Une Terre nouvelle, Nous ne serons plus jamais les mêmes #1, Marc Cantin & Isabel.

Une tempête oblige Shanna et son frère à accoster la petite île de Pointe-au-Bec. Dans l’unique auberge, ils découvrent des habitants sidérés par l’annonce d’un désastre planétaire : une mousse bleue envahit les villes, étouffant tous les humains sur son passage… sans qu’on n’en connaisse la cause.
À terre, Noa, l’ex-petit ami de Shanna, tente d’échapper au fléau parmi des survivants prêts à tout et des ados emprisonnés qui espèrent profiter de la situation.
Shanna, elle, s’inquiète de plus en plus : reverra-t-elle sa famille un jour ?

Voilà longtemps que je n’avais pas lu un roman de survie qui m’emballe autant !
Le récit commence presque comme un roman de vacances : Shanna, son frère Aron, et le meilleur ami de ce dernier, tracent leur route à bord d’un voilier hyper performant. L’endroit idéal pour que Shanna se remette de sa peine de cœur – Noa, son petit ami, l’ayant laissée tomber quelques jours plus tôt pour une fille croisée dans la grande ville où il est parti étudier. Tout irait parfaitement si une mousse bleue n’avait pas commencé à se répandre partout dans les grandes villes.

C’est par la mention de cette mousse bleue que Marc Cantin et Isabel introduisent très rapidement, et très efficacement, une sensation de malaise durable. Or, celle-ci ne désarme pas avec la tempête qu’essuient les navigateurs… qui leur font prendre conscience que la fameuse mousse bleue n’est pas que décorative. Elle phagocyte en fait le béton (d’où son apparition dans les grandes cités) et ravage tout sur son passage, qu’il s’agisse d’un minéral, d’un végétal, ou d’un animal. On n’est donc pas dans un roman post-apo, ou pas tout à fait, puisque l’apocalypse, on y assiste en direct !

Ce contre-pied amène d’intéressantes perspectives, notamment en termes de réactions des personnages. On n’est d’ailleurs pas au bout de nos surprises, puisqu’il apparaît rapidement que l’apparition de la mousse… n’a rien de naturel. En plus, donc, de proposer une intrigue survitaminée, Marc Cantin et Isabel jouent parfaitement de l’ambiance de malaise qu’ils ont instaurée, en l’exploitant au maximum. Le parti-pris de la contamination de main humaine induit évidemment quelques dilemmes moraux chez les personnages, que le duo d’auteurs se garde bien de trancher. Cela donne beaucoup de profondeur au récit, et incite à réfléchir non seulement à ce que l’on ferait dans une situation similaire, mais aussi au bien-fondé de la contamination à la mousse.

« Aron aimait profondément le monde mais ne parvenait pas à y trouver sa place, surtout depuis le décès de son père. Ses rêves gelaient. Jamais satisfait, ici et ailleurs, il naufrageait dans un océan tourmenté. »

On sent bien que Shanna est le personnage principal, mais la narration saute de l’un à l’autre, s’intéressant tour à tour à Noa (son ex petit-ami qu’on aimerait détester mais qui nous réserve de bonnes surprises), à Aron (le frère aîné)… mais aussi à une bande d’adolescents incarcérés dans un pénitencier pour mineurs, sur une île, et qui profitent du chaos pour s’évader, dans l’espoir de profiter totalement de la situation mondiale. Cette variété dans les personnages et les situations permet à l’intrigue de mêler survie et préoccupations quotidiennes. En effet, les personnages traînent quelques casseroles derrière eux : il est donc question d’insertion sociale, de gestion du deuil d’un parent, des suites d’une rupture amoureuse, ou d’engagement. C’est riche, et cela cadre parfaitement avec le ton de l’intrigue, d’autant que l’alternance de points de vue est faite intelligemment, sans donner l’impression que le récit s’éparpille entre les différents personnages.
Couplée à l’ambiance du récit, à l’enchaînement maîtrisé des péripéties et aux questionnements qui sous-tendent l’histoire, elle rend l’ensemble particulièrement prenant, même si on sent que ce premier tome est introductif. J’étais donc plus que frustrée d’arriver à la fin, qui nous laisse très clairement sur des charbons ardents (heureusement, le tome 2 est prévu pour la fin d’année).

Très bonne surprise donc que ce premier tome de Nous ne serons plus jamais les mêmes. Ce récit (post)-apocalyptique a des petits airs de huis-clos (dus à la catastrophe écologique en cours), pas désagréables du coup, qui amènent de la tension dans le récit. L’intrigue mêle parfaitement enjeux de survie et préoccupations plus quotidiennes des personnages, ce qui rend le récit particulièrement prenant. Malgré le caractère introductif de ce tome, les péripéties sont parfaitement maîtrisées, et c’est dans un état de frustration extrême que j’ai atteint la fin ! Je suis donc assez impatiente de lire la suite de ce récit très réussi !

Nous ne serons plus jamais les mêmes #1, Une Terre nouvelle, Marc Cantin & Isabel.
Rageot, 23 février 2022, 256 p.

La soudaine apparition de Hope Arden, Claire North.

Je m’appelle Hope Arden mais vous oublierez ce nom et jusqu’à mon existence. Nous nous sommes déjà rencontrés des milliers de fois. Je suis la fille dont personne ne se souvient. Tout a commencé quand j’avais seize ans. Un lent déclin, un isolement inéluctable. Mon père qui oublie de me conduire au lycée. Ma mère qui met la table pour trois, pas quatre. Un prof qui omet de demander un essai que je n’ai pas rendu. Un ami qui me regarde et voit une étrangère. Qu’importe ce que je fais, ce que je dis, les blessures que j’inflige, les crimes que je commets. Vous ne vous souviendrez jamais de moi. On ne peut pas dire que ça me facilite la vie, mais ça fait aussi de moi une personne dangereuse.

Quel roman étonnant, qui joue sur trois genres qui se mêlent parfaitement : anticipation, fantastique et thriller !

Hope Arden a le désagréable privilège d’être parfaitement oubliable. Dans les trente secondes après être sortie du champ de vision de ses interlocuteurs, elle disparaît purement et simplement de leur mémoire. Sa famille l’a oubliée, ses amis aussi, la société entière semble ne plus la calculer. Ce qui, dans la vie courante, peut s’avérer particulièrement handicapant.

« Choses difficiles à faire quand le monde vous oublie :
• Sortir avec quelqu’un
• Trouver un travail
• Recevoir des soins médicaux suivis
• Obtenir un prêt bancaire
• Obtenir un diplôme
• Obtenir des références
• Être servie au restaurant. »

La faculté de Hope n’est jamais vraiment explicitée. Pourquoi l’oublie-t-on ? Est-ce génétique ? Cela vient-il d’un virus ? Est-elle folle ? On ne saura jamais, ce qui donne au récit une petite touche fantastique assez intéressante.

La situation étant ce qu’elle est, Hope devient une cambrioleuse particulièrement douée et dont la méthode reste parfaitement opaque aux yeux des autorités (et on comprend bien pourquoi). Pourtant, celle-ci comporte des lacunes : parfois elle se fait voir par des caméras de sécurité, ou son utilisation du darknet laisse un peu à désirer en termes de sécurité. A force de larcins, Hope s’attaque à un gros poisson : Perfection.
Perfection est une sorte d’application de coaching ultra-gourmande en données personnelles. A chaque « bonne action » validée par Perfection, les usagers gagnent des points. Chaque point durement gagné permet d’obtenir des bons de réduction auprès de marques, des invitations à des événements sélects, etc. Peu à peu, l’application enregistre les mouvements des cartes de crédits et de fidélité, les restaurants et magasins fréquentés et, pire, les personnes rencontrées. Afin de rendre chaque utilisateur « parfait », elle suggère d’écarter définitivement untel, de modifier son alimentation, de quitter son travail pour un autre poste plus lucratif, ou de changer totalement de look. Tout cela à grands renforts de données personnelles qu’elle ingurgite et recrache à tout va. Voilà pour le côté anticipation.

Malgré sa redoutable faculté, la croisade de Hope n’est pas de tout repos : Interpol est sur ses traces, les gros bras de Perfection aussi et les capacités de la cambrioleuse intéressent du monde sur le darknet. Bon an mal an, ce qui n’aurait dû être qu’un hold-up de plus se transforme en traque forcenée, ce qui rend le roman extrêmement prenant.

Le récit est, avec ça, merveilleusement construit. Il alterne présent et passé, ce qui nous permet de suivre Hope dans ses pérégrinations, tout en comprenant comment elle s’est construite. C’est aussi ce qui le rend si addictif. De plus, la narration est régulièrement entrecoupée de réflexions de la narratrice, de définitions de choses diverses et variées, de listes d’observations qu’elle se fait, ou du mantra qu’elle se répète pour s’ancrer dans le réel. Cela ne casse pas le récit, mais lui donne plutôt des respirations, calées sur celles dont la narratrice a besoin lorsque sa situation menace de lui faire péter les plombs. C’est bien vu, parfaitement exécuté, et cela rend le tout très immersif !

« Qu’est-ce que la connaissance ? C’est l’inspiration. C’est un appel aux armes. C’est un rappel qu’il n’est rien qui ne puisse être accompli. C’est l’humanité sous toutes ses formes. »

Au fil des chapitres et de la traque, le roman nous invite à nous interroger sur nos pratiques numériques, notamment concernant les réseaux sociaux. Perfection n’est pas si éloignée de choses qui existent aujourd’hui et cela incite vraiment à réfléchir à la façon dont on consomme ces gadgets appréciés du public et dont la face cachée peut parfois échapper à ses utilisateurs. Mais il est aussi question d’amitié, d’amour, de solitude, ou du pouvoir de la connaissance. Tout cela est livré un peu en vrac, au fil des pensées de la narratrice, qui lance parfois de simples pistes de réflexion, ou propose sa propre vision des sujets en question.

J’ai adoré écouter ce roman. La narratrice est parfaite, et lit d’un ton presque clinique qui correspond parfaitement à la personnalité de la narratrice. Se sentant en-dehors du monde, elle raconte son histoire presque comme une observatrice, et la lectrice a rendu cette attitude merveilleusement bien. De plus, le travail effectué sur les dialogues entre personnages les rend très intelligibles. En jouant sur le volume sonore ou sur l’étouffement de la voix, on sait toujours qui est en train de parler à qui, impossible de s’y perdre. L’enregistrement est vraiment génial !

Voilà une lecture audio que j’ai adorée, et que je pense refaire dans quelque temps. Le récit, très prenant, mêle habilement fantastique, anticipation et thriller, dans un rythme bien mené. Même si je reconnais quelques longueurs dans le milieu du roman, j’ai trouvé l’intrigue palpitante. La lectrice met le ton parfait pour le récit, ce qui contribue à le rendre si prenant. Excellente découverte, donc, qui me donne très envie de lire d’autres titres de l’autrice !

La soudaine apparition de Hope Arden, Claire North. Traduit de l’anglais par Isabelle Troin.
Hardigan, 2016, 840 min. Lu par Manon Jomain.

Code Ezkutu : longue portée, John Etxebeltz.

2017. Le Pays basque, devenu indépendant, est le pays le plus riche du monde grâce au sensum, trouvé dans les vieilles mines jadis exploitées par les Romains. Ce métal doté de propriétés extraordinaires permet à l’humanité de régler la plupart de ses problèmes.
Quand Kemen Otsoa est retrouvé par les services secrets de la nouvelle Euskadi, cet ancien tireur d’élite passé à la clandestinité, pense qu’il va finir en prison pour le restant de sa vie… Contre toute attente, on lui propose d’intégrer la gade rapprochée de la Lehendakari, la présidente de la Confédération des Sept Provinces Basques Unies, une femme de tête qui compte faire de son petit pays le plus influent et le plus bienveillant du monde nouveau. Kemen accepte et découvre ses nouveaux compagnons d’armes, tous dévoués et rompus à la protection de leur chef vertueuse.
Cependant, les choses dérapent très vite. Car le sensum attire les convoitises, et notamment celles de Strydom, le corrupteur le plus riche du monde qui a uni toutes les mafias pour acheter les hommes politiques, piller la planète, et exploiter ses habitants. Il ne compte pas s’arrêter aux frontières des Sept Provinces Basques Unies…

Et hop, encore un livre piqué dans la bibliothèque paternelle ! Je crois bien que je le lui avais offert, en plus. J’avoue que j’étais hyper intriguée par le mélange anticipation/espionnage/roman du terroir. Et s’il y a de bonnes idées, j’avoue que je ressors un peu mitigée de cette lecture.

Mais commençons par les bons points !
J’ai vraiment adoré le point de départ de l’histoire : il faut avouer que l’idée est géniale pour un roman mêlant uchronie et anticipation.
D’ailleurs, le roman surfe sur plusieurs genres : uchronie et anticipation sont à l’honneur, bien sûr, mais se mêlent aussi à des brins de thriller et d’espionnage qui ne déparent en rien dans le récit. Les scènes d’action sont trépidantes, et l’enchaînement des révélations et/ou retournement de situation assure un confortable rythme de lecture.

Ce qui rend le récit intrigant, c’est qu’il s’appuie fortement sur le contexte mythologique et historique local. L’auteur récupère quelques faits historiques bien connus, comme la bataille de Roncevaux, ou l’Occupation nazie. Il brode un peu sur ces réalités, inventant ici une confrérie de Protecteurs, là une cache aussi séculaire que secrète bien cachée dans les montagnes. Ajoutez à cela une pincée de légendes locales bien ancrées, et voilà une intrigue palpitante qui ressemblerait presque à celle d’un thriller ésotérique. D’ailleurs… le roman propose une fin très ouverte, avec plein de questions ou développements en suspens, exactement comme dans un thriller ésotérique !

Bref, tout cela partait bien. Malheureusement, je dois dire que j’ai à de trop nombreuses reprises levé les yeux au ciel et soufflé en tournant les pages.
Alors que le récit partait bien avec une Présidente des Provinces Unies et quelques femmes dans la société secrète, j’ai dû me rendre à l’évidence : elles sont toutes hyper stéréotypées – évidemment canon et douces, et évidemment à protéger. Même les soldates ! Heureusement, il y a (malgré tout) une certaine égalité de traitement. Car les hommes ne sont pas mieux écrits, et sont cliché en tous points. Particulièrement le personnage principal, un soldat au passé évidemment douloureux et tortueux, forcément hyper-vertueux parce que c’est un mec bien, et plus musclé et badass qu’un bodybuilder allaité aux anabolisants – ce qui lui permet donc d’aller sauver de la gonzesse en boucle. Pfff !

Alors que le récit propose un intéressant mélange de genres et donc de possibilités de retournements, ceux-ci sont soit hyper convenus (et donc peu surprenants), soit arrivent comme un cheveu sur la soupe. Ainsi en est-il de l’identité réelle du protagoniste qui nous est révélée un peu gratuitement : non seulement elle n’apporte rien de palpitant à l’intrigue, mais en plus elle fait très « Gary Stu ». À ce stade, j’avoue que j’ai laissé échapper un petit rire nerveux devant autant de lieux communs !

Ceci étant dit, ce n’est pas le seul épisode à souffrir de ce traitement un peu artificiel. En effet, si l’intrigue est tenue par ce fil rouge de la protection du pays, elle est surtout constituée d’épisodes brefs qui semblent déconnectés les uns des autres et tombent d’un coup, donnant l’impression que c’est un peu gratuit. D’un côté, j’ai apprécié le suspense qui en découlait, mais j’en ai vraiment regretté l’aspect hyper artificiel. En fait, l’auteur ne nous raconte QUE les épisodes vitaux au déroulement de l’intrigue. Vous me direz que c’est un peu la base et c’est ce qui rend le récit efficace, mais celui-ci manque de fait clairement de corps, de profondeur politique, ou même de contexte. Le style n’étant en plus pas toujours folichon, c’était un peu dommage.

En somme, John Etxebeltz signe un roman qui regorge de bonnes idées (sur l’intrigue, le contexte socio-politique), mais dont le récit s’avère à la fois convenu et quelque peu superficiel. Néanmoins, les bonnes idées le sont suffisamment pour faire accrocher à l’intrigue et permettre une lecture assez prenante, pour peu que l’on mette de côté le style pas toujours extraordinaire, et l’absence générale de surprise.

Code Ezkutu : longue portée, John Etxebeltz. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Franck Sallaberry.
Aïtamatxi, mars 2009, 342 p.

Mers mortes, Aurélie Wellenstein.

Les humains ont massacré les mers et les océans. L’eau s’est évaporée ; les animaux sont morts. Quelques années plus tard, les mers et les océans reviennent. Ils déferlent sur le monde sous la forme de marées fantômes et déplacent des vagues de poissons spectraux, tous avides de vengeance. Les fantômes arrachent leurs âmes aux hommes et les dévorent. Bientôt, les humains eux aussi seront éteints… Leur dernier rempart face à la mort : les exorcistes. Caste indispensable à l’humanité, les exorcistes sont bien entendu très convoités. L’un d’eux, Oural, va se faire kidnapper par une bande de pirates qui navigue sur les mers mortes à bord d’un bateau fantôme. Voilà notre héros embarqué de force dans une quête sanglante et obligé, tôt ou tard, de se salir les mains…

Cette année, comme les deux années précédentes, j’ai la chance de participer avec mes collègues de compèt’ au Prix Imaginales des Bibliothécaires ; contrairement aux années précédentes, je vais tâcher de chroniquer ce que je lis, en commençant par Mers mortes (même si en réalité, c’est le deuxième titre que j’ai lu dans le cadre de ce prix ; le premier c’était Chevauche-Brumes).
Malgré l’engouement général autour de ce roman (si j’en crois les multiples nominations qu’il connaît à un tas de prix !), je dois dire que j’en suis ressortie plutôt mitigée.

D’abord, il m’a globalement manqué des éléments pour pleinement profiter de l’intrigue. Celle-ci fait évoluer les personnages dans un environnement aussi hostile qu’aride, puisque l’eau s’est évaporée, ce qui a entraîné la disparition de tous les animaux, notamment des animaux marins. Or, première vraie question : si l’eau s’est évaporée, comment les personnages peuvent-ils survivre ? On parle d’une situation qui dure depuis 10 ans. J’entends bien que l’on nous dit qu’il reste « quelques poches d’eau », mais l’explication n’est pas franchement convaincante (en tout cas, elle ne m’a pas suffi). De même, si l’eau est à ce point rationnée, que mangent les personnages (et les animaux qu’ils croisent ?). Globalement, la végétation est morte, et il est assez difficile d’imaginer ce qu’ils peuvent se mettre sous la dent. Mais on nous parle d’agrumes, de céréales… comment tout cela pousse-t-il ? Comment les personnages s’hydratent-ils ?
Toujours du côté de l’intrigue, j’ai trouvé la conclusion assez brouillonne. Attention, je spoile.
Certes, les personnages parviennent à résoudre le problème qui les occupait. Pourquoi ? Comment ? Mystère. Cette absence totale d’explication m’a clairement frustrée. Je sais pourtant qu’il s’agit d’un roman fantastique, et que c’est le concept du fantastique de ne pas expliquer les tenants et aboutissants. Mais j’aurais aimé un minimum d’explications, un peu plus que « ça marche, parce que c’était supposé marcher ». Ceci étant dit, c’est assez cohérent avec le début du roman : on pose comme pré-requis que l’eau s’est évaporée, mais sans aucune explication. Si elle a disparu, où est-elle passée ? En quoi s’est-elle transformée ? Comment toute cette masse a-t-elle pu disparaître si vite ? Mystère et boule de gomme.

Par ailleurs, difficile pour moi de m’accrocher aux personnages, malgré des idées intéressantes. Oural, le personnage principal, est exorciste. Ce qui signifie qu’à l’aide de ses pouvoirs, il est supposé repousser les marées fantômes. À bord du vaisseau des pirates qui l’ont enlevé, il fait de même. Franchement, ça claque, et il ne fallait pas plus pour faire mon bonheur. Sauf que. Oural est une vraie tête à claques (justement), qui jamais ne change. Ses décisions sont – au mieux – complètement idiotes et le pire, c’est quand même qu’il s’y enlise. Dans ses récits de pensées, il se la joue « mec qui a conscience de ses failles et travaille à s’améliorer », mais ce n’est jamais suivi d’effet, et cette attitude a tendance à m’agacer prodigieusement. Pour ne rien vous cacher, j’ai même souvent souhaité qu’il trépasse. Tout cela combiné a fait que j’ai eu de plus en plus de mal à m’accrocher.

D’autant que si le message est vraiment intéressant, je l’ai malheureusement trouvé hyper moralisateur. A tel point qu’il m’a semblé empiéter complètement sur l’intrigue, au détriment de celle-ci.  Et pourtant, il y a de vrais morceaux de bravoure dans le texte. Au cours de ses – nombreux – cauchemars, Oural rêve qu’il s’incarne dans des animaux marins décimés par la cruauté humaine (au cours de « traditions » inhumaines), par la surpêche, par la pollution, soit par l’effet final de la disparition des eaux. Ces passages, beaucoup plus violents que le reste du roman, s’avèrent aussi beaucoup plus prenants et finalement nettement plus percutants que les discours très moralisateurs de Bengale.

Sentiment mitigé dans cette lecture, donc. Autant j’ai adoré l’idée de départ des marées fantômes combattues par des exorcistes, autant le côté un peu superficiel de l’intrigue, supplantée par un message un peu trop présent – quoique VRAIMENT utile – m’auront fait décrocher. Et pourtant, je le répète, le concept est bien trouvé et s’attaque à un sujet d’envergure, raison pour laquelle je n’ai pas totalement détesté ma lecture. De plus, j’ai trouvé les personnages plutôt bien trouvés (même si j’avais envie de claquer Oural) et l’intrigue narrée dans un style fluide. Difficile de trancher, donc !

Mers mortes, Aurélie Wellenstein. Scrineo, mars 2019.

J’ai lu ce roman à coups de 5 chapitres avec Camille, qui a patiemment supporté mes soupirs !

Si vous avez aimé, vous aimerez peut-être :

Vox, Christina Dalcher.

Jean McClellan est docteure en neurosciences. Elle a passé sa vie dans un laboratoire de recherches, loin des mouvements protestataires qui ont enflammé son pays. Mais, désormais, même si elle le voulait, impossible de s’exprimer : comme toutes les femmes, elle est condamnée à un silence forcé, limitée à un quota de 100 mots par jour. En effet, le nouveau gouvernement en place, constitué d’un groupe fondamentaliste, a décidé d’abattre la figure de la femme moderne. Pourtant, quand le frère du Président fait une attaque, Jean est appelée à la rescousse. La récompense ? La possibilité de s’affranchir – et sa fille avec elle – de son quota de mots. Mais ce qu’elle va découvrir alors qu’elle recouvre la parole pourrait bien la laisser définitivement sans voix…

En regardant les nouveautés à la médiathèque, je suis tombée sur ce titre, en audio. Comme ma dernière lecture audio remonte à facilement 6 ou 7 ans, je me suis dit qu’il était grand temps de réessayer cette méthode — et ce d’autant que je la conseille à tour de bras aux usagers de la bib. L’occasion faisant le larron, j’ai donc emprunté ce titre qui me faisait de l’œil depuis un moment.

Et bien m’en a pris, car j’ai vraiment aimé !
L’enregistrement est de bonne qualité, et Gaëlle Savary, la lectrice, met parfaitement le ton, ce qui rend l’écoute à la fois facile à suivre et hyper prenante (pour ne rien vous cacher, j’ai religieusement écouté sa voix 5 heures d’affilée au premier coup).
Elle parvient à nuancer sa voix afin de différencier légèrement les divers locuteurs, et je ne me suis jamais sentie perdue dans les parties dialoguées (même si certaines voix forcées m’étaient moins agréables que d’autres). Elle parvient également à moduler la différence entre les récits de pensée de la narratrice, Jean, et les parties où elle s’exprime réellement, de façon à ce que ce soit perceptible avant même que la narration ne le précise. Et, évidemment, vu le sujet du livre, cette différenciation est très précieuse !

Le récit embrasse tous les codes de la dystopie. On se situe donc dans une Amérique du XXIe siècle, dont les dérives politiques et religieuses ont poussé le patriarcat à son paroxysme. Désormais, tous les individus de sexe féminin sont équipés d’un compte-mots qui les limite, dans le meilleur des cas, à 100 mots par jour. Au-delà, des décharges électriques de plus en plus puissantes sont dispensées via le bracelet. Jean, la narratrice, a vu la société américaine évoluer vers ce changement, sans jamais rien faire pour s’y opposer, au grand désarroi de son amie Jackie, beaucoup plus impliquée – et désormais internée dans ce qui ressemble à un goulag. De fait, Jean ne fait pas grand-chose pour changer sa condition, celle de sa fille, celle de ses congénères. Elle est plutôt passive devant la situation et découvrira tardivement dans le roman qu’il existait pourtant une résistance (pas seulement menée par des femmes, d’ailleurs !). Et bizarrement, j’ai aimé ce point de vue, aussi passif soit-il. Cela change de ce à quoi je me suis habituée en dystopie !
J’ai trouvé que cela contribait au réalisme du récit. Évidemment, dans une situation similaire, on aimerait sans doute – j’imagine ? – toutes être Katniss. Mais soyons réaliste, pour une Katniss, il y a probablement mille Jean, passives et abasourdies. La bascule et le cheminement parcouru par cette Amérique puritaine et extrémiste semblent si doux et imperceptibles, que l’on imagine sans peine une telle aberration se produire, d’autant que nous sommes dans un contexte où il faut de plus en plus être vigilants sur les droits accordés, ou retirés, aux femmes (entre autres).

Pour être tout à fait honnête, bien que je sois restée suspendue à la voix de Gaëlle Savary, j’ai un peu décroché dans la seconde partie, ce qui me fait penser que si je l’avais lu en papier, j’aurais sans doute expédié certains chapitres. Non pas que ce soit inintéressant, mais dès l’instant où Jean se met dans l’action, j’ai trouvé le récit moins palpitant. Malgré tout, les fins de chapitres sont généralement assez percutantes, ce qui a relancé mon intérêt. Mais je me suis justement dit à plusieurs reprises que mon intérêt tenait sans doute au fait que le texte m’était lu. Malgré cela, le récit se tient et les péripéties sont prenantes jusqu’à la fin, quoiqu’un ou deux développements m’aient semblé un peu faciles – il y a notamment un adjuvant qui se révèle sur la fin, et j’ai trouvé ça un peu trop pratique pour être honnête.

Sans être un coup de cœur, voilà une dystopie portant sur les droits des femmes et l’égalité des sexes, qui gratte un peu aux entournures, et qui m’a bien plu, même si je dois reconnaître que le fait de l’avoir écoutée plutôt que lue y est sans doute pour beaucoup !

Vox, Christina Dalcher. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Michael Belano. Lizzie, 2019, 10h51. Lu par Gaëlle Savary.

Malboire, Camille Leboulanger.

Un coin entre mer et montagne. Une lande, longtemps après un désastre qui a laissé la terre exsangue et toxique. Ses rares habitants vivent les yeux tournés vers le ciel dans l’attente de la pluie, ou vers le sol où la mort les attend. La faute au Temps Vieux dont les traces subsistent encore sous forme de micro-organismes, qui devaient faire pousser le maïs plus vite et plus droit, et de monstres autonomes qui continuent à labourer une terre depuis longtemps désertée par leurs concepteurs. Heureusement, il y a Arsen, qui a gardé des souvenirs, un appétit d’avenir, et surtout un projet : forer le sol pour trouver de l’Eau potable sous la Malboire afin d’échapper au diktat de la pluie. Et il y a surtout Zizare, qu’Arsen a tiré de la Boue et recueilli, tout comme Mivoix, sa compagne. Il leur donne le goût de l’aventure et ne les retient pas lorsqu’ils partent, obnubilés par la rumeur d’un barrage derrière lequel se trouverait une immensité d’Eau… Faire route avec Zizare, c’est entreprendre une quête d’un monde qui se fonde sur la quête des mots, c’est découvrir que géographie physique et géographie psychique se répondent, c’est entendre la leçon d’une fable écologique qui se conjugue pour le lecteur au futur antérieur.

Troisième lecture pour le Prix Imaginales des Bibliothécaires et, à ce stade, mon favori (oui, peut-être même devant L’Enfant de poussière, dont je tarde vraiment à vous rebattre les oreilles).
L’ouverture du roman nous fait découvrir un mangeur de boue (comprenez un presque zombie) qui, doucement, revient à la conscience, dans un monde ravagé par une catastrophe écologique de grande envergure. La nourriture est rare, la terre aride et tout est recouvert d’une boue aussi toxique que nauséabonde, au nom évocateur : la Malboire.
Heureusement, il reste quelques îlots d’humanité, parmi lesquels Arsen, vieil inventeur taciturne que l’on peut penser un peu farfelu, mais qui va prendre Zizare (ainsi qu’il se nommera) sous son aile, afin de l’aider à y voir plus clair.

Je dois avouer que le début du roman m’a laissée quelque peu dubitative : la renaissance de Zizare est un peu longue, et j’avais l’impression d’être parachutée en terre très très inconnue et sans grandes indications. Et pourtant, il ne saurait en être autrement, puisque le premier chapitre voit le personnage reprendre conscience de lui, de ce qui l’entoure, et redécouvrir tout cela. Le flou du départ est donc très bien vu !
Or, une fois passés ces quelques paragraphes de prise de contact, j’ai été ferrée par l’univers – pas encore par l’intrigue, car c’est venu plus tard. Les terres sont arides, désolées, et portent les stigmates d’une agriculture et d’une utilisation intensives. On y croise des cadavres rouillés de monstrueuses machines agricoles, ou l’on évoque à demi-mots des termes que l’on reconnaîtra facilement. J’ai d’ailleurs beaucoup aimé tout ce qui touchait à la langue dans ce roman : il y a des mots perdus, et des périphrases ou de nouveaux mots utilisés pour désigner des objets qui nous sembleraient quotidiens (ou du moins habituels). De même, il y a beaucoup de références à la vie ou au monde d’autrefois, que l’on peut traquer dans le texte. J’ai vraiment aimé me demander régulièrement « Mais est-ce qu’il parle de insérer ici l’objet ou la référence culturelle ? » et tenter de recoller entre eux les morceaux de ce monde à vau-l’eau.
Rapidement, donc, cet aspect du récit et le voyage initiatique de Zizare et Mivoix m’ont littéralement embarquée. L’action n’est pourtant pas si trépidante que cela : il y a une lenteur poétique dans ces page, une façon de prendre son temps qui m’ont littéralement charmée. Cette même poésie décrit à merveille des paysages post-apocalyptiques désolés, dans lesquels il ne fait pas toujours bon traîner.

Car, sans surprise, le propos écologique est ici très fort, sans être moralisateur – très bon point à noter. Pas besoin de démonstration à coups d’arguments massue, les seules descriptions suffisent à faire comprendre l’évidence : ce serait pas mal de ne pas ravager la seule planète disponible, merci. Sincèrement, même si j’ai adoré ce roman, je n’ai pas pu m’empêcher de le lire avec un affreux frisson dans le bas du dos, à la pensée que tout cela quitte progressivement le champ de la science-fiction pour n’être plus que de l’anticipation – mais au sens le plus littéral du terme, puisque cela nous pend au nez. Faut-il pourtant se pendre à la lecture du livre ? Non, car j’ai trouvé qu’il y avait malgré tout une lueur d’espoir dans le récit, sans doute renforcée par le récit laissant de la place à la poésie !

Comme j’ai mis à peu près six mois pour terminer cette chronique, je peux vous le dire maintenant : Malboire faisait partie de mes deux chouchous de la sélection du PIB ! Malgré un début un peu déstabilisant (où, comme Zizare, j’avais l’impression d’être une nouvelle-née !), j’ai vite été embarquée dans l’univers et la quête des personnages. Et ce bien que le fond m’ait littéralement fait froid dans le dos, chaque fois que je reposais le livre, j’avais follement envie de le reprendre pour savoir de quoi il allait retourner. Très belle découverte, donc !

Malboire, Camille Leboulanger. L’Atalante (La Dentelle du Cygne), août 2018, 256 p.

Dry, Neal Shusterman.

Avez-vous déjà eu vraiment soif ?
La sécheresse s’éternise en Californie et le quotidien de chacun s’est transformé en une longue liste d’interdictions : ne pas arroser la pelouse, ne pas remplir sa piscine, limiter les douches…
Jusqu’à ce que les robinets se tarissent pour de bon. La paisible banlieue où vivent Alyssa et sa famille vire alors à la zone de guerre.
Soif et désespoir font se dresser les voisins les uns contre les autres. Le jour où ses parents ne donnent plus signe de vie et où son existence et celle de son petit frère sont menacées, Alyssa va devoir faire de terribles choix pour survivre au moins un jour de plus.

Si vous êtes familiers de ce blog, vous savez déjà que je suis très fan de Neal Shusterman : je ne pouvais donc pas passer à côté de ce roman-ci lorsque j’ai appris sa parution. J’avais un peu peur de l’effet « roman à quatre mains » mais, en fait, c’est très réussi !

Cette fois, pas de série : Dry est un one-shot et, vu le contexte et l’intrigue c’est aussi bien. Dès les premières pages, on sait qu’il n’y a plus d’eau, point de départ angoissant s’il en est (et d’actu). Or, l’info qu’on ignore, comme souvent dans un cas de coupure, c’est la durée de la coupure d’eau. Donc on peut encore espérer et, à l’instar des personnages, c’est ce que l’on fait. Mais, rapidement, il faut se rendre à l’évidence : c’est la panique à tous les niveaux et les aides promises par le gouvernement n’arriveront jamais – ou alors, trop tard. Et c’est là que le roman commence à être terrifiant car, effectivement, si personne n’a d’eau, il faut bien se dire que le gouvernement… n’en a pas non plus. Et c’est assez dur d’admettre que même les secours (sur lesquels on peut normalement se reposer) ne peuvent plus rien pour personne.
Le spectre de la mort par déshydratation plane donc sur le récit. Or, justement, les auteurs excellent à montrer les effets sur le corps du manque d’eau : outre la sensation de soif, on n’ignore rien des crampes, étourdissements et autres hallucinations que ne tardent pas à ressentir les personnages. Ces touches descriptives insufflent rythme et angoisse dans le récit !

Les premiers jours du Tap-Out, elles avaient de l’eau. Sa mère avait arraché un pack des mains de l’une de ses camarades de l’équipe de foot au Costco. « Qui va à la chasse perd sa place, avait lâché sa mère dans la file de la caisse. Que ça lui serve de leçon ! »
Mais il y avait visiblement cinq leçons que sa mère n’avait pas retenues. Comme : « Ne vous lavez pas les cheveux quand vous n’avez que de l’eau en bouteille. » Ou encore : « Ne faites pas de course à pied quand il faut éviter de transpirer. » Et peut-être la plus évidente de toutes : « N’arrosez pas vos plantes ; laissez-les mourir. »
Ce pack d’eau ne leur avait duré que deux jours.

Le récit suit un petit groupe de personnages assez variés : il y a deux adolescents de la banlieue privilégiée, leur voisin survivaliste, une ado des rues plutôt dure à cuire et un jeune garçon doué en affaires (et sans doute un peu mythomane). Les caractères sont donc variés et offrent une belle diversité.
Comme Shusterman en a l’habitude, le récit alterne entre les points de vue internes de ces différents personnages, certains prenant plus d’importance que d’autres. Là encore, le suspense est bien présent, d’autant que l’on s’aperçoit assez vite que leurs intérêts personnels peuvent diverger… voire les mettre en danger. D’ailleurs, il faut signaler que certains, parmi la troupe, sont de vraies têtes à claques et n’en ratent pas une. Non pas qu’ils soient bêtes à manger du foin, mais leur naïveté donne parfois follement envie d’aller leur mettre le pied au séant. Réfléchissez, enfin ! (Et puis ouvrez les yeux, quoi, zut à la fin. Évidemment que tout le monde n’est pas gentil !).

Plus l’intrigue avance, plus la situation se dégrade. Une des parties du roman s’intitule d’ailleurs « Trois jours de l’homme à l’animal » : c’est d’une justesse !! Plus le temps passe, plus les relations humaines se dégradent. Les auteurs montrent alors une variété des réactions extrêmes qui découlent de la situation. Et tout ce que l’on peut en dire, c’est que ce n’est guère engageant… Et en même temps, cela fait vraiment réfléchir car les personnages vivent des dilemmes assez prenants. Tel quartier a de l’eau : faut-il la rationner et la distribuer au prorata des membres de la famille ? Le chien compte-t-il ? Le bébé et les grands-parents, populations fragiles, ne devraient-ils pas avoir plus d’eau ? Et la voisine enceinte, alors ? Et si au terme de la distribution on n’a que 5cL par personne ? Cela fait partie des points qui m’ont fait ressentir ce roman comme particulièrement angoissant : la question est vitale (littéralement), mais difficile à résoudre. D’une part, j’étais donc ravie de ne pas être dans leur situation mais assez gênée, d’autre part, de ne pas trouver de solution satisfaisante (à mes yeux) à cette question. Car comme je l’ai dit au départ, le sujet est vraiment tout d’actualité…
Outre la situation traumatisante que vivent les personnages, il faut aussi compter avec la violence latente. La situation s’envenime, les esprits s’échauffent et certains sont prêts à aller jusqu’au pire pour parvenir à leurs fins. Cela accentue le côté parfois angoissant du roman : non seulement les personnages sont en urgence vitale, mais ils ne peuvent en plus pas vraiment trouver d’aide à côté.

Tandis qu’on s’éloigne du campement, je redescends brutalement sur terre. C’est la même planète que la semaine dernière, et pourtant, comment y croire ? Jamais je n’aurais imaginé que le si parfait Orange County partirait autant en vrille. C’est drôle quand même… Et dire qu’à une époque, je méprisais tant cet endroit que j’en étais venue à souhaiter que Dieu tout-puissant le maudisse, y envoie des sauterelles et des implants mammaires défectueux. Mais à présent que toute la Californie du Sud vit un cauchemar, je suis un peu déçue. Ce n’est pas que je veuille souffrir davantage, mais je suis déçue par les gens – leur faiblesse d’esprit et de caractère. Il aura suffi d’une pénurie d’eau pour tous les transformer en meurtriers barbares. Une chose est sûre, je ne veux pas me retrouver dans le même panier qu’eux.

En cela, le roman est terriblement angoissant (j’ai l’air d’insister, mais vraiment, c’est le cas). Car la situation que décrivent le père et le fils n’est pas si science-fictive. Les ressources en eau ne sont pas éternelles et leur disparition est moins qu’hypothétique. Or, lorsque l’on voit ce qui nous pend au nez et combien cela peut dégénérer… difficile de se sentir serein. Tout cela incite vraiment à réfléchir à sa consommation d’eau. Combien de verres d’eau consommez-vous par jour ? Combien de litres de douche ? Combien de gouttes gaspillées ? C’est un roman qui donne terriblement soif, lorsqu’on pense à la privation. Rien que d’écrire cette chronique et de repenser à ma lecture, j’ai soif.
En même temps, le roman de survie est hyper réussi et prenant. Les chapitres sont courts et assez cinématographiques : il y a juste assez de descriptions des lieux (et de la chaleur écrasante) pour s’y croire et l’action s’enchaîne à bon train. C’est là qu’il convient de préciser que Jarrod Shusterman est scénariste – et ça se sent un peu, tant le rythme est maîtrisé.

Les Shusterman père et fils signent donc un excellent roman apocalyptique, à l’ambiance et au rythme particulièrement prenants. Sans trop y toucher, car le roman est dépourvu de toute volonté moralisatrice, ils incitent aussi chacun à réfléchir à sa consommation d’eau. Et c’est bien le meilleur ! Votre première douche après le roman risque d’avoir une drôle de saveur…

Dry, Jarrod et Neal Shusterman. Traduit de l’anglais par Cécile Ardilly. R. Laffont (R), novembre 2018, 450 p.

Dix jours avant la fin du monde, Manon Fargetton.

France, dans les années 2010. Deux lignes d’explosions frappent et ravagent la Terre. Leur origine en est inconnue, mais lorsque les deux lignes se rejoindront au large de la Bretagne, le monde sera détruit. Alors que les routes sont encombrées de fugitifs tentant vainement d’échapper au cataclysme, six hommes et femmes sont réunis par les aléas du voyage. Ensemble, il leur reste dix jours à vivre avant la fin du monde…

Des fois… ça le fait pas. Et là, clairement, ça l’a pas fait, malgré toutes les bonnes choses que propose le roman.
Assez vite au début, on est plongés dans le bain : des explosions ravagent la Terre, les gens meurent, on ne sait pas ce qu’il se passe et, en gros, tout le monde va y passer. Ambiance apocalyptique soignée ! Le stress, l’angoisse et un terrible sentiment d’inéluctabilité nous assaillent et donnent au début du roman un côté particulièrement prenant.

On découvre quasiment dans la foulée les six personnages qui vont porter l’histoire. Brahim, chauffeur de taxi qui accepte de convoyer tout le monde jusqu’en Bretagne ; Gwenaël, auteur de romans fantastique avec une étrange acuité ; Sara, sa compagne, qui aimerait pouvoir fonder une famille (oui, malgré la situation) ; Valentin, trentenaire un peu paumé qui a dédié sa vie à sa mère ; et Lou-Ann, étudiante en arts, dont les parents sont bloqués au Japon. À l’autre bout de la route, en Bretagne, il y a Béatrice, commandante de police au grand cœur.
Les chapitres, assez courts, alternent entre ces protagonistes, qui ont chacun des objectifs assez différents en tête. Des objectifs très adultes, aussi, entre ceux qui essaient de concevoir un enfant, celui qui tente de trouver sa véritable identité, ou bien ceux qui se demandent si la vie aurait pu leur réserver de belles surprises. On alterne finalement entre des questionnements qui parleront peut-être plus aux lecteurs adultes qu’aux adolescents.
Et c’est peut-être ces questions, justement, qui ont fait que j’ai, peu à peu, décroché. En effet, j’ai eu l’impression que les personnages étaient entièrement contenus dans ces préoccupations, sans réelle existence en-dehors de celles-ci, ce qui m’a semblé parfois un brin réducteur. Pour autant, cela convient parfaitement à l’ambiance : c’est la fin du monde, et j’imagine difficilement comment on peut se concentrer sur autre chose que sur la survie et les questions qui nous taraudent (et qu’on occultait peut-être jusque-là). Par ailleurs, tout cela est bien amené dans le récit, mais induit quelques longueurs difficilement inévitables, qui expliquent sans doute pourquoi, peu à peu, j’ai cessé de me sentir aussi impliquée pour les personnages et leurs pérégrinations.

De plus, le système de double récit ne m’a pas totalement convaincue. L’un des personnages, auteur de son état, est obsédé par le roman qu’il est en train d’écrire et qui se superpose de plus en plus à la réalité, tant il a des fulgurances sur la situation en cours. Or, peu à peu, cela finit par prendre le pas sur le récit en cours et, si le côté science-fictif et allégorique est vraiment bien trouvé, là encore, je me suis de plus en plus sentie étrangère à ce qu’il traversait – et ses camarades avec lui. Le cercle vicieux étant ce qu’il est, j’ai également eu du mal à me sentir impliquée dans ce qu’ils vivaient et plus ça allait… eh bien moins ça allait, justement.
Pour autant, le roman est loin d’être ennuyeux car l’alternance entre les différents personnages et le rappel perpétuel du terrible ultimatum assurent un certain rythme.

Et je dois préciser que si leurs préoccupations personnelles, tout comme le récit parallèle, m’ont plus souvent qu’à leur tour laissée de marbre, j’ai en revanche apprécié le portrait ô combien apocalyptique que tisse Manon Fargetton. Elle explore toutes les facettes de la réaction humaine à l’annonce de la fin du monde, en passant par toutes les approches. Ce qui incite à se demander parmi quelle frange on se rangerait dans une situation similaire… (et bien malin qui parviendrait, d’ores et déjà, à trancher). Et j’ai adoré la fin ! Autant sur le coup il est possible qu’elle m’ait tiré une petite exclamation outrée (façon « Qu’est-ce que *** de QUOI ??! ») autant, tout bien réfléchi, cela ne pouvait pas terminer autrement.

En somme, un récit apocalyptique assez prenant et qui suscite pas mal de questions (tant en cours de lecture qu’à la fin) ; je regrette toutefois de n’y avoir pas été aussi sensible qu’il l’aurait sans doute mérité.

Dix jours avant la fin du monde, Manon Fargetton. Gallimard, 18 octobre 2018, 464 p.

The Scorpion rules #1, Erin Bow.

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La première règle, pour éviter la guerre ? En faire une affaire personnelle… Très personnelle.
Duchesse de Halifax, princesse de la Confédération panpolaire, mais surtout… otage. Je m’appelle Greta Stuart, et ma vie ne tient qu’à un fil. Il y a quatre cents ans, une série de terribles conflits liés au changement climatique a ravagé la planète : guerres, famines, inondations, exodes… Débordées, les autorités ont fait appel à une intelligence artificielle omnisciente pour tenter de mettre un terme au massacre. Mais Talis – c’est son nom – a vite pris son indépendance et le contrôle du monde. Désormais, il garde en otages les fils et filles des grands dirigeants de la planète. À la première déclaration de guerre, les héritiers des deux camps concernés sont froidement exécutés.
Il me reste seize mois à tenir, seize mois avant d’avoir dix-huit ans et de pouvoir quitter le Préceptorat où je suis prisonnière depuis l’âge de cinq ans. Mais l’arrivée d’un nouveau pensionnaire, venu du pays voisin du mien, va tout changer. Elián, qui ne cesse de défier Talis, de mépriser les règles qui régissent notre existence, met nos vies à tous en danger. Malgré tout, son esprit de révolte est contagieux. La résistance serait-elle possible ? Car nous le savons tous : le pays natal d’Elián va forcément finir par déclarer la guerre au mien…

Mais que voilà un roman étrange et intrigant ! L’histoire est centrée autour de Greta, une jeune princesse-otage très – trop ! – consciente de la position délicate dans laquelle elle se trouve. Au début de l’histoire, elle pense mourir assassinée en même temps que le jeune otage américain, leurs deux pays étant en bisbilles. Mais seul Sidney meurt… et se trouve rapidement remplacé par Elián, otage du Cumberland, et forte tête s’il en est. La vie de Greta était déjà menacée, elle ne tient désormais plus qu’à un fil.
Ainsi, le roman place le lecteur sous tension constante, d’autant que l’on s’aperçoit assez vite que les têtes couronnées ne tiennent pas nécessairement à leur progéniture…

Le roman se déroule en quasi-totalité en huis-clos, au sein du Pensionnat, dans une ambiance feutrée vraiment appréciable. Car les jeunes pensionnaires sont – peu ou prou – tenus à l’écart du monde, mais en même constamment baignés dans ces relations internationales ô combien crispées. Ce flot d’informations parfaitement contrôlée permet, évidemment, de garder la main-mise sur eux et de leur rappeler à quel point leur existence et précaire, ce qui contribue grandement au suspens général.
Comme dans tout huis-clos, l’essentiel de l’intrigue repose sur les personnages. Et, curieusement, Greta et Elián ne sont ni les plus intéressants, ni les plus charismatiques. La première est quelque peu torturée, ce qui s’explique par 11 ans de captivité. De fait, elle fait parfois un peu girouette, avec pas mal d’atermoiements et, parfois, des prises de positions qui se contredisent – somme toute, elle est très humaine. Mais, au fil des pages, elle grandit et on se surprend à s’attacher à sa personnalité un peu froide et distante. Elián, de son côté, semble plus fade : c’est un ado rebelle assez classique, sans grande consistance, mais avec un intéressant sens de la répartie. L’opposition entre les deux est intéressante : Greta est partisane de la soumission, Elián de la rébellion et, contrairement aux clichés du genre, c’est plutôt la première qui retient l’attention du lecteur – Elián manquant quelque peu de recul et d’esprit critique, contrairement à Greta qui a une bien meilleure perception des enjeux.

Mais si on ne s’attarde guère sur le jeune premier, c’est parce que les personnages secondaires, eux, sont à la hauteur. Hormis la palme du manichéisme qui revient à la grand-mère d’Elián, les autres rattrapent le coup avec des personnalités équilibrées et intéressantes. Ainsi, l’Abbé, geôlier en chef, déroute. On ne sait s’il est du côté des otages, du côté de Talis, un peu des deux, s’il ment, s’il doute, lui aussi. Et ce questionnement est très réussi – et assez surprenant, de la part d’une intelligence artificielle. L’autre grande IA de l’histoire, c’est Talis, bien sûr, dont le curieux sens de l’humour et de la justice fait placer une atmosphère à la fois grinçante et inquiétante sur le récit.
Mais s’il ne fallait retenir qu’un seul personnage, ce serait Da-Xia, dite Xie, la meilleure amie et cothurne de Greta. Héritière d’un empire – céleste – asiatique, la jeune fille a fait des poses énigmatiques et des décisions très personnelles ses religions – et cela fonctionne merveilleusement. Malheureusement, l’intrigue est telle qu’elle ne laisse pas toujours assez de place aux personnages pour les développer, ce qui nous laisse parfois avec un sentiment de trop peu.

Celle-ci privilégie la politique par rapport aux scènes d’action, ce qui change un peu des dystopies habituelles. Ceci étant, le roman n’est ni lent, ni totalement dépourvu d’adrénaline et de suspens : on se surprend donc à tourner les pages à toute allure à plusieurs reprises ! Là où le roman est original, c’est qu’il mêle des thèmes archi-classiques des dystopies pour adolescents à des péripéties et retournements de situations plus originaux. Ainsi, on n’échappe pas aux tartes à la crème du genre comme la prise de conscience tardive (mais celle-ci est totalement inattendue et surprenante !), le méchant très méchant (mais ce n’est pas forcément celui auquel on pense), ou la traditionnelle romance saupoudrée de triangle amoureux (bien que, dans un cas comme dans l’autre, ça ne se déroule pas du tout comme on aurait pu, au premier abord, l’envisager). Il en résulte, du coup, un curieux mélange de clichés particulièrement communs, tournés de façon originale. Aussi déroutant que surprenant ! Et ce n’est pas l’audacieuse conclusion qui nous ramène sur les sentiers de la banalité ; Erin Bow donne une nouvelle orientation pleine de suspens à son roman.

Alors que la dystopie est un genre qui peine à se renouveler, Erin Bow propose le premier tome étonnant d’un diptyque qui parvient à aligner tous les lieux communs du genre, en les détournant fréquemment. Ainsi, ce premier tome peut parfois sembler ce qu’il y a de plus classique, avant d’exploiter une orientation pour le moins originale. Il en résulte un récit étonnant, prenant à souhait et particulièrement stimulant !

The Scorpion Rules #1, Erin Bow. Traduit de l’anglais par Jean-Baptiste Bernet. Lumen, avril 2016, 407 p.

Faux frère, vrai secret, Olivier Gay.

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Léa menait une vie parfaitement normale entre les cours, les livres et ses amis, mais tout change le jour où elle apprend que des proches de son père sont morts dans un accident de voiture. Leur fils de quinze ans, Mike, devenu orphelin, va emménager sous le même toit qu’elle. Difficile de devoir partager l’appartement familial – et sa salle de bains – avec un parfait inconnu…
Si seulement c’était tout ! Mais il ne connaît pas les codes du lycée, se montre trop parfait pour être honnête et n’a pas peur des brutes que tout le monde fuit.
Léa est bien décidée à découvrir ce que cache son nouveau frère… sinon sa vie va devenir un enfer.

L’histoire débute comme un roman adolescent classique : Léa nous décrit sa vie d’ado lambda, essayant de se fondre dans la masse pour échapper aussi bien à la vigilance des professeurs que des petites brutes du lycée. Parallèlement, elle espère secrètement que son père, bourreau de travail, fera enfin l’effort de passer plus de temps à la maison. Or, en quelques chapitres, la voilà exaucée et flanquée d’un frère adoptif pour le moins étrange.
Dès l’arrivée de Mike, Olivier Gay instaure un climat lourd de tension : certes, Mike est l’archétype du gendre parfait, mais le personnage comporte trop de failles pour être totalement honnête (on se demande d’ailleurs vraiment, dans un premier temps, d’où il peut bien sortir). De plus, on sombre presque immédiatement dans un roman bourré d’adrénaline et fleurant bon l’espionnage à plein nez : courses-poursuites, scènes d’action musclées et intenses réflexions sont donc au programme.

À partir de là, les péripéties s’enchaînent à bon train, ne laissant aucun répit ni aux personnages, ni au lecteur. L’histoire va donc assez vite – peut-être même un poil trop, par moments. L’avantage, c’est que le récit ne souffre d’aucune longueur !
Rapidement, on se doute de ce que peut bien être le secret de Mike, mais l’aventure n’en reste pas moins prenante car les opposants ne tardent pas à s’accumuler, sans que leurs motivations soient toujours bien claires.

Les personnages sont, eux aussi, passionnants. Si Léa est une ado plus que banale, Mike, atypique à souhait, est bien plus intéressant. Mieux, c’est même l’un des opposants de Léa et Mike, Maxime, qui s’avère être le personnage présentant le plus d’aspérités – comme quoi, on peut être le bad guy du lot sans être totalement archétypal. Et c’est intéressant de voir que Léa n’est ni le personnage le plus puissant, ni le plus intéressant du tas ; cela change des canons du genre. Le cocktail de personnages est donc vraiment réussi !

L’histoire est, par ailleurs, portée par le style enlevé et plein d’humour d’Olivier Gay, qui multiplie les références à la culture pop ou à la littérature jeunesse (y compris à ses propres romans). Le ton se marie à merveille au récit et contribue à donner l’impression qu’il est trop court – car c’est avec un goût de trop-peu que l’on referme ce roman.

Faux frère, vrai secret est donc un one-shot particulièrement prenant. L’anticipation mâtinée de thriller fonctionne à plein, portée qu’elle est par un style léger et plein d’humour. Un roman qui se lit certes un peu vite, mais qui offre un très bon moment !

Faux frère, vrai secret, Olivier Gay. Castelmore, novembre 2016, 282 p.

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