Du roi je serai l’assassin, Jean-Laurent Del Socorro.

Andalousie, XVIe siècle. Sinan est un Morisque, un musulman converti au catholicisme. Il grandit avec ses deux sœurs, Rufaida sa jumelle, et Sahar la petite dernière, à Grenade, dans une Espagne réunifiée et catholique sous le règne de Charles Quint. Pour échapper à l’Inquisition qui sévit à Grenade, Sinan et Rufaida, les deux aînés de la fratrie, sont envoyés par leur famille à Montpellier, où ils suivront des études de médecine. Mais les deux enfants tombent dans une France embrasée par les guerres de religion.

J’avais beaucoup aimé Royaume de vent et de colères donc je n’ai pas tardé à acheter Du roi je serai l’assassin à sa sortie (même s’il a carrément traîné dans la PAL). Chronologiquement, ce récit se déroule avant celui de Royaume de vent et de colères, et ils sont indépendants, mais si vous souhaitez lire les deux, je recommanderai quand même de les lire dans l’ordre de parution pour bien tout saisir !

Je ne me rappelais pas, dans le précédent opus, que la narration était faite à la première personne et au présent de l’indicatif, ce qui généralement a tendance à me rebuter. Il m’a donc fallu quelques chapitres pour m’y remettre – l’auteur ayant une plume ciselée et fluide, cela s’est heureusement fait sans mal !
Le roman se découpe en trois grandes parties : la première est consacrée à l’enfance de Sinan et Rufaida, à Grenade ; la deuxième à leurs études montpelliéraines ; la troisième nous emmène, bien plus tard, à Marseille – et je n’en parlerai pas trop pour ne rien divulgâcher.

Alors évidemment, avec un roman qui débute en Andalousie au XVIe siècle, terre de persécutions, et qui se poursuit pendant les guerres de Religion en France, je m’attendais à une ambiance un peu sombre. Je ne m’attendais en revanche pas à ce que cette ambiance sombre et poisseuse s’invite dès les premiers chapitres et investisse l’enfance des personnages ! Ceux-ci vivent sous la coupe d’un père violent et autoritaire, que sa femme complètement effacée laisse faire. Les coups et les brimades pleuvent, personne ne s’en offusque, et il se dégage du récit une ambiance particulièrement morose.
Cela semble s’arranger à l’adolescence de Sinan et Rufaida, qui rejoignent Montpellier pour embrasser des études médicales. Sauf que… non seulement les jumeaux tombent en pleines guerres de Religion, mais Rufaida découvre en outre que jamais elle n’aura accès aux mêmes droits estudiantins que son frère, en raison de son sexe. De fait, la violence imprègne tout le récit et, côté bonne ambiance, on reste dans la même veine.
De la troisième partie, je dirai seulement qu’elle marque une rupture franche et audacieuse dans la narration et qu’elle fait appel aux événements narrés dans Royaume de vent et de colères (d’où ma recommandation d’ordre de lecture). Toutefois, si ce n’est pas lu, vous ne manquerez rien du récit présent, et cela vous donnera envie de découvrir l’autre pour combler les trous !

Comme dans d’autres romans de l’auteur, la précision historique du récit est admirable. Que ce soit dans les descriptions de paysages, des mœurs, ou dans les péripéties, on s’y croirait à chaque instant. L’élément fantasy m’a semblé assez lointain : la quête de la Pierre du Dragon et de l’art des Artbonniers est bien en tête des objectifs des jumeaux, mais ce n’est finalement pas ce qui occupe la majeure partie du récit. Dans la mesure où celui-ci est déjà très complet, le fait que la quête soit plutôt là en toile de fond ne m’a nullement gênée ! J’étais bien trop occupée à me demander comment les personnages allaient se tirer des divers guêpiers dans lesquels ils étaient fourrés.
Car le récit est particulièrement prenant. Qu’il s’agisse des stratagèmes pour oublier la colère paternelle, des fêtes et découvertes estudiantines, ou de la révolte contre les lois chrétiennes, il est difficile de s’ennuyer tant l’intrigue est palpitante. Ce n’est pas tellement que ce soit truffé de scènes d’actions trépidantes (sauf sur la fin), mais la tension constante qu’instille l’auteur instaure un rythme plus que confortable. Et il fallait bien ce rythme soutenu, je pense, pour absorber la violence et la noirceur des thèmes traités, puisqu’il est ici essentiellement question de violences, maltraitance, deuil, rejet ou acceptation de l’autre, le tout exacerbé par les différences de culture et/ou de religion. Et si j’ai lu le roman d’une traite, ce n’est pas une lecture que je recommande en période de déprime !

En bref, j’ai passé un très bon moment avec Du roi je serai l’assassin, qui propose un récit dramatique, mais particulièrement prenant. La plume ciselée et élégante de l’auteur contribue à rendre le récit hautement immersif, tout en évoquant avec une certaine délicatesse (quoique sans fards) des sujets de société. De fait, bien qu’il s’agisse d’un roman historique, on trouve dans le récit un écho très fort à l’actualité, puisque les guerres de religion, la violence, le sexisme et le racisme sont au cœur du récit. La touche fantasy étant assez ténue, j’ai bien envie de recommander ce titre, non seulement aux amateurs, mais aussi à des lecteurs qui lisent peu ou pas de fantasy, car cela pourrait être une bonne porte d’entrée !

Dans le même univers : Royaume de vent et de colères ;

Du roi je serai l’assassin, Jean-Laurent Del Socorro. Actusf, avril 2021, 368 p.

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