Les Aigles de Vishan Lour, Pierre Bottero.

Plume est une Ombre.
Grâce à ses talents d’acrobate, elle se glisse discrètement dans la nuit.
Jeune écuyer des Chevaliers du Vent, Estéblan accompagne la délégation chargée de rappeler au nouveau roi ses devoirs. Quand la délégation est assassinée, il est menacé à son tour.
Plume sera-t-elle son alliée ?

En 2005, j’étais toujours une lectrice assidue du mensuel Je Bouquine. J’avais donc été ravie d’y lire une nouvelle de Pierre Bottero, dont j’étais déjà très fan. Depuis, Les aigles de Vishan Lour a été republiée, toujours dans Je Bouquine (en 2015), mais jamais en volume tiré à part. Cette année, Rageot publie donc enfin ce texte qui manquait à l’œuvre complète de l’auteur, et c’est l’occasion de se (re)plonger dedans !

Premier point, l’intrigue ne se déroule a priori pas dans le méta-univers Gwendalavir auquel les autres romans de l’auteur nous ont habitués (quoique cela se pourrait, dans une contrée non citée dans les autres romans). Bien que la novella fasse moins de 100 pages, Pierre Bottero parvient à nous expliquer rapidement les tenants et aboutissants de l’univers, tant culturels que politiques.
De même, les personnages sont caractérisés rapidement. Les protagonistes collent à des stéréotypes (la voleuse, le chevalier), mais ce n’est pas gênant. D’une part parce que l’auteur ne sombre pas dans le cliché (du moins pour les protagonistes) et, d’autre part, parce qu’ils sont vraiment cohérents. D’ailleurs, Plume a des petits airs de Marchombre… d’Ombre à Marchombre, il n’y a peut-être qu’un pas ?

Le roman est dépourvu de concept magique hyper alambiqué – ce qui le rend donc accessible à des néophytes. L’originalité de l’univers, c’est l’importance qui y est accordée aux oiseaux. La Confrérie des Chevaliers du vent chevauche d’immenses aigles domestiqués mais néanmoins fiers. Rien que ce point avait suffi à me faire rêver à l’époque de ma première lecture, et m’a de nouveau embarquée cette fois-ci. Estéblan lui-même est maître d’un jeune autour, qu’il promène sur son bras. Plume, quant à elle, ne fait rien sans sa chouette effraie, qui lui sert aussi bien de complice que d’amie.

L’histoire débute in medias res et les lecteurs sont projetés directement dans le feu de l’action. Sur les quelques premières lignes, on peut avoir l’impression d’avoir raté des épisodes, mais rapidement l’auteur rattrape ses lecteurs. Évidemment, on a l’impression que cette petite aventure prend place dans quelque chose de bien plus vaste que l’on ne fait que toucher du doigt, mais ce n’est pas tellement gênant, car on a juste les détails dont on a besoin pour comprendre l’aventure que l’on suit.
Toutefois je mentirais en disant que je n’étais pas frustrée en terminant ma lecture. Le récit était si entraînant que j’aurais aimé en avoir plus, et je serais partie sans barguigner pour 300 pages (voire trois tomes) de plus !

En somme, retrouver l’écriture fluide et imagée de Pierre Bottero, même en relecture, était un plaisir. La nouvelle est bien menée, et propose un univers et des personnages convaincants – malgré la brièveté de l’ensemble. L’intrigue, comme le style, étant très accessible, je proposerais volontiers ce texte à de jeunes lecteurs, ou à de grands débutants en fantasy. 

Les Aigles de Vishan Lour, Pierre Bottero. Rageot, 11 septembre 2019, 96 p.

 

Demain la Terre, anthologie

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L’homme est en train de saccager sa planète. Par égoïsme, inconscience, obsession du profit. Effet de serre, bouleversements climatiques, pollutions de l’eau, de la terre, de l’air et du vivant, appauvrissement de la biodiversité, pénurie d’eau : la crise écologique est aiguë. Voilà le thème qu’explorent ces 5 nouvelles. 
Au sommaire, des nouvelles de Jean-Pierre Andrevon, Christophe Lambert, Danielle Martinigol et Jean-Pierre Hubert. 

J’ai toujours été une inconditionnelle de feue la collection Autres Mondes de Mango et cette anthologie dédiée à l’écologie n’a pas démenti la réputation de la collection, les quatre auteurs au sommaire proposant tous d’excellentes nouvelles.

♦ La Dernière pluie, Jean-Pierre Andrevon.

Cela fait des mois qu’il pleut. Une pluie noire de pollution. Chaque jour, le niveau de l’eau monte un peu plus. Cela fait des mois que les villes sont paralysées, des jours que Sébastien n’a plus mis les pieds au collège. Alors que tout le monde fuit vers les montagnes et autres hauteurs, le père de Sébastien, un génial ingénieur, s’acharne à fabriquer une mystérieuse machine, faite de bric et de broc, avec les matériaux récoltés alentours pour s’extraire de la situation et, pourquoi pas, tenter de sauver l’humanité en embarquant sur son arche – puisque c’en est une – autant de couples d’animaux et de spécimens de végétaux que possible.
Cette apocalypse est subie comme la conséquence inévitable des dérives humaines (et de l’effet de serre) et montre à quel point la civilisation tient à peu de choses. Parce que le Déluge en cours n’empêche aucunement les hommes de continuer à se montrer grossiers et agressifs sans raison – c’en est même un peu triste. Bon an mal an, Sébastien et sa famille font donc le tout pour le tout. L’ensemble est un peu angoissant, car la montée des eaux est très bien décrite (et si vous habitez en bord de mer, c’est pire) et, d’autre part, l’animosité ambiante fait qu’on se demande si la petite famille va s’en sortir. Adrénaline à prévoir !
La fin réserve un joli retournement de situation, montrant qu’il subsiste tout de même un peu d’espoir (du moins pour ceux-là). Un très bon texte pour travailler sur l’effet de serre, l’écologie, la montée des eaux !

♦ La Compagnie de l’air, Christophe Lambert.

Christophe Lambert a choisi comme axe l’accès à l’air pur… de plus en plus menacé par les pollutions diverses et variées que l’on s’invente.
Dans son monde, la pollution est telle qu’un masque atmosphérique est nécessaire. Or, la compagnie Yi-Yendi qui vend les cartouches d’air pur (et s’en met plein les poches au passage, puisqu’elle détient le monopole) a des pratiques fort peu orthodoxes, comme l’a constaté Shû Kishida, informaticien de son état… bien décidé à se venger.
La dénonciation est très efficace et la fin proprement jubilatoire ! Cette nouvelle est un peu plus courte que la précédente et le texte intégral est disponible de façon libre (et légale) ici.

♦ Les Chiens de mer, Danielle Martinigol.

Retour à l’eau, un thème qui semble cher à l’auteur (lisez Or Bleu ou, dans une moindre mesure, Les Abîmes d’Autremer) ! Comme dans la nouvelle précédente, c’est la question de l’accès à la denrée qui pose problème et, ici, la denrée rare est l’eau potable, un thème tragiquement d’actualité. L’eau est devenue une marchandise extrêmement rare, qu’il faut acheminer, distribuer et vendre (à prix d’or). Elle est donc, de fait, au centre de tous les conflits du globe et suscite la convoitise des pirates et terroristes de tous poils.
C’est peut-être la nouvelle qui m’a le plus plu car, contrairement aux deux précédentes (excellentes au demeurant), celle-ci prend place dans un contexte géopolitique extrêmement bien décrit et très réaliste. On y suit une jeune interprète attachée à des organismes internationaux chargés de mener des négociations capitales avec les compagnies commerciales. Et c’est là que débarquent les pirates (les fameux Chiens de mer, des écoterroristes !). Non seulement c’est dense et réaliste, mais en plus c’est bourré d’actions et de suspens !

♦ Le temps d’aimer est bien court, Jean-Pierre Hubert.

La dissémination des OGM, la pollution des sols, la radioactivité due à des attentats terroristes ont dénaturé la nature, mais aussi (et surtout) le patrimoine génétique humain. Les « Spids » sont des mutants qui brûlent leur existence en une vingtaine d’années et ne rêvent que de liberté. Attachés à ressentir le plus possible, les Spids communiquent à l’aide de tablettes leur permettant d’échanger mots mais surtout sensations pour étayer leurs messages : la caresse du vent, l’acidité des larmes, le souffle d’un baiser… Miror et Alicia, Spids âgés de 12 ans, ont cruellement conscience de leur rapide obsolescence. Or, mineurs, ils restent cantonnés sous la surveillance de leurs parents alors qu’ils ne brûlent que de s’aimer en toute liberté. Pas facile de vivre sa vie quand on a 12 ans et une espérance de vie très courte !
À nouveau une excellente nouvelle ! Difficile de ne pas être touchés par l’amour que se portent Alicia et Miror et la rage qui les emplit. La tablette de communication (le damcom) est une trouvaille absolument géniale mais le génie de la nouvelle réside ailleurs ! Loin de proposer une réflexion un peu alarmiste (mais nécessaire), l’auteur joue sur les sentiments en transposant à merveille le mythe de deux amants voués à mourir (Roméo et Juliette, suicide en moins, si vous préférez). Déchirant, mais extrêmement réussi !

♦ Marée descendante, Jean-Pierre Andrevon.

On découvre une station spatiale orbitale où quatre météorologistes de nationalités différentes, impuissants, assistent à une succession de catastrophes naturelles (ou moins) et, finalement au Déluge de La Dernière pluie. Ils décident de se placer en sommeil pour ne se réveiller, ensemble, que 100 ans plus tard. Or, problème, l’astronaute principal ne se réveille que 300 ans plus tard, seul à bord, ses compagnons étant tragiquement décédés. Il décide alors de retourner sur Terre … où la géographie a été complètement bouleversée. La France est un pays tropical couvert de bayous et Paris est envahi par des pirates que ne dédaignerait pas Mad Max.
Aventure à gogo, cette fois encore, où l’on retrouve des pirates (esclavagistes, d’ailleurs) et une humanité aussi sympathique que dans la première nouvelle, quoiqu’un poil plus respectueuse de la nature.
Avec ce texte, la boucle est bouclée et, si les autres nouvelles n’ont pas suffi à édifier le lecteur, ce dernier texte devrait tirer la sonnette d’alarme !

Comme d’habitude dans la collection, chaque nouvelle est introduite par un texte précisant et expliquant les enjeux ; la préface, quant à elle, est signée Joël de Rosnay et la postface, comme souvent, permet d’approfondir les pistes de réflexion.
Voilà une très bonne anthologie, avec cinq très bons textes qui, en plus de contenir une bonne dose d’action, poussent à la réflexion et invitent à protéger notre planète, sans toutefois traumatiser le lecteur ou se montrer trop moralisateurs (un équilibre pas toujours facile à maintenir). Les textes ont plus de dix ans mais s’avèrent (malheureusement) toujours d’actualité. À mettre entre toutes les mains !

 

Demain la terre, anthologie sous la direction de Denis Guiot. Préf. de Joël de Rosnay. Mango
La Dernière pluie et Marée Descendante, Jean-Pierre Andrevon.
La Compagnie de l’air, Christophe Lambert.
Les Chiens de mer, Danielle Martinigol.
Le temps d’aimer est bien court, Jean-Pierre Hubert. 
Mango Jeunesse, 2002, 240 p. 
ABC Imaginaire 2015

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La Fille-flûte et autres fragments de futurs brisés, Paolo Bacigalupi

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La Fille-flûte et autres fragments de futurs brisés : dix nouvelles de science-fiction, signées Paolo Bacigalupi. Dix textes primés, dix textes se déroulant dans des univers post-pétroles, et traitant de thèmes sociaux, politiques, et environnementaux.

La Fille-flûtele recueil s’ouvre sur la nouvelle qui lui donne son titre. La Fille-flûte, c’est Lidia, une jeune femme dont le corps a été modifié à l’extrême, intégrant les différentes clefs d’une flûte traversière, de façon à ce qu’elle et sa sœur jumelle, Nia, modifiée elle aussi, puissent jouer l’une de l’autre. Dans cet univers, le système féodal est de nouveau d’actualité, à ceci près que ce ne sont pas des seigneurs qui gouvernent, mais des célébrités richissimes, dont le but principal est d’acquérir pouvoir, mainmise sur les autres, et autonomies. Dans le fief de Lidia, c’est Belari qui gouverne et, si elle a autant investi sur les demoiselles, c’est pour se démarquer de la concurrence. Dans la nouvelle, il va donc être question de marchandisation du corps, et des évolutions technologiques poussées (mais pas toujours contrôlées). L’univers est assez glaçant et amène à se poser des questions sur ces modifications corporelles, ce à quoi on peut arriver par simple crainte de disparaître, et les conséquences que cela peut avoir. Technologies, manipulations, esclavage, en quelques pages, Paolo Bacigalupi traite intelligemment de tous ces sujets.

Peuple de sable et de poussière : on suit un groupe de soldats (ou ce qui y ressemble, leur mission semblant un poil nébuleuse) dans un univers post-apocalyptique très soigné. Ces trois-là ressemblent à s’y méprendre à des post-humains : modifications génétiques diverses et variées, régénération rapide (de toute partie du corps)… ils se nourrissent d’ailleurs de silice et de cailloux, car telle est l’évolution. Un jour, ils trouvent un chien, un vrai, un comme il n’en existe plus que dans les zoos et, contre toute attente, décident de le garder plutôt que de le débiter en brochettes. Du moins dans un premier temps. La nouvelle est assez glaçante, parce qu’on suit parfaitement le cheminement de pensées du trio, et qu’on voit venir la chute… qui n’en est pas moins horrifiante !

Du Dharma plein les poches : dans cette nouvelle, on évolue dans une Chengdu à deux faces, l’une richissime (et biologique, avec des bâtiments vivants) et l’autre miséreuse et métallique. On suit les traces d’un petit mendiant auquel échoit une bien étrange mission et qui va se retrouver pris dans un complot international. Dans ce texte, j’ai apprécié la personnalité du personnage principal, l’arrière-plan construit, l’univers assez original et, surtout, la nature de la mission et du complot. Mais la fin m’a semblé moins percutante que dans d’autres textes et, du coup, la nouvelle semble (une fois la lecture finie), un peu moins efficace.

Le Pasho : c’est un des texte qui m’a le plus enthousiasmée ! Un Pasho, c’est un homme de savoir, dont les connaissances sont tatouées sur la peau, dans de savants glyphes. Les Pasho étudient à Keli, la cité aux mille lacs qui ne connaît que la pluie. Raphel est l’un d’eux, mais c’est un Jai, un homme du désert. Et lorsqu’il retourne chez lui, après 10 ans dans la cité aquatique, il se heurte à son grand-père, un traditionaliste pure souche. Les points de vue s’affrontent, chacun défendant sa vision des choses.
Évidemment, on voit assez vite ce que les affrontements entre les deux hommes vont donner mais la nouvelle est tellement bien menée, et l’univers si riche et complexe, que c’était même un coup de cœur !

L’Homme des Calories : cette nouvelle se situe dans l’univers de La Fille-automate, un monde post-pétrole. Imaginez un peu : le pétrole n’est plus, l’électricité est une denrée extrêmement rare, et les calories encore plus. Les cultures sont devenues stériles, obligeant les agriculteurs à racheter tous les ans, à prix d’or, de nouvelles semences (vous aussi ça vous rappelle quelque chose ? Eh bien gardez-le à l’esprit, car on n’en est malheureusement pas si loin…).Dans ce charmant univers, un homme est chargé de remonter à ses frais le fleuve afin de récupérer un pirate génétique.
Encore un excellent texte, et qui me donne envie de découvrir La Fille-automate ! L’univers est riche et dense, l’anticipation est parfaite et les réflexions particulièrement efficaces (quoiqu’un poil effarantes, mais c’est aussi le but). Un récit parfaitement maîtrisé!

Le Chasseur de Tamaris : ici, il est à nouveau question d’environnement. Cette fois, c’est l’eau qui est denrée rare (anticipation ? Des fois, on se demande). On suit les pérégrinations de Lolo, un arracheur de tamaris (un arbre très gourmand en flotte), qui travaille pour la multinationale qui détient tous les droits sur l’eau, et particulièrement sur le Colorado. Lolo mène une vie plutôt tranquille,  braconnant l’eau avec efficacité, jusqu’au jour où… la multinationale acquiert les dernières portions de fleuve et met la vie de Lolo en péril. À nouveau, la réflexion environnementale vaut le détour et l’univers est plutôt bien pensé. Ceci dit, cette nouvelle n’a pas l’efficacité de la précédente, et semble nettement moins incisive.

Groupe d’intervention : l’homme est devenu immortel, grâce à de fantastiques traitements. L’ennui, c’est que la surpopulation guette donc, en toute simplicité, on abat les enfants (et les mères. Fait étrange : il ne semble pas y avoir de pères dans l’histoire…). On suit un homme, responsable du groupe d’interventions, donc, dont le métier consiste à traquer celles qui, malgré tout, font des enfants. J’ai aimé l’univers mis en place, et les questions soulevées par cette immortalité. Dans les aspects plutôt positifs, j’ai aimé l’histoire montée autour de la musique : la compagne de notre soldat d’élite est violoncelliste, et a passé les 15 dernières années à préparer un seul et unique concert d’une difficulté incroyable. En revanche, côté négatifs, il y a bien évidemment ces créatures immortels et les assassinats en série pour préserver une population vieillissante, mais sans date de péremption.
Le personnage central, de plus, se pose de bien intéressantes questions, et cela remet tout en perspective. J’ai beaucoup apprécié la chute !

Le Yellow Card : cette fois, on suit un homme âgé, ancien riche, ayant tout perdu, et devenu un clochard. Dans cet univers, en plus, il est un immigré et n’a donc que très peu de droits. Il va donc être question de roue de la fortune qui tourne, mais pas seulement. Car si Tranh est un immigré, c’est à cause de la montée des eaux. S’il n’a pas de travail, c’est à cause d’une sévère surpopulation, qui laisse la majorité des gens sur le carreau. L »univers, à nouveau, est merveilleusement bien construit. C’est dense, c’est riche, et tout est bien pensé. De plus, l’intrigue est menée de main de maître et la chute parfaitement amenée ! C’est une des meilleures nouvelles du recueil !

Plus doux encore : un homme tue sa femme et la laisse dans la baignoire, le temps d’appeler la police. Finalement, il n’en fera rien, car il s’aperçoit que les gens ne s’intéressent pas les uns aux autres. Manifestement, c’est ce qu’a voulu démontrer Paolo Bacigalupi, et cela fonctionne plutôt bien, mais cette nouvelle ne m’a pas réellement touchée.

La Pompe Six : à nouveau un coup de cœur. La pompe Six, c’est la sixième pompe de la station d’épuration. Un beau matin, comme ça, elle tombe en panne. Trav est aux quatre cent coups, car les cinq autres pompes ne tardent pas à se mettre en alerte rouge elles aussi. Or… personne ne sait comment les réparer. Ni, bien sûr, comment faire sans. Un texte sur la déchéance de la société, cette fois, à cause d’une transmission du savoir qui n’est plus normalement assurée (un thème déjà évoqué dans Le Pasho.) et à cause d’un très net penchant vers la facilité.
C’est un texte à la fois angoissant et plein d’espoir, car le personnage central fait tout ce qu’il peut pour ne pas laisser dégénérer la situation. La tension monte lentement au fil des pages, à mesure que l’on découvre à quel point cette société est en plein déclin, à tous les niveaux. C’est un texte qui, à sa façon, cristallise les grands thèmes de ce recueil. Idéal pour finir, donc !

Ce recueil était pour moi une première immersion dans l’oeuvre de Paolo Bacigalupi et une chose est sûre : ce n’est pas la dernière ! 
Toutes les nouvelles ne m’ont pas plu au même degré, évidemment mais, dans l’ensemble, j’ai apprécié les univers, les personnages, et la plume fluide et efficace de l’auteur. Les thèmes choisis sont tous soigneusement traités et les textes amènent le lecteur à réfléchir, sans toutefois lui enfoncer la tête sous l’eau. C’est subtil et maîtrisé, et l’anticipation fait mouche quasiment à chaque coup ! Voilà donc une excellente découverte !

La Fille-flûte et autres fragments de futurs brisés, Paolo Bacigalupi. Au Diable Vauvert, 2014, 448 p.
9/10

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Ainsi naissent les fantômes, Lisa Tuttle.

 

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« En 2004, j’ouvrais mon recueil Serpentine sur cette dédicace : À Lisa Tuttle, dont les livres m’ont appris que les plus effrayants des fantômes sont ceux qu’on porte en soi. Ils étaient toujours là, ces fantômes : entre les pages des textes que je découvrais en cherchant la matière qui composerait ce recueil. » 
Mélanie Fazi


Rêves captifs
: on suit l’histoire d’une enfant capturée par un pervers sexuel, qui la séquestre dans un placard sombre et exigu. Un jour, l’enfant s’échappe, par un moyen si incroyable que personne ne parvient à la croire. Mais elle passe outre, et réussit à mener sa vie. Au fil des lignes, on partage tous les espoirs de la jeune fille, ses tentatives de tuer le temps et d’échapper à sa prison, par tous les moyens.
Nulle description des sévices subis par la fillette n’apparaît : pourtant l’histoire appartient vraiment au genre de l’horreur, et c’est la chute qui nous entraîne. Cette même chute qui annonce la couleur du recueil, et déploie l’ampleur du talent de Lisa Tuttle. Le recueil s’annonce sombre, mais sans excès de scènes gores : tout est dans la suggestion !

L’Heure en plus : une mère de famille a du mal à concilier ses obligations familiales et sa passion pour l’écriture. Chaque jour, son emploi du temps de ministre comprend tout de même quelques plages pour la création mais voilà : à l’idée que le réveil ne va pas tarder à sonner, elle est incapable de créer. La voilà rêvant à une petite heure de plus dans sa journée…. et son souhait se réalise, sous la forme d’une porte qui apparaît de temps en temps, et qui lui offre une parenthèse hors du temps, dans une pièce qui contient toujours ce qu’il lui faut, mais ce qui s’y déroule ne peut empiéter sur la réalité. Du moins, en théorie.
C’est une nouvelle qui devrait parler à bon nombre de lecteurs : tout le monde a, un jour, espéré avoir plus de temps qu’une journée n’en contient. Ici, le fantastique arrive par petites touches, et c’est à nouveau la chute de la nouvelle qui déploie tout l’aspect surnaturel de la nouvelle qui m’a beaucoup plu !

Le Remède : cette fois, on verse dans la science-fiction. Dans la société du Remède, les citoyens ont été vaccinés contre toutes les maladies. Mais le vaccin attaque le centre du langage et la communication, écrite, orale… disparaît. Tout simplement. Ce qui va avoir des répercussions sur deux jeunes femmes, dont l’une est écrivaine. C’est, à nouveau, une nouvelle qui peut parler à de nombreux lecteurs (habitués au fantastique, à la SF, ou non) tant elle touche un thème universel. Elle est même assez déroutante, dès l’instant où l’on essaie de transposer l’affaire et les thèses à notre univers et ce que l’on connaît.

Ma Pathologie : cette nouvelle est centrée autour de la maternité (un thème déjà évoqué dans L’Heure perdue et Le Remède, et qu’on retrouvera par la suite), de l’oubli de soi au profit de l’être aimé. À nouveau, une femme au centre de l’histoire, face à un compagnon alchimiste. L’histoire n’est pas particulièrement angoissante, mais les thèmes développés créent un sentiment de malaise persistant. Elle est extrêmement bien menée, que ce soit dans l’installation du malaise, ou dans la chute.

Mezzo-tinto : c’est l’histoire d’une femme, qui se sent un peu délaissée par son mari et qui, soudain, découvre un mezzo-tinto, une image d’une maison très étrange, dans son bureau, et qui l’angoisse sans raison. Dès l’instant où Mel remarque cette gravure, quelque chose se détraque : elle a peur, elle se fait des idées, elle stresse. Peu à peu, l’atmosphère oppressante monte et saisit le lecteur à la gorge. Lisa Tuttle l’a écrite en hommage à la nouvelle éponyme de M.R. James que je ne connais pas ; mais son texte m’a rappelé Continuidad de los parques, de Julio Cortazár (que j’avais adorée), dans sa façon d’instaurer le fantastique par légères touches persistantes et dérangeantes.

La Fiancée du Dragon : Isobel doit aller en Angleterre mais, sans qu’elle sache pourquoi, cela la terrifie. Elle rencontre Fitz, qui aimerait vraiment l’aider, et tente par tous les moyens de la distraire de sa peur irraisonnée de ce qu’il y a outre-Atlantique (impossible d’en dire plus sans ruiner le suspense). Celle-ci diffère par sa longueur et c’est la nouvelle que j’ai trouvée la moins efficace (en raison de sa longueur, probablement). Je l’ai trouvée assez prévisible. Pourtant, elle est bien menée, terrifiante par moments, et le mystère qui plane autour de l’histoire plutôt bien maintenu. C’est peut-être la longueur du texte qui le rend moins percutant que les autres.

Le vieux M. Boudreaux : ici, il s’agit d’une promesse que fait une fille à sa mère mourante : celle de s’occuper du vieux M. Boudreaux, qui était le compagnon de sa grand-mère, et qu’elle trouvera dans la vieille maison familiale. Plus que de la maternité, c’est surtout de la relation mère-filles qu’il est question ici, et cette relation est questionnée et traitée avec beaucoup de justesse (comme tous les thèmes de ce recueil, en fait). Ici, point d’horreur : le texte est plutôt nostalgique, et évoque l’enfance avec tendresse. On glisse doucement vers le fantastique, certes, mais cela se fait sans précipitation, et délicatement. Encore un petit bijou littéraire !
Cette nouvelle est d’ailleurs disponible gratuitement sur le site des éditions Dystopia (chez qui était initialement paru le recueil)… et devrait vous permettre de vous faire une idée de la qualité du recueil !

Le recueil se clôt sur une entrevue entre Mélanie Fazi et Lisa Tuttle, qui permet d’avoir un nouvel éclairage sur le travail de l’auteur, ce qui est plus qu’intéressant. 
Ainsi naissent les fantômes est un recueil de nouvelles fantastiques de qualité : l’auteur noue ses nouvelles avec un grand talent, avec une économie de mots qui sert à merveille les ambiances qu’elle tisse peu à peu. Ses nouvelles parlent de maternité, de relations de famille, de communication, ou d’amour avec une justesse qu’on ne peut qu’admirer ! Moi qui désespérais, il y a peu, de relire du fantastique – dans le vrai sens du terme – me voilà comblée avec ce recueil, qui a amplement mérité son coup de cœur !

 

Ainsi naissent les fantômes, Lisa Tuttle. Nouvelles choisies et traduites par Mélanie Fazi. Folio SF, 2014, 320 p.
 9/10. 

 

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Keleana et le seigneur pirate, Sarah J. Maas.

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Keleana Sardothien est la meilleure assassineuse d’Arobyn Hamel, le Roi des Assassins du Nord. Elle est également sa protégée et son héritière. Envoyée en mission avec som collègue Sam Cortland à Skull Island auprès du Seigneur des Pirates, Keleana apprend subitement qu’elle est là pour superviser une affaire de traite d’esclave. Or on peut être une assassineuse sans foi ni loi, et tout de même avoir des principes. Elle se met donc en devoir de faire capoter l’affaire… ce qui ne s’avère pas sans risques. Et la colère de Rolfe n’est peut-être pas le pire, là-dedans. 

Keleana et le seigneur pirate est  la préquelle servant d’ouverture à la série Keleana l’assassineuse. On y découvre donc la fameuse tueuse, au gré d’une mission bien particulière.

Sarah J. Maas a choisi de faire de ses assassineurs une espèce bien particulière de tueurs, sans toutefois que la différence soit vraiment marquée : des perches sont tendues, mais les explications ne viennent pas. Elles sont probablement plus détaillées dans le roman.
Son personnage central, Keleana, concentre une grande partie des archétypes fantasy : c’est une fille forte avec un métier pas courant, mais d’apparence fragile ; elle est très jeune pour ce qu’elle fait (elle n’a que 15 ans) ; elle a de l’autorité à revendre ; en tant qu’héritière du clan, elle est appelée à un grand destin ; c’est un véritable prodige. Afin de dissimuler son identité, elle évolue masquée, et sous une cape (ce qui n’est, bien sûr, pas du tout suspect). On pourrait penser qu’avec un tel pedigree, l’auteur va nous surprendre. Et ce n’est malheureusement pas le cas. Keleana ressemble dès le départ à un stéréotype, et ne sort malheureusement pas du cadre.

Et l’aventure est  à l’avenant, ce qui est bien dommage : sans surprises, elle se déroule assez platement jusqu’au dernier chapitre, et sans détailler plus que cela l’univers.
De plus, dès le départ, on nous présente deux personnages qui s’opposent, alors que l’attirance entre eux est plus que manifeste. Le suspens est donc biaisé puisque dès le départ on sait comment cela va tourner. Bref, c’est sans surprises.

En somme, si la nouvelle présente plutôt bien les personnages et l’univers, elle est un peu trop prévisible et stéréotypique pour être vraiment efficace. Dommage.

 

 

Keleana l’assassineuse, préquelle : Keleana et le seigneur pirate, Sarah J. Maas. La Martinière jeunesse, 2013.
5,5 / 10. 

 

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Le Regard des princes à minuit, Erik L’Homme.

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Peut-on encore être un véritable chevalier aujourd’hui ? Est-ce encore possible ?
À travers sept épreuves initiatiques, des jeunes gens se lancent dans l’aventure : une expédition nocturne dans la forêt de Brocéliande, l’escalade de la façade de Notre-Dame en cordée, l’intensité d’un combat à mains nues, la découverte d’une danse oubliée avec une incroyable cavalière… Autant de façons de vibrer, de prendre position dans la société, de dire NON.

Voici donc la preuve, s’il en fallait une, qu’Erik L’Homme n’a rien perdu de son talent. Loin de fournir ici un récit d’aventure ébouriffant de suspens, il livre un recueil de nouvelles profond, sensible, émouvant.
Reprenant le schéma des épreuves initiatiques destinées, à l’époque médiévale, aux bacheliers (c’est-à-dire les futurs chevaliers), l’auteur propose sept nouvelles, comme autant d’épreuves remettant au goût du jour les valeurs chevaleresques.
S’appuyant sur le fictif Les Sept bacheliers ou l’épreuve périlleuse, attribué à Cosme d’Aleyrac et daté du XIIème siècle (la pièce médiévale est en fait de la main d’Erik L’Homme), le recueil offre des parallèles entre l’épreuve initiatique du personnage, et une reconstitution de l’épreuve que pouvait subir un chevalier au Moyen-Âge. Chaque nouvelle, donc, comporte une perle de sagesse, exaltant une des valeurs chevaleresques : honnêteté, courage, respect. Et chaque nouvelle met en parallèle le texte médiéval relatant la fameuse épreuve.
Les épreuves inventées par Erik L’Homme s’inscrivent dans un cadre résolument moderne : un bal dans un parking de plusieurs étages, le sabotage d’une antenne télé, un combat de rues… mais chaque épreuve fait le lien avec une épreuve médiévale, et on voit rapidement les liens entre les textes.

Chaque nouvelle raconte donc l’initiation d’un jeune, accompagné de son mentor : d’expéditions clandestines en expériences riches en sensations, on vogue d’une aventure à l’autre, portés par les valeurs les plus chevaleresques et une certaine tendance à la rébellion contre une société toujours plus abrutissante et infamante. Le contexte est résolument moderne, mais ces valeurs s’y inscrivent parfaitement. Chaque pépite, d’ailleurs, est tirée du discours du roi Marc’h à Tristan… et pourtant toujours d’actualité.

Le Regard des princes à minuit offre donc une courte pause, vivifiante à souhait, et vibrante d’énergie. C’est fluide, poétique, on le lit sans aucune difficulté, et on se gorge d’adrénaline. Le texte invite également à se poser des questions sur les travers de nos sociétés, à appréhender des valeurs malheureusement parfois oubliées, et à s’interroger sur son propre comportement. On en ressort gonflé d’énergie, déterminé et plein d’optimisme !

Le Regard des princes à minuit, Erik L’Homme. Gallimard, mars 2014, 144 p.
8,5 /10.

Punk’s not dead, Anthelme Hauchecorne.

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Imaginez… l’Apocalypse. Racontée par un zombie punk.

Que se passerait-il si le QI des Français était soudainement multiplié ? Un grand sursaut de conscience ? Une nouvelle Révolution, l’an 1789 en version 2.0 ?
Les gentlemen du futur pourront-ils régler leurs querelles au disrupteur à vapeur, sans toutefois manquer aux règles de l’étiquette ?
Et si la Mort était surmenée et prenait des vacances méritées ?

Treize nouvelles aux sujets graves, traités avec entre ces pages avec un grand sérieux.

Avec Punk’s not dead, Anthelme Hauchecorne propose 13 nouvelles, écrites à différentes périodes. Pour en expliquer la genèse, chaque nouvelle est suivie de quelques pages explicatives, donnant le sujet de l’appel à textes, du concours, ou l’inspiration de la nouvelle elle-même : c’est intéressant d’assister au processus créatif (même à posteriori) et, pour certaines nouvelles, on voit mieux où l’auteur souhaitait en venir. Une fois n’est pas coutume, je vais évoquer l’objet en-lui même, l’image numérique ne rendant absolument pas justice à la beauté de la couverture, que l’on doit à Loïc Canavaggia. Chaque nouvelle est illustrée par les travaux de l’illustrateur, dont les œuvres sont d’une part, magnifiques, d’autre part, parfaitement adaptées tant dans l’esthétique, que dans les représentations, aux textes. Il n’y a pas à dire, Punk’s not dead est un très bel objet !
Parlons maintenant du contenu.

Décembre aux cendres
Une Budapest post-apocalyptique… Eva, pour sauver sa mère, devient scorpailleuse (orpailleuse de scories) : elle cherche des objets encore utilisables dans les décombres radioactifs de la cité, lesquels recèlent bien des surprises. Voilà un univers sombre, et une histoire du même acabit : c’est une excellente entrée en matière pour cet ouvrage. En très peu de pages, Anthelme Hauchecorne dépeint la – terrible – situation, croque les personnages, intrigue le lecteur avec adresse. Alors qu’on ressent un peu d’espoir, un élément fracassant surgit dans le récit et le lecteur fait ce triste constat : même post-apocalyptique, le monde reste tel qu’il est ; rien n’est gratuit, et le profit est roi.
Cette nouvelle donne le ton : les nouvelles seront noires, le ton sombre, les univers peu réjouissants. Et pourtant, c’est une nouvelle très émouvante, à l’esthétique travaillée, un petit bijou de précision, de construction – et de noirceur, certes.

Sarabande mécanique
Récit picaresque, satire sociale, Sarabande mécanique se distingue par ses scènes de duel (au disrupteur à vapeur) dans le respect le plus strict (parfois) de l’étiquette victorienne. Bienvenue dans le steampunk échevelé. La nouvelle est brève, vive, pleine d’énergie : on ne s’ennuie pas un tel instant et l’humour pince-sans-rire (so british) cadre parfaitement avec le thème. Et la chute est renversante, tout à fait dans le genre exploré. Sans être ma nouvelle favorite, Sarabande mécanique offre un bon divertissement : passé un certain point, le récit part un peu en vrille, offrant des rebondissements loufoques, décalés, parfois même un peu trop baroques, mais faisant de Sarabande mécanique une nouvelle savoureuse.

No Future
L’Apocalypse, vue par un punk… zombi. Johnny Roten, qui ne jurait que par les qualités de sa basse acoustique arpente les ruines d’un Royaume-Uni dévasté par l’Apocalyse, rien de moins que ça. N’attendez pas un constant larmoyant du genre « Nous aurions dû… » : non, No Future est cash, direct, sans concessions et a le mérite de clairement mettre les points sur les i. Le récit est entraînant, plein de verve et la nouvelle fonctionne fort bien, tout en délivrant un intéressant message à visée écologique. Que demander de plus ?

C.F.D.T.
Bienvenue dans un univers drôle et décalé : C.F.D.T. remportera, je crois, la palme de la loufoquerie dans ce recueil. Il y est question de différentes créatures, finissant par s’allier en une confédération… très originale. Les clichés de la fantasy, des quêtes héroïques sont repris et détournés, et cela fait de C.F.D.T. un texte hilarant, efficace, dont la chute est très originale.

Sale petite peste !
Reprenant le personnage de la Mort, de Terry Pratchett, Anthelme Hauchecorne s’empare du mythe, du matériau fictionnel existant chez Pratchett et propose une interprétation inédite de la terrifiante Faucheuse. Abattue, déprimée, stressée, surbookée, elle est à deux doigts du claquage nerveux.
N’ayant pas lu Pratchett, je ne m’avancerai pas sur le terrain glissant des comparaisons entre les œuvres. Cela dit, j’ai totalement adhéré à cette vision totalement décalée d’une Faucheuse en manque de vacances. Le texte est drôle, bien écrit, et offre même un peu de suspens : c’est une très belle réussite !

Les Gentlemen à manivelle
Futur indéterminé : les robots sont partout. Pire : ils sont là pour tout. Difficile, même de s’y retrouver, tant chaque geste quotidien semble avoir été remplacé par une machine quelconque : l’auteur a pensé à tout, et présente des robots tous plus performants les uns que les autres, conçus pour des tâches auxquelles on ne penserait même pas (cf. le moule à cake programmable). Cette nouvelle est pleine de mordant, drôle comme tout, et présente avec beaucoup d’humour un futur qu’on imagine – malheureusement – sans peine. L’histoire est très efficace et offre une réflexion un peu classique, sur les rapports hommes-machines, mais très intéressante. Les Gentlemen à manivelle est, elle aussi, une belle réussite, dont l’ironie mordante sert bien le propos !

La Guerre des Gaules
Imaginez… que le QI des classes défavorisées françaises soit tout à coup démultiplié. Imaginez que le parti au pouvoir entraîne la ruine du pays, le ressurgissement des entités régionales… la Guerre des Gaules est sur les rails. La Guerre des Gaules présente une narration originale : de fait, l’histoire n’est pas contée, mais elle se dessine, en creux, au gré des extraits d’interview de quelques protagonistes, issus de divers milieux (nantis déchus, hommes politiques, activistes, ouvrière subitement montée en grade) et juxtaposés par deux chercheurs. Ce jeu narratif ôte à la nouvelle toute dimension émotive et psychologique, c’est vrai, mais cette présentation originale et audacieuse a l’intérêt de donner au récit un côté clinique et analytique pas désagréable, qui cadre bien avec le sujet. J’ai aimé la réflexion sur le morcellement du territoire en petites entités régionales actives (même si je me suis étonnée que certaines provinces habituellement remuantes soient passées sous silence,
ici), le scénario catastrophe imaginé, et toute la théorie autour du darwinisme. Malgré l’absence d’émotions palpable, La Guerre des Gaules est une de mes nouvelles préférées de Punk’s not dead, sans aucun doute possible.

Voodoo Dolls
Nouvelle policière présentant une enquête dans les bas-fonds lyonnais, Voodoo Dolls est marquée par la même précision stylistique que les nouvelles précédentes. Pourtant, je m’y suis moins attachée qu’aux autres. L’univers est assez classique : un privé quelque peu désespéré est lancé dans un enquête avec une grosse manne d’argent à la clef. La chute, pourtant bien très amenée, ne m’a pas surprise le moins du monde – raison de ma légère déception, probablement. Le style, comme toujours, est vif et précis, mais les personnages ont manqué de quelque chose à mon goût pour me les rendre profondément sympathiques.

De Profundis
Décembre aux cendres était émouvante ; De Profundis est bien au-delà. S’appropriant le mythe des dragons, l’auteur le mêle à celui des abysses océaniques, faisant nager au fond des fosses d’immenses créatures à mi-chemin entre les cétacés gigantesques et les dragons de légende. Inquiétés par la disparition de pupere (petits dragons), ils se lancent dans l’enquête. La fin était, là aussi, aisément devinable, mais elle s’inscrit dans la ligne de la nouvelle, et c’est moins gênant que dans Voodoo Dolls. De Profundis est une nouvelle qui a manifestement nécessité beaucoup de recherches, et toute cette matière est bien utilisée dans le texte : on n’étouffe pas sous les données, car l’auteur a construit un univers complexe, décrit en peu de mot, dont on perçoit immédiatement les enjeux. De Profundis est un des textes les plus fascinants du recueil !

La Ballade d’Abrahel
La Ballade d’Abrahel s’inspire d’une vieille légende lorraine ; dans la nouvelle, on suit les pérégrinations d’Abrahel, un succube ayant la fâcheuse tendance à s’amouracher de mortels. De nos jours, la mode est plutôt à l’inverse : nombre de romans mettent en scène des humains s’entichant de créatures surnaturelles (et de préférence dangereuses). J’ai beaucoup aimé le jeu sur les rôles, celui sur la légende initiale, la façon dont l’auteur se l’est appropriée, et la découverte du microcosme des enfers. L’histoire, efficace, est aussi sombre que l’univers, mais c’est ce qui fait tout son charme ! La Ballade d’Abrahel fait également partie de mes textes préférés.

Le Buto atomique
Malgré d’indéniables qualités, Le Buto atomique ne m’a pas vraiment emballée. J’ai beaucoup aimé l’idée de cette sorcière entrant en transe grâce à la danse. Le travail autour de la danse, de la sorcellerie, du nucléaire, est intéressant, mais l’univers m’a moins emballée que les autres, alors que l’histoire présente les mêmes qualités narratives et stylistiques que les autres nouvelles. Peut-être est-ce la forme du témoignage qui fait que je suis restée assez imperméable à cette histoire, dont l’univers me plaisait pourtant.

La Grâce du funambule
Cette nouvelle est une des rares à ne pas appartenir aux genres fantastiques. Et pourtant, elle est aussi percutante et soignée que les autres, avec un fond très intéressant. Explorant la région de Roubaix et le monde de la mode, La Grâce du funambule narre l’histoire d’un jeune homme suspendu par ses rêves, toujours sur la corde raide, que ce soit dans ses rapports aux autres ou dans son comportement. Le personnage est fouillé, l’univers très bien mis à profit et cette nouvelle s’inscrit dans la lignée du recueil – en cela qu’elle est quelque peu désabusée et sombre.

Le Roi d’automne
Cette ultime nouvelle s’inscrit dans le cycle Le Sidh de l’auteur, et explore la vie d’un des personnages, Ambre. On visite donc l’En-deçà, alors que les deux personnages principaux sont lancées dans une quête initiatique, en forme de rite de passage à l’âge adulte, la nuit de Samain. Prétexte à l’exploration de ce monde souterrain énigmatique et dangereux, la quête n’est pas de tout repos. Nul besoin d’avoir des pré-requis, ou d’avoir lu Le Sidh, l’auteur donnant suffisamment d’indications au lecteur néophyte (pas d’inquiétude, donc). À nouveau, le texte est précis, soigné, détaillé, et l’intrigue complexe : suspense, découvertes, trahisons et faux-semblants sont au menu de ce dernier texte, dont les accents flirtent avec le fantastique, le thriller, et les contes féériques. Le texte est vif, bien mené, on ne s’ennuie pas une seule seconde, et on se laisse volontiers surprendre. Voilà une autre nouvelle à ajouter à mon panthéon personnel !

Punk’s not dead, c’est donc un recueil de 13 petites pépites ; nombre approprié pour une sortie si proche d’Halloween / Samain (rayez la mention inutile)! Toutes font montre de la maîtrise de l’auteur : le style est travaillé, précis ; on plonge rapidement dans les univers successifs, croqués en peu de mots, avec juste ce qu’il faut d’informations pour que le lecteur ait l’impression de maîtriser les situations à la perfection. Les illustrations, splendides, très détaillées (à l’instar des textes) ajoutent une réelle valeur ajoutée aux nouvelles : le recueil est vraiment un très bel objet.
Les univers, sombres, sont dépeints avec une bonne touche de vitriol, et un ton désabusé pas désagréables ; l’humour (grinçant) est très présent et, malgré les récits parfois peu réjouissants, Punk’s not dead est tout sauf un recueil déprimant. Au contraire, il serait plutôt le genre à rendre le sourire, quels que soient les sommets de noirceur atteints ! Bien qu’il s’agisse de nouvelles, tous les univers présentés sont denses, complexes, et les intrigues sont à l’avenant : le recueil m’a enthousiasmée tant sur le fond que sur la forme. Surtout, j’ai aimé les messages délivrés via les textes, poussant – généralement – le lecteur à la réflexion, avec de bonnes pistes. Alors, évidemment, tous les textes ne sont pas au même niveau, et tous ne vous embarqueront pas de la même façon – c’est toujours le risque avec les nouvelles. Mais, dans l’ensemble, j’ai passé un excellent moment avec Punk’s not dead, que je vous recommande vivement si vous cherchez une lecture à la fois divertissante et décapante ! 

Punk’s not dead, cercueil de nouvelles, Anthelme Hauchecorne. Illustrations de Loïc Canavaggia. Midgard, 2013, 456 p.
9 / 10.

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Un lavoir en Provence, Jean-Max Tixier.

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Un lavoir en Provence rassemble des histoires dont le thème commun est celui de l’eau en Provence dans son étonnante complexité. Il s’agit des fleuves, des rivières, des ruisseaux, mais aussi des sources, des lacs, des étangs et de la mer. Qu’ils s’inspirent des légendes provençales, parfois naïves mais toujours touchantes, qu’ils plongent dans un univers fantastique et merveilleux où interviennent les saints et les démons ou qu’ils exploitent le quotidien pittoresque des gens de la campagne, ces récits célèbrent tous, chacun à sa manière, l’imaginaire extraordinairement fertile de cette région dont on connaît les beautés, la force des traditions, les capacités d’invention, le goût du verbe. Grâce à la plume sûre et colorée de Jean-Max Tixier, on surprend les ragots des lavandières à leur lavoir. On apprend comment une jeune fille du Rhône fut enlevée par un terrible drac. On découvre comment un paisible paysan fut ensorcelé par l’eau maléfique coulant du canon d’une fontaine. L’usage de l’eau rejoint ici, pour une lecture poétique du lieu, la fluidité de la parole et la fugacité des songes.

Le Cabinet fantastique est une des collections du Pré-aux-Clercs, dirigée par Edouard Brasey, qui propose des anthologies de contes merveilleux, regroupés par origines ou thèmes. Ici, le recueil propose des contes autour du thème de l’eau, et essentiellement en Provence, comme son nom l’indique. On visite donc différentes contrées de la Provence que l’auteur fait revivre, explorant les légendes locales, les histoires des lieux-dits, ou faisant revivre les figures du folklore. Tantôt drôles, tantôt cruels, les contes ne sont pas dépourvus d’une certaine morale, reflet de la sagesse populaire, qu’il convient parfois de deviner. Exploitant les fibres de l’émotion, ou de la peur, ils sont agréablement alternés, dans une édition soignée, que l’on se verrait bien lire au coin du feu.

Quoi qu’il en soit, on finit rapidement par se méfier de l’eau, des rumeurs et des mauvais présages, en lisant ce recueil. Que vous alliez vous promener aux bords de la Durance, ou que vous croisiez un étrange pâtre aux abords d’un marais, nul doute que la lecture de cet ouvrage vous fera ouvrir bien grand les yeux et les oreilles.

Voilà donc un petit recueil parfait à offrir pour qui aime les vieilles histoires, les légendes, et les contes populaires; si, en plus, vous connaissez la Provence et projetez d’y aller, ce recueil devient indispensable. A emporter dans ses bagages !

 

Un Lavoir en Provence et autres histoires, Jean-Max Tixier. Le Pré-aux-Clercs, 2007, 170 pages.
8/10.

 

Le cabaret vert, Estelle Valls de Gomis.

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Les nouvelles d’Estelle Valls de Gomis nous plongent dans un univers peuplé de dandies décadents, de vampires, de dieux et de héros de la mythologie grecque, un univers servi par un style délicat rendant hommage aux grands nouvellistes du XIXe que furent Gautier, Mérimée ou Lorrain. Au fil des pages, on se laisse prendre entre les fils de soie d’un cocon d’écriture subtil et raffiné, qui nous embarque dans un voyage où l’émerveillement et le plaisir de lire ne se démentent jamais.

Du sable fin des plages méditerranéennes aux recoins obscurs des ruelles envahies par la brume, il n’y a qu’un pas qu’Estelle Valls de Gomis promène ses lecteurs au travers d’ambiances aussi soigneuses que variées. Ces dix-huit nouvelles sont autant d’évocations poétiques et précieuses de personnages étranges, déités aujourd’hui disparues ou résurgences d’un passé aussi fantastique que dangereux.

Délicatement présentés par l’écrin onirique et poétique du style de l’auteur, les personnages s’exposent à la vue de tous dans toute la splendeur de leur folie ou de leur mélancolie.
Le vampire, admirablement campé dans plusieurs nouvelles, se veut tendre et romantique, quoique souvent létal pour sa victime. Loin des productions à la mode, c’est un dandy, voire un esthète de la même veine que Des Esseintes, ou bien un philosophe atterré par les atavismes de sa race maudite.
La mort, omniprésente dans chaque texte n’est pas qu’une fatalité: résultats des actions des hommes ou simple aboutissement, elle prend tant d’importance qu’elle finit par se confondre avec les protagonistes, accédant à leur rang.
L’écriture élégante de l’auteur est très agréable à lire, ciselant avec précision portraits et atmosphères. Précieuses, aériennes, ou éthérées, ces auras fantastiques sont restituées dans tout leur faste et leur férocité.

Dix-huit nouvelles donc, parfois très courtes, dix-huit petites fenêtres ouvertes sur l’ailleurs, proposant d’agréables promenades dans des aires révolues où l’absinthe coulait à flots dans des salons raffinés et décadents, arpentés par des personnages du fond des âges restitués pour notre plus grand bonheur.

Le Cabaret vert : déités disparues et esthètes immoraux , Estelle Valls de Gomis. Editions Lokomodo, mars 2011 (1ère édition 2006), 260 p.
9/10.

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Si vous avez aimé, vous aimerez peut-être…

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Nuits d’enfer au paradis (recueil).

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Quelle fille n’a jamais rêvé d’être la reine du bal de fin d’année ? Une robe vaporeuse, un cavalier élégant et amoureux, une musique entêtante… Les histoires de ce recueil réunissent des héroïnes qui ont tout pour accéder au podium. Malheureusement, c’est sans compter sur les vampires, démons et autres morts-vivants qui s’invitent à la fête… Alors, prêtes à danser avec le Diable ?

J’ai emprunté ce livre parce qu’on m’en avait beaucoup parlé, mais sans en attendre grand chose (et bien m’en a pris.)
Constitué de 5 nouvelles centrées autour des même thèmes -la Nuit, le Mal, et le bal de fin d’année – quelques créatures surnaturelles se disputent la vedette, sans parvenir à être vraiment crédibles ou attachantes.
Le format des nouvelles ne m’a pas paru très judicieux ; plus que des nouvelles, ce sont des « tranches » de nouvelles. Les débuts sur les chapeaux de roues sans grandes explications, précèdent des fins totalement ouvertes, peu claires et m’ayant souvent laissée plus que sceptique. Les différents récits laissent un goût d’inachevé, ainsi que l’impression d’un cruel manque de contenu.
Au final, on suit les aventures de jeunes écervelées ne pensant qu’au bal de fin d’année (événement crucial manifestement), obnubilées par les garçons (déjà?!) et pensant plus à s’amuser qu’à réfléchir. Reflet d’une génération, peut-être? Le seul sentiment qui m’a habitée à la lecture des (més)aventures des dites héroïnes fut « Bien fait pour toi, espèce de cruche, c’était couru d’avance ». Pas très charitable, certes, mais parfaitement représentatif.
Jugez plutôt:

« De plus en plus frigorifiée, je m’enfonçai davantage dans le siège, déçue que Seth ne m’ait pas proposé son manteau. Depuis que j’étais montée dans la voiture, il ne m’avait pas parlé, ni regardée une seule fois. Lui qui faisait preuve d’une telle galanterie quelques minutes plus tôt semblait à présent bien … »rustre » serait le mot. Et sans pouvoir l’expliquer, j’eus soudain un mauvais pressentiment. Comme s’il avait lu dans mes pensées, Seth se tourna dans ma direction en continuant à rouler dans l’obscurité, sans regarder la route.
– Trop tard, me chuchota-t-il d’un air sinistre.
Je me sentis subitement pâlir.
– C’était trop facile! Je leur avais bien dit que ce serait un jeu d’enfant! Limite trop simple, aucun plaisir!
D’un coup, ma gorge devint aride. »

N’était-ce pas prévisible?
Si vous ne l’avez pas lu, donc, vous ne perdez rien. C’est un tome purement commercial, sans grand intérêt, que ce soit du point de vue des histoires ou du genre fantastique qui est largement desservi par cet opus.

Nuits d’Enfer au Paradis. Ouvrage collectif de nouvelles : S. Meyer, M. Cabot, L. Myracle, K. Harrison, M. Jaffe.
Editions Hachette, (Black Moon), 2008, 357 pages.
1,5/10.