Le Temps des sorcières, Alix E. Harrow.

Avant, quand l’air était si imprégné de magie qu’il laissait un goût de cendres sur la langue, les sorcières étaient féroces et intrépides, la magie flamboyait et la nuit leur appartenait. Ce temps n’est plus, les hommes ont dressé des bûchers, et les femmes ont appris à se taire, à dissimuler ce qui leur restait de magie dans des comptines, des formules à deux sous et des contes de bonne femme.
Mais la vraie sorcellerie n’a besoin que de trois choses pour renaître : la volonté de l’écouter, les vers pour lui parler, et les voies pour la laisser pénétrer le monde. Car tout ce qui est important va par trois.
Ainsi des sœurs Eastwood : Bella, Agnès et Genièvre. Mues par la colère, la peur… et une pulsation écarlate qui ne demande qu’à revivre, des dons qu’elles découvrent peu à peu. Il suffit pour cela de s’unir, et d’y croire, de traquer tous les interstices où elle se dissimule. Car la magie, c’est d’abord penser que chacun est libre d’agir, même si le mal rôde. Le temps des Sorcières pourrait alors bien revenir, pour notre plus grand bénéfice à tous, hommes et femmes.

1893, aux États-Unis : on pourrait penser que la fumée des bûchers de Salem est loin derrière le pays, mais il n’en est rien. Car à New Salem, on s’inquiète de ces suffragettes qui réclament le pouvoir. L’inquiétude se teinte d’angoisse lorsque, au beau milieu d’une de leurs manifestations, une ancestrale tour sentant la magie à plein nez se matérialise sur la place, avant de disparaître aussi vite. Qui a lancé ce sort ? Y a-t-il de vraies sorcières à New Salem ?

De fait, oui. Car dans cet univers, la magie est quelque chose de courant : on s’en sert pour repriser les chaussettes, donner du lustre à une coiffure, ou retaper un massif de fleurs. Bref : rien de folichon. Des sorts qui se transmettent de mères en filles, chuchotés dans des comptines, des ritournelles et dans les contes de fées. A côté de cela, il y a la magie ancestrale, celle pour laquelle on a brûlé tant de femmes, et qui permettait de déclencher des choses autrement plus spectaculaires.
C’est dans ce contexte que se retrouvent trois sœurs qui ne se sont plus vues depuis sept ans, Bella, Agnès et Genièvre. La première est bibliothécaire, la deuxième ouvrière et la troisième, recherchée pour le meurtre de son géniteur, ne rêve que de rétablir les pouvoirs disparus des sorcières.
Bon an mal an, les trois sœurs tentent de se rabibocher et de faire renaître la voie des sorcières, sur fond de mouvement politique féministe (les suffragettes étant en pleine action) et de secrets de famille profondément enfouis. Le parallèle tissé au départ entre la lutte politique des femmes et leur lutte ésotérique, s’efface peu à peu au profit de la seconde – ce que j’ai quelque peu déploré, car je trouvais le parallèle assez intéressant. Ceci étant dit, les jeunes femmes luttent contre les vieilles badernes de la politique locale, lesquelles ne dédaignent pas… un peu de sorcellerie de temps à autres. Ce qui explique sans doute pourquoi le récit se resserre sur l’une des deux luttes.

Elle s’empare avec morosité d’une des notes de Bella et y voit le croquis d’une femme crachant du feu par la bouche.
« C’est un sort d’embrasement ?
On dirait, oui.
Je peux l’essayer ?
Est-ce que tu peux allumer un feu magique dans une tour remplie de papier et de cuir ?
Genièvre réfléchit un instant. « Même si c’est un tout petit feu ? »

Le récit entremêle assez habilement préoccupations présentes des trois jeunes femmes, règlement de leurs contentieux passés (lesquels sont assez nombreux, notamment au sein de la famille Eastwood), et leurs différentes aspirations – et je dois dire que si chaque arc narratif est intéressant, c’est vraiment celui consacré à leurs relations qui m’a le plus emballée.
Chaque chapitre s’ouvre sur des vers, autant de sortilèges aux visées différentes, et qui généralement sont utilisés dans les pages ou chapitres suivants. Cela instaure un effet d’attente assez intéressant et qui redynamise l’intrigue. Et celle-ci en a bien besoin. En effet, difficile d’oublier à quel point la volonté des trois femmes de restaurer la voie des sorcières est forte, tant celle-ci est rabâchée, au point d’introduire des répétitions et des longueurs qui cassent le rythme du récit. Les chapitres, en outre, sont entrecoupés d’extraits de contes. Cela cadre bien avec le récit, puisque Bella est une lettrée travaillant sur les-dits contes, mais ils arrivent la plupart du temps comme un cheveu sur la soupe, grossièrement justifiés dans le récit. A nouveau, le rythme en pâtit et retombe comme un soufflé. Malgré cela, ce n’est pas inintéressant, notamment parce que les figures légendaires de l’Aïeule, la Mère et la Pucelle, un triptyque de personnages de contes, est hyper important dans le récit, et se trouve amené par ce biais-là.
Heureusement, la tension revient nettement dans le dernier tiers, où se suivent les scènes de lutte acharnée, les batailles rangées et les grandes démonstrations de magie – que j’espérais donc depuis le début !

« Béatrice attend, le sang en ébullition.
Il ne se passe rien. Naturellement.
Des larmes – absurdes, idiotes – lui piquent les yeux. Espérait-elle une magistrale démonstration de magie ? Des vols de corbeaux, des nuées de fées ? La magie est une chose ennuyeuse et déplaisante, plus utile à blanchir les chaussettes qu’à invoquer les dragons. Et même si Béatrice était tombée sur un sort ancien, elle ne pourrait le lancer que si le sang des sorcières coulait dans ses veines. Elle ne peut s’approcher davantage du lieu où la magie est réelle, où les femmes et leur parole ont du pouvoir, qu’à travers les livres et les contes. »

Le roman tourne essentiellement autour des trois sœurs, mais celles-ci sont entourées d’une galerie de personnage intéressants, parmi lesquelles Cléo, une journaliste noire qui lutte pour les droits civiques autant que pour le vote des femmes, ou encore Auguste, un ouvrier de Chicago qui a mené des grèves assez dures – oui, car tous les hommes ne sont pas pourris au royaume de New Salem. Si, dans un premier temps, j’ai déploré l’amenuisement de la lutte politique, j’ai apprécié ce côté « convergence des luttes » qu’induisaient les relations des trois sœurs.

J’ai également apprécié le système de magie, qui nécessite de connaître à la fois les vers du sortilège, mais aussi d’en réunir les voies, à savoir les éléments pour jeter le sort : du sel, des plantes, des plumes… Cela m’a rappelé le système utilisé dans la série jeunesse Magyk d’Angie Sage (que je vous recommande chaudement !). Autre point intéressant, il y a tout un débat sur la « magie des femmes » et la « magie des hommes », certains personnages pensant qu’elles ne peuvent qu’être bien définies et genrées (ce que l’intrigue va évidemment détourner). De même, les sorts ne sont pas universels et peuvent se transmettre uniquement au sein d’une communauté, d’une famille, d’un pays… C’était vraiment un système intéressant !

Le Temps des sorcières proposait donc le type de récit que j’apprécie lorsqu’il s’agit d’histoires de sorcières : un système de magie intéressant, des personnages avec des aspirations prenantes et un ancrage historique que j’ai vraiment apprécié. Le récit mêle habilement différents arcs narratifs, parmi lesquels j’ai préféré celui consacré aux relations des trois sœurs. Malgré les longueurs indéniables que comporte le roman, je l’ai lu avec beaucoup d’intérêt, notamment parce que la tension revenait en force dans le dernier tiers. Bonne pioche, donc !

Le Temps des sorcières, Alix E. Harrow. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Thibaud Eliroff.
Hachette (Le Rayon de l’imaginaire), 2022, 622 p.

Le Phare au corbeau, Rozenn Illiano.

Agathe et Isaïah officient comme exorcistes. L’une a les pouvoirs, l’autre les connaissances ; tous deux forment un redoutable duo.
Une annonce sur le réseau social des sorciers retient leur attention. Un confrère retraité y affirme qu’un esprit nocturne hante le domaine d’une commune côtière de Bretagne et qu’il faut l’en déloger. Rien que de très banal. Tout laisse donc à penser que l’affaire sera vite expédiée.
Cependant, lorsque les deux exorcistes débarquent là-bas, le cas se révèle plus épineux que prévu. Une étrange malédiction, vieille de plusieurs générations, pèse sur le domaine de Ker ar Bran, son phare et son manoir.
Pour comprendre et conjurer les origines du Mal, il leur faudra ébranler le mutisme des locaux et creuser dans un passé que certains aimeraient bien garder enfoui…

Des sorciers, des fantômes et la Bretagne tempétueuse : qui dit mieux ?
Je dois dire que l’ambiance de ce roman a bien été au rendez-vous, et a complètement comblé mes attentes !

Le récit nous plonge dans le quotidien d’un duo de sorciers : Agathe a des talents de médium (elle voit les fantômes mais ne peut les exorciser), Isaïah, lui, exerce la magie hoodoo, un mélange de pratiques animistes et de prières catholiques. J’ai trouvé vraiment intéressant que les personnages soient, d’une part, pas surpuissant et, d’autre part, complémentaires, dus à leurs pouvoirs prétendument incomplets. Le duo fonctionne à merveille, en raison aussi de leurs personnalités très différentes (lui plutôt solaire malgré quelques blessures, elle plutôt abîmée). Ensemble, ils répondent à des annonces sur le réseau social des sorciers, et vont exorciser des demeures hantées, à la demande de leurs locataires. C’est ainsi que le duo de sorciers citadins s’embarque pour un petit village breton, poursuivi par une histoire de hantise et une vieille malédiction.

« Parfois, les superstitions provoquent des hallucinations collectives, et l’on se prend à imaginer que des fantômes nous tourmentent… Une part non négligeable de notre travail consiste à étudier la psychologie de nos clients, à nous adapter, et à tenter de désamorcer, le cas échéant, les conflits et les non-dits qui règnent entre eux. Car ces conflits et ces non-dits ramènent les âmes des morts parmi les vivants. Des histoires de famille, des secrets, des rumeurs… »

L’ambiance est donc, comme je le disais, au rendez-vous. Après un premier exorcisme citadin qui se déroule comme sur des roulettes, direction la Bretagne. Une Bretagne venteuse, tempétueuse, fermée à l’étranger (et là on parle de gens qui viennent juste du département voisin !), marquée par un folklore très présent, et la rémanence de vieilles légendes. Si on ajoute à cela le cadre de l’exorcisme, un manoir ancien au bord d’une falaise, comprenant un phare désaffecté dans son domaine, on obtient un cadre légèrement sombre et oppressant, qui rend la lecture très prenante.

Or, voilà que l’exorcisme échoue… et que nos sorciers doivent mener une petite enquête sur l’histoire du domaine : qui sont les personnes décédées dans des circonstances tragiques sur le domaine ? Quel est le lien entre un religieux, des ronces et un druide accompagné d’un corbeau ? Pourquoi y a-t-il autant de fantômes autour du manoir ? A ce moment-là de l’intrigue, le récit alterne entre l’époque d’Agathe et Isaïah, avec deux autres périodes du passé de Ker ar Bran, qui viennent éclairer les recherches des personnages, ou l’histoire du lieu – et donc contribuer à l’ambiance sombre et mystérieuse du lieu.

L’enquête (rapide !) et les faits d’exorcisme se mêlent aux préoccupations des personnages. Agathe est poursuivie par un syndrome de l’imposteur assez présent (à tel point qu’il est nommé et que les personnages y font souvent référence !), sans doute issu de son enfance chaotique. Les questions de la confiance en soi, de la quête d’identité sont donc très présentes dans l’histoire, et se mêlent harmonieusement au reste – même si Agathe m’a semblé un peu trop insistante sur son manque de confiance en elle, au point de me sortir parfois de l’histoire.

Par ailleurs, alors que l’ensemble se tient vraiment bien, j’ai trouvé que la fin arrivait presque trop vite, ou manquait de détails. Quoi qu’il en soit, les révélations finales amènent une bonne ouverture et ouvrent la possibilité d’une suite (que je lirai avec un immense plaisir si suite il y a), sans toutefois laisser les lecteurs en plan, ce qui est hautement appréciable. Notez bien que tout cela ne m’a pas le moins du monde empêchée de passer un excellent moment de lecture, et de tourner les pages à toute vitesse !

Et quid des exorcismes ? Eh bien ces scènes font clairement partie du sel de l’ensemble ! L’arrivée des fantômes (froid glaçant, portes qui claquent, déplacements, chutes et/ou bris d’objets), tout cela est parfaitement décrit. C’est d’autant plus prenant dans les passages où l’on est à Ker ar Bran, car la réputation du lieu, la lande venteuse, viennent ajouter leurs degrés de mystères aux scènes d’exorcisme. J’étais très contente de ne pas trouver les scènes en question proprement terrifiantes (ce qui m’aurait sans doute empêchée de finir le livre…), mais suffisamment bien écrites pour me plonger dans cette ambiance (et me faire préférer ma couette à un couloir obscur au moment de la lecture).

J’ai donc passé un excellent moment de lecture avec Le Phare au corbeau. Malgré quelques longueurs dans la seconde partie, je me suis laissée embarquer par un récit très prenant, qui convoque à la fois l’imaginaire lié aux spectres, à la sorcellerie, et au folklore breton. L’intrigue est donc portée par une atmosphère sombre et soignée, parfois effrayante, et particulièrement addictive. J’ai beaucoup aimé le mélange entre le milieu un peu underground des sorciers et l’aspect beaucoup plus mystérieux de ce qui se déroule en Bretagne : détonnant, mais efficace ! Si le roman est un parfait one-shot, la conclusion ouvre une belle perspective de suite, que je lirai avec beaucoup de plaisir si elle paraît un jour !

Le Phare au corbeau, Rozenn Illiano. FolioSF, réédition mars 2022, 450 p.

Akata Witch #1, Nnedi Okorafor.

Mon nom est Sunny Nwazue et je perturbe les gens. Je suis Nigériane de sang, Américaine de naissance et albinos de peau. Être albinos fait du soleil mon ennemi. C’est pour ça que je n’ai jamais pu jouer au foot, alors que je suis douée. Je ne pouvais le faire que la nuit. Bien sûr, tout ça, c’était avant cette fameuse après-midi avec Chichi et Orlu, quand tout a changé. Maintenant que je regarde en arrière, je vois bien qu’il y avait eu des signes avant-coureurs. Rien n’aurait pourtant pu me préparer à ma véritable nature de Léopard. Être un Léopard, c’est posséder d’immenses pouvoirs. Si j’avais su en les acceptant qu’il me faudrait sauver le monde, j’y aurais peut-être réfléchi à deux fois. Mais, ce que j’ignorais alors, c’est que je ne pouvais pas empêcher mon destin de s’accomplir.

Cela fait un moment que j’ai noté les romans de Nnedi Okorafor sur ma liste-à-lire. J’avoue que je pensais plutôt à Qui a peur de la mort ? pour attaquer son œuvre, mais c’est finalement par le rayon jeunesse que je l’ai découverte. Et avec beaucoup de plaisir, je dois dire !

L’autrice déploie ici un univers fourmillant d’idées que j’ai trouvé proprement fascinant ! Je n’ai pas eu l’impression d’être assommée de descriptions et pourtant, le roman m’a laissé de fortes impressions visuelles.
Il faut dire qu’elle met le paquet : entre le funky train, les sortilèges aux effets bœufs et les mille et une petites choses de la vie – magique ou civile – qui font partie de l’intrigue (comme les matchs de foot ou les découvertes des lieux réservés aux sorciers), il est extrêmement facile de s’immerger.
Le système de magie est vraiment intéressant, surtout la façon dont les Léopards (le peuple des sorciers) gagnent des chittims, la monnaie locale : pour cela, il leur suffit d’apprendre. Plus la leçon est importante, plus la somme gagnée l’est ! En plus de cela, la valeur des chittims est inversement proportionnelle à la matière dont ils sont faits. En gros, les chittims d’or, c’est la menue monnaie, les chittims de bronze, ce sont les grosses pièces. C’est peut-être un peu classique, mais j’ai trouvé ça vraiment sympa comme trouvaille.

– T’aimerais bien l’être, toi, affirma Chichi avec un petit sourire satisfait. Bref, Kehinde et Taiwo, les jumeaux, ont passé le dernier niveau et sont devenus « les érudits des liens ». Une vieille femme nommée Sugar Cream est la quatrième, c’est « l’érudite du dedans ». Elle vit la majorité du temps dans la bibliothèque Obi. C’est la plus âgée et la plus respectée de tous. C’est elle la bibliothécaire en chef.
– La bibliothécaire ? répéta Sunny en fronçant les sourcils. En quoi est-ce si import…
– Laisse-moi t’expliquer un truc que Chichi et Sasha ont du mal à intégrer, intervient Orlu en reposant sa fourchette. Les Léopards – partout dans le monde – ne sont pas comme les Agneaux. Les Agneaux pensent que l’argent et tout ce qui est matériel sont les choses les plus importantes dans la vie. Tu peux tricher, mentir, voler, tuer, être bête à bouffer du foin, mais si tu peux te targuer d’avoir du fric et de posséder des tas d’objets, et que tu te vantes à raison, tu peux tout faire. L’argent et les possessions matérielles font de toi un roi ou une reine au royaume des Agneaux. Rien de ce que tu fais alors n’est mal, tout t’est permis. Les hommes et femmes Léopards sont différents. La seule manière de gagner des chittims, c’est en apprenant. Plus tu apprends, plus tu en obtiens. La connaissance est au centre de tout. Le bibliothécaire en chef de la bibliothèque Obi est le gardien du plus grand gisement de connaissances de toute l’Afrique de l’Ouest.

Au début du roman, j’ai eu (je dois dire) l’impression que l’autrice nous enfilait quelques clichés. La société est discrètement séparée entre Léopards et Agneaux – les Moldus locaux -, il y a une école de magie cachée, on mange des plats exotiques assez étranges et les adultes ont une fâcheuse tendance à déléguer des tâches d’une importance capitale à des petits nouveaux pas formés. Cela vous rappelle quelque chose ? Eh bien pas de panique, car c’est surtout pour les côtés roman d’apprentissage magique, école cachée et univers follement original que l’on s’y retrouve ! En effet, Nnedi Okorafor avance ses pions avant de détourner complètement les tropes et de prendre des directions un peu moins attendues. Bref, c’est drôle et bien mené !

Le récit évoque aussi à merveille les sujets de la différence et de la difficulté à s’intégrer. Sunny a en effet bien du mal. Déjà parce qu’elle est albinos et qu’aux yeux de ses compatriotes, elle n’a ni la bonne couleur, ni la bonne nationalité (puisqu’elle a grandi aux États-Unis). La vie à l’école est hyper difficile, la vie à la maison l’est tout autant, elle a du mal à se faire des amis et vit la découverte de son identité de sorcière comme une libération. Et si la part du roman d’apprentissage est importante, elle s’efface presque devant l’originalité de l’intrigue et de l’univers, ce qui forme un ensemble bien équilibré.
Outre les inventions propres aux Léopards, l’univers s’appuie fortement sur la mythologie et les coutumes nigérianes, qui s’entremêlent fortement aux pratiques magiques. Franchement ? Cela change agréablement dans le paysage de l’imaginaire ! Le texte est d’ailleurs parsemé de caractères nsibidi, une langue idéogrammatique utilisée par les Léopards. J’ai hautement apprécié le glossaire très riche en fin de volume, qui éclaire les lecteurs non seulement sur les mots utilisés en nsibidi, mais aussi dans les autres langues pratiquées au Nigeria. Tout cela permet une excellente immersion dans l’univers !

Cerise sur le gâteau ? Eh bien Akata Witch propose une véritable conclusion. Bien sûr, l’intrigue appelle à une exploration plus poussée de l’univers (et ça tombe bien, car il existe un tome 2 !), mais en proposant une fin très satisfaisante. Donc c’était parfait !

En bref, j’ai adoré commencer l’œuvre de Nnedi Okorafor par ce roman jeunesse qui propose une fantasy vraiment originale. Le récit est hyper fluide, sait se tirer des clichés que l’on sent se profiler tout en proposant une aventure complète. Excellente pioche pour ma part, donc, et je compte bien lire le tome 2 cette année !

Akata Witch #1, Nnedi Okorafor. Traduit de l’anglais (Nigeria) par Anne Cohen-Beucher.
L’École des Loisirs, 15 janvier 2020, 362 p.

Alouettes, Testament #2, Jeanne-A. Debats.

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Je m’appelle Agnès, et je suis orpheline. Ah ! Et sorcière, aussi. Mon oncle m’a engagée dans son étude notariale. Ne croyez pas que le job soit ennuyeux, en fait, ce serait plutôt le contraire. En ce moment, tout l’AlterMonde est en émoi à cause d’une épidémie de Roméo et Juliette.
Imaginez : des zombies tombant amoureux de licornes, des vampires roucoulant avec des kitsune, des sirènes jurant un amour éternel à des garous. Et tout ce beau monde défile dans notre étude pour se passer la bague au doigt. Mais la situation commence à sérieusement agacer les hautes autorités. Et comme l’AlterMonde n’est pas Vérone, à nous de faire en sorte que cette fois l’histoire ne se termine pas dans un bain de sang…

Alouettes débute trois ans après la fin des événements narrés dans L’Héritière –  et, bonne nouvelle, on peut les lire indépendamment, les informations vitales étant rappelées dans ce deuxième tome. Et le récit débute en fanfare, Agnès étant en plein questionnement (sur sa vie sentimentale et sa sexualité) !
« Bit-lit » oblige, le roman offre son lot de galipettes et autres discussions sur la question mais, comme dans L’Héritière, le tout est fait avec autant de subtilité que d’intelligence et toujours pour servir l’intrigue, et non de façon gratuite ; les péripéties, de plus, servent une intéressante réflexion sur le féminisme et le statut des femmes dans la société – ce qui, ne nous le cachons pas, fait partie des gros points forts de ce texte. En effet, l’évolution d’Agnès est, ici, à l’honneur : de sorcière cloîtrée, elle devient une femme en possession de – presque – tous ses moyens. En un sens, elle est terriblement humaine (malgré sa nature sorcière), et c’est bien ce qui la rend si fabuleusement attachante.

 Mais il n’y a pas que ça ! Il y a avant tout l’intrigue. Car après avoir réglé la douteuse succession d’un Cénacle vampire, voilà qu’Agnès fait face à une épidémie de couples calamiteux, véritables Roméo et Juliette surnaturels. Imaginez un peu : un vampire et une kitsune, des loup-garous et des ondines, des dragons et des walkyries… on en passe et des meilleurs. Tout cela mettant, évidemment, les différents cercles surnaturels en émoi : l’affrontement général n’est guère loin. Charge à nos comparses de régler, en douceur et au mieux, le conflit larvé qui s’annonce.
L’intrigue est donc, naturellement, truffée d’allusions à la célèbre pièce de Shakespeare, ainsi qu’à d’autres grands titres de la littérature (classique ou imaginaire !) que l’on retrouve avec beaucoup de plaisir. La mythologie, de son côté, est particulièrement creusée et fait intervenir des mythologies de divers continents et traditions : le mélange est à la fois détonnant, original, et littéralement passionnant.

Comme dans le premier tome, l’intrigue est riche en péripéties et scènes d’actions décoiffantes – tel ce combat dantesque au centre Pompidou ! La tension monte de plus en plus au fil des chapitres jusqu’au paroxysme : impossible de s’ennuyer. De plus, la balade parisienne, abondamment décrite, permet de visiter un grand nombre de quartiers et d’apprendre une foule de choses sur la capitale.

Le premier tome avait été une excellente découverte et celui-ci est un véritable coup de cœur ! Jeanne-A. Debats propose un univers extrêmement riche, faisant appel à diverses mythologies qui se mêlent avec bonheur. L’intrigue est riche en péripéties, mais aussi en réflexions intelligentes. Et le tout est mené sur un ton caustique particulièrement réjouissant ! J’ai hâte de découvrir la suite des aventures d’Agnès !

◊ Dans la même série : L’Héritière (1) ;

Testament #2, Alouettes, Jeanne-A. Debats. ActuSF, mars 2016, 440 p. 

L’Héritière, Testament #1, Jeanne-A. Debats.

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« Je m’appelle Agnès Cleyre et je suis orpheline. De ma mère sorcière, j’ai hérité du don de voir les fantômes. Plutôt une malédiction qui m’a obligée à vivre recluse, à l’abri de la violence des sentiments des morts. Mais depuis le jour où mon oncle notaire m’a prise sous son aile, ma vie a changé. Contrairement aux apparences, le quotidien de l’étude qu’il dirige n’est pas de tout repos : vampires, loups-garous, sirènes… À croire que tout l’AlterMonde a une succession à gérer ! Moi qui voulais de l’action, je ne suis pas déçue. Et le beau Navarre n’y est peut-être pas étranger. »

La fantasy urbaine, couramment renommée – à tort ! –  bit-lit, a depuis quelques années le vent en poupe. Les auteurs anglo-saxons dominent d’ailleurs le marché et les romans se déroulant dans les immensités urbaines américaines sont légion.
En France, et par un auteur français, c’est tout de même plus rare. Autant dire que L’Héritière, de Jeanne-A. Debats, premier tome de la série Testament se fait donc immédiatement remarquer par sa seule origine. Et lorsque que le contenu est apte à aller se faire rhabiller les grands noms du genre, une seule chose à dire : foncez !

L’Héritière, c’est l’histoire d’Agnès Cleyre, sorcière et orpheline de son état. Pour elle, la peine est double : non seulement elle vient de perdre toute sa famille mais, en plus, son talent de sorcière ressemble plus à une malédiction qu’autre chose. En effet, elle a le maudit talent de percevoir les fantômes, mais s’avère incapable de s’en débarrasser, d’autant moins lorsque ceux-ci se montrent agressifs. Or, Agnès aimerait bien aller fleurir la tombe de ses parents, au Père-Lachaise. Qu’à cela ne tienne. Le roman s’ouvre donc sur une scène quasi ubuesque d’une Agnès en jupe droite et talons de 10 cm, bourrée comme un coing pour repousser les fantômes, en train d’escalader les grilles du fameux cimetière. Inutile de dire qu’il faut moins de deux pages pour plonger dans l’ambiance.

Et cela continue dans la même veine ! Agnès est rapidement recruté par Géraud – dont la nature magique est indéniable – son oncle, avocat spécialiste de l’Altermonde. Évidemment, le cabinet ne traite que des affaires ayant trait aux vampires, loups-garous et autres sorciers. D’ailleurs, l’associé de Géraud est une sirène, leur collaboratrice une roussalka. Quant à leur homme de main, il s’agit de Navarre, un vampire qui a déjà officié pour le Vatican – et dont les aventures sont narrées dans l’excellent Métaphysique du vampire, de la même auteure.

Avec L’Héritière, Jeanne-A. Debats quitte donc son genre de prédilection – la SF – pour la fantasy urbaine et la transition est parfaitement maîtrisée. Elle déploie, dans ce premier tome, une intrigue savamment menée et aux nombreuses ramifications. On s’en doute, les successions et autres querelles chez les surnaturels sont encore plus compliquées que chez les commun des simples mortels, les premiers ayant eu plus que des lustres pour ruminer leurs griefs. Jeanne-A. Debats réinvestit le folklore mythologique européen et dresse une galerie de personnages aussi complexes qu’attachants. À travers eux, on (re)découvre les spécificités propres à chaque créature et une Histoire séculaire pour le moins mouvementée. Inquisition, successions royales, mouvements populaires et sociaux, scandales financiers, il semblerait que vampires, garous et éternels soient de toutes les parties. Mine de rien, le roman apporte son lot de précisions et anecdotes historiques : le travail de recherche est fourni et vient alimenter  l’intrigue générale.
Là-dessus se greffe donc une intrigue complexe, qui va occasionner son lot de complots, trahisons, recherches alambiquées et autres batailles rangées. Impossible de s’ennuyer tant l’intrigue se marie à merveille avec ce folklore réinvesti. De plus, le suspense est au rendez-vous, qu’il s’agisse de l’affaire en cours, des affaires du cabinet, ou de celles de cœur d’Agnès.

À ce propos, si vous suivez ce blog, vous savez que la fameuse bit-lit n’est vraiment pas ma tasse de thé. Non, les héroïnes faussement badass qui se pâment dès qu’apparaît à un coin de pages des pecs assaisonnés à la testostérone, ce n’est franchement pas ma tasse de thé. Mais j’aime la fantasy urbaine, qui fait intervenir toutes ces créatures surnaturelles, dans un environnement urbain – et qui peut ne pas dédaigner une sous-intrigue plus sensuelle. Heureusement, donc, L’Héritière tient plus de la seconde que de la première : ce qui se passe dans le lit d’Agnès a certes de l’importance, mais a le bon goût de ne pas prendre le pas sur le reste de l’histoire. De plus, la-dite Agnès ne jette pas aux orties sa personnalité pour les beaux yeux du premier mec qui passe. Et ça, c’est quand même assez rare dans le genre pour être signalé !

Avec L’Héritière, Jeanne-A. Debats parvient à coller aux meilleurs topoï du genre tout en proposant une intrigue, des personnages et un univers originaux : chapeau ! Tout ça d’une plume fluide, alliant paragraphes acérés et gouaille plus légère, dans un style qui se marie à toutes les émotions. En d’autres termes : j’ai adoré !

Testament #1, L’Héritière, Jeanne-A. Debats. ActuSF, octobre 2014, 392 p.

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Witch Fall, Amber Argyle.

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Par la grâce de leur chant, les sorcières président aux vents et aux marées, à la pluie et aux saisons. La jeune Lilette, élevée loin de sa terre natale suite au naufrage qui a coûté la vie à ses parents, oublie peu à peu les pouvoirs dont elle a hérité. Jusqu’au jour où, contrainte de chanter pour sauver son père adoptif, elle révèle à tous sa véritable nature. Puissante, la jeune sorcière suscite aussitôt convoitise et jalousie.
Mariée de force à un prince, menacée par d’invisibles ennemis, arrachée à son pays d’accueil, la jeune fille se retrouve simple pion sur l’échiquier des puissants. D’autant qu’entre humains et sorcières, la guerre est bel et bien déclarée. Mais Lilette refuse d’être un jouet entre leurs mains, quitte à s’élever contre ses sœurs…

Witch Fall est une préquelle à l’histoire de Senna, narrée dans Witch Song et Witch Born – qu’il n’est pas nécessaire d’avoir lus pour découvrir cet opus puisqu’il n’y est pas question de Senna, mais d’une sorcière qui a vécu bien avant elle.
Sur les traces de Lilette, on découvre le royaume d’Harshen, au sud de l’univers créé par Amber Argyle. Et cet univers est extrêmement riche ! En découvrant les mœurs de l’île sur laquelle a grandi Lilette, ou la cité impériale, bien différentes de ce qu’on a vu au cours des pérégrinations de Senna, difficile de ne pas penser à la Chine antique. Les noms, l’organisation du palais, les descriptions de nourritures (boulettes de riz et rouleaux de printemps abondent), ou de lieux, les mœurs, tout évoque un empire asiatique remanié sauce fantasy. Car, bien sûr, les légendes et mythes qui font l’identité de cette culture sont, eux, inventés, et participent de la richesse de l’ensemble.

Coexistent là-dedans plusieurs bandes, aux intérêts pas forcément convergents. L’intrigue politique de cette préquelle est nettement plus fournie et complexe que celle de la série principale, et pour cause ! On découvre pourquoi et comment les sorcières, d’êtres justes et adulés, sont devenues des parias ! Détentrices de pouvoirs insoupçonnés, les sorcières sont, évidemment très convoitées. Mais leurs talents combinés et leur grande sagesse ne les empêche pas d’être faillibles. Complots, trahisons, corruption, les personnages ne reculent devant aucune bassesse, quel que soit leur bord. De fait, l’intrigue est aussi bien plus sombre que celle des deux autres volumes. Elle est aussi mieux organisée : les aventures de Senna avaient un côté assez linéaire, celles de Lilette sont plus chaotiques. En effet, elle est d’abord enlevée, puis mariée de force, puis récupérée par ses sœurs, et instruite. Avant de découvrir qu’elle a peut-être un rôle à jouer dans ce qui se trame (plutôt que d’être un pion dans le conflit politique opposant les sorcières à Harshen) : vraiment le roman n’usurpe pas ses quelques 500 pages, l’histoire est dense à souhaits et alterne agréablement entre scènes d’actions enlevées, batailles épiques et passages plus reposants. Et la descente aux enfers est parsemée d’embûches. Car avant que la guerre n’éclate, Lilette doit échapper à sa condition pour renouer avec ses sœurs.

Côté personnages, on découvre avec plaisir des personnages un peu plus étoffés que dans la série principale. Lilette évolue au milieu de fortes personnalités avec lesquelles il lui faut composer, qu’il s’agisse de la famille impériale, des sorcières, ou des protecteurs. Et si l’on peut regretter l’opposition un peu manichéenne entre les deux princes (le gentil ex-ami d’enfance versus le méchant mari), on se console avec l’agréable ambiguïté de Jolin.

L’auteur conclue joliment son roman, bien que la fin ressemble à celle qui clôt le diptyque consacré à Senna. Néanmoins, la conclusion est bien amenée et s’inscrit bien dans l’univers de l’histoire : que demander de plus ?

En somme, si la série consacrée à Brusenna est sympathique, cet opus consacré aux pérégrinations de Lilette et à l’histoire des sorcières est meilleur : plus sombre, plus prenant, il semble aussi plus maîtrisé. Point bonus : il peut être lu tout à fait indépendamment des deux précédents – mais pour qui les a lu, d’intéressants parallèles sont établis (comme l’histoire de l’origine des Mettlemots !).

◊ Dans la même série : Witch Song (1) ; Witch Born (2).

Witch Fall, préquelle, Amber Argyle. Traduit de l’anglais par Mathilde Montier et Arnold Petit.
Lumen, septembre 2015, 534 p. 

Witch Born, Witch Song #2, Amber Argyle.

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Voilà deux mois que Senna se trouve au Refuge, entourée de ses consœurs, qu’elle est parvenue à délivrer de l’emprise de la Sorcière Noire. Mais la victoire leur aura coûté un prix terrifiant : les Gardiennes ont été contraintes de maudire le territoire de Tartennie et, à présent, Brusenna ressent nuit et jours la souffrance de la terre et de ses habitants.
C’est alors qu’une nuit, la jeune fille échappe de peur à une tentative d’enlèvement… Le Refuge, que tous croyaient impénétrable, n’est plus sûr ! Sans compter que, depuis sa rencontre avec les Créatrices, la jeune Apprentie manifeste d’étranges pouvoirs. Elle sent qu’une menace pèse sur ses pairs. Malgré les dangers qui l’attendent, Senna quitte l’île en quête de réponses, soudes aux avertissements de Joshen, son Protecteur. La jeune fille est bien déterminée à lever le voile sur le sombre passé des sorcières.

 

Retour aux aventures pour Brusenna dans ce second volume, qui fait la part belle aux personnages. Si le premier tome était exclusivement centré sur notre jeune sorcière un peu godiche et son protecteur, ici on découvre d’autres figures, et les portraits sont nuancés.
Senna, tout d’abord, est nettement plus mûre et sûre d’elle… et ça ne fait pas de mal ! Joshen, en revanche, reste ce garçon un peu nouille qu’on apprécie ou qu’on déteste suivant les moments – et dans ce volume, croyez bien qu’on adore le déteste aisément. Et le portrait est diablement réussi, car d’un réalisme saisissant, ce qui rend le personnage vraiment touchant, quels que soient les sentiments qu’il nous inspire !
Le clan des Protecteurs s’étoffe avec le très charismatique Reden (qui, à mon avis, est un bien meilleur parti que Joshen. Senna, si tu m’entends…) et le très mystérieux Cord, qui est sans hésitation un des personnages les plus intéressants que l’on croise ; c’est même dommage qu’il ne soit pas plus fouillé, car sa complexité laissait présager du meilleur. Au trio de garde s’ajoute pléthore de protecteurs : si tous ne sont pas aussi fouillés que les trois vedettes, les personnages sont néanmoins suffisamment caractérisés pour ne pas sembler en carton-pâte, ce qui n’est pas désagréable.
Côté sorcières, on apprécie les portraits plus nuancés des maîtresses, qui se révèlent peu à peu : surprises au programme ! Parmi les collègues de Senna, celle qui mérite la palme est probablement Mistin, qui permet de mettre en lumière toutes les contradictions des croyances sorcières… et qui vient nettement d’atténuer le propos et les credo de la caste.

Ces portraits plus nuancés vont de pair avec un univers nettement plus fouillé que dans le premier volume. Cela commence avec la découverte d’un autre clan opposé à celui de Senna, dont l’organisation est particulièrement intéressante et bien pensée, et cela continue avec des secrets bien enfouis qui refont surface. Ces nouveautés viennent remettre en cause l’équilibre présenté jusque-là et, pire, brouiller les frontières entre Bien et Mal. Au fil des découvertes, on ne sait plus trop bien si les Sorcières sont aussi bienveillantes qu’on a voulu nous le faire croire… et c’est ce qui rend la lecture de Witch Born si intéressante. Le premier tome pouvait sembler un peu manichéen, celui-ci est nettement plus complexe, mieux équilibré. En un mot, nettement meilleur !

La magie est également affinée : si le premier volume faisait la part belle aux sorts de végétation, cette fois il y a plus de variété, et on perçoit l’étendue des possibilités des sorcières. Le tir est donc habilement corrigé ! Les scènes d’incantation ont, à nouveau, la part belle, et on ressent nettement l’aspect proprement hypnotique des mélodies entonnées. Le premier tome s’appuyait sur une mythologie originale ; on découvre ici de nouveaux aspects de l’histoire de l’univers : le contexte est riche, fouillé, étayé et sert parfaitement l’intrigue.

Witch Born est aussi plus sombre : les épreuves ne manquent pas, et l’auteur n’épargne ni les personnages, ni le lecteur. On quitte vraiment l’histoire un peu acidulée qui se profilait dans le premier volume, au profit d’un scénario qui gagne en complexité et en mystères. La première partie est assez longue et l’action ne démarre réellement qu’après le premier tiers : pourtant, on ne s’ennuie pas un instant. Le début du roman se déroule au Refuge, qui est également l’école des sorcières, et on découvre Senna dans son environnement naturel… dans lequel elle n’est, finalement, qu’une apprentie comme les autres – avec toutefois quelques facultés particulières.

Malgré cela, il reste encore quelques facilités de scénario, dont une m’a laissée quelque peu dubitative, et certaines péripéties sont malheureusement un peu expédiées, alors qu’elles offraient des ressorts dramatiques époustouflants. C’est dommage ! On aurait aimé s’angoisser encore un peu plus, et ne pas être libérés si vite de l’extrême tension des derniers chapitres. De même, l’intrigue étant absolument centrée sur les personnages, l’aspect politique général des péripéties est un peu survolé : finalement, il manque presque quelques chapitres au roman pour le faire passer de bonne à excellente découverte.

En revanche, ce qui est fort bien mis en valeur, c’est le message écologique sous-jacent, et qui passe fort bien, comme dans le volume précédent. À ce titre, il n’est pas inintéressant de noter que, si le point de départ de l’histoire est similaire à celle du premier tome, le contenu est radicalement différent : pas de redites, et un scénario bien ficelé par-dessus le marché, voilà une suite réussie !

Malgré les quelques facilités relevées, Witch Born se lit d’une traite. Le style est vif, l’intrigue rondement menée, et le mystère bien dosé. Même dans les 200 premières pages, qui ne sont pas marquées par une action trépidante, on n’a pas le temps de s’ennuyer tant il y a à découvrir. L’auteur réussit particulièrement bien les descriptions de nature déchaînée : on a quasiment l’impression de sentir les embruns sur son visage, ou les tempêtes de feuilles déchiquetées produites par les batailles.

En somme, c’est un très bon second volume que voilà. Certes, il y a des facilités et quelques points survolés que l’on déplore, mais le reste est tellement plus étoffé qu’avant que c’est ce qu’on retient en définitive. L’histoire est nettement plus sombre, et le scénario plus maîtrisé. Il s’appuie essentiellement sur des personnages forts, dont les portraits sont développés tout en nuances. L’univers est également approfondi, et on découvre toutes les nouveautés avec plaisir. L’intrigue est particulièrement prenante, et l’histoire s’achève sur une conclusion très satisfaisante. À vrai dire, on aurait volontiers pris quelques chapitres de plus !

◊ Dans la même série : Witch Song (1) ; Witch Fall (préquelle).

Witch Song #2, Witch Born. Amber Argyle. Traduit de l’anglais par Aldéric Gianoly. Lumen, 2015, 535 p.

 

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Witch Song, Amber Argyle

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Brusenna mène une existence paisible avec sa mère, dans la forêt de Gondstower.
Paisible ? Presque. Car Brusenna et sa mère sont sorcières, des gardiennes de la nature, sans aucun doute. Et les villageois voient les envoûteuses d’un mauvais œil, peu importe qu’elles disciplinent les éléments par la force de leurs chants.
Le jour où sa mère disparaît, le monde de Brusenna bascule. Jeune, sans expérience, livrée à elle-même dans un pays sur lequel souffle le vent de la guerre, la jeune fille doit assurer sa survie. Car elle est désormais la dernière, et les chasseurs de sorcières sont à ses trousses. Or, sans sorcière, c’est tout l’équilibre de la Terre qui est menacé…

Brusenna n’est pas une sorcière émérite. A vrai dire, elle ne maîtrise que quelques petits enchantements de base, car sa mère – une sorcière confirmée – a toujours refusé de l’instruire. Cela n’empêche pas Brusenna d’être maltraitée par les villageois du coin, persuadés d’avoir affaire à une dangereuse envoûteuse. Il faut dire que dans l’esprit collectif, toutes les sorcières sont malfaisantes, avides de pouvoir, et promptes à maudire leur prochain. Brusenna n’a donc pas vraiment la cote auprès de ses concitoyens, même si elle et sa mère sont des sorcières blanches. Les affaires se corsent lorsque la mère de Brusenna, partie lutter contre une puissante sorcière maléfique, disparaît pour de bon, car la jeune fille va devoir se débrouiller seule, désormais.

Witch Song est donc un roman initiatique, Brusenna devant gérer sa formation magique toute seule. Au cours de ses apprentissages, elle va en apprendre autant sur son univers que sur les sorcières – une caste qu’elle méconnaît.  Celles-ci, gardiennes de la nature, utilisent à leur gré les éléments naturels, et chantent tous leurs enchantements. Elles utilisent la végétation comme arme, comme moyens de subsistance ou comme remèdes médicinaux. Le système de magie est donc assez original. Seul regret : que malgré des maîtresses de chaque élément, on n’assiste quasiment qu’à des sortilèges liés à la végétation. Je m’attendais à plus des sortilèges utilisant tous les éléments, tour à tour ! Ceci étant dit, il faut reconnaître que le système de magie est vraiment intéressant, avec l’idée d’enchantements rimés et chantés : on regretterait presque de ne pas avoir de bande-son pour accompagner la lecture !
Autre regret : quelques facilités de scénario. La jeune fille a, à mon goût, un peu trop tendance à s’en sortir facilement. Malgré de très nombreuses péripéties, certains rebondissements se soldent rapidement, et c’est un peu dommage.

Ceci étant dit, Witch Song m’a tout de même enthousiasmée. En effet, s’il est vrai que certains rebondissements sont rapidement soldés, l’auteur réserve à ses personnages de nombreuses difficultés. Ainsi, l’apprentissage ne se fait pas en deux temps trois mouvements ; s’il n’est pas détaillé jour après jour, on sait tout de même qu’il est long, ardu… et pas toujours fructueux. Ce n’est pas parce que c’est magique que l’on peut tout faire. Ce qui est intéressant également, c’est la façon dont Senna est perçue par ses paires : on est assez loin du cliché de l’apprentie solitaire,  prodigue et adulée, et cela promet d’intéressants développements !
De plus, l’intrigue est variée : chasse aux sorcières, découverte de la magie, aventure, courses-poursuites par voie de terre ou de mer, combats de sortilèges, stratagèmes, négociations… on n’a pas le temps de s’ennuyer. Le roman est dépourvu de longueurs – sans se contenter d’enchaîner les péripéties – et se lit avec la furieuse envie de savoir comment tout cela va tourner.

Les personnages, de leur côté, sont intéressants à suivre. Senna, craintive et naïve au départ, évolue peu à peu en jeune sorcière se faisant (parfois) confiance. Les personnages qui gravitent autour d’elle ne manquent pas d’intérêt, notamment Joshen (dont on apprécierait de suivre le point de vue, de temps en temps, afin de nuancer celui de Senna), ou les sorcières que l’on croise au gré des pages (parmi lesquelles quelques teignes, une potentielle rivale, et des mentors en puissance).

En somme, si vous aimez les histoires de sorcières, voilà un roman qui devrait vous plaire. Chasse aux sorcières et apprentissage magique sont au rendez-vous dans une intrigue bien menée, malgré quelques facilités de scénario, et aux rebondissements variés. L’univers est original, le système de magie tout autant, et les personnages suivent une intéressante évolution. Au vu de la fin, la suite promet d’être intéressante. Un titre à noter si vous appréciez la fantasy jeunesse, les univers médiévaux, et les histoires de sorcières !

◊ Dans la même série : Witch Born (2) ; Witch Fall (préquelle).

Witch Song #1, Amber Argyle. Lumen, août 2014, 457 p.
8/10

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