84k, Claire North.

Théo Miller connaît la valeur de la vie humaine – jusqu’au dernier centime.
Au Bureau d’audit des crimes, son rôle consiste à évaluer chaque dossier qui lui est confié et à s’assurer que les criminels paient intégralement leur dette à la société. Mais lorsque son amour d’enfance est assassinée, tout change.

Il y a deux ans, j’avais beaucoup aimé La soudaine apparition de Hope Arden de Claire North, donc je dois dire que son 84K m’intriguait grandement.
Comme dans le titre précédent, l’autrice nous embarque dans une dystopie, ambiance sécurité et finances poussées à leur paroxysme.
L’histoire se déroule dans une Angleterre un peu futuriste (mais peut-être pas si lointaine que cela ?), dans laquelle tout, absolument tout se paie, et ce depuis que la société toute entière est gérée par la Compagnie, une compagnie d’investissement qui, peu à peu, a racheté la totalité du pays, services publics inclus. Pour tout privatiser, évidemment !
Pour la sécurité des citoyens et au nom de la lutte contre le terrorisme, les droits de l’homme ont été abolis. Chaque service se monnaie. Un appel au secours ? Ils se déplaceront si vous payez un forfait premium. La voie rapide au lieu des petites routes de campagne défoncées ? Avec l’abonnement autoroutier, sans aucun problème. Vous avez commis un délit ? Pas de panique. Vraiment pas. Car le Bureau d’Audit des crimes a l’habitude de chiffrer le montant de chaque crime, chaque délit. Tarifs revus à la baisse en fonction de votre profil de citoyen… et de celui de la victime : celle-ci était-elle court vêtue ? Son assurance était-elle à jour ? Faisait-elle partie d’une population considérée à risques ? Bref, tout a un prix, y compris – et surtout – la vie humaine – et celle-ci coûte vraiment moins cher quand on est déjà riche et puissant. Délicieux, n’est-ce pas ?

Dans ce charmant contexte, le récit mêle trois arcs narratifs, chacun correspondant à une temporalité différente. Il y a le (lointain) passé de Théo Miller, sa vie au Bureau d’audit des crimes (passée mais un brin plus proche) et le présent, alors qu’il a été blessé dans de mystérieuses circonstances et recueilli par une inconnue qui vit à bord d’une péniche. Et contrairement aux classiques du genre lorsque trois époques se mélangent, il n’y pas d’alternance narrative stricte. Non : l’autrice raconte plutôt les trois époques en même temps. On passe donc d’un Théo Miller à l’autre, et cela se passe parfois au sein de la même phrase. Le style, de fait, est très percutant. Phrases laissées en suspens, personnages qui répètent en boucle les mêmes mots, voire les mêmes phrases (à la suite !), qui alignent des mots les uns derrière les autres dans des accumulations qui, au premier abord, n’ont ni queue ni tête (car on est vraiment dans l’imitation du flot de pensée), mais qui, à terme, finissent par faire sens. Bref : il peut être difficile d’entrer dans le récit car le style et le mode narratif peuvent sembler au premier abord un peu hermétiques. Après un petit temps d’adaptation, cela se lit plus fluidement ! Et si vous avez lu La soudaine apparition de Hope Arden, vous ne serez pas franchement dépayé.e.s, car les procédés stylistiques y sont similaires.

En bref, Claire North signe une dystopie en tous points glaçante : la dérive du système entièrement privatisé fait particulièrement peur, et ce d’autant qu’elle semble particulièrement proche. Autre point terrifiant : l’inertie qui semble tenir toute la société, les employés exécutant, les puissants continuant à terroriser les plus faibles, le reste subissant la situation. Flippant à tous points de vue.
De fait, le récit est particulièrement sombre, et je dois dire que c’est l’originalité de la plume qui le rend moins plombant qu’il n’y paraît (pour peu qu’on y adhère). Bref, une dystopie originale et particulièrement réussie !

84K, Claire North. Traduit de l’anglais par Annaïg Houesnard.
Bragelonne, réédition septembre 2022, 550 p.

Et voilà qui valide la catégorie Nakatomi Tower du Cold Winter Challenge !

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2 commentaires sur “84k, Claire North.

  1. belykhalil dit :

    J’ai adoré l’histoire de Hope que j’avais découvert pendant le confinement en version audio. Ta critique me donne envie de foncer les yeux fermés sur ce nouveau roman. Merci.

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    • Sia dit :

      Tu viendras me dire ce que tu en as pensé, si tu le lis ? Je l’ai trouvé un poil plus dur à suivre que La soudaine apparition à cause des arcs narratifs mélangés, mais sinon, chouette lecture !

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