New Normal #1-2, Akito Aihara.

Après une pandémie dévastatrice, l’humanité toute entière est contrainte de porter quotidiennement un masque. Voir le bas du visage d’autrui est devenu une chose tellement rare que ce dernier fait l’objet de fantasme. Les distanciations sociales sont telles, que la vie d’avant que l’on peut voir entre autre dans les films, semble totalement irréelle. Hata, un jeune lycéen, va un jour apercevoir malencontreusement la bouche de sa camarade Natsuki. Cette dernière, qui éprouve une certaine fascination pour le monde d’avant, va se rapprocher de Hata pour assouvir sa curiosité…

Un petit manga d’anticipation, cela faisait longtemps ! Enfin, anticipation… il faut le dire vite. Car New Normal a été écrit durant la pandémie de Covid-19… et cela se voit !
L’histoire se déroule des années après la pandémie, puisque l’on suit des lycéens qui n’ont jamais connu que cette société constamment masquée (alors que leurs parents, eux, ont connu le « monde d’avant »). L’école est dispensée suivant des horaires précis (groupes du matin, groupes de l’après-midi), le port du masque est constant (y compris dans le cercle familial et pour manger), la cantine ressemble à des box individuels, les distanciations sociales sont évidemment obligatoires, des caméras scannent la foule en permanence pour déterminer la température de chacun et il existe une brigade des risques sanitaires.
Dans ce mode de fonctionnement, les fantasmes des adolescents ont donc évolué : la poitrine et les fesses de leurs camarades ont perdu leur place de fantasme ultime, au profit des bouches, objet d’érotisation et de sexualisation suprême. J’ai trouvé que le déplacement de l’érotisation était vraiment bien mené et hyper intéressant… mais clairement pas abouti. Si c’est le centre du récit, j’ai trouvé extrêmement dommage que les illustrations soient si riches en scènes de culottes / seins / cadrages sur les jupes excessivement raccourcies des lycéennes, bref, du bon gros fan-service bien lassant. C’est d’autant plus dommage dans ce manga que, justement, le propos était ailleurs !!

Ce point de râlerie (majeur, quand même) ayant été évoqué, je dois avouer que le reste du manga tient clairement la route. L’univers est intéressant et pousse clairement à réfléchir. Si l’isolement des gens n’est pas frontalement évoqué, il apparaît par petites touches via les illustrations (les scènes de contrôle de la température, par exemple), ou par leurs activités (Hata fait partie du club de drones, seul moyen de remplacer les voyages et l’exploration). Par ailleurs, on s’interroge sur l’existence du mur qui isole une partie de Tokyo du reste, mur qu’il est évidemment interdit de franchir, et au-delà duquel vivent… On ne sait qui exactement – un mystère qui, vu l’un des derniers rebondissements, promet d’intéressants développements.

Le récit est très centré sur la vie lycéenne d’Hata et, plus généralement, celle des ados. Il expérimente une double phase de transgression avec Natsuki puisque, après avoir vu sa bouche, elle lui demande de bien vouloir sortir avec elle, contre de fugaces visions du-dit organe. Par ailleurs, fascinée par le monde d’avant, la jeune fille lui propose d’aller pique-niquer « à l’ancienne » (sans masque et en préparant sa nourriture) dans un parc désaffecté. Ce début de relation est à la fois drôle et touchant : si on s’aperçoit que les mesures de confinement et distanciation ont clairement dégradé les rapports entre êtres humains, une petite touche d’humour est apportée par de légers quiproquos entre les deux ados (car « sortir » peut évidemment être polysémique). L’arrivée d’une nouvelle lycéenne va entraîner la formation de deux triangles amoureux. Alors qu’il s’agit d’un lieu commun qui me sort par les trous de nez, j’ai trouvé que le thème était à la fois bien amené et bien traité. Dans cette société de l’économie des relations, le moindre intérêt de la part de quelqu’un d’autre revêt des aspects aussi séduisants que mystérieux ou terrifiants, et j’ai trouvé que l’on comprenait d’autant mieux les atermoiements des personnages !

Et en même temps, l’histoire n’est pas concentrée sur cet embryon de romance, ce que j’ai grandement apprécié. Il y a des péripéties liées à l’autre partie de Tokyo, d’autres liées aux alertes à la contamination et une scène qui évoque aussi la contestation, puisque les personnages sont confrontés à une manifestation des « sans-masque », qui luttent contre la tyrannie hygiéniste. Autant de choses qui font écho à ce que l’on a vécu durant la pandémie et qui ici invitent le lecteur à y réfléchir plus avant !

Hormis des illustrations que j’ai trouvées trop complaisantes et qui desservaient le propos, j’ai passé un bon moment avec ce manga. L’univers est crédible, les péripéties amènent un bon rythme et j’ai trouvé l’histoire intéressante, suffisamment en tout cas pour avoir très envie de lire la suite.

New normal #1, Akito Aihara. Traduit du japonais par Sophie Lucas. Kana (shonen), 7 février 2023, 192 p.

Hata est placé en quarantaine après avoir été en contact avec une personne infectée par le virus V-21. Il y fait la rencontre de Nami Shîna, une autre malade potentielle. Placés dans des chambres séparées, ils apprennent à se connaître par caméra interposée. De son côté, Natsuki découvre les circonstances qui se cachent derrière l’absence de Hata, et décide de passer à l’action…

J’ai trouvé ce tome 2 assez différent du précédent. En effet, Hata est coupé de ses amis puisque, suite à la découverte de sa contamination, il est expédié en quarantaine pour 15 jours dans un établissement spécialisé (comprenez chambres individuelles dont on ne peut pas sortir, et personnel en combinaison HAZMAT). Il lui reste les communication avec l’extérieur… en visio !
Cela fait, dans la première moitié du manga, comme une petite pause dans le récit initial : le triangle amoureux est mis de côté, Hata se concentrant sur ses communications avec Nami Shîna, sa voisine de chambrée qu’il a entraperçue au moment de son admission. La soudaine disparition de celle-ci (qui ne répond plus aux appels) va entraîner toute une réflexion autour du deuil et de la perte. Et quelques bousculements dans la chronologie, puisqu’on reparle de la jeune femme un peu plus tard, dans ce qui semble être un flash-back, mais qui m’a semblé plus confus qu’autre chose dans la chronologie générale (le flashback n’étant pas identifié comme tel).

Cette pause est aussi l’occasion de développer l’univers en général, avec un autre flashback (bien identifié, lui), centré sur l’enfance de Sagara, le jeune homme des forces spéciales que fréquente de temps à autres Natsuki, et qui raconte comment il a vécu l’arrivée et l’installation de la pandémie dans un premier temps, puis du chaos social dans un second. C’est bien mené et cela développe agréablement l’univers ! (Même si, je l’avoue, j’aurais préféré connaître la suite du rebondissement final du tome précédent).

Dans la seconde moitié, c’est le retour en force du triangle amoureux : les deux amis d’Hata sont eux aussi sur le devant de la scène, puisque la soudaine popularité de leur ami menace de les reléguer, eux, loin dans l’ombre. Alors qu’Hata est aux prise avec les velléités d’Erika et de Natsuki et ne sait pas s’en dépêtrer, il doit aussi gérer les conséquences que cela sur sa bande d’amis. On poursuit donc la réflexion sur la modification des relations interpersonnelles induite par les confinements et l’isolation, et c’est intéressant !

Si j’ai trouvé ce deuxième tome un peu plus calme que le précédent, dans la mesure où il approfondit l’univers plutôt que de faire avancer le récit, je l’ai aussi trouvé très équilibré, et développant bien les personnages. Les illustrations, malheureusement, n’ont pas perdu leur penchant pour l’exhibition des corps féminins alors que, encore une fois, l’objet des fantasmes s’est déplacé – et je trouve ça un peu dommage. Malgré cela, je suis curieuse de connaître la suite, qui devrait sortir en juin !

New Normal #2, Akito Aihara. Traduit du japonais par Sophie Lucas. Kana (Shonen), 14 avril 2023, 192 p.

2 commentaires sur “New Normal #1-2, Akito Aihara.

  1. Livheryn dit :

    Ça peut être sympa à lire 🙂 Et en même temps, je serais vite agacée par ces gros plans répétés sur les attributs féminins. Grosse indécision

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