellement.
Des larmes – absurdes, idiotes – lui piquent les yeux. Espérait-elle une magistrale démonstration de magie ? Des vols de corbeaux, des nuées de fées ? La magie est une chose ennuyeuse et déplaisante, plus utile à blanchir les chaussettes qu’à invoquer les dragons. Et même si Béatrice était tombée sur un sort ancien, elle ne pourrait le lancer que si le sang des sorcières coulait dans ses veines. Elle ne peut s’approcher davantage du lieu où la magie est réelle, où les femmes et leur parole ont du pouvoir, qu’à travers les livres et les contes. »

Le roman tourne essentiellement autour des trois sœurs, mais celles-ci sont entourées d’une galerie de personnage intéressants, parmi lesquelles Cléo, une journaliste noire qui lutte pour les droits civiques autant que pour le vote des femmes, ou encore Auguste, un ouvrier de Chicago qui a mené des grèves assez dures – oui, car tous les hommes ne sont pas pourris au royaume de New Salem. Si, dans un premier temps, j’ai déploré l’amenuisement de la lutte politique, j’ai apprécié ce côté « convergence des luttes » qu’induisaient les relations des trois sœurs.

J’ai également apprécié le système de magie, qui nécessite de connaître à la fois les vers du sortilège, mais aussi d’en réunir les voies, à savoir les éléments pour jeter le sort : du sel, des plantes, des plumes… Cela m’a rappelé le système utilisé dans la série jeunesse Magyk d’Angie Sage (que je vous recommande chaudement !). Autre point intéressant, il y a tout un débat sur la « magie des femmes » et la « magie des hommes », certains personnages pensant qu’elles ne peuvent qu’être bien définies et genrées (ce que l’intrigue va évidemment détourner). De même, les sorts ne sont pas universels et peuvent se transmettre uniquement au sein d’une communauté, d’une famille, d’un pays… C’était vraiment un système intéressant !

Le Temps des sorcières proposait donc le type de récit que j’apprécie lorsqu’il s’agit d’histoires de sorcières : un système de magie intéressant, des personnages avec des aspirations prenantes et un ancrage historique que j’ai vraiment apprécié. Le récit mêle habilement différents arcs narratifs, parmi lesquels j’ai préféré celui consacré aux relations des trois sœurs. Malgré les longueurs indéniables que comporte le roman, je l’ai lu avec beaucoup d’intérêt, notamment parce que la tension revenait en force dans le dernier tiers. Bonne pioche, donc !

Le Temps des sorcières, Alix E. Harrow. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Thibaud Eliroff.
Hachette (Le Rayon de l’imaginaire), 2022, 622 p.

Une couronne d’os et d’épines, Emily Norsken.

Bien au Nord, sur le royaume de Cnàimh, les Dieux, les Anciens et les Os veillent. Le souvenir du roi Teodor dit le Boucher hante toujours ses habitants. Pour survivre aux hivers glacials du dieu Wyrn, ces terres doivent rétablir les alliances défaites sous la lame des conquêtes de feu le dirigeant sanguinaire.
Nayla appartient au sang sombre, la chamane l’a désignée ainsi lors de son rituel de passage. Corbeau, elle devra devenir. Elle doit rejoindre cet ordre de femmes pour devenir les yeux et les oreilles du roi des Os, Ingvar le Juste. Guidée par la Reine des Corbeaux, Frihër Agn, Nayla devient Nå, son héritière.

C’était le dernier roman qu’il me restait à lire pour le PLIB 2022… et c’est sans doute celui sur lequel j’ai le plus peiné ! Si je ne l’avais pas lu en lecture commune avec mes habituelles comparses, je l’aurais sans doute abandonné avant la moitié.

Pourtant, cela démarrait plus que bien ! Le récit nous emmène sur des territoires nordiques âpres et bien décrits (en tout cas, je m’y croyais). Nayla rejoint les Corbeaux, une consœurie de femmes infertiles destinées à des postes de pouvoir (la Reine des Corbeaux régnant au même titre que le Roi Ingvar, alors que l’épouse de ce dernier est réduite au rang de consorte sans aucun pouvoir). L’univers est empreint de mythologie, de chamanisme, de rituels liés au sang, aux os et, de fait, se révèle particulièrement violent (si vous n’aimez pas les scènes de viol, passez votre chemin) (même si apparemment c’est pas grave, le garçon n’étant pas moche, sic).
L’organisation politique, reposant sur un roi avec le pouvoir central, et un réseau de femmes diplomates liées par les règles et les rituels de leur ordre, m’a beaucoup plu dès le départ. Malheureusement… le soufflé est très vite retombé. Car dès lors que Nayla progresse dans l’apprentissage de son ordre et que l’intrigue se dessine, tout semble jeté à l’eau.
L’ordre de diplomates chevronnées règle en fait tout par le sexe sans se poser plus de question, et je cherche encore l’intrigue politique. Oh, de la politique, il y en a bien, sans doute, quelque part. Mais l’héroïne ne narrant jamais les discussions ou éléments la faisant progresser, on a la désagréable impression qu’elle est aussi spectatrice du récit qu’est le lecteur. A la place, on a droit à l’intégrale de ses promenades et atermoiements sentimentaux (et c’est très agaçant). Et comme le récit est à la première personne, hormis de rares exceptions, pas moyen d’aller voir ailleurs ce qu’il se passe.

De plus, le récit souffre d’un problème de rythme. Il est composé d’énormément de péripéties (il fait près de 700 pages, quand même), de voyages dans des contrées étrangères et de découvertes étonnantes. Mais tout est survolé, au profit de paragraphes bavards de l’héroïne se plaignant de choses et d’autres, ou d’ellipses parfois malvenues. Avec ça, le récit est découpé en quatre grandes parties, séparées par des contes : ils sont intéressants pour l’univers en général, mais complètement anecdotiques, et viennent généralement couper le rythme.
On se retrouve donc dans l’ensemble avec des longueurs assez rebutantes, qui ont bien failli avoir raison de ma patience à plusieurs reprises. Pourtant il y a de la matière, on sent que c’est assez dense et qu’il pourrait y avoir de quoi faire un récit choral (d’ailleurs il y a tentative sur la fin, j’ai regretté que ce ne soit pas généralisé).

Malgré le bon a-priori de départ, j’ai regretté que l’on retombe assez vite dans du déjà-vu. A Cnàimh, les hommes gouvernent, les femmes obéissent (et ouvrent les cuisses). On se demande bien, dès lors, pourquoi on fait tout un foin du statut de la Reine des Corbeaux ? S’il s’agissait d’avoir un réseau de prostituées de luxe, pas la peine de nous rebattre les oreilles avec la diplomatie (dont on nous parle beaucoup, sans jamais nous la montrer, du reste). Avec ça, j’avoue que le viol comme technique d’apprentissage et épreuve pour forger le caractère, cela commence à bien faire (d’autant que le traitement de la scène en question, sous des aspects sensuels, est quand même assez particulier, pour ne pas dire dérangeant).
De plus, les Corbeaux se présentent comme une sororité. J’avoue que je la cherche encore (c’est pourquoi j’ai préféré le terme consœurie plus haut). Parce que si je résume, le credo de l’ordre, c’est langue de vipères et poignards dans le dos, pas de quoi s’enorgueuillir !

En fait, le récit recelait trop d’incohérences pour que j’y accroche. Il y avait ces incohérences du point de vue de la toile de fond, que je viens d’évoquer, mais il y en a d’autres (le personnage muet et analphabète qui s’exprime subitement comme un académicien avant de repartir du côté de l’homme des cavernes, notre héroïne soi-disant fine diplomate qui se fait berner comme une gamine de deux ans, et des réactions de personnages peu crédibles). L’aspect archétypique de nombreux personnages ne m’a pas non plus passionnée : la méchante est méchante parce que c’est la mode, et les autres se cantonnent à leurs rôles (le garde loyal bon, la traîtresse mesquine, etc.). Peu de surprises de ce côté là, malheureusement.

Enfin, il reste énormément de coquilles dans le texte, ce qui n’a en rien fluidifié la lecture ! Et c’est dommage, car l’autrice a une plume qui rend les scènes très visuelles, qui ne dédaigne pas quelques passages poétiques, et qui se lit vraiment bien – et qui explique aussi pourquoi je suis allée jusqu’au bout.

Lecture plus que mitigée, donc. Autant j’ai accroché aux divers éléments de l’univers, très prometteur, autant les incohérences dans le récit, le côté archétypique (tant de l’univers que des personnages), les longueurs, les multiples coquilles, et l’absence d’intérêt général pour l’intrigue, auront rendu cette lecture particulièrement pénible (au point que ça m’a sevrée de lecture pour plusieurs jours). Je ne voterai donc évidemment pas pour ce titre, mais dans la mesure où j’ai apprécié la plume de l’autrice, je guetterai ses prochains titres.

Une couronne d’os et d’épines, Emily Norsken. Les Trois Nornes, 1er septembre 2021, 658 p.
#PLIB2022 #ISBN9782492118043

Arkana, Sébastien R. Cosset.

Le roi du Lamior, Brant II, est sauvagement assassiné par un mage. Non seulement cela risque de plonger le pays dans le chaos (le roi n’ayant pas de descendance) mais, en plus, son sceptre disparaît. Or, celui-ci dissimulait un fragment de l’Arstaad, un artefact démoniaque surpuissant, objet de toutes les convoitises. Quelqu’un chercherait-il à recréer l’artefact ?
Arkana Staldeïn, amie du défunt, négociante et guerrière hors-norme, se lance dans l’enquête et part à la recherche des quatre fragments, afin d’éviter la reconstruction de l’objet.Elle aura à affronter les périls du désert, à explorer une nouvelle dimension surprenante et à survivre aux différents pièges et trahisons qui parsèmeront son chemin, pour accéder à la terrible vérité.

Parfois, la rencontre avec un roman ne se fait pas… et ici, on peut dire que ça ne l’a pas malheureusement pas fait.

Arkana est un roman de dark fantasy avec un démarrage sur les chapeaux de roue, puisqu’on assiste directement à l’assassinat (sauvage !) du roi Brant. Place ensuite à Arkana, la protagoniste qui a donné son nom au titre et que l’on suivra jusqu’à la fin. Dès le départ, elle est campée comme un personnage fort, au caractère bien trempé, un point sur lequel le récit va lourdement insister (avant de complètement revirer sur la fin). J’aime bien les personnages un peu campés dans leurs bottes, mais là il y avait un côté vraiment too much. Arkana est une héroïne de guerre, versée à la fois dans le maniement d’une énorme épée à deux mains et dans les arts magiques, qui sème la mort sans même y penser, une self-made-woman qui a créé son propre réseau de négoces monopolistique (mais dont l’objectif est d’amener la paix dans le monde…) et qui, bien sûr, a un terrible passé mystérieux et traumatique. Vous la voyez la paladine de JDR qui roule sur la partie, celle qu’on finit par interdire dans les PJ parce que les parties perdent tout leur piquant ? (Vous, qui jouez Red Cap dans Zombicide, je sais que vous comprenez.) On y est. Et c’est un peu cliché, malheureusement, parce qu’à vouloir trop en faire, cela manque de crédibilité. Avec ça, sur la fin, ce caractère est complètement jeté aux oubliettes… Or cela ne colle pas ! D’autant que la plupart des émotions ressenties par le personnage nous sont détaillées dans le texte, à la limite du constat, et non montrées, ce qui ne m’a pas du tout aidée à me sentir impliquée dans ma lecture.

Si Arkana occupe le devant de la scène, les autres personnages semblent, en comparaison, assez pâles. Ils sont esquissés à grands traits (souvent très caricaturaux concernant les opposants), et n’ont que peu d’existence dans le paysage. Ce n’est pas gênant en soi, mais dans la mesure où de nombreux rebondissements reposent sur les personnages secondaires, j’aurais apprécié un peu plus de proximité avec eux.

Le récit est découpé en quatre parties, respectivement intitulées Famine, Pestilence, Guerre et Mort, oui, comme les quatre cavaliers de l’Apocalypse. J’adore l’idée, mais elle est malheureusement sous-exploitée. De fait, je n’en ai pris conscience qu’à la troisième ! Dans chaque partie, on trouve éléments en référence au titre, mais de façon trop légère pour que ce soit véritablement percutant.
Ceci étant dit, le roman est déjà particulièrement dense, aussi cela était-il sans doute difficile de creuser plus. L’héroïne est prise dans une quête certes très linéaire, mais dont chaque étape fonctionne comme une mini-aventure à part entière. C’est peut-être aussi la raison pour laquelle certaines révélations et péripéties importantes semblent comme plaquées dans le récit : difficile de les insérer autrement, mais cela n’en reste pas moins quelque peu artificiel.

Malgré tout, le roman était prometteur. Si le récit est assez classique (pour ne pas dire couru d’avance dans les développements majeurs et la résolution), l’intrigue s’offre un détour par un rebondissement très original, et peu courant en dark fantasy. Même si on y retrouve tous les points qui m’ont agacée avec la protagoniste (et plus encore), c’était un choix narratif audacieux ! J’ai d’autant plus regretté la fin assez rapide et sans saveur, après ce détour pour le moins réussi.

Une lecture plutôt mitigée, donc. Malgré un univers intéressant et un choix narratif particulièrement audacieux, je n’ai pas accroché au développement du personnage principal, trop caricatural et trop peu nuancé.

Bonus : Galaxie Pop-Fiction propose l’écoute du premier chapitre !

Arkana, Sébastien R. Cosset. Livresque, février 2021, 330 p.

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Le Monde des Premiers #1, Lucie Thomasson.

Loin des intrigues de cours, au fin fond du royaume des Eristène, l’Académie prépare l’éducation des futurs serviteurs des Premiers. Tous sont de pauvres Terciers, sans magie ni droit, la classe dont le labeur consiste à veiller au bien-être des puissants du Continent. Victoire, son frère adoptif, Guilhem, et leur ami Dimitri rêvent d’une place auprès des plus grands : la cérémonie de fin d’étude approche et bientôt, une mission leur sera attribuée pour la vie. Et si Dimitri se voit Jardinier, Guilhem, Majordome, Victoire, elle, a les griffons dans la peau : elle sera éleveuse de créatures magiques chez les Hamilcar. Ou rien.

Vous la voyez ma PAL de boulot ? Bah des fois il y a des trucs géniaux qui tombent dessus et ce titre en fait partie !

L’intrigue démarre alors que Guilhem, Victoire et Dimitri s’apprêtent à rejoindre leurs Familles respectives, après une cérémonie de fin d’étude au goût amer, une étudiante ayant été retrouvée assassinée. Cet événement va très souvent revenir dans le récit, comme un symptôme des tensions politiques qui règnent entre les grandes familles. Je n’ai pas eu l’impression que l’on mettait le paquet pour élucider cette mort suspecte, mais les personnages l’évoquant à plusieurs reprises tout au long du récit, elle hante la toile de fond, ce qui crée une ambiance très prenante, avec un léger malaise – et qui détourne allègrement notre attention de l’introduction à l’univers !

Car oui, ce roman a un aspect introductif important, mais qui malgré tout ne prend pas le pas sur le reste. Nos trois personnages, subitement parachutés dans des régions (des prévoyers) éloignées et au sein de Familles qu’ils ne connaissent qu’aux travers de leurs études, découvrent assez lentement les subtilités de l’univers dans lequel ils évoluent. Et c’est bien fait, car nous suivons leurs découvertes au même rythme ! Le récit évolue donc assez doucement, mais ce rythme posé est vraiment nécessaire à la bonne mise en place des différents rouages de la machination – que l’on découvre elle-même assez tard, et qui remet clairement du piquant ce que j’ai hautement apprécié.

De façon assez classique, la narration alterne les points de vue des trois protagonistes, entrecoupés d’extraits de généalogies, de l’encyclopédie expliquant les pouvoirs de chaque Familles de Premiers, ou des lignées de Second, ou encore d’articles de journaux. Classique, oui. Mais vraiment bien fait ! Car l’autrice a pris un soin tout particulier en écrivant les voix des personnages, ce qui fait que, bien que leurs noms respectifs soient systématiquement rappelés en début de chapitre, il n’est pas nécessaire de les regarder pour savoir qui parle : Victoire a un style assez soutenu ; Guilhem s’exprime comme un charretier ; Dimitri, quant à lui, se caractérise par un sens de l’observation très affuté et un style plus synthétique. On a donc trois personnalités et trois voix bien différentes, dont les caractéristiques vont influer sur la façon de raconter les événements, et dont la présence, ou l’absence, seront symptomatiques de ce qu’il se passe. Cela faisait longtemps que je n’avais pas lu un roman à plusieurs voix faisant attention à ce genre de détails et cela m’a enchantée !

L’autre point qui m’a particulièrement plu, c’est la richesse de l’univers. Au départ, j’ai eu un peu de mal à me situer, car les informations fournies par les extraits de l’encyclopédie sont assez denses (et je n’avais pas lu le résumé, accessoirement). Mais plus j’avançais, plus j’étais ferrée. Déjà parce qu’une des trois protagonistes est là pour élever des griffons. Des griffons ! (Oui, c’est le côté fangirl qui parle). D’autre part, parce que j’ai vraiment apprécié le système de magie et ce qui en découle.
Chaque Famille a un pouvoir spécifique (entrevoir l’avenir, manipuler le temps ou les émotions, guérir, etc.) : ces familles sont celles des Premiers, les dirigeants des Prévoyers. A leurs côtés, les Seconds eux aussi détenteurs de pouvoirs spécifiques, quoique nettement moins spectaculaires. Enfin, les Terciers, les sans-pouvoirs, et donc globalement, la classe laborieuse.

« Ma première impression était fausse : les Premiers n’ignorent personne.
Ils choisissent qui existe en fonction du contexte. »

Le système de magie qui forme des castes est peut-être déjà-vu, notamment en littérature young-adult, mais ici, le système sert vraiment l’intrigue. Non seulement le complot politique s’y adosse complètement, mais cela amène en plus une petite dimension lutte des classes pas désagréable du tout. En plus de cela, tout cela est dans un premier temps relégué au second plan, dans le sens où les personnages par qui l’on discerne l’intrigue… n’en ont pas du tout conscience (disons que la conscience leur vient quand ils se retrouvent les deux pieds dans la mouise sans l’avoir cherché). C’est pourquoi je parlais de la révélation tardive de la machination, qui fonctionne comme un tiroir de l’intrigue ! Sur ce point précis, cela m’a un peu fait penser à la façon dont les éléments s’agencent dans La Passe-Miroir, quand on comprend enfin où on va. Bref : j’ai adoré.

Ce premier tome introduit un diptyque (qui devrait être suivi d’un tome compagnon), et quelle incroyable introduction ! On y suit des personnages soignés qui évoluent dans un univers bien construit et qui subissent une intrigue particulièrement bien menée. On signe où, pour le tome 2 ? Car vu la qualité du tome 1, j’ai hâte de rempiler pour la suite !

Le Monde des Premiers #1, Lucie Thomasson. Mnémos (Naos), 15 avril 2022, 304 p.

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Fleurs d’Oko #1, Laëtitia Danae.

À Sangaré, la magie, réservée aux hommes, se déploie en de multiples couleurs. Mais petite Oko est spéciale. Elle parle le Langage des fleurs.
Lorsque le murmure des griottes annonce la venue du puissant Soumaoro, envoûteur du royaume en quête d’un aspirant prêt à lui succéder, Oko prend sa décision. Elle quitte tout pour assouvir son besoin d’aventure et de reconnaissance.
Alors qu’aux portes de la capitale, la Brousse menace d’étendre son fléau, dans les dédales du palais d’Ivoire, Oko découvre un tout autre monde. Celui de la magie, telle qu’elle ne l’a jamais expérimentée, mais aussi les intrigues de la cour, les ruses et les coups bas. À qui peut-elle se fier ? Qui redouter ? Tant de questions, si peu de réponses. La concurrence est rude et les embûches parsèment le chemin de la jeune aspirante.
Et à travers ses épreuves, petite Oko deviendra grande.

Fleurs d’Oko faisant partie des cinq titres sélectionnés pour le PLIB, il a atterri sur ma PAL de l’été. Et en quelques mots comme en cent, c’était une lecture sympathique, mais clairement pas assez pour terminer en haut de ma liste de votes !

Après un démarrage en fanfare, le rythme du récit retombe rapidement, et se focalise presque entièrement sur Oko, seule (ou presque) dans le palais et attendant de rencontrer ses camarades de classe. C’est intéressant du point de vue de la construction de la protagoniste, mais j’ai trouvé que cela créait un ventre mou dans la narration – et durant lequel j’ai vraiment dû m’accrocher. Finalement, c’est sans doute un des deux points qui m’aura causé le plus de difficultés dans ce roman : le rythme ! Ce n’est pas tellement la lenteur (car j’aime les intrigues qui prennent leur temps), mais l’impression que ce rythme posé ne servait ni à la construction des personnages, ni à l’approfondissement de l’intrigue ou de l’univers.

Et c’est dommage, car l’univers dans lequel se déroule le récit est assez envoûtant. La société est globalement matriarcale (en tout cas les femmes dirigent), mais la magie est réservée aux hommes. Aussi la présence d’Oko (et d’Akissi, la seconde étudiante), est-elle assez mal perçue au début de l’intrigue. Et j’ai trouvé ça vraiment intéressant : l’aspect féministe de l’intrigue ne tient pas seulement à une inversion du paradigme habituel (en passant de société patriarcale à matriarcale), mais aussi au fait que l’autrice décrit des personnages féminins qui se prennent en main et font tout leur possible pour faire bouger les lignes (même si elles ne sont que deux et sont à couteaux tirés). A ce stade de la chronique, je me dois aussi d’avouer qu’après m’avoir royalement tapé sur le système, Oko m’a semblé manquer d’un peu de profondeur, tout comme ses camarades de classe, que j’ai trouvés un peu cliché (et c’est le second point qui m’aura vraiment gênée).
Côté construction de l’intrigue, mythes et légendes africaines imprègnent le récit, soit parce que Soumaoro, l’envoûteur, les raconte à ses étudiants, soit parce ce que des extraits ouvrent les chapitres ou émaillent le récit, ce qui crée une atmosphère prenante.

J’ai trouvé le système de magie à la fois intéressant et trop peu détaillé : il y a quatre types de magies différentes, chacun relevant d’une affinité particulière (avec les plantes, l’esprit, etc.) et étant désigné par une couleur. C’est une base vraiment intéressante, et j’étais frustrée de ne pas savoir comment les personnages sont à l’aise avec l’une plutôt que l’autre, comment on acquiert les autres types, etc. De même, la succession d’épreuves assure le rythme de la narration, mais cet aspect linéaire a aussi manqué, à mon goût, de quelques détails.

En définitive, j’ai apprécié l’univers dans lequel se déroule l’intrigue, tout comme celle-ci, notamment sur les enjeux qui seront sans doute détaillés dans le deuxième tome (la lutte contre la Brousse notamment), et ce malgré la lenteur générale de l’ensemble. En revanche, j’ai trouvé que les personnages manquaient un peu de profondeur, ce qui m’a empêchée de me passionner pleinement pour le récit. Malgré un roman fluide et assez sympa dans l’ensemble, je ne suis pas certaine de lire le tome 2 !

Fleurs d’Oko #1, Laëtitia Danae. Snag, mars 2021, 422 p. #PLIB2022 #ISBN9782490151264

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