Là où les mots n’existent pas, A comme Association #5, Erik L’Homme.

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C’est Noël. Pourtant Jasper se réveille à l’hôpital et enchaîne épreuves et événements insurmontables. Et tout le monde attend qu’il reste sagement au fond de son lit alors qu’il est le seul à avoir des informations et à pouvoir faire avancer l’enquête sur l’accident qu’il a eu avec Ombe.
Rester au lit ? Et puis quoi encore ! Jasper reprend les enquêtes, et peu importe ce que ça lui coûtera.

Nouvelle aventure de Jasper, donc. Cette fois, le ton a clairement changé. Aux aventures un peu pétillantes des quatre premiers tomes succède une aventure dans l’ensemble beaucoup plus sombre et triste. Le ton est poignant, mais on est embarqué dans l’aventure sans aucune problème.

Jasper se débat avec mystères, problèmes et autres tracas : entièrement concentré sur sa tâche, il se referme quelque peu. On a l’impression qu’il ne se passe pas grand-chose dans cet opus tant Jasper est centré sur un seul et unique objectif : l’action est très ramassée et, bien que les développements soient complexes, on avale le roman en une poignée d’heures.
L’ombre de Pierre Bottero plane au-dessus de ce volume, et on la ressent jusque dans le style d’Erik L’Homme, qui s’apparente, de temps en temps, à celui de son confrère disparu. La douleur de Jasper trouve, du même coup, dans celle que peut ressentir le lecteur. L’empathie que l’on ressent pour le jeune homme est très forte : impuissant, on le regarde souffrir et porter son deuil en silence.
Le thème est traité avec une grande finesse et, si l’émotion est au rendez-vous, l’auteur ne sombre jamais dans le pathos mélancolique et guimauve. Le récit est sobre, digne, et pourtant d’une tristesse infinie, ce qui le rend d’autant plus beau.

On avait déjà remarqué que les personnages – et notamment Jasper – évoluent au fil des tomes. Ici, il mûrit à nouveau, du fait des épreuves qu’il traverse. Mais on retrouve tout de même le Jasper auquel on est habitué : gouailleur, réfractaire au règlement, volontiers joueur, champion de l’improvisation, et coutumier des jeux de mots d’un goût douteux (même si ces derniers sont un peu moins nombreux dans ce volume). On a donc, d’un côté, un récit résolument léger et frondeur et, de l’autre, un récit très poignant. Les deux aspects se marient à la perfection : Erik L’Homme a vraiment su concilier deux aspects primordiaux dans ce récit, sans jamais tomber dans la surenchère. C’est vraiment remarquable !

Côté intrigue, les déductions et hypothèses légèrement esquissées jusque-là trouvent enfin un écho. Jasper enquête, tire des conclusions… et met au jour de très intéressantes questions, et des développements qui le sont plus encore. On nage en plein brouillard, la situation est très complexe, et on se pose beaucoup de questions à la fin du tome. Sans faire dans l’effet de suspens artificiel, Erik L’Homme introduit un très fort effet d’attente : difficile d’attendre, on veut en savoir plus ! D’autant qu’on finit par ne plus bien savoir qui est du côté de qui, dans tout ça – et Jasper n’en sait pas plus.
Alors que d’horribles soupçons commencent à poindre sous le crâne du lecteur – et des personnages – désappointé(s), on sent que ce tome fait basculer l’intrigue dans une dimension bien plus vaste que celle arpentée jusque-là.

Le tome 4 était une charnière très nette : on sentait bien que tous les fils des différentes enquêtes avaient été réunis pour autre chose. Le tome 5 est, manifestement, la seconde partie de ce tournant : le ton se durcit, l’univers s’assombrit, l’intrigue se complexifie, et on ne sait plus bien de quel côté on se trouve. Reste-t-il des « gentils » et des « méchants », ou bien n’y a-t-il que des personnages évoluant dans un gris artistique ? Difficile de savoir. On est pris dans ce récit haletant, dont on pourra regretter l’apparente brièveté. Bien que le tout soit bien plus sombre que les tomes précédents, et nettement plus poignant, le ton sait également être drôle et spirituel. Le récit est destiné à la jeunesse, certes ; mais avec le ton que prend l’auteur, et la tournure du récit, il est clair que jeunes et moins jeunes lecteurs auront de quoi se mettre sous la dent, et cela prouve (si c’était encore nécessaire) le grand talent d’Erik L’Homme. 

◊ Dans la même série : La Pâle lumière des ténèbres, Erik L’Homme.
Les Limites obscures de la magie, Pierre Bottero.
L’Étoffe fragile du monde, Erik L’Homme.
Le Subtil parfum du soufre, Pierre Bottero.
Ce qui dort dans la nuit, Erik L’Homme (6)
Car nos cœurs sont hantés, Erik L’Homme (7)
Le Regard brûlant des étoiles, Erik L’Homme (8)

 

 A comme Association #5, Là où les mots n’existent pas, Erik L’Homme. Rageot/Gallimard, 2011, 203 p.
8,5 /10.

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