De Lune et de Sang #1, Erin Beaty.

Au cœur de la ville de Collis s’élève un immense Sanctum, en construction depuis des années. Et sur la plus haute de ses flèches se dresse la silhouette de Catrin, jeune orpheline qui inspecte travaux et échafaudages pour le compte du maître architecte, Thomas. Un soir de pleine lune, en mission pour celui qu’elle considère comme son père adoptif, elle fait une chute vertigineuse et se blesse… Pire encore, l’espace d’un instant, elle a la vision sanglante d’un meurtre et entend les appels au secours d’une femme.
Lorsque le brillant et énigmatique Simon de Mesanos est chargé d’élucider le mystère, Catrin se retrouve entraînée dans une dangereuse spirale, où le tueur ne cesse de frapper, encore et encore. Grâce aux instincts d’une précision effrayante du jeune homme, expert en matière de folie criminelle, le duo tente de remonter la piste du prédateur… Tout ce temps, la jeune fille doit aussi protéger son propre secret – elle découvre peu à peu que la lune lui accorde des pouvoirs surnaturels qui pourraient bien faire d’elle une paria… mais pourraient surtout être la clef de tout.

J’avais beaucoup aimé la trilogie La Couleur du mensonge d’Erin Beaty (même si je n’ai jamais chroniqué les tomes 2 et 3 !) donc j’étais assez curieuse de lire cette nouvelle parution de l’autrice, laquelle a tenu toutes ses promesses !

Ce nouveau récit nous emmène dans un univers de fantasy médiévale, ambiance construction des cathédrales – car oui, le Sanctum sur lequel travaille Catrin est très clairement une cathédrale – en Europe. Disons qu’avec des noms de pays ou villes comme Gallia ou Londinium, on peut s’imaginer en pleine Europe revisitée ! Mais c’est tout pour ce qui concerne le terrain connu : tout le reste est purement fictif.
À commencer par la société dans laquelle évolue Catrin : certes, elle est très fortement inspirée de l’Europe médiévale dans les tenues, ou l’architecture, mais se démarque de ce que l’on connaît du point de vue religieux. Collis présente en effet une population séparée en deux groupes : ceux qui prient le Soleil, et ceux qui prient la Lune. Ces derniers, les Selenae, sont très mal vus par le reste de la population, et ne quittent qu’extrêmement rarement les quartiers fermés dans lesquels ils vivent. On leur attribue toutes sortes de maux… et de pouvoirs magiques. Eh oui, c’est un roman de fantasy !

Mais il faut reconnaître que de fantasy, on n’en voit pour ainsi dire pas le bout du nez avant un long, très long moment. Je dirais que les deux gros premiers tiers du roman ont tous les atours du thriller, ambiance ésotérique. Les éléments fantasy (suspicion de présence de magie, par exemple), sont là en toile de fond, avant de prendre de plus en plus d’importance. Et, alors que je suis plus amatrice de fantasy que de thriller, j’ai trouvé ça vraiment chouette et bien fait. En effet, dans la plupart des romans de ce type, le protagoniste qui se découvre des pouvoirs va les mettre au service de l’enquête en cours ou de ses ambitions personnelles et ce, généralement, assez rapidement. Là, on est dans un autre type de schéma, puisque l’ambition personnelle de Catrin est, avant tout, de protéger son maître et sa cellule familiale. De fait, la découverte de ses pouvoirs passe complètement au second plan – ce qui s’explique aussi par le climat de suspicion qui règne envers les Selenae et toute forme de magie. J’ai beaucoup aimé que l’héroïne ne découvre pas ses pouvoirs et la façon de les utiliser en deux coups de cuiller à pot, avant de résoudre aisément l’enquête ! Cela change un peu ! À cela se mêle (quand même !) un brin de vie quotidienne des personnages et d’aspirations personnelles (et amoureuses, on n’y échappe pas), ce qui permet de donner du liant et de nous familiariser assez vite avec la galerie (assez nombreuse) de personnages.
Il arrive d’ailleurs parfois que cette partie semble prendre le pas sur les autres : la mise en place du récit, comme des éléments d’enquête (ou de découverte des pouvoirs) se fait donc assez progressivement, ce qui peut parfois donner l’impression que l’on piétine allègrement.

Autre point qui m’a beaucoup plu : les sujets abordés au fil de l’intrigue. Autant j’ai trouvé que la pseudo expertise de Simon de Mesanos était assez maladroitement amenée, autant cela m’a semblé s’améliorer par la suite. Dès le départ, Simon est présenté comme un expert de la folie, puisqu’il vient d’une ville qui y consacre ses forces vives (accueil des malades, soins, etc.). Entre ça et le fait que les personnages aient à peine vingt ans et se comportent comme des experts blasés du triple d’âge, j’ai trouvé qu’il y avait un petit décalage pas forcément seyant. Mais eh ! Après tout, c’est un roman young-adult donc, d’une part, cela fait partie des codes du genre et, d’autre part, on était sans doute matures beaucoup plus vite dans ces époques que dans la nôtre !
Mais trêve de digression : revenons-aux thèmes traités. La maladie mentale est vraiment le thème majeur qui hante le récit, avec différents spectres. Non seulement j’ai trouvé cela original, mais j’ai trouvé en sus que le tout était plutôt bien traité, sans trop de clichés (pour ce que j’y connais, c’est-à-dire : pas grand-chose). Il sera également question de relations familiales et d’identité, mais ces deux thèmes ont déjà été largement traités en littérature jeunesse et, s’ils sont bien exploités, ils n’ont pas l’originalité du précédent.

J’ai donc passé un très bon moment avec titre ! Certes, j’ai quelque peu levé les yeux au ciel devant les poncifs du genre (personnages très expérimentés, romance rapide), mais l’ambiance thriller sur toile de fond fantasy a suffi à m’emporter, tant l’enquête vient rythmer l’intrigue – et ce malgré une mise en place qui sembler un peu lente. Je me suis laissée berner par la chasse au coupable et, si la quête des origines de l’héroïne n’est guère surprenante, j’ai trouvé qu’elle était plutôt bien amenée. J’ai beaucoup aimé la façon dont était traité le thème de la maladie mentale, pas si fréquent dans ce type de publications. Et malgré un tome qui s’achève sur une conclusion convaincante, je suis assez impatiente de découvrir ce qui nous attend dans la suite et fin !

De Lune et de Sang #1, Erin Beaty. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Marie Kempf.
Lumen, 16 janvier 2023, 626 p.

Les sœurs Hiver, Jolan C. Bertrand.

Il y a très longtemps, il y avait deux hivers : la Grande, avec ses froids polaires et ses blizzards, et la Petite, avec ses glissades joyeuses et ses batailles de boules de neige. Mais depuis que la Petite a disparu, tout est détraqué au village de Brume ! Les adultes sont inquiets, plus personne ne rit aux bonnes farces d’Alfred et, surtout, les trolls passent leur temps à voler des objets, qu’ils emportent à tout jamais dans la taïga. Lorsque l’oncle d’Alfred se porte volontaire pour rapporter les objets volés et qu’il disparait sous ses yeux, avalé par la tempête, c’en est trop : il faut partir à sa recherche, coûte que coûte, braver les dangers de la forêt boréale, et affronter la Grande Hiver…

Une fois n’est pas coutume, j’ai acheté ce roman surtout en raison de la couverture de Tristan Gion que je trouve fabuleuse ! Cerise sur le gâteau : il se trouve que l’intérieur m’a plu tout autant !

Le roman débute par le récit fondateur de la relation des deux sœurs, la Grande et la Petite Hiver. Or, depuis 10 ans, la belle synergie qui les unissait et assurait des hivers réguliers aux habitants a cessé, la Petite Hiver ayant brutalement disparu. La Grande fait souffler sans discontinuer les hivers rigoureux. Mais ce n’est pas le point de départ du récit ! Celui-ci se trouve plutôt dans les farces commises par les trolls, qui volent des objets précieux aux habitants du village où vit Alfred. Trop, c’est trop et les villageois se doivent de faire quelque chose.

Le récit nous entraîne donc dans la bise glacée d’un royaume viking, qui mêle influences scandinaves : on y prie couramment Loki, les sames mènent leurs rennes paître dans la taïga et la forêt est infestée de petits trolls farceurs qui peuvent se transformer en cailloux à la moindre alerte. Le fait que l’intrigue se déroule en hiver ne fait que renforcer cette ambiance. D’ailleurs, plus le récit avance, plus la mythologie nordique et ses légendes particulières s’invitent dans le récit, et viennent en bousculer le fil.
Dans ce décor particulièrement enchanteur, l’intrigue se construit à la fois comme un récit d’aventure et un récit d’apprentissage – Alfred devant apprendre seul à se débrouiller pour retrouver son oncle. Les péripéties sont prenantes et scandent bien le récit, qui se fait tour à tour épique, poétique, émouvant. On se croirait vraiment dans un conte, et c’est une ambiance que j’ai vraiment appréciée. Il y a aussi des pointes d’humour vraiment bienvenues, car Alfred a un esprit farceur qui parfois peut se retourner contre lui, ce qui occasionne de savoureuses situations.

J’ai apprécié de retrouver une certaine diversité dans les personnages et un choix narratif vraiment intéressant. Les trolls, en effet, n’ont pas de genre défini, aussi les pronoms pour les désigner sont-ils le duo ul/uls. Qu’on ne s’inquiète pas : on ne les rencontre pas tant que ça au fil de l’histoire et la démarche est expliquée au début, ce qui facilite grandement la compréhension, y compris pour de jeunes lecteurs – le lectorat cible semblant être les préadolescents. Sous couvert d’un récit très traditionnel, le roman aborde en fait des sujets modernes avec justesse, et une certaine dose de légèreté très bienvenue.

J’ai parlé en intro de la splendide couverture : on retrouve des illustrations (en couleurs !) tout aussi sublimes à l’intérieur, celles-ci venant ponctuer le récit. C’est d’une part très agréable à l’œil, mais cela renforce d’autant l’impression si agréable de lire un conte d’hiver.

Jolan Bertrand et Tristan Gion signent donc un roman jeunesse d’excellente facture : les sublimes illustrations servent un texte accessible, très prenant, qui se fait tantôt poétique, tantôt épique, et qui nous immerge dans une ambiance de conte hivernal particulièrement agréable. On en redemande !

Les sœurs Hiver, Jolan C. Bertrand. Illustré par Tristan Gion. L’École des Loisirs, février 2022, 228 p.

Et avec ceci, je valide la catégorie « Chant de Noël » du Cold Winter Challenge 2022 !

Sirem et l’oiseau maudit, Yasmine Djebel.

Depuis la fin de la guerre des Astres, Sirem travaille avec son père adoptif, Ziri, dans la bibliothèque de la cité d’Afra. Quand Ziri est victime d’un attentat, Sirem doit affronter les fantômes de son passé et le pouvoir autoritaire des Veilleurs, adorateurs du Soleil. Esseulée, elle pactise avec Tanit, une femme transformée en faucon par un sortilège. Mais peut-elle faire confiance à l’oiseau maudit ? Qui est-il vraiment, et quels sont ses secrets ?
La mystérieuse prophétie d’une voyante va lancer Sirem et l’oiseau dans une quête périlleuse où, à la lumière incertaine de la Lune, la magie peut revêtir des formes inattendues…

Voilà un roman jeunesse que j’avais hâte de découvrir, car il nous emmène sur des rivages pas si souvent arpentés dans le genre.

Sirem, notre héroïne, ne tarde pas, après le début, à se mettre dans la panade. L’intrigue nous plonge dès les premières pages dans un univers assez dense. Il y est question de peuples du Soleil et de la Lune, de la caste des Déconstellés et d’un univers qui ressemble à s’y méprendre à un régime totalitaire. Entre les particularités géographiques (chaque ville a ses spécificités, y compris celles qui ont disparu), les dispositions du régime et les enjeux des personnages, le début du récit se révèle assez trapu.

Après cette introduction, on retrouve un semblant de schéma classique : Sirem se retrouve armée d’une énigme-prophétie, d’un improbable allié (Tanit le faucon) et, au fil des péripéties, de plusieurs adjuvants. L’intrigue suit le déroulement d’un récit de fantasy initiatique assez linéaire, ponctué de multiples épreuves au cours desquelles les personnages vont devoir prouver leurs valeurs, leur courage ou leur intelligence. Déjà vu ? Un peu, mais tout ceci a aussi des allures de conte, ce qui rend le récit particulièrement prenant. Le conte s’invite d’ailleurs carrément dans un interlude, ce qui vient appuyer sur cette ambiance particulière.
Les épreuves font arpenter aux personnages les quatre coins du pays, ce qui va, peu à peu, contribuer à construire l’univers et affiner la présentation très dense du début. D’autant qu’au fil des péripéties, on se plonge aussi dans la mythologie orientale qui irrigue tout le récit. Celui-ci fait donc intervenir moult djinns et autres créatures des contes d’Orient, ce que j’ai hautement apprécié. Autre point que j’ai apprécié, c’est la nature des épreuves, qui sont truffées d’énigmes : ça change des grosses scènes de baston (même s’il y en a quelques-unes !), cela contribue à l’ambiance mystérieuse, et cela fait réfléchir, donc c’est tout bénéf’ !

Au milieu de toute cette action trépidante, le récit aborde aussi divers thèmes. Évidemment, l’amitié et la loyauté sont au centre du récit. Mais le récit évoque aussi le deuil (Sirem ayant perdu ses parents dans des circonstances tragiques), le déracinement et la difficulté pour un réfugié de survivre dans une société qui le rejette. Assez curieusement donc, sous ses allures de conte merveilleux, le roman évoque avec justesse des thèmes d’actualité assez sombres.
Il fallait donc bien l’ambiance merveilleuse pour contrebalancer !

Excellente découverte donc, que ce roman (unique !), qui nous entraîne en Orient, sur les traces d’une héroïne courageuse et attachante. L’autrice déroule son récit d’une plume fluide, qui rend le récit d’autant plus prenant. Je suivrai avec attention la suite de ses parutions !

Sirem et l’oiseau maudit, Yasmine Djebel. Rageot, 11 janvier 2023, 400 p.

Lettre D !




Fantôme sur mesure, Moka.

Aurore croit que le croquemitaine habite chez elle.
Tina croit en beaucoup de choses mais ne jure que par son Harley Davidson.
Rémi ne croit en rien sauf en la Gendarmerie Nationale.
Matthieu croit que moins on en fait, mieux on se porte.
Jonas croit en la valeur nutritionnelle des chips.
Le fantôme, quant à lui, croit que tous ces gens-là sauront lui venir en aide. Souhaitez-lui bonne chance.

Lorsque j’étais petite, j’ai lu L’Enfant des ombres, de Moka, un roman que j’ai autant adoré qu’il m’a terrifiée (pour ne rien vous cacher, l’escalier de la cave chez ma grand-mère, avec son éclairage aléatoire, est devenu très compliqué après cette lecture !). Donc lorsque j’ai vu que l’autrice remettait le couvert avec le fantastique, je n’ai évidemment pas hésité.

Le récit commence plutôt sous des auspices scientifiques que fantastiques, puisque nous découvrons l’Institut de parapsychologie Brumbeck, qui met sur pied une expérience autour des manifestations surnaturelles. Objectif : réunir un groupe de personnes (des sceptiques, des gens qui croient aux fantômes, et tout ce qu’il y a au milieu), afin de mener une expérience sur les pouvoirs de l’esprit (puisqu’il va s’agir de faire convoquer aux cobayes un fantôme par le pouvoir de l’imagination, et d’étudier ensuite leur perception du fantôme).
Or… l’expérience ressemble plutôt à un échec. Sauf pour Aurore, qui n’y a pris part que pour trouver une solution à son problème personnel : elle est victime de manifestations surnaturelles dans son propre appartement. Elle en parle aux autres et, les vacances d’été approchant, voici la bande de joyeux lurons (que RIEN ne rassemble hormis cette expérience) lancés dans l’enquête.

Car oui, le roman joue clairement sur les genres : le côté fantastique est évidemment très présent, mais assez vite, les personnages se mettent à mener l’équivalent d’une enquête policière pour retrouver l’identité du fantôme qui hante Aurore. Or, l’enquête est facilitée car Rémi, un des protagonistes, est tout simplement un gendarme retraité. Avec ça, le roman touche à l’historique, puisqu’il apparaît rapidement que leur fantôme a partie liée avec la Résistance dans le Vercors (sans qu’on sache bien, au départ, s’il s’agissait d’un résistant ou bien d’un traître !). Le mélange des genres fonctionne à plein et j’ai dévoré le récit en deux petites journées, tellement j’étais embarquée dans l’histoire.

Il faut aussi dire que la plume de l’autrice est férocement drôle, les personnages étant presque plus définis par leurs défauts et petites manies que par leurs bons côtés. Parmi ceux-ci, difficile de choisir entre Matthieu, le flemmard intersidéral qui participe pour ne pas avoir à écrire sa thèse (et pour choper des filles), Jonas, l’adolescent pénible qui ne jure que par la malbouffe, ou encore Aurore, le cliché ambulant de la citadine éthérée, bio-bobo-écolo, et pénible à souhait (même si j’avoue que cette dernière charge bien côté sarcasmes, peut-être même un poil trop). Les échanges entre personnages sont vifs, la narration délicieusement sarcastique, et j’ai beaucoup ri !

« Brisou avait suivi Matthieu. Il s’était assis près de lui et le regardait avec des grands yeux suppliants.
– Y a rien à bouffer, lui dit Matthieu.
Le chien posa la patte sur son genou et gémit.
– Sérieux ? Tu espères quoi ? Et si tu allais embêter Jonas, plutôt ?
Brisou agita la queue. Matthieu le gratta derrière les oreilles. Ce n’est pas compliqué, un chien. Il squatte votre canapé et ne pense qu’à manger et dormir. Tout le portrait de son frère. A la différence près qu’un chien vous aime sans condition et ne pirate pas votre Wi-Fi. »

Plus le récit avance, plus l’intrigue prend un tour trépidant. Les personnages sont dans les paysages grandioses – mais dangereux – du Vercors, enquêtent sur de vieux secrets de famille que les intéressés préfèreraient ne jamais voir ressurgir, tout en suivant les injonctions de plus en plus pressantes du fantôme. C’est absolument palpitant !

En bref, Fantôme sur mesure a été une excellente lecture. La part fantastique est merveilleusement exploitée, et j’étais ravie de relire enfin un vrai roman fantastique jeunesse (et pas de la fantasy déguisée !). Le mélange avec enquête et histoire, ponctué d’humour est excellent, et m’a fait littéralement dévorer ce titre, que je vous recommande donc très chaudement.

Fantôme sur mesure, Moka. L’École des Loisirs, 21 septembre 2022, 244 p.

Et avec ça, je peux cocher la case « Fantômes des Noëls passés » du Cold Winter Challenge 2022 !

Robustia, Betty Piccioli.

Robustia. Une cité où chaque métal correspond à une position sociale. Où le combat peut vous élever dans la société.
Biann, conseillère d’Électrum, vient tout juste d’acquérir ce statut prestigieux en s’illustrant lors d’un tournoi. Mais la maladie qui la ronge à chaque cycle pourrait bien mettre un terme à sa carrière…
Kalel, conseiller d’Airain, se ne se remet pas d’avoir perdu sa position d’Électrum. Aveuglé par la rage, il est prêt à tout pour récupérer son pouvoir, jusqu’à se perdre lui-même…
Aequo, ancien habitant du royaume de Chromatopia, a entamé un long voyage loin de sa cité pour fuir ses démons. Jusqu’au jour où ses pas le conduisent face aux remparts de Robustia…
Ils ne le savent pas encore, mais leur rencontre pourrait bien sceller le sort des deux cités à jama
is.

J’avais été séduite par Chromatopia, dont le récit se déroule dans le même univers, donc j’étais assez curieuse de lire Robustia – qui peut se lire indépendamment. Si vous n’avez pas lu le précédent récit, pas de panique : les événements qui s’y déroulent et les enjeux qui en découlent sont largement rappelés dans le cours du texte (d’ailleurs, s’ils peuvent se lire indépendamment, je recommanderais quand même de commencer par Chromatopia, sans quoi vous risquez de vous divulgâcher complètement cette lecture !).

On découvre donc une autre cité au fonctionnement basé sur des castes, cette fois identifiées par des métaux. Pas de déterminisme ici, puisqu’il est tout à fait possible de changer de caste (vers le haut ou le bas), à l’occasion du tournoi guerrier annuel de la cité : la caste est déterminée par les résultats au combat de chacun.
C’est sur ce tournoi que s’ouvre justement l’histoire, tournoi dans lequel Biann va s’illustrer, et passer Conseillère d’Électrum, soit le plus haut rang qui soit – ce qui, au passage, lui attire la profonde inimitié de Kalel, qu’elle détrône sauvagement. Cette amertume va amener le jeune homme à des décisions politiques pas toujours très judicieuses, qui visent essentiellement à mettre son adversaire en difficulté et ce au détriment d’une politique fine. Troisième personnage : Aequo, qui a quitté Chromatopia à la fin de l’opus précédent et arrive à Robustia en qualité de touriste. La narration chorale va donc sauter de l’un à l’autre, dans une chronologie pas toujours linéaire (quelques petits retours dans le temps), ce qui nous donnera un aperçu assez global de la situation.

Les voix des personnages sont assez similaires, mais l’en-tête des chapitres et leurs préoccupations respectives permettent de toujours s’y retrouver. Comme dans l’opus précédent, j’ai apprécié leur diversité. Mais ce que j’ai trouvé hautement original, c’est que Biann souffre manifestement d’endométriose, un mal qui lui provoque des crises terribles et risque de mettre à mal sa position dans la cité – puisqu’on n’accepte pas la faiblesse, sous quelque forme que ce soit, à Robustia. Non seulement cette maladie est la source de quelques péripéties très prenantes, mais en plus de cela elle permet d’amener toute une réflexion sur le validisme de cette société, et le bien-fondé (ou non) à reléguer les « faibles » dans un quartier spécifique. En plus de cela, c’est assez rare de voir ce thème en littérature jeunesse, surtout traité ainsi, donc j’ai d’autant plus apprécié. J’ai simplement regretté qu’il semble s’amenuiser sur la fin (ceci étant dit, il se passe bien assez de choses sur la fin comme cela).
Chacun des personnages porte ses enjeux personnels et ses opinions. Je dois dire que celui que j’ai trouvé le plus intéressant à suivre est, finalement, Kalel, dont on suit l’aveuglement et l’entêtement qui mène aux pires décisions – tant politiques que personnelles. Je l’ai trouvé vraiment bien écrit, ce que je tiens à souligner, car je n’apprécie pas généralement les personnages sans nuances !

Ce qui peut sembler assez étonnant, c’est que le roman n’est pas tant bourré de scènes d’actions. Il y a évidemment des scènes de combat assez spectaculaires, de chasse ou de guerre, mais toute la tension réside plutôt dans les complots politiques qui agitent Robustia et dans lesquels les personnages sont pris. Les complots, et aussi les relations extérieures, notamment avec Chromatopia : il est beaucoup question de commerce, de géopolitique et des relations qu’entretient Robustia avec les cités alentours, ce qui m’a un peu surprise, car je m’attendais, vu le contexte guerrier, à de la baston en continu !

Chromatopia était une bonne découverte, Robustia l’a également été. L’intrigue, truffée de complots, est portée par un style fluide et entraînant qui rend la lecture difficile à arrêter. A lire si vous voulez faire une incursion en fantasy dystopique !

Dans le même univers : Chromatopia.

Robustia, Betty Piccioli. Scrinéo, 25 août 2022, 416 p.

L’évasion, Le Noir est ma couleur #4, Olivier Gay.

Manon et Alexandre fuient Paris pour Nice où des Mages Noirs doivent aider la jeune fille à contrôler ses nouveaux pouvoirs. Traqués par le Conseil des Mages, recherchés par la police, ils empruntent de petites routes en scooter. Au fil des heures, les pouvoirs noirs de Manon s’affirment de manière inquiétante, mettant Alexandre en danger…

Le Noir est ma couleur, c’est un peu ma saga de secours quand la période est bof, ou hyper chargée. Donc j’ai sorti ce tome de ma PAL l’été dernier, pour survivre à l’organisation calamiteuse de Partir en Livre au boulot, et j’ai rudement bien fait ! Oui, la chronique a un peu tardé, mais bon, la voilà maintenant.

Comme toujours, on reprend donc les personnages à la volée, juste après les événements qui clôturent le tome précédent. Et notre duo est donc lancé sur les routes, dans une traversée Paris-Nice (en scooter), ponctuée de dangers.
L’intrigue est très clairement un récit de transition : si elle est menée tambour battant, avec un enchaînement de péripéties palpitant, elle n’en reste pas moins une « simple » intrigue permettant aux personnages de passer d’un point A à un point B. Je mets « simple » entre guillemets parce qu’heureusement, le roman ne se résume pas qu’à ça. Alors, évidemment, on pourra s’interroger sur la vraisemblance de certaines étapes (disons que malgré tout, Manon et Alexandre s’en sortent bien), mais j’ai trouvé que l’auteur insérait d’intéressantes réflexions dans son récit.

Évidemment, le duo profite d’être en cavale pour opérer un rapprochement stratégique. Leur fuite est donc ponctuée de scènes romantiques (généralement à l’initiative de Manon), qui suscitent pas mal d’interrogations et de réflexions de part et d’autre. Mieux : cela ne fonctionne pas du premier coup, Manon étant hésitante et… Alexandre la rassure (ce qu’on aimerait tous et toutes connaître dans la vraie vie). En même temps, la situation n’est ni rose, ni naïve, l’adolescent se remémorant ses réactions précédentes dans la même situation, avec d’autres filles, ce qui lui permet de conclure qu’il a été, jusque-là, un insondable connard. Il y a donc toute une réflexion sur le machisme intégré des garçons (parce qu’on le leur a inculqué, bien souvent), et c’est intéressant ! Parallèlement, le récit soulève plein d’interrogations sur la sexualité, que j’ai trouvées bien menées.

Comme dans les opus précédents, l’auteur termine sur un rebondissement incroyable, qui relance totalement la tension – et qui m’a donné envie de hurler. Car non seulement il relance joyeusement le suspense, mais en plus il remet en question la relation entre les deux personnages, qui s’était patiemment tissée jusque-là. J’ai tenu bon pour ne pas terminer la série trop vite, mais sachez que l’attente n’a pas été des plus aisées !

Même si cet opus est clairement un tome de transition, l’auteur nous livre une intrigue palpitante, pleine de suspense et de rebondissements bien menés. Entre deux péripéties, les personnages s’interrogent sur des sujets qui parleront aux adolescents (la sexualité en premier lieu) et grandissent l’un au contact de l’autre. Comme toujours, on termine sur un rebondissement incroyable, qui donne envie de lire immédiatement la suite !

◊ Dans la même série : Le Pari (1) ; La Menace (2) ; La Riposte (3).

L’évasion, Le Noir est ma couleur #4, Olivier Gay. Rageot, juin 2015, 282 p.

Oscar Goupil : a London mystery, Camille Guénot.

Mes parents m’avaient laissé une lettre : je passerais mes vacances de fin d’année chez ma grand-tante Léonie, à Londres. Pas vraiment un cadeau, vu sa réputation. Et le train partait dans une heure. « Délicieusement excentriques » ? Complètement irresponsables, je dirais. Heureusement que je me débrouille en anglais. Je me demande maintenant à quoi ressemblerait ma vie si j’avais raté ce train, si je n’avais pas été obligé d’aller dans ce musée, la National Gallery, si je n’avais pas découvert… Disons juste que la magie n’est pas toujours là où on s’y attend.

On continue avec la (bonne) série de ma PAL de travail. Un titre mystérieux, une autrice que je ne connaissais pas et, résultat : un titre à un cheveu du coup de cœur !

L’intrigue débute au soir des vacances de Noël, où Oscar découvre que ses adorables parents l’ont tout simplement abandonné, en lui laissant un billet de train et la consigne d’aller crécher chez sa grande-tante Léonie, qu’il connaît à peine (laquelle est moins que ravie de l’accueillir, étant en froid avec sa nièce, la mère d’Oscar.). Avec ça, Léonie a elle aussi prévu de se débarrasser d’Oscar, qui est expédié à la National Gallery, pour y travailler durant ses vacances. Bref : excellente ambiance en famille (esprit de Noël, tout ça tout ça).

« Le seul espace où je me sentais chez moi était ma chambre. Une immense bibliothèque en bois, à laquelle je grimpais à l’aide d’une échelle coulissante, couvrait un mur entier, et des piles de romans, de bandes dessinées et de mangas s’entassaient au petit bonheur autour d’un matelas à même le sol.
Une baie vitrée inondait mon lit de lumière et, en ce mois de décembre, dévoilait les branches couvertes de givre des tilleuls de la place Martin-Nadaud. Ici, rien ne pouvait m’atteindre du monde extérieur. Je ne connaissais pas plus grand bien-être que de griffonner sur mes carnets dans un coin de soleil ou de me blottir sous ma couette après la classe avec un saucisson, une part de tarte aux noix de pécan – oh, bonheur suprême ! – et d’ouvrir un livre. J’étais entouré d’amis silencieux – Harry, Katniss, Ophélie, Nicolas, Blacksad, Lyra, Enid… – avec qui je vivais, du fond de mon lit, des aventures extraordinaires. Pourquoi irais-je me confronter aux autres quand, avec eux, je pouvais frissonner, rire, pleurer et surtout rester moi-même ? Avec eux, j’avais le droit d’être très ennuyeux ou complètement fou, cela ne changeait rien, et j’aimais cette constance par-dessus tout. »

Rapidement, l’intrigue bascule dans un mélange très réussi d’enquête policière (les sept artistes contemporains invités au musée, dont la mère d’Oscar !, disparaissant mystérieusement) et de fantastique (Oscar se découvrant un pouvoir avec les tableaux, pouvoir qui est à peine explicité). Les deux aspects du récit s’entremêlent à la perfection, l’aspect fantastique nourrissant l’enquête et vice-versa.
De fait, le suspense est bien présent, puisqu’Oscar, livré à lui-même, se retrouve à chercher à la fois des informations et des solutions sur son pouvoir, et le problème de la disparition.

« Mes yeux s’ouvrirent tout grands: un peu plus loin, dans le tableau près de l’escalier, une femme me regardait.
–Tu as interrompu ma lecture, se plaignit-elle, en s’éventant d’un air agacé.
Était-ce un écran de télévision, une illusion d’optique ? Je clignai des yeux mais, rien à faire, la femme agitait toujours son livre. […]
– Et je suis experte en drames familiaux, voyez-vous, ajouta-t-elle pour se justifier. Ce roman m’a tout appris. Il faut dire que je le lis depuis cent cinquante ans !
Elle me montra fièrement la couverture du livre qu’elle tenait sur ses genoux. Je dus plisser les yeux pour en déchiffrer le titre. C’était Tom Sawyer de Mark Twain.
– Moi aussi, j’adore lire. Harry Potter est mon roman préféré. Vous connaissez ? C’est drôle parce que les tableaux parlent aussi.
– Bien sûr qu’ils parlent ! Son autrice, Mrs J. K. Rowling, a pris conseil auprès de Wallis pour que tout soit conforme.
– Wallis ?
– Wallis Simpson, enfin, la duchesse de Windsor ! Elle est à la Portrait Gallery, mais nous avons été voisines de rénovation pendant quelque temps. La malheureuse avait la peau du cou toute fripée! Ce n’est pas parce qu’on est l’épouse du roi que…
– Attendez ! Vous voulez dire que les autres tableaux… parlent aussi ?
Je me sentis défaillir. Mark Twain, J. K. Rowling, Wallis machin-chose… je n’y comprenais rien.
– Cher ami, je vais finir par croire que vous êtes sot ! Évidemment que nous parlons ! C’est le miracle de l’art ! »

L’art est donc au centre du récit : la quasi-totalité des scènes se déroulent au sein de la National Gallery, qu’Oscar arpente donc de long en large, en regardant les tableaux (voire en discutant directement avec eux). Cela m’a donné d’une part très envie de découvrir ses tableaux et, d’autre part, d’aller visiter ce fameux musée. Par ailleurs, il y a une vraie tension entre art classique et contemporain : l’événement proposé par le musée consiste à laisser carte blanche à sept artistes contemporains pour des installations au sein même des galeries très classiques de la National Gallery. Il y a donc une vraie polémique au sein du monde de l’art, les uns arguant que cet événement va redonner de l’élan au musée, les autres estimant qu’il s’agit d’un non-sens total. La réflexion sur la beauté est donc très intéressante, bien menée, et la conclusion est laissée à la libre appréciation du lecteur.
Le roman évoque aussi les relations familiales : la famille d’Oscar peut se révéler un peu étrange (parents démissionnaires, secrets de famille, etc.), ce qui suscite quelques réflexions intéressantes.

J’ai trouvé le roman très original : le pouvoir lié aux tableaux est bien mis en scène, la tension entre art classique et contemporain parfaitement intégrée au récit et dès que l’on bascule dans les tableaux, il y a un côté baroque et loufoque qui m’a éminemment plu (notamment les chevaux magiques de la duchesse de Windsor !). Avec ça, l’autrice n’oublie pas de glisser des touches d’humour bienvenues dans le texte, que ce soit dans les descriptions, dans les dialogues, ou dans les notes de bas de page (qui sont utilisées à très bon escient). Londres oblige, les dialogues sont également mâtinés de quelques touches d’anglais (faciles d’accès), qui concourent à créer l’ambiance très british de l’ensemble.

En bref, j’ai adoré cette lecture. L’intrigue est très originale, mêle avec brio enquête et fantastique, tout en proposant d’intéressants sujets de réflexion. Surtout, elle donne très envie d’aller au musée, voir les tableaux cités (mais pas que) et de s’intéresser à l’art en général ! Très bonne pioche, donc, et je guetterai la suite des œuvres de l’autrice, que je ne connaissais pas.

Oscar Goupil : a London mystery, Camille Guénot. L’École des Loisirs, 26 octobre 2022, 233 p.

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Un autre roman très original qui se déroule dans l'univers fascinant des tableaux !

La semeuse d’effroi, Eric Senabre.

Paris, 1926.
Sophie voit son monde s’écrouler. Alors que la jeune orpheline vient d’être recueillie par son parrain, l’adorable Rodolphe, celui-ci est accusé d’un crime et jeté en prison ! Elle a le sentiment d’avoir tout perdu. Tout ? Non. Il lui reste sa soif de vengeance et… une arme « inattendue ». Dotée d’une souplesse qu’elle a travaillée avec sa mère (acrobate à l’Opéra de Pékin), Sophie met son entraînement à profit, court sur les toits, s’introduit partout où elle le peut, dans l’objectif de récolter des informations et d’aider comme elle le peut son parrain. Au fil de ses pérégrinations, elle rencontre la troupe du Grand Guignol, un théâtre spécialisé dans les pièces horrifiques et les effets spéciaux sanguinolents, ce qui ne tarde pas à lui donner des idées.
Bientôt, l’heure de la justice sonnera. Car rien n’arrêtera plus la Semeuse d’Effroi !

Eric Senabre, pour moi, c’est un peu comme David Moitet : une valeur sûre ! Donc j’étais ravie de voir débarquer ce titre dans ma PAL de travail.

Le début de l’histoire nous emmène à Paris, début XXème siècle. Sophie, dont les parents viennent de mourir en Chine (sans doute dans les prémisses de la guerre civile), est recueillie par Rodolphe, son parrain. La jeune fille doit à la fois faire son deuil et s’habituer à son nouveau pays. Pas facile, lorsque la gent parisienne lui rappelle sans cesse qu’elle a des yeux « de bridés » et qu’elle ne fait pas « très française ». Pour ne rien arranger, elle assiste à une altercation durant laquelle son parrain est abreuvé d’insultes antisémites. Bonne ambiance, dans le Paris des années 20, non ? Et ça ne s’arrange pas lorsque Rodolphe est jeté en prison et Sophie expédiée au pensionnat, où elle est rejetée par ses coreligionnaires. On n’en est pas au niveau de La Petite Princesse, mais il s’en est fallu de peu !

« Rolande eut un sourire en coin qui était quasiment un abrégé de perfidie. »

Le récit semble puiser à plusieurs sources qui se marient fort bien. Sophie, d’une part, avec sa cape, son sens de la répartie et sa manie de courir sur les toits, évoque immanquablement Fantômette (qui, de toute façon, est citée dès la dédicace !). Mais le roman d’aventure se teinte de temps en temps de scènes horrifiques parfaitement menées, en témoigne la scène d’introduction – coercition menée par cadavre en pièces interposé. Cette scène d’ouverture, très marquante, fait d’emblée un effet bœuf. Au fil des pages, on comprendra que Sophie emprunte en fait tous les artifices terrifiants qu’elle utilise à la troupe du Grand Guignol – ce qui occasionne une réflexion intéressante tant sur le théâtre, que sur les apparences.
Sophie, d’ailleurs, joue beaucoup sur la sienne, la véritable, comme celle de la Semeuse d’effroi : sous son apparence véritable, on pense voir une frêle jeune fille, sans penser qu’elle boxe admirablement bien ; sous celle de la Semeuse, en revanche, jamais on n’imaginerait une adolescente de quinze ans.

« Et qu’auriez-vous fait si je n’étais pas un vrai policier ?
– Ah ! Je me serais enfuie, pardi !
– Vous pensez courir plus vite que moi ? demanda-t-il, de plus en plus amusé.
– Je n’en sais rien. Mais je grimpe sûrement mieux aux gouttières. Et puis…
– Oui ?
– Rien ne dit que je n’aurais pas pu vous étendre. Vous n’êtes pas un gros gabarit, si je puis me permettre. Méfiez-vous des femmes.
– Ah oui, on m’a déjà dit ça, répliqua-t-il en démarrant. »

L’intrigue se déroule sans temps mort : le jour, Sophie subit ses cours (inintéressants) et le harcèlement de ses petites camarades, la nuit, elle court partout et enquête. La tension est bien présente, car l’enquête n’est pas si aisée, et qu’elle est rythmée par l’épée de Damoclès au-dessus de la tête de Rodolphe (la peine de mort, donc). Heureusement, la tension est souvent allégée par l’humour piquant de Sophie, les réparties dont elle abreuve son entourage. Celui-ci, justement, est bien dépeint et l’auteur a fait attention à donner de la consistance à chacun des personnages qui gravitent autour d’elle.
Entre deux péripéties palpitantes, le récit évoque quelques sujets touchants : il est beaucoup question de relations familiales (avec la famille que l’on subit, celle que l’on se choisit), mais aussi de sujets très en prise avec l’époque dans laquelle se déroule le récit comme le racisme, l’antisémitisme ou encore l’éducation – déplorable – des jeunes filles. Malheureusement, on ne peut pas dire que ces sujets aient tous disparu des radars. Le récit comporte aussi d’intéressantes réflexions sur la double culture : Sophie est sans cesse renvoyée à la part chinoise de son identité par des gens qui fantasment complètement son pays (l’orientalisme n’est pas si loin). Elle rétablit parfois la vérité, fait des comparatifs entre différentes traditions, ou évoque la richesse culturelle de son pays. C’est fait subtilement et à bon escient, donc on ne verse pas dans le fameux orientalisme cité précédemment !

Lerne rejeta la tête en arrière.
– Très bien mademoiselle. Je vous promets que nous examinerons cette piste. En attendant, n…
– Je sais : « ne faites rien qui pourrait vous causer du tort, blah blah blah ». Est-ce que j’ai une tête à écouter les conseils des grandes personnes, monsieur le commissaire ?
– Non. Hélas !

Très bonne pioche, donc, que ce titre d’Eric Senabre ! Le roman d’aventure se pare d’une ambiance horrifique parfaitement amenée, puisque le récit couple les meilleurs moments de Fantômette aux artifices sanguinolents du Grand Guignol. L’intrigue, menée sans coup férir, fait la part belle aux péripéties, comme aux traits d’humour. J’ai passé un excellent moment avec les personnages, et serai ravie de relire un jour les aventures de Sophie.

La semeuse d’effroi, Eric Senabre. Didier Jeunesse, 12 octobre 2022, 288 p.

La Sorcière secrète, Le Garçon sorcière #2, Molly Knox Ostertag.

Les parents d’Aster ont finalement accepté que leur fils devienne une sorcière et non un métamorphe, contrairement aux autres garçons de leur famille. Aster suit des cours avec sa grand-mère qui lui demande en retour de veiller sur son grand-oncle dont les pouvoirs ont presque détruit la famille.
Pendant ce temps, Charlie, l’amie d’Aster est aux prises avec de sérieux ennuis… Quelqu’un tente de lui jeter un sort! Avec l’aide d’Aster, elle réussit à échapper à la malédiction, mais tous deux doivent maintenant trouver le responsable avant que d’autres soient victimes du malfaiteur.

Après l’excellente découverte du premier tome, j’étais curieuse de lire la suite de cette trilogie de comics. Et le deuxième tome a clairement été à la hauteur !

L’été est terminé, et Charlie a retrouvé les bancs du lycée. Aster… aussi, puisqu’il est enfin admis aux cours de sorcellerie normalement dispensés aux jeunes filles de sa famille, pour son plus grand plaisir (mais pas pour celui de toutes les femmes de sa famille). Ce tome poursuit donc tranquillement l’arc narratif autour de la construction de soi et de l’importance de trouver sa place amorcé dans le précédent volume. Car l’exemple d’Aster a fait des émules ! Sedge, son cousin, est terrorisé à l’idée de perdre de nouveau le contrôle de sa métamorphose et ne souhaite qu’une chose : avoir une scolarité normale, dans un établissement général (ce qui ne risque pas d’être du goût de l’ensemble de la famille !).

Mais ce n’est pas tout ! L’autrice renouvelle vraiment son univers en introduisant un nouveau personnage, Ariel, une nouvelle élève venant d’arriver et qui a déjà subi du harcèlement scolaire. Parallèlement, il s’avère que Charlie est poursuivie par une sombre malédiction contre laquelle Aster va l’aider à lutter, dans la mesure de ses moyens.
De fait, l’intrigue est riche en rebondissements et on ne s’ennuie pas un seul instant, tant Molly Knox Ostertag sait conjuguer péripéties et sujets personnels, sans oublier quelques touches d’humour, ce qui ne gâche rien.

« Alors… c’est comment ? Aller à l’école, vivre en ville et tout ça ?
– C’est normal. Bon, j’imagine que pour toi, ça n’a rien de « normal ». Je monte dans un gros bus jaune avec un tas d’autres enfants pour me rendre dans un bâtiment en briques où on mange de la nourriture dégueu et où on apprend les maths.
– ça paraît pas trop mal…
– Tu sous-estimes à quel point la nourriture est mauvaise. »

A nouveau, au fil des pages, des sujets profonds sont traités en douceur, sans que l’on sente la volonté de l’autrice de faire passer ses messages. Ainsi, par le biais d’Ariel, elle montre subtilement les ravages du harcèlement et de la haine sur soi comme sur les autres, comme l’importance du soutien (de la famille, comme des amis). De même, il est question des relations familiales, de la difficulté de changer, comme d’accepter l’autre et d’ouverture d’esprit – tout comme dans le premier opus. Même si l’ensemble se déroule dans un univers résolument fantasy, le traitement de ces sujets est bien fait, et particulièrement réaliste. Ce qui n’a fait que me rendre cette lecture plus passionnante encore !

« C’est la spirale de la haine… au début, ça fait du bien et ça paraît juste. Tu as été blessé et donc tu blesses les autres. Le mal s’infiltre en toi et tu ne peux pas l’arrêter, et un jour, tu réalises qu’il n’y a pas de différence entre lui et toi. »

Comme dans le premier tome, les graphismes simples et clairs, les couleurs chaudes, sont un régal. A nouveau, il y a une vraie diversité dans les personnages représentés : cela ne sert pas l’intrigue nécessairement, c’est simplement présent en toile de fond. Cela change agréablement de la production actuelle !

J’ai adoré le premier tome, je persiste et signe avec celui-ci. L’intrigue est idéalement renouvelée, les personnages creusés, tout comme l’univers. Des messages forts et bien traités émaillent le texte, ce qui rend l’ensemble très prenant. Et encore une fois, le récit complet et appréciable… tout en donnant très envie de lire le troisième et dernier tome !

◊ Dans la même série : Le Garçon sorcière (1) ;

Le Garçon sorcière #2, La sorcière secrète, Molly Knox Ostertag.
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Romain Galand. Kinaye (Graphic Kids), 3 juillet 2020, 207 p.

Pepper Page sauve l’univers !, Landry Q. Walker & Eric Jones

Pepper Page, une jeune orpheline de 15 ans, n’aspire qu’à une chose : s’évader de son quotidien en trouvant refuge dans les bandes dessinées de son héroïne favorite, Supernova.
Une expérience scientifique aux résultats inattendus menée par le Professeur Killian, son enseignant en science, va la propulser dans la peau et dans l’univers de sa super-héroïne fétiche. Accompagnée de Mister McKittens, un chat qui part malencontreusement avec elle dans cet univers fantastique, Pepper va être confrontée à la vie pleine d’action, d’aventure et de mystère d’une vraie héroïne et comprendre par la même occasion que la réalité est parfois plus étrange que la fiction !

Et hop, encore un titre de ma PAL boulot avec lequel j’ai passé un très bon moment !
Ce comics nous plonge dans un univers futuriste : les voitures savent voler, les cours au lycée sont truffés de termes comme « transdimensionnel », « intergalactique », « interstellaire », voire « intertransdimensionnel »… et, pire !, on ne lit plus sur papier !
Sauf Pepper Page qui, en plus d’être une lectrice compulsive, a un faible pour les comics à l’ancienne, qu’elle chine et chérit de tout son cœur, tant ils sont un refuge pour elle. Elle lit notamment avec ferveur les aventures de Supernova, son héroïne fétiche, dont elle connaît si bien les aventures qu’elle est capable de citer le numéro, les illustrateurs, ou la couverture du volume dans lequel se déroulent les péripéties.

L’intrigue est assez classique du point de vue de l’évolution (un super-méchant, une super-héroïne qui s’ignore, des pouvoirs extraordinaires), mais l’ensemble tient vraiment bien la route. Le récit est hyper dynamique, et ponctué de touches d’humour qui m’ont vraiment plu. La narration alterne entre les aventures de Pepper, et les chapitres des comics qu’elle dévore sans cesse. Avec, de fait, deux styles graphiques bien marqués : pour les comics sur papier, beaucoup de petits points, des couleurs affadies, des traits chargés et des interactions en anglais (avec traductions en bas de page !). Pour les aventures de Pepper, on a une palette plus chaude, plus colorée, qui donne à l’ensemble un côté très gai. C’était très enthousiasmant à lire !

Malgré l’univers science-fictif, et les aventures survoltées de Pepper, le récit traite de sujets d’actualité qui parleront au lectorat (les préadolescents). Pepper est orpheline (dans un orphelinat robotisé), a des difficultés à l’école, et s’intéresse surtout à ses comics. Il est donc question de construction de soi, d’amitié, ou du besoin de trouver sa place. C’est justement traité, sans prendre le pas sur le reste des aventures. Bref : c’est bien fait !
En plus de cela, le comics rend un très bel hommage à la lecture en général, à celles des BD/Comics en particulier, alors je dois dire que j’étais heureuse comme tout !

Très bonne surprise avec ce comics jeunesse de science-fiction, donc ! C’est frais, c’est amusant, plein de gaieté, tout en proposant une aventure pleine de rebondissements, qui touche en plus à des thèmes d’actualité. Que demander de plus ? Le tome s’achève sur la mention « à suivre ? » et j’ai été bien en peine de trouver des infos sur une potentielle suite. Le récit a une vraie conclusion, mais j’avoue que je rempilerai sans problème pour une suite !

Pepper Page sauve l’univers, Landry Q. Walker et Eric Jones.
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Alice Delarbre. Rue de Sèvres, 15 juin 2022, 208 p.