Mourir sur Seine, Michel Bussi.

Sixième jour de l’Armada. Un marin est retrouvé poignardé au beau milieu des quais de Rouen Quel tueur invisible a pu commettre ce crime impossible ? Quel étrange pacte semble lier les matelots du monde entier ? De quels trésors enfouis dans les méandres de la Seine sont-ils à la recherche ? Quel scandale dissimulent les autorités ? Une implacable machination qui prend en otage 8 millions de touristes. Une course effrénée contre la montre avant la parade de la Seine.

Depuis que je travaille en bibliothèque, j’essaie de lire un peu « ce qui sort » et s’il y a bien un auteur très emprunté au rayon polar, c’est Michel Bussi. J’ai donc profité d’un temps de travaux pour écouter Mourir sur Seine… et heureusement que j’étais suspendue à mon pinceau à un bout de la pièce, cela m’a évité de coller des coups de pieds dans l’enceinte tant cette lecture m’a agacée !

Et pourtant, cela partait bien, avec une introduction digne d’un roman noir : une famille se promène en bord de Seine, le père et la fille plongent et, à leur sortie de l’eau, la mère est retrouvée morte, victime d’un accident de chasse.
Le premier chapitre, quant à lui, nous entraîne des années plus tard, à Rouen, en pleine Armada, un rassemblement international de grands voiliers qui a lieu tous les quatre à six ans. Évidemment, on se doute que les deux situations vont être liées… sauf qu’il n’en est rien (à part dans les tous derniers chapitres), ce qui m’a laissé un sentiment amer de construction superficielle. La résolution est expédiée en deux coups de cuiller à pot, on nous ressort un coupable en or de sous le coude et les liens entre la situation du passé et la série de meurtres en cours sont aussi ténus que mal amenés. Mais alors que se passe-t-il durant l’essentiel du roman, qui fait quand même quelques 400 pages ?
Eh bien pas grand-chose.

Le récit alterne de façon extrêmement classique entre les points de vue (externes) des deux personnages principaux : d’une part le commissaire Paturel, en proie avec cette enquête et ses problèmes de garde de ses deux bambins (dont la charge de la recherche revient généralement… à sa secrétaire. Pour un mec qui se plaint du sexisme dont il fait les frais en tant que père célibataire, bravo !) ; de l’autre, Maline Abruzze, jeune et sémillante journaliste au Seinomarin, qui va elle aussi se piquer d’enquêter sur cette histoire de marins occis et de possible trésor pirate.

« Quoi ? hurla encore le commissaire. Ne venez pas me dire qu’en plus, vous n’avez pas réussi à trouver de baby-sitter pour mes gosses lorsqu’ils vont se réveiller ! Sinon, j’envoie un fourgon et je les amène dans votre bureau, Sarah. Et je mets trois plantons à jouer aux gendarmes et aux voleurs avec eux. Au point où l’on en est… »

Car il faut le reconnaître, l’emballage est alléchant. Il apparaît rapidement que les meurtres cachent une histoire de piraterie moderne, avec tous les codes et secrets qui vont avec ; ces pirates recherchent un trésor historique enfoui aux abords de la scène et dont la mythologie remonte à la présence des Vikings en Normandie ; il y a tout un pan de l’histoire liée à la philosophie pirate, à la colonie Libertalia, aux codes d’honneur, etc. Et tout ceci débouche sur une vraie chasse au trésor ! Mais malheureusement, c’est aussi très brouillon. Outre ces histoires hyper romantiques de pirates, on nous parle des trafics d’intérêt autour de l’Armada, de vengeances entre les uns les autres. Tout se mêle et s’entremêle dans un récit parfois confus. Autant je comprends l’intérêt de multiplier les fausses pistes, autant un scénario un peu plus resserré sur les véritables enjeux (et pas une sorte d’immense fourre-tout) aurait été bien plus prenant, car tout cela induit des longueurs devant lesquelles il est difficile de ne pas renoncer.

D’autant que le récit fait la part belle à la Normandie en général, à la ville de Rouen en particulier. Ah, c’est sûr, une fois la dernière piste écoutée, j’avais très envie de prendre ma valise et de faire une virée en Normandie. L’aspect guide touristique m’a (limite !) plus intéressée que l’enquête en cours, c’est dire ! Et je ne suis pas certaine que ce soit franchement une qualité pour un roman policier.

Mais ce n’est pas le point qui m’a le plus suprêmement agacée. Non, vraiment, ce qui m’est très clairement sorti par les trous de nez, c’est le traitement des personnages. Alors que le récit se veut moderne et engagé, c’est raté sur tous les plans : la figure du commissaire Paturel, en père célibataire encombré de ses deux mouflets dont il ne sait que faire, se veut moderne et engagée… Pour se plaindre du sexisme dont il est soi-disant victime, lorsque le centre de loisirs l’avertit que la structure ferme à 18h30 et qu’il n’y a pas de rab. Euh, pardon ? En tant que policier on doit connaître le concept de règle et de vie en collectivité, j’imagine ? Ce n’est pas du sexisme, ça !
Les personnages féminins sont tous ou presque décrits par le prisme de leurs postérieurs ou de leurs seins (sinon ce sont de vieille dames très respectables donc on se fiche de leurs attributs). C’est particulièrement visible avec Maline Abruzze, la journaliste, dont les courbes affolantes, la peau bronzée et les jambes fuselées sont décrites plus souvent qu’à leur tour. Avec une condescendance incroyable (car oui, elle a de longues jambes, mais une « pauvre petite tête ». Du coup c’est si duuuur de réfléchir !). Et le pompon sur la Garonne, c’est que les personnages pensent plus avec le contenu de leur slip qu’avec celui de leur cerveau ! On dirait un mauvais roman young-adult, ou alors un récit qui a hésité de bout en bout en polar et romance, sans jamais trancher. Bref : extrêmement agaçant. J’avoue qu’à la énième description corporelle, j’étais prête à abandonner cette lecture (mais je voulais savoir où on allait avec cette histoire de pirate et, malheureusement : nulle part).

Rencontre ratée, donc, avec Michel Bussi, dont ce titre m’aura plus ennuyée/agacée – une combinaison assez improbable s’il en est – que passionnée. Le style fade, l’intrigue confuse et artificielle, les personnages trop peu développés (les récits de pensée sont incroyablement répétitifs) et le côté « guide touristique » ne m’ont clairement pas convaincue. Je ressors de là avec certes l’envie de visiter la Normandie, mais pas tellement celle de me replonger dans l’œuvre de l’auteur (il se trouve que j’ai un autre roman de l’auteur, et pas fini mes travaux, donc qui sait !). Pas le polar du siècle, en somme !

Mourir sur Seine, Michel Bussi. Lizzie, septembre 2020, 745 min. Lu par Julien Châtelet.

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Le Trône des Sept îles #1, Adalyn Grace.

C’est le grand jour pour la princesse Amora. Fille unique de la famille Montara qui dirige le royaume de Visidia, elle va devoir assoir sa position d’héritière du trône en effectuant une démonstration de sa magie devant son peuple. Mais quand le rite de passage tourne au désastre, la jeune femme est forcée de fuir.
Elle va alors faire la rencontre de Bastian, un mystérieux pirate avec lequel elle va passer un marché. Ensemble, ils vont parcourir les mers du royaume, pleines de merveilles et de dangers avec pour objectif de stopper l’émergence d’une nouvelle magie destructrice. Pour la vaincre, Amora devra affronter des monstres légendaires, croiser le chemin d’une sirène redoutable et même gérer un passager inattendu… Si elle échoue, elle mettra en péril le destin de Visidia et perdra la couronne des sept îles à tout jamais.

Quand on me dit pirate, magie dangereuse, princesse en fuite, royaume maritime, je pars conquise. Enfin, j’aurais dû mais malheureusement… eh bien ici ça ne l’a pas fait.

Dès les premières pages, Adalyn Grace nous immerge pourtant dans un univers fort, décrit de façon extrêmement visuelle. Visidia est en effet un royaume maritime, découpé en sept grandes îles, chacune déployant un pouvoir magique qu’embrassent (ou non) les habitants. Cette répartition de talent par zone géographique, indépendamment des gènes de chacun (ou pas, parce que ce n’est pas hyper clair), m’a grandement fait penser à Divergent (sauce fantasy, et les embruns en plus). L’ennui, c’est que comme dans la référence citée précédemment, l’explication de la répartition de la magie, du pourquoi du comment du choix, manque un peu de consistance. Et c’est un manque qui m’a également gênée à propos du système de magie. La magie existe, ils en font, c’est super et… eh bien c’est à peu près tout ce que l’on en saura. La magie des âmes, que pratique l’héroïne, est un peu plus creusée que les autres, mais il m’a manqué des détails pour une constitution solide de l’univers.

« C’est une belle journée pour naviguer.
Le sel de l’océan recouvre ma langue et j’en savoure le grain. La chaleur de la fin de l’été a eu raison de la
mer : elle oscille à peine alors que je me tiens appuyée contre le bastingage à tribord.
L’eau turquoise s’étend à perte de vue, peuplée de chirurgiens bleus et de bancs de vivaneaux à queue jaune qui s’éloignent de notre bateau et se cachent sous de fines couches d’écume.
Derrière la brume matinale s’élève le contour des montagnes, dissimulées sous les nuages, qui façonnent l’île la plus septentrionale du royaume, Mornute. C’est l’une de celles que je n’ai pas encore visitées, mais que je gouvernerai un jour.
« 

De plus, je ne peux pas dire que j’aie vraiment accroché à l’intrigue, tant les péripéties sont prévisibles. Autant le départ est plutôt pas mal, puisque la princesse échoue royalement à son examen et se retrouve à devoir fuir, autant cela se gâte dès que la fuite débute. Évidemment, elle tombe inopinément sur un allié mais se retrouve coincée entre lui et son futur-ex-fiancé : entre le premier qui est opportuniste (et beau gosse, et célibataire) et le second qui est hyper lourd et ne sait rien faire de ses dix doigts (et va donc rester célibataire), qu’arrive-t-il ? Mais oui, un fantastique (non) triangle amoureux ! Qui démarre, comme tout bon triangle amoureux qui se respecte, sur du rien et continue sur du vent. La romance se noue hyper vite, ce qui n’est pas crédible pour deux sous : difficile, donc, de croire aux attachements des personnages.

Par ailleurs, l’intrigue est très linéaire, les personnages allant d’île en île afin de découvrir ce dont il retourne réellement. Le suspense est donc peu présent, d’autant que les pérégrinations des personnages suivent les grands chemins classiques du genre, ce qui rend les péripéties fort peu surprenantes. Évidemment, on ne tarde pas à découvrir qu’un sombre secret se cache sous l’existence de la magie et que celui-ci remet en cause tout ce que savaient les personnages (et va par là-même passer à deux doigts de détruire le monde, qu’ils sont les seuls à sauver). Comme je le disais au départ, l’univers me plaisait follement, d’autant qu’on en prend plein les yeux, mais pas tout à fait assez à mon goût pour cacher les faiblesses de l’intrigue.
Avec ça, le style est truffé de métaphores (parfois hasardeuses) au point de devenir particulièrement lourd, ce qui n’aide en rien à se passionner pour le récit.

Passons maintenant aux personnages. L’intrigue tourne essentiellement autour de Ferrick, le prince, Bastian, le pirate et Amora, la princesse. Soyons bien clairs, Ferrick n’est là que pour servir de faire-valoir à Bastian, et en faire ressortir les aspects ô combien plus mystérieux, plus bad guy (mais pas trop), plus débrouillard, plus… personnage principal digne d’intérêt, en somme. Et aussi pour faire la troisième pointe du triangle amoureux. Il est complètement dispensable et à ce titre, très peu creusé. Le pirate, quant à lui, coche toutes les cases du cliché, ce qui lui permet de faire pile ce qu’on attend de lui – mais n’amène pas d’originalité. Et Amora ? Outre cette malheureuse homonymie qui casse un peu l’ensemble, Amora semble devoir être la femme forte de cette histoire (elle joue très la princesse pourrie gâtée froide et cruelle), mais pas trop non plus, car au fond d’elle-même, elle ne rêve que d’être douce et sensible… ce qui la rend d’autant plus fatigante. Ceci étant dit, c’était un beau pari d’écrire tout un roman avec un personnage central aussi imbuvable, et cela mérite d’être salué ! Si vous aimez apprécier le personnage central, soyez prévenu : Amora est une sale enfant gâtée, et le restera jusqu’à la fin de l’histoire. Ce qui est un peu dommage, puisqu’elle manque clairement de nuances, et souffre du même défaut de superficialité que ses compatriotes.

On ne peut donc pas dire que j’aie franchement adhéré à ce roman. Malgré un univers hyper visuel, très Pirates des Caraïbes, et particulièrement immersif, ce titre n’a pas franchement réussi à m’embarquer, la faute à des personnages trop peu creusés et à une intrigue cousue de fil blanc. Toutefois, l’histoire s’achève sur un bon point final, ce qui fait que l’on peut passer à autre chose sans frustration aucune !

Le Trône des Sept Îles, Adalyn Grace. Traduit de l’anglais par Aurélie Orkan.
De Saxus, août 2021, 384 p.

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L’Héliotrope, Steam Sailors #1, Ellie S. Green.

Il fut un temps où les Alchimistes nourrissaient le Haut et Bas-Monde de leurs inventions merveilleuses, produits de magie et de science. Un temps de machines extraordinaires, de prodiges électriques et d’individus aux pouvoirs fantastiques. Une époque révolue depuis que les Industriels ont éradiqué les Alchimistes et leur formidable savoir. Pourtant, on raconte qu’à l’aube de leur disparition, ils auraient caché leur fabuleux trésor dans une cité secrète…Quatre siècles après la Grande-Fracture, les habitants du Bas-Monde traversent une ère obscure et rétrograde, tandis que le Haut-Monde, figé depuis l’extinction des Alchimistes, demeure inaccessible et fait l’objet de tous les fantasmes. Originaire du Bas-Monde, Prudence vit en paria car elle voit l’avenir en rêves. Une nuit, son village est attaqué par des pirates du ciel. Enlevée et enrôlée de force à bord de l’Héliotrope, un navire volant à la sinistre réputation, la jeune orpheline découvre un nouvel univers, celui du ciel et des pirates. Prudence fait la connaissance des membres de l’équipage, qui ne tardent pas à lui révéler leur secret : ils détiennent un indice, menant à une série de « clefs » disséminées dans le monde, qui permettait de retrouver la cité des Alchimistes…

Un univers fracturé, des pirates et des bateaux qui volent ? Mais je signe d’emblée !

Dès les premières pages, on plonge dans un univers original et intéressant : fracturé, il est divisé en deux entités irréconciliables. Comme si cela ne suffisait pas, les habitants eux-mêmes s’ostracisent entre eux, mettant de côté les personnes trop différentes, comme Prudence, notre héroïne, qui dispose d’un malheureux don de prémonition. Son avenir sombre change radicalement (sans forcément s’éclairer) lorsqu’elle embarque à bord de l’Héliotrope, un vaisseau truffé de pirates. Et côté pirates, on peut dire que l’autrice a réussi son coup, nous offrant un environnement plus que crédible. Entre cet aspect et l’univers décrit de façon très visuelle, j’ai été comblée !

J’ai d’ailleurs lu le roman assez rapidement, embarquée que j’étais pas l’intrigue palpitante. Toutefois, je dois reconnaître que je me suis réellement prise au jeu dans la deuxième partie, beaucoup plus rythmée et dynamique que la première. Celle-ci, au titre de l’exposition, est menée d’un rythme beaucoup plus posé, du à la nécessité de mettre en place les ressorts de l’intrigue, comme le positionnement des personnages. Mais ce n’est pas gênant, car l’histoire est aussi bien construite que menée, et la seconde partie mérite amplement cette première partie moins virevoltante !

De plus, la narration est menée habilement. L’autrice sait ménager ses effets, parsemer le récit d’humour, maintenir le suspense ou le doute chez le lecteur, ce qui a rendu ma lecture particulièrement prenante.

« Prudence laissa échapper un cri de surprise lorsqu’un troupeau de dragons sortit à son tour de la brume. Il s’agissait en fait d’embarcations dont la carlingue avait été forgée de façon à donner cette illusion. Longs de trente pieds environ, ces dragons balançaient gracieusement leur tête et leur queue dans le vent, donnant un mouvement naturel aux animaux mécaniques. Le réalisme était encore accentué par leurs yeux luisants et les volutes de vapeur qui s’échappaient de leur gueule. Sur les flancs des machines volantes, de costauds boucliers de bois avaient été alignés et leur chevauchement formait une rangée d’écailles colorées. Les cavaliers des hippoléoptères pointaient des arbalètes pourvues de gros barillets sur les pirates, tandis que les dragons mécaniques avaient chacun un canon sortant de leur ventre prêt à faire feu sur le pont de l’Héliotrope.
– Baissez vos armes ! répéta Mousquet à ses hommes, qui s’exécutèrent enfin.
Aussitôt les visiteurs firent de même et les canons se replièrent à l’intérieur des dragons dans un raclement sourd.
L’un des hippoléoptères se posa lourdement sur le navire, soulevant un nuage de neige poudreuse. Son cavalier sauta lestement sur le pont.
D’une voix étouffée par le col de sa cape, il s’adressa au capitaine :
– Afevis din idenotit, netop dine henasigter.
– Venner ! Venner, at spise venner, répondit Mousquet, pataugeant dans les deux mots de nordish qu’il connaissait.
Le nouveau venu hésita. En effet, le capitaine venait de lui proposer de manger ses amis, ce qui n’était évidemment pas dans ses intentions.
« 

Au final, mon seul point de regret tiendra aux personnages, que j’ai trouvés un peu lisses : Prudence, comme l’équipage sont attachants, mais aucun ne s’est vraiment détaché à mes yeux (et plusieurs mois après ma lecture, je crois que je serais bien en peine de citer ne serait-ce qu’un nom !).

Malgré des personnages pas toujours assez creusés à mon goût, j’ai passé un bon moment de lecture avec L’Héliotrope, qui conjugue pirates et steampunk, dans une intrigue palpitante menée d’un style fluide. Une bonne pioche au rayon jeunesse !


Steam Sailors #1, L’Héliotrope, Ellie S. Green. Gulf Stream, 26 mars 2020, 277 p.
#PLIB2021 #ISBN9782354887759

Derniers jours d’un monde oublié, Chris Vuklisevic.

Plus de 3 siècles après la Grande Nuit, Sheltel, l’île du centre du monde, se croit seule rescapée de la catastrophe. Mais un jour, la Main, sorcière chargée de donner la vie et de la reprendre, aperçoit un navire à l’horizon. Il est commandé par une pirate impitoyable, bien surprise de trouver une île au beau milieu du Désert Mouillé.
Si la Main voit en ces étrangers une menace pour ses secrets, Arthur Pozar, commerçant sans scrupules, considère les intrus comme des clients potentiels, susceptibles d’augmenter encore, si possible, son immense fortune.
C’est une nouvelle ère qui s’ouvre. Qu’elle les mène à la gloire ou à la ruine, la sorcière, la pirate et le vieux marchand en seront les instigateurs, bien malgré eux.

Mais quelle claque, ce roman ! Si vous cherchez de la fantasy originale, bien écrite et bien menée, n’allez pas plus loin. 
Mais commençons plutôt par le commencement.

Ce one-shot nous emmène donc sur l’île de Sheltel, îlot perdu au milieu du Désert Mouillé, une immense étendue océanique, dépourvue de ressources en eau potable – et dont je trouve le nom absolument parfait. Or, voilà qu’un navire pirate, justement à court d’eau potable, tombe sur île qui n’est pas supposée exister, et dont les habitants pensent, de leur côté, être seuls au monde. L’arrivée des pirates va tout chambouler et, comme l’annonce le titre, on va assister aux douze derniers jours de ce monde en déliquescence.
Car le moins que l’on puisse dire, c’est que cette île est vraiment, vraiment spéciale. Je m’attendais évidemment à une société corsetée (puisqu’isolée depuis plus de trois siècles) mais je n’étais pas prête pour la société sans aucune concession que nous livre l’autrice ! Au détour d’un chapitre, on tombe sur des scènes de violence (et il n’est pas seulement question de meurtres ici) ou de situations glauques, le tout de préférence assez intenses. Bref : Sheltel, c’est étrange, et on y vit des choses assez sales (l’ambiance est même assez malsaine).
Et en même temps, c’est bien ce qui rend le récit si prenant car il ne fait que décrire des personnages… très humains.

Celui-ci s’appuie sur une narration triangulaire, menée tour à tour par les trois personnages clefs : la sorcière, la pirate et le vieux marchand.
La sorcière, la Main, est chargée du contrôle des naissances et de la pureté génétique des îliens. Figure puissante donc… mais qui cache deux secrets (dont l’un dans sa cave), qui peuvent lui coûter son poste et, accessoirement, sa vie.
Erika, de son côté, a été adoptée contre son gré par la Capitaine des pirates et ne rêve que de fuir le bateau, quel qu’en soit le prix. Quelque part, elle est celle par qui le malheur arrive, puisque son arrivée bouleverse la petite vie peinarde de l’île.
Quant au vieux marchand, Arthur Pozar, enfant des quartiers pauvres qui s’est élevé au rang de conseiller préféré de la Bénie, une prêtresse très proche du pouvoir, il n’a qu’une idée en tête : accroître son profit, tout en gardant sa place, ce que l’arrivée des étrangers va lui permettre de faire.
Évidemment, les objectifs des uns et des autres ne cadrent pas forcément, chacun tentant de tirer son épingle du jeu sans s’occuper des autres. Au fil des chapitres, on découvre toute l’ambiguïté de ces trois personnages, leurs motivations profondes et leurs aspects monstrueux. On pense les apprécier et saisir leur essence alors qu’au chapitre suivant, ils se montrent dans toute leur cruauté. On pense alors les détester, mais voilà qu’ils nous étonnent par des revirements pleins d’humanité. Ils sont vraiment très, très bien écrits – surtout les deux personnages féminins !

Outre ces objectifs personnels qui entrent en conflit et détériorent l’ambiance sur Sheltel, il faut préciser que l’île connaît une sécheresse terrible. Les pirates ont soif, les Sheltes meurent – littéralement – de soif, et tout cela exacerbe les tensions déjà présentes. Cette préoccupation, très actuelle, tout comme les caractères des personnages, donnent au roman une curieuse note de réalisme.

Les chapitres alternent avec des extraits choisis qui viennent éclairer l’histoire de l’île, l’univers en général ou, plus simplement, les machinations des personnages. Ces interludes sont variés et originaux : il peut s’agir de lettres, de circulaires du gouvernement (qui ressemblent à celles que l’on connaît dans le monde réel !), de rapports de jugements, d’extraits de journaux, de télégrammes, ou d’écrits intimes.  Ils n’ont l’air de rien, mais ils font tout. Car ils donnent des indices sur l’univers dans lequel on évolue et construisent habilement le lore, sans plomber le lecteur d’informations. Vu la brièveté du roman, j’ai trouvé la technique vraiment fine !
En plus de donner des informations non négligeables, cette façon de procéder augmente d’un cran le suspense. Celui-ci, déjà présent grâce au titre et au décompte des jours, se trouve régulièrement décuplé par les informations que l’on glane dans les interludes – qu’il s’agisse de menaces sur les personnages, de développements soudains et désagréables du climat politique, ou de la situation de l’île. Tout cela explique sans doute pourquoi j’ai dévoré le roman en moins de deux jours !

Avec tout ça, le roman est écrit d’une plume vive et précise, qui sait aller droit au but, sans surcharger le texte, mais sans créer de manque non plus. Pas de longueurs au programme de ce récit particulièrement efficace !

Avec Derniers jours d’un monde oublié, Chris Vuklisevic a fait une entrée fracassante en fantasy – en remportant le concours du premier roman d’imaginaire orchestré par FolioSF, excusez du peu. Bien que le roman ne soit pas si long, elle y tisse une intrigue très complète, menée sans longueurs, ni précipitation. Il se passe énormément de choses dans l’histoire, mais le récit se concentre sur ses éléments phares, tout en suggérant le reste. Résultat : c’est palpitant. L’univers se tient à la perfection, tout en nous donnant la sensation qu’il y a encore plein de choses à découvrir, mais sans laisser sur un sentiment de frustration intense. En un mot : c’est excellent !

Derniers jours d’un monde oublié, Chris Vuklisevic. FolioSF, 1er avril 2021, 351 p.
#PLIB2022 #ISBN:9782072931079

 

Mers mortes, Aurélie Wellenstein.

Les humains ont massacré les mers et les océans. L’eau s’est évaporée ; les animaux sont morts. Quelques années plus tard, les mers et les océans reviennent. Ils déferlent sur le monde sous la forme de marées fantômes et déplacent des vagues de poissons spectraux, tous avides de vengeance. Les fantômes arrachent leurs âmes aux hommes et les dévorent. Bientôt, les humains eux aussi seront éteints… Leur dernier rempart face à la mort : les exorcistes. Caste indispensable à l’humanité, les exorcistes sont bien entendu très convoités. L’un d’eux, Oural, va se faire kidnapper par une bande de pirates qui navigue sur les mers mortes à bord d’un bateau fantôme. Voilà notre héros embarqué de force dans une quête sanglante et obligé, tôt ou tard, de se salir les mains…

Cette année, comme les deux années précédentes, j’ai la chance de participer avec mes collègues de compèt’ au Prix Imaginales des Bibliothécaires ; contrairement aux années précédentes, je vais tâcher de chroniquer ce que je lis, en commençant par Mers mortes (même si en réalité, c’est le deuxième titre que j’ai lu dans le cadre de ce prix ; le premier c’était Chevauche-Brumes).
Malgré l’engouement général autour de ce roman (si j’en crois les multiples nominations qu’il connaît à un tas de prix !), je dois dire que j’en suis ressortie plutôt mitigée.

D’abord, il m’a globalement manqué des éléments pour pleinement profiter de l’intrigue. Celle-ci fait évoluer les personnages dans un environnement aussi hostile qu’aride, puisque l’eau s’est évaporée, ce qui a entraîné la disparition de tous les animaux, notamment des animaux marins. Or, première vraie question : si l’eau s’est évaporée, comment les personnages peuvent-ils survivre ? On parle d’une situation qui dure depuis 10 ans. J’entends bien que l’on nous dit qu’il reste « quelques poches d’eau », mais l’explication n’est pas franchement convaincante (en tout cas, elle ne m’a pas suffi). De même, si l’eau est à ce point rationnée, que mangent les personnages (et les animaux qu’ils croisent ?). Globalement, la végétation est morte, et il est assez difficile d’imaginer ce qu’ils peuvent se mettre sous la dent. Mais on nous parle d’agrumes, de céréales… comment tout cela pousse-t-il ? Comment les personnages s’hydratent-ils ?
Toujours du côté de l’intrigue, j’ai trouvé la conclusion assez brouillonne. Attention, je spoile.
Certes, les personnages parviennent à résoudre le problème qui les occupait. Pourquoi ? Comment ? Mystère. Cette absence totale d’explication m’a clairement frustrée. Je sais pourtant qu’il s’agit d’un roman fantastique, et que c’est le concept du fantastique de ne pas expliquer les tenants et aboutissants. Mais j’aurais aimé un minimum d’explications, un peu plus que « ça marche, parce que c’était supposé marcher ». Ceci étant dit, c’est assez cohérent avec le début du roman : on pose comme pré-requis que l’eau s’est évaporée, mais sans aucune explication. Si elle a disparu, où est-elle passée ? En quoi s’est-elle transformée ? Comment toute cette masse a-t-elle pu disparaître si vite ? Mystère et boule de gomme.

Par ailleurs, difficile pour moi de m’accrocher aux personnages, malgré des idées intéressantes. Oural, le personnage principal, est exorciste. Ce qui signifie qu’à l’aide de ses pouvoirs, il est supposé repousser les marées fantômes. À bord du vaisseau des pirates qui l’ont enlevé, il fait de même. Franchement, ça claque, et il ne fallait pas plus pour faire mon bonheur. Sauf que. Oural est une vraie tête à claques (justement), qui jamais ne change. Ses décisions sont – au mieux – complètement idiotes et le pire, c’est quand même qu’il s’y enlise. Dans ses récits de pensées, il se la joue « mec qui a conscience de ses failles et travaille à s’améliorer », mais ce n’est jamais suivi d’effet, et cette attitude a tendance à m’agacer prodigieusement. Pour ne rien vous cacher, j’ai même souvent souhaité qu’il trépasse. Tout cela combiné a fait que j’ai eu de plus en plus de mal à m’accrocher.

D’autant que si le message est vraiment intéressant, je l’ai malheureusement trouvé hyper moralisateur. A tel point qu’il m’a semblé empiéter complètement sur l’intrigue, au détriment de celle-ci.  Et pourtant, il y a de vrais morceaux de bravoure dans le texte. Au cours de ses – nombreux – cauchemars, Oural rêve qu’il s’incarne dans des animaux marins décimés par la cruauté humaine (au cours de « traditions » inhumaines), par la surpêche, par la pollution, soit par l’effet final de la disparition des eaux. Ces passages, beaucoup plus violents que le reste du roman, s’avèrent aussi beaucoup plus prenants et finalement nettement plus percutants que les discours très moralisateurs de Bengale.

Sentiment mitigé dans cette lecture, donc. Autant j’ai adoré l’idée de départ des marées fantômes combattues par des exorcistes, autant le côté un peu superficiel de l’intrigue, supplantée par un message un peu trop présent – quoique VRAIMENT utile – m’auront fait décrocher. Et pourtant, je le répète, le concept est bien trouvé et s’attaque à un sujet d’envergure, raison pour laquelle je n’ai pas totalement détesté ma lecture. De plus, j’ai trouvé les personnages plutôt bien trouvés (même si j’avais envie de claquer Oural) et l’intrigue narrée dans un style fluide. Difficile de trancher, donc !

Mers mortes, Aurélie Wellenstein. Scrineo, mars 2019.

J’ai lu ce roman à coups de 5 chapitres avec Camille, qui a patiemment supporté mes soupirs !

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Boneshaker, Le Siècle mécanique #1, Cherie Priest.

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1880. La Guerre Civile américaine fait rage depuis deux décennies, poussant les avancées technologiques dans d’étranges directions. Dans les Territoires de l’Ouest, les villes baignent dans des gaz mortels, alors que la terre est vidée de ses ressources. Sur la frontière entre le Nord et le Sud, les espions fomentent leurs complots et les trafiquants font plus d’argent que leur gouvernement.
C’est dans ce monde que vivent Briar Wilkes et son fils. Elle est la veuve de l’infâme Dr. Blue, créateur du Boneshaker, la machine qui détruisit Seattle, perçant accidentellement une poche de gaz qui transforma les vivants en non-morts. Mais quand son fils décide de franchir le mur qui cerne Seattle en ruine dans l’espoir de réécrire l’histoire, elle doit le retrouver au plus vite avant qu’il ne lui arrive malheur. Sa quête la conduira dans une ville grouillant de morts-vivants affamés, de pirates de l’air, de seigneurs criminels et de réfugiés armés jusqu’aux dents. Seule Briar peut le ramener vivant.

Il va sans doute être assez difficile de parler avec justesse de cette petite brique fort enthousiasmante qu’est Boneshaker, mais on va tenter de faire au mieux. Boneshaker est la porte d’entrée d’un univers steampunk à la fois complexe, enthousiasmant et au sein duquel on s’ennuie très difficilement tant il y a à voir et à faire dans l’histoire — en fait, il y a d’autres tomes dans la série mais, si j’ai bien suivi, ils ne mettent pas en scène tout à fait les mêmes personnages.

Au départ, l’histoire peut sembler un peu lente mais c’est parce qu’il faut à l’auteur plusieurs chapitres pour présenter son univers dans tous ses détails — et encore de nombreux autres pour que l’on saisisse les tenants et aboutissants de l’histoire. Mais on ne s’ennuie pas une minute, car cette présentation détaillée amène des nuances, des précisions, au fil des pages. Du coup, c’est lent, certes, mais jamais on ne s’ennuie.
Cela permet, de plus, de construire des personnages auxquels on croit et on s’attache. Et c’est nécessaire, car il y a des enjeux remontant à plusieurs années avant le début de l’histoire et il faut bien plusieurs chapitres pour comprendre comment l’ex-mari de Briar lui pourrit définitivement la vie, comment son défunt père (héros pour certains, délinquant pour d’autres), va lui aussi interférer avec son existence et comment Zeke, enfin, ne peut qu’être qu’avide d’informations sur ces deux figures tutélaires qui influent si fortement sur sa propre vie d’adolescent.
L’histoire se construit donc peu à peu autour de ce drôle de quatuor familial (dont deux membres, sans doute les plus importants, sont pourtant décédés !) et d’une galerie de personnages eux aussi hauts en couleurs. Que l’on pense au Capitaine Cly (et à ses camarades pirates et contrebandiers du ciel), à l’angoissant et terrible Dr. Minnericht (apte à vous faire faire des cauchemars !), à Lucy la tenancière du bar, à Swakhammer ou encore à la princesse, il n’y a que des figures passionnantes auxquelles on s’attache — même les pires ordures, c’est dire !

Tout cela ne serait sans doute rien sans l’univers d’une incroyable richesse et résolument steampunk. J’ai déjà un peu vendu la mèche, mais il y a des pirates et contrebandiers de l’air qui volent sur des dirigeables armés jusqu’à la passerelle, des Chinois (venus lors d’une grande vague migratoire et malheureusement en butte aux mêmes préjugés racistes débiles que de nos jours) en charge des soufflets de la ville, des scientifiques proprement géniaux (et souvent monstrueux), des gens qui essaient juste de survivre et, bien sûr, des zombies (qu’on appelle des Pourris dans cet univers) assoiffés de chair humaine. Et il va sans dire que chaque petite groupe — voire chaque personne — a ses idées, ses buts et objectifs cachés, ce qui occasionne son lot de relations tendues, de complots, de bisbilles, le tout sur fond de vapeurs, de fumées délétères et de graisse à fusils. Évidemment, c’est palpitant à souhait !

Il faudrait aussi parler du style fluide et enlevé de Cherie Priest, qui nous fait adhérer instantanément à la quête de Briar. Celle-ci est particulièrement touchante, tout comme celle de Zeke. Mère et fils se cherchent, se perdent, font des rencontres incroyables, enrichissantes ou dangereuses et c’est ce qui fait tout le sel du récit. Autre bon point : alors qu’en général les protagonistes ne rêvent que de changer leur monde, ici ils sont embarqués dans leur quête toute personnelle, ce qui change agréablement des clichés du genre.

En refermant Boneshaker, j’ai eu la nette impression d’avoir mis le nez dans un monument du steampunk. Malgré l’épaisseur, il ne m’a guère fallu plus de quelques jours pour venir à bout de ce roman palpitant, qui donne sacrément envie de se plonger dans le reste du Siècle mécanique !

Le Siècle mécanique #1, Boneshaker, Cherie Priest. Traduit de l’anglais par Agnès Bousteau.
Le Livre de Poche, août 2016, 640 p.

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Les Terres interdites, Les Pirates de l’Escroc-Griffe #1, Jean-Sébastien Guillermou.

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Lorsque Caboche, après s’être enfui de l’orphelinat militaire, part à la recherche de son père, il ne s’attendait certainement pas à rencontrer la compagnie de L’Escroc-Griffe et encore moins à monter à bord de leur bateau !
Connu pour n’avoir jamais réussi un abordage, l’équipage de Bretelle, vieux capitaine désabusé, ressemble plus à la troupe d’un cirque qu’à une bande de redoutables pirates-chasseurs de trésors. Mais Caboche va les entraîner dans un voyage rocambolesque sur les Mers Turquoises, à la recherche d’un trésor mythique. Une quête dangereuse puisqu’ils sont pourchassés par l’invincible et immortel Amiral-Fantôme, et qui les mènera jusqu’aux confins du Monde-Fleur, aux abords des mystérieuses Terres Interdites…

 

Premier tome d’une trilogie, Les Terres interdites semble plutôt orienté jeunesse, bien que ce ne soit pas clairement précisé sur le roman.
Voilà une réjouissante aventure de pirates ! De pirates oui ; car bien que la compagnie de l’Escroc-Griffe se réclame de l’ordre des chercheurs d’or, elle ne tarde pas à avoir la garde royale et le terrible Amiral Fantôme lancée à ses trousses… ne lui laissant d’autre choix que de se lancer dans la piraterie la plus basse.

J’ai passé un très bon moment avec la compagnie de l’Escroc-Griffe, mais je dois reconnaître que je ne me suis pas autant amusée que prévu avec ce titre, à cause de quelques points sur la forme qui m’ont chagrinée.
Tout d’abord, le rythme. L’histoire est déjantée à souhait et démarre sur les chapeaux de roue, maintenant ce rythme d’enfer quasiment de bout en bout. Et s’il est agréable d’avoir autant de péripéties, il faut reconnaître que, parfois, on a envie de souffler. D’autant que cette surenchère ne permet pas vraiment de tout approfondir : on a parfois l’impression de survoler un peu les événements, sans vraiment y prendre part et en laissant des détails cruciaux derrière nous. Heureusement, cette impression s’atténue quelque peu sur la fin, lorsque l’on arrive dans les Marais, où l’auteur prend plus de temps pour développer la civilisation du peuple que l’on y croise, ainsi que les relations entre les personnages qui prennent plus de consistance. Autre petit bémol : les dialogues m’ont parfois semblé passer du coq à l’âne et, dans certaines situations, j’ai eu l’impression de décrocher.

Bon, heureusement, il y avait quand même plein de bonne choses à côté de tout ça (et n’oublions pas qu’il s’agit d’un premier roman). La première chose qui marque, c’est l’univers riche (et légèrement barré) que l’on arpente. Imaginez un Monde-Fleur, bordé par des pétales qui, chaque nuit, se referment. Pour tout de même percevoir la lumière du Soleil (Sol), certains enhardis boivent de la lymphe et deviennent des lymphogateurs (pour faire simple, vraiment simple, ils sont nyctalopes). Dans cet univers, on croise des pirates, des chercheurs de trésors, de redoutables mousquetaires (la Garde Royale), des hommes-lézards (esclaves par condition), des civilisations entières qui coexistent (pas toujours pacifiquement) et des créatures proprement surnaturelles comme l’Amiral-Fantôme, sorte de spectre voguant sur les mers à la poursuite des derniers pirates (son repos est à ce prix).
Le contenu est extrêmement riche, les interactions sociales plutôt complexes et ce premier tome ne permet pas encore de faire le tour de toutes les informations (rassurez-vous : juste assez pour ne pas se sentir totalement perdu), tout en offrant un bon panorama d’un univers dense à souhait. Et tout cela prend place dans un univers délicieusement steampunk : Bretelle a une sulfateuse greffée au bras, Caboche utilise une pisto-rapière (rien que ça) et il y a d’autres petites inventions du même genre mêlant fantasy et technologie à vapeur avec bonheur.

L’aventure est bourrée de péripéties, toutes plus surprenantes les unes que les autres. Car à l’univers original s’ajoutent des rebondissements toujours plus originaux et inattendus : laissez votre esprit rationnel à la porte du roman, cela vaudra mieux. Les scènes d’action sont légion et, parmi elles, on ne manque pas de batailles dantesques et riches en adrénaline ! De ce point de vue-là, c’est une véritable aventure de pirates, on n’est pas déçus du voyage ! Les scènes maritimes, d’ailleurs, sont très réussies. Et comme les chapitres sont plutôt courts, ça s’avale facilement.
Autre bon point : l’histoire n’est pas seulement drôle et déjantée. Le sort des Kazarsses, les hommes-lézards, pousse à s’interroger sur les notions de racisme et d’esclavage.

Malgré quelques écueils de jeunesse et un rythme extrêmement trépidant, Les Terres interdites offre un bon moment de détente, en mêlant joyeusement fantasy, pirates et ambiance steampunk. Ce premier tome offre une bonne introduction à l’univers, tout en proposant une vraie conclusion (certes intermédiaire) à l’aventure en cours. Pas de frustration intense à la fin du roman, donc… malgré un retournement de situation final pour le moins inattendu et extrêmement bien amené !

♦ Le petit plus : interview de l’auteur chez Cornwall !

♦ N.B. : ce roman a été publié dans la collection Snark de Bragelonne qui propose des ouvrages numériques et en impression à la demande ; j’ai cette version et il est aussi beau qu’un livre lambda 🙂 (il a juste 4 millimètres de plus qu’un GF standard de Bragelonne, rien d’insurmontable).

Les Pirates de l’Escroc-Griffe #1, Les Terres interdites, Jean-Sébastien Guillermou.
Bragelonne (Snark), 2015, 462 p.

 

ABC Imaginaire 2015

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Les Pilleurs d’âmes, Laurent Whale

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Terre, 1666. Le monde de la flibuste se porte à merveille. 
Yoran Le Goff intègre l’équipage d’un des plus sanguinaires flibustiers : David Nau, dit l’Olonnais. Mais Yoran n’est pas ce qu’il semble être… car il vient d’une galaxie bien, bien plus avancée. Et il est là pour traquer un autre espion intergalactique avant qu’il ne répande le chaos sur Terre. Mais parmi la flibuste, comme dans les étoiles, rien n’est écrit d’avance, et la mission de l’espion se met très vite à sentir la poudre. Jusqu’à l’explosion finale. 

Voilà un roman qui propose un mélange des genres fort intéressant ! Le récit de space-opéra se mêle… à un récit historique de flibusterie !

Premier point original, donc : le space-opéra se déroule sur Terre, au XIXe siècle, dans des Caraïbes infestées de navires pirates, dont les équipages rivalisent de raids sanguinaires. Parmi eux, Karban alias Yoran Le Goff, un homme issu d’une galaxie fort fort lointaine, et nettement plus avancée, qui court après un autre type issu de sa galaxie cherchant à enlever de fins stratèges, et qui doit donc subir l’archaïsme d’une Terre primitive.
Dès l’ouverture du roman, le style frappe par sa richesse visuelle. Avouez que l’incipit se pose là en matière de style :

«S’il est un bruit terrifiant, un bruit qui brise les nerfs les plus aguerris, c’est  bien celui d’un abordage. Peu d’astros y ont survécu pour en parler. En fait, la mémoire collective se perpétue par la geste des frères de la course et par les récits hallucinés de rares otages rendus hébétés à leur monotonie.» 

Et l’introduction annonce la couleur. Des batailles, c’est essentiellement se dont se compose le roman. Et quelles batailles ! C’est vif, prenant, tellement détaillé qu’on s’y croirait. Sur certains passages, on se croirait même dans un roman d’Arturo Pérez-Reverte, tant les descriptions sont précises et riches en détails !
Et que l’on soit dans une taverne, sur un bateau, à terre, ou en train d’assister à un interrogatoire musclé, tout est savamment dosé. L’auteur ne verse ni dans le gore, ni dans le larmoyant. C’est parfois un peu âpre – l’époque étant ce qu’elle est – mais particulièrement prenant.
Difficile, du coup, de ne pas s’immerger dans l’aventure, d’autant que le protagoniste est un personnage hautement sympathique.

Karban est un personnage débrouillard, dont la gouaille n’est pas sans rappeler les personnages croisés dans Les Damnés de l’asphalte ! Au gré des chapitres, on croise d’autres figures, mais c’est vraiment Karban qui s’impose et occupe le territoire. On suit son évolution : lui, l’homme des étoiles raffiné se met à ressembler de plus en plus à… ses collègues détrousseurs, dont le comportement le répugnait tant. La descente aux enfers est magistrale et d’autant plus frappante que les scènes se déroulant dans les étoiles, et sur ces planètes plus civilisées, sont nombreuses et offrent donc un contraste net.
Et c’est ainsi qu’on atteint un autre point intéressant : même s’il y a clairement des « gentils » et des « méchants », il arrive un certain point où on ne peut plus faire la différence entre eux, tant chacun a des bons côté, et de très mauvais. Les personnages sont variés, et extrêmement riches : même le protagoniste a son côté obscur, et les brutes les plus épaisses peuvent faire preuve de compassion. La présence de Karban offre un regard éclairé sur ces hommes du passé, bruts de décoffrage mais, finalement, l’intrigue montre que les hommes dit civilisés ne sont pas nécessairement plus fréquentables. Adieu manichéisme, et en plus on se passionne franchement pour l’affaire !

Le roman mêle deux intrigues : l’enquête de Karban, en plein monde maritime caribéen et les difficultés de son service, là-bas, très loin dans les étoiles. Sur une large première partie, le côté aventure historique est plus intéressant que l’aspect plus spécifiquement SF… jusqu’à ce que les deux entrent en résonance. À la guerre pure et dure se superpose une guerre économique sans pitié, et qui fait des ravages. Et il est étonnant de constater à quel point les deux genres se marient bien, et combien flibusterie et space-opéra ont de points communs. La double intrigue est menée tambour battant : les péripéties s’enchaînent, on n’a absolument pas le temps de s’ennuyer. Il n’y a guère que la conclusion qui semble un peu courte par rapport au reste du roman, finalement, on en aurait bien pris quelques chapitres supplémentaires.

Excellente lecture, donc, que ces Pilleurs d’âmes ! Space-opéra et roman d’aventure avec flibustiers à la clef font très bon ménage, même si sur une première partie c’est le second qui prime. Le rythme est haletant, l’intrigue palpitante, et on regrette d’arriver à la fin, d’autant que la conclusion est un peu brève. La galerie de personnages est hyper détaillée, riche à souhait, et évite le manichéisme que l’on aurait pu craindre ! Le style est riche, dense, on a l’impression d’y être et l’histoire, malgré quelques passages plus faciles, est particulièrement prenante. 
En bref, si vous aimez les romans d’aventure,  les histoires de pirates, les galeries humaines riches, les romans palpitants, Les Pilleurs d’âmes est un titre indispensable !

 Les Pilleurs d’âmes, Laurent Whale. Les Moutons électriques (Hélios), 2014, 245 p.

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Le Déchronologue, Stéphane Beauverger.

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XVIIe siècle, mer des Caraïbes. Le capitaine Henri Villon et son équipage de pirates luttent pour préserver leur liberté dans un monde déchiré par d’impitoyables perturbations temporelles. Leur arme : le Déchronologue, un navire dont les canons tirent du temps. 
À quoi pensait Villon en quittant Port-Margot à toute vitesse pour donner la chasse à un galion espagnol ? Mettre la main, peut-être, sur une maravilla, une des merveilles secrètes, si rares, qui apparaissent parfois aux abords du Nouveau Monde. Assurément pas croiser l’impensable : un Léviathan de fer glissant dans l’orage, capable de cracher la foudre et d’abattre la mort sur l’océan !
L’impensable est là : la guerre du futur vient de débarquer dans les Caraïbes des flibustiers !

 

1640, mer des Caraïbes. Henri Villon, capitaine de son état, pirate sur les bords, commande un navire qui a déjà connu des journées épiques en mer et s’apprête à en vivre beaucoup d’autres.
L’époque est trouble. Non seulement parce que les diverses couronnes se disputent ces territoires à coups de vaisseaux corsaires interposés, mais aussi parce que le temps a quelques ratés… S’il a amené les Targui, sorte de scientifiques du futur venus observer cette époque de façon plus ou moins neutre, le temps fait également jaillir toutes sortes d’objets plus anachroniques les uns que les autres.
Ces maravillas, Henri Villon en a fait son fond de commerce. Il fournit les comptoirs côtiers en conservas, batteries, et autres mange-disques. L’ennui, c’est que les caprices du temps n’amènent pas que des bienfaits. Il y a aussi ce terrible vaisseau fantôme qui rôde et coule sans difficulté aucune les flottes qu’il croise sur son chemin.

Le Déchronologue n’est pas un roman fantasy, bien que les pouvoirs quasi-merveilleux soient nombreux. Le Déchronologue n’est pas un roman historique, alors que les Caraïbes des flibustiers semblent revivre sous nos yeux. Le Déchronologue n’est pas non plus de la science-fiction, et ce même s’il parle de voyages dans le temps.
Le Déchronologue, c’est un peu tout cela à la fois.

Dès les premières pages, ce qui frappe, c’est le style riche et dense de Stéphane Beauverger. Ah, quelle claque ! C’est tellement bien écrit que ça mérite d’être lu à voix haute, rien que pour le plaisir d’entendre rouler et chanter ces syllabes. Ça c’est ce qui s’appelle savoir manier la langue française.
Et d’autant mieux que Stéphane Beauverger sait varier les ambiances : du pont du navire aux gargotes caraïbes, en passant par le bureau du gouverneur ou le campement des braconniers, on passe d’un extrême à l’autre, au gré d’une langue qui se transforme aisément. Langage fleuri, verbe châtié, joyeuses exclamations colorées, rugueux parler des îles (à la limite du compréhensible parfois !), les registres et les styles se côtoient intelligemment et se marient à la perfection.

Côté personnages, l’auteur nous campe une belle brochette de pirates, flibustiers, corsaires, et autres gens de mer : du capitaine au mousse, tous ont droit à une attention particulière même si, bien sûr, certains noms marquent plus que d’autres. Tous ces aventuriers se croisent, se pourchassent, se retrouvent au gré des chapitres : on nage en plein roman picaresques, et les figures hautes en couleur ne manquent pas !
Le roman étant en fait le journal de bord du sieur Villon, c’est le personnage que l’on suit le plus :  on a quasiment l’impression de le connaître sur le bout des doigts. Flibustier au grand cœur, c’est un personnage très humain. Sa conception du bien et du mal, ses allégeances, évoluent au gré des diverses péripéties qu’il traverse et c’est ce qui le rend si intéressant, et très touchant. Fort en gueule, jamais le dernier quand il s’agit d’attaquer  la bouteille au goulot, malin, intrépide, mais aussi sensible, c’est vraiment un personnage extrêmement réussi car très fouillé, et qu’on imagine sans peine aux commandes des vaisseaux.

Dernière chose à savoir : Le Déchronologue ne se démarque pas seulement par ses personnages hauts en couleur, son style riche, et le mélange des genres. La grande particularité du roman, c’est sa structure. Car les chapitres ne sont pas présentés dans l’ordre chronologique ce qui, il faut l’avouer, est pour le moins original. Aux sceptiques qui craindraient de se perdre dans le récit, pas de panique. Car malgré un choix narratif extrêmement audacieux, Stéphane Beauverger mène brillamment sa barque : on sait toujours où on en est, à quelle époque, et on ne se perd jamais dans le contexte (les rares fois où cela arrive, il suffit de reprendre la première page du chapitre, précisant le lieu et la date).
Le roman offre donc deux parcours de lecture : ou bien dans le sens voulu par l’auteur (que j’ai privilégié), ou bien dans l’ordre strictement chronologique. Les chapitres dans le désordre offrent un rythme soutenu à l’intrigue, et le procédé est intéressant : on connaît certains événements, on a quelques éléments en main, mais il faut attendre pour savoir comment tout cela se goupille… le récit est donc plein de suspens, et la tension maintenue tout du long, du fait que l’on connaît l’épilogue dès le départ.

S’il ne fallait retenir qu’un seul qualificatif pour ce roman, ce serait : brillant. Le Déchronologue est brillant par sa construction audacieuse, son sujet très original, sa galerie de personnages incomparable, et son style riche. L’auteur propose une véritable aventure picaresque et parvient à mêler habilement et intelligemment science-fiction et aventures maritimes. C’est plein de suspens, de rebondissements, de retournements de situations, de manipulations, de trahisons en tous genres : le récit est épique, et la structure éclatée offre un très bon rythme à ce roman grandiose. En bref, c’est un gros coup de cœur. 

 Le Déchronologue, Stéphane Beauverger. Folio SF, 2011 (2009), 560 p.
9,5 /10

 

Lecture commune : les avis de Flotousleslivres, ExtraVagance, mayartemis et angelebb.

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