Triangle amoureux (ou pas), Marisa Kanter.

Hallie et son meilleur ami sur Internet, Nash, peuvent parler de tout… sauf de qui elle est vraiment – un secret qu’elle garde jalousement pour une raison mystérieuse. Sur les réseaux sociaux, elle incarne Kels, l’énigmatique créatrice d’un bookstagram à qui ses coups de cœurs littéraires inspirent des recettes inédites de cupcakes. Kels a tout ce dont manque Hallie : des amis par dizaine, une assurance inébranlable… et Nash.
Mais ça, c’était avant. Au détour d’un énième déménagement, Hallie tombe par hasard sur Nash, le vrai, en chair et en os. Bonne nouvelle ? Pas vraiment… Car quand vient l’instant de se présenter, dos au mur, elle choisit de mentir. Furieuse de devoir entretenir cette mascarade dans les couloirs de l’unique lycée de leur petite ville, elle commence par battre froid le garçon à qui elle révèle pourtant presque tout d’elle chaque soir sur les réseaux sociaux. Si elle franchit le pas et révèle qui elle est, c’en est fini de leur amitié et de sa notoriété sur Internet…

Un livre dont la protagoniste est blogueuse et bookstagrameuse ! Forcément, je me sens intriguée ! Et je dois avouer que j’ai englouti le roman en moins de deux jours.

On y suit donc Hallie qui, dès le départ, se trouve empêtrée dans ses problèmes de double-personnalité et de vie virtuelle cachée. Si elle a toujours entretenu le mystère sur internet, cela s’explique aisément. Outre les traditionnelles précautions autour de la vie privée (que tout adolescent devrait observer !), elle ne souhaite pas que son lectorat sache qu’elle est, d’une part, la fille de Mad et Ari Levitt, deux documentaristes-presque-oscarisés et, d’autre part, la petite fille de Miriam Levitt, légende de l’édition. Qui, en plus, éditait jusqu’à son récent décès des romans destinés aux jeunes adultes, ce qui est pile poil le genre de lectures favori d’Hallie. La jeune fille ne souhaite donc pas que son blog soit soupçonné de collusion avec le monde de l’édition, d’autant moins qu’elle aimerait bien y travailler, dans l’édition – plutôt comme attachée de presse que comme éditrice, d’ailleurs, ce qui change un peu.
À cela s’ajoute la personnalité virtuelle qu’elle s’est construite : celle d’une fille cool, qui maîtrise sa vie et ses paroles, bien entourée et sûre d’elle. Ce qui est assez éloigné de sa personnalité réelle. Or, voilà le problème : une fois qu’elle est devant son meilleur ami, IRL, elle panique. Et s’il la trouvait inintéressante ? Donc paf, omission, et voilà Hallie forcée de jongler avec son double-elle.

Bref, voilà un roman qui commence doublement bien, avec deux thèmes qui me plaisent : la lecture (et la blogosphère littéraire, en l’occurrence), et la double-vie. Quelques autres thèmes comme l’amitié et l’amour (sans surprise), les relations familiales, le deuil et les études s’ajoutent rapidement mais sont traités avec un peu moins de profondeur que les deux thèmes phares.
Ce n’est pas gênant et cela apporte même du corps à l’intrigue. Car en même temps que le pataquès qu’elle a créé, Hallie doit gérer la relation avec son grand-père que le deuil a profondément transformé. Deuil qu’elle est elle-même en train de vivre. Elle est en terminale, donc elle doit également candidater à l’université et proposer un dossier qui plaira à celle de New-York, celle qui la préparera aux métiers de l’édition. À ce titre, on se rend compte que si feu Admission-Post-Bac avait été un véritable enfer à traverser (j’imagine que son petit frère, Parcoursup, est à l’avenant), les dossiers pour les facs américaines ne sont pas non plus de tout repos. Leur orientation, leur poursuite d’études et leurs carrières futures occupent toutes les pensées des personnages – du moins celles qui ne sont pas accaparées par leurs blogs respectifs. Et, bien sûr, elle doit tenter de maintenir / réparer son amitié avec Nash, à laquelle elle tient infiniment. Et ce n’est pas facile…

« Une amitié – une vraie -, ça ne se construit pas en un jour. Le chemin est pavé de maisons Barbie détruites, de hurlements sur un parking de cinéma et d’erreurs – parfois terribles. L’amitié, c’est un chaos de lignes tracées dans le sable, de loyautés remises en question et de réponses difficiles par messages. C’est oser se comparer et exposer ses insécurités.
Mais l’amitié, c’est aussi jouer au bowling selon ses propres règles. Rire à en avoir mal au ventre et les joues baignées de larmes. C’est savoir qu’on peut compter sur quelqu’un, des personnes en chair et en os à travers tout le pays, qu’un texto ou un appel suffit à rameuter. C’est avoir moins peur de sombrer dans les ténèbres quand on a des guides pour nous aider à progresser dans le noir.
L’amitié, ça n’a rien de simple. C’est difficile, énervant, génial, fragile, durable, impossible… Mais ça en vaut toujours la peine.
Toujours. »

Autre point que j’ai apprécié : la famille d’Hallie est juive et, si elle et son frère ont été élevés dans le respect global des traditions majeures, leurs parents n’ont jamais vraiment insisté sur les offices religieux. Or, le grand-père d’Hallie et Oliver, lui, tient vraiment à cette partie de son existence. De même que les camarades de lycée d’Hallie qui, peu à peu, va s’intéresser à ce que fait la communauté. Pas de panique si le prosélytisme vous colle de l’urticaire : l’autrice ne verse pas du tout  là-dedans. C’est juste un élément du décor et comme je n’ai pas l’impression de croiser souvent celui-ci, j’ai trouvé ça plutôt chouette.

Je ne vous spoile pas tellement sur l’intrigue en vous disant qu’Hallie et Nash vont peu à peu se rapprocher, du moins autant que possible avec les mensonges qu’Hallie a dressés entre eux. De ce point de vue-là, il est possible que vous ayez envie de coller de temps en temps des baffes à la jeune fille qui a mille fois – au bas mot – la possibilité d’avouer la supercherie… et n’en fait rien. Je dois dire que c’est là ce qui m’a le plus refroidie dans ma lecture et m’a empêchée de la trouver fabuleusement géniale.
L’autre détail qui m’a agacée chez Hallie est son inflexibilité quant à la littérature young-adult. D’après elle, il n’est rien de plus fatigant qu’échanger avec des adultes persuadés que la littérature YA leur est destinée. Eh bien, jeune fille, en tant que future attachée de presse spécialisée dans la littérature young adult, n’as-tu pas l’impression que tu vas devenir toi-même… une adulte lisant et défendant de la littérature YA ? Humm ? Alors ? Allez, elle a 17 ans, on lui pardonne cette erreur de jeunesse. (Même si c’est un peu idiot).
En tant que blogueuse, j’ai apprécié toutes les péripéties qui tournent autour du blog d’Hallie. Celle-ci imagine des cupcakes en accord avec les couvertures des romans qu’elle a lus et aimés. C’est vraiment un roman qui m’a (re)donné envie de bloguer, bouquiner… et cuisiner des cupcakes (du coup j’en ai fait, mais ce n’est pas ma pâtisserie préférée, en fait). Pour cette raison, je pense que le roman plaira aux blogueurs, booktubers et autres bookstragrameurs, comme aux passionnés de lecture. Mais ceux-ci n’auront peut-être pas la folle envie de se mettre au blogging, puisque l’autrice en montre aussi les effets pervers : le minutage de l’emploi du temps de Hallie pour lui permettre de jongler entre études/vie sociale/vie familiale/alimentation du blog en contenus, la gestion de ses réseaux sociaux et des trolls qui y traînent, les réflexions autour de sa personnalité numérique et des prises de position que sa communauté attend d’elle – ou pas. Bref : beaucoup de pression pour une jeune fille.

En bref, voilà un roman ado bien sympathique et qui n’aura pas fait long feu. Certaines péripéties et certains points de vue ne m’ont pas tellement convaincue, mais le style fluide et l’enchaînement rapide des rebondissements ont rendu ma lecture très prenante. Si l’intrigue n’est pas follement surprenante, je me suis laissée porter par l’histoire d’Hallie – ses amitiés, ses amours, ses emmerdes, si l’on peut dire. Une petite lecture douceur parfaite pour l’été !

Triangle amoureux (ou pas), Marisa Kanter. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Mathilde Montier.
Lumen, juin 2020, 433 p.