Le Monde de Julia, Ugo Bellagamba & Jean Baret.


C’est le chaos. Partout. Depuis des années, l’humanité exsangue, à la suite de bouleversements climatiques et sociaux, est réduite à une population congrue. Réunie en tribus aux règles tirées de romans, de séries ou de films, elle tente de refaire société au prix de conflits sanglants entre les clans. Protégée des affres du monde, Julia vit loin, perdue dans la montagne. Sa vie n’est faite que de dessins et d’enseignements prodigués par Roland-17, son tuteur. Quand ce dernier, au bout de ses réserves énergétiques, s’éteint, Julia se retrouve seule et décide de partir à la recherche de ses parents. Commence alors un voyage philosophique pour Julia et un faucon mystérieux qui l’accompagnera et l’initiera a l’esprit des lois pendant qu’un groupe de chercheurs tente des expériences pour comprendre et dessiner ce qui constituera la première pierre d’une société parfaite.

Je suis arrivée par hasard à ce roman, qui a eu le bon goût de tomber sur ma PAL de boulot (dont vous avez compris, je pense, qu’il s’agit de lectures imposées et que je ne choisis pas !). Et quelle découverte !

Je n’avais pas lu le résumé donc j’ai plusieurs fois été surprise par le tour que prenait l’histoire. Le début nous entraîne dans une ambiance assez douce, sereine, très bucolique. Si ce n’était la fin du monde mentionnée de-ci de-là, on se croirait en pleine robinsonnade.
Le récit, de fait, suit alternativement Julia (environ 10 ans au début du récit), qui vit avec Roland-17, son robot de compagnie, et Darius, un personnage issu du Laboratoire, une faction souterraine. Car si le quotidien de Julia est fait de sorties au grand air, de cours dispensés par Roland et, globalement, d’une grande solitude, elle n’est pas totalement seule au monde.
Ailleurs, ce qui a survécu d’humanité vit en clans dont chacun répond à des règles précises, toutes tirées d’objets culturels de notre époque (romans, films, jeux vidéo, etc.). La mention de ces règles se fait soit dans le texte, soit en citant l’œuvre d’origine. On y trouve, en vrac, Fight Club (Chuck Palahniuk), Terra Ignota (Ada Palmer), Fallout (Black Isles Studio), Brazil (Terry Gilliam), Metro 2033 (Dmitry Glukhovsky) ou encore THX 1138 (George Lucas). Cela crée une grande intertextualité avec les grands classiques de la SF et de l’anticipation et j’ai beaucoup aimé chercher de quel titre il était exactement question. Point bonus : cela m’a donné envie de découvrir les œuvres que je ne connaissais pas !
Évidemment, aucune de ces règles n’a réussi à créer un gouvernement idéal, et injustice et intolérance règnent en maîtresse dans ces groupuscules. On a l’impression de passer de dystopie en dystopie. En même temps, le choix de certaines règles par rapport à d’autres est suffisamment ridicule pour conjuguer humour et désespoir des situations.

Le récit bascule au moment où Julia se retrouve seule : ce retournement de situation intervient vers le premier tiers du livre, mais je dois dire que je m’y attendais dès le début ! La longévité du robot semblait trop belle pour être vraie…
De là, elle décide de partir. Vers où ? Elle-même l’ignore, c’est un véritable voyage initiatique dans lequel elle se lance. Parallèlement, le Laboratoire envoie une seconde expédition à la surface. Cette partie est, dans un premier temps, plus mystérieuse, les deux personnages envoyés en mission travaillant sur leurs projets respectifs, aussi complexes que secrets – on découvrira plus tard dans le récit de quoi il retourne.
Le voyage initiatique de Julia est alors ponctué d’une étrange découverte : celle du Baron, ou l’esprit incarné de Montesquieu, qui va certes la tirer de situations très périlleuses, mais va aussi et surtout l’initier à la philosophie et au droit, notamment via De l’esprit des lois. A partir de là, les deux personnages se lancent dans des débats philosophiques et juridiques passionnants, opposant les thèses de différents philosophes les unes aux autres afin d’en éprouver les limites et les caractéristiques. J’aurais adoré lire ce roman en terminale ou juste après le bac, tant il permet de saisir parfaitement les concepts énoncés. Cerise sur le gâteau : c’est très bien écrit, fluide à souhait, et on ne sent pas la « leçon de philo ». Le texte pousse plutôt à réfléchir, à éprouver soi-même les concepts et à réellement se poser la question centrale : que faut-il pour faire un bon gouvernement ? Une question qui, de nos jours, mérite d’être posée et de se voir accorder quelques minutes d’attention ! Le récit est court, mais j’ai trouvé qu’il favorisait parfaitement la réflexion, en exposant simplement les concepts sur lesquels il s’appuie.

Car il faut dire que les deux auteurs s’y entendent pour rythmer le récit : l’alternance des deux récits, des péripéties, rend le tout particulièrement prenant. Dans la mesure où je trouvais que le début avec un petit côté « vie sauvage », l’arrivée du Baron m’a fait me demander si Julia n’était pas, tout simplement, en train de perdre la boule. Mais tout, en fait, sert la construction du récit et la chute finale, que j’ai trouvée parfaitement amenée. Vraiment, c’était une excellente découverte !

Je n’avais encore jamais lu de roman d’Ugo Bellagamba, ni de Jean Baret. Une chose est sûre, cette fructueuse collaboration me donne très envie, d’une part, d’en lire une autre et, d’autre part, de me pencher sur leurs œuvres respectives. Ils parviennent à mêler à la perfection science-fiction, anticipation, philosophie pour générer de passionnantes réflexions. Le tout sans que l’on se sente guidé, ou que l’on sente de trop la leçon de philo. C’est brillant !

Le Monde de Julia, Ugo Bellagamba & Jean Baret. Mü, 12 avril 2023, 224 p.


Ce qui naît des abysses, Confluence #1, Sylvie Poulain.

XXIVe siècle. Après l’emballement climatique et l’effondrement de la civilisation terrestre, les rescapés tentent de se réinventer sous l’eau au sein de cités sous-marines interdépendantes. Hélas, les vieilles tares de l’humanité ont plongé avec elle…
En Atlantique Nord, la belliqueuse Atlantis flirte avec les limites de son mandat de protection, poussée par l’IA qui la dirige, tandis que les cargos sous-marins de la Hanse participent à de dangereux jeux d’influence. Les tensions se cristallisent autour de Providence, une mystérieuse colonie abyssale refusant de se soumettre.
Alors qu’une invasion tourne au désastre et que les secrets de Providence échappent aux Atlantes, un sous-officier, Wolf Douglas, découvre une jeune survivante nommée Jihane, qui ne ressemble à rien de ce qu’il connaît. Malgré tout ce qui les sépare, Wolf et Jihane sont forcés de coopérer pour survivre aux abysses, pendant qu’un sous-marin hanséatique s’efforce de récupérer les miettes du conflit.
Pris dans un jeu de pouvoir qui les dépasse, le militaire et l’adolescente doivent bientôt faire des choix lourds de conséquences…

Le résumé du premier tome de cette trilogie m’emballait beaucoup et, une fois tournée la dernière page, je ressors conquise de cette lecture !
Sylvie Poulain nous entraîne dans un univers post-apocalyptique différent de ce que j’ai pu lire jusque-là : la Terre étant ravagée, ce qu’il reste de l’humanité évolue essentiellement sous les eaux. Or, cela commence assez mal, puisque la flotte d’Atlantis, armée jusqu’aux dents, est déployée pour un assaut sauvage sur l’ancienne station de Providence, pendant qu’un sous-marin de La Hanse se charge de faire l’observateur – presque – neutre, dans son propre sous-marin.
Vous l’aurez compris : l’autrice nous sert une ambiance SF militaire mâtinée de post-apo, le tout dans un décor abyssal du plus bel effet, suffisamment original pour me donner l’impression, en sus, d’être en plein planet-opéra !

La narration alterne, de façon assez classique, entre les points de vue à bord du sous-marin atlante, du sous-marin hanséatique, et de la station de Providence (auquel vont s’ajouter ensuite d’autres personnages) : on saute d’un acteur à l’autre, embrassant les ambitions et préjugés des uns et des autres. Un procédé classique certes, mais qui a fait ses preuves et fonctionne ici à merveille.
De fait, avec ce système, on suit de nombreux personnages et, l’intrigue débutant vraiment in medias res, j’ai eu un peu de mal au début à comprendre d’une part les enjeux et, d’autre part, qui était avec qui. En même temps, c’est ce qui rend le début si prenant, donc je me suis laissée guider le temps de deux ou trois chapitres avant d’y voir plus clair ! Et quels chapitres !
Assez vite, l’autrice pose les enjeux, installe une tension palpable et nous donne à voir un univers aux décors pour le moins dépaysants – et très salés. J’ai beaucoup aimé la façon dont enjeux techniques et politiques s’entremêlaient, et la géopolitique qu’elle a inventée pour les biens du récit. Post-apo oblige, l’ordre mondial a été bouleversé et on raisonne en zones plus qu’en pays. Toutefois, le concept de la nation « neutre » a été conservé, avec La Hanse, réseau commercial qui se charge de relier les zones entre elles et assure le transport des denrées d’un bord à l’autre. Évidemment, plus on avance, plus l’intrigue remet en question cette neutralité un brin utopique.
Le récit repose de fait sur une construction d’univers très sérieusement menée, ce qui fait que j’ai hautement apprécié cette lecture. D’ailleurs il y a quelques scènes absolument incroyables dans les abysses, et qui pour certaines m’ont donné la chair de poule, tout en réduisant clairement mes velléités de plongée !

J’ai trouvé que, en filigrane, Ce qui naît des abysses parlait en fait vraiment bien de notre univers. Évidemment, l’histoire débute car le réchauffement climatique n’a pas été enrayé et que l’humanité subit des conséquences désastreuses. Mais ce n’est pas tout !
Au fil des chapitres, l’autrice interroge avec pertinence notre dépendance à l’IA et la toute-puissance de celle-ci. Un sujet vraiment brûlant d’actualité et qui m’a fait froid dans le dos (comme à chaque fois ou presque que je suis confrontée à une IA romanesque !) tant les dérives sont ici bien exploitées. Mais il y a aussi toute une réflexion sur la dualité collectif (la façon dont vit Providence) et individuel (les autres modèles). Différents modèles de survie et philosophiques s’opposent et c’est vraiment passionnant – d’autant que si chacun est présenté comme idéal, on s’aperçoit que chaque système a ses défaut, voire peut virer à la dystopie à tout moment.

L’intrigue est également soutenue par un rythme que j’ai trouvé vraiment prenant. Il y a bien sûr toutes les scènes dans les abysses, où il est question de manque d’oxygène, de batailles navales rangées ou de lutte contre l’environnement (et ses grosses bestioles en goguette) et qui tiennent en haleine. Mais pas que ! La cohabitation entre les différents membres d’équipage dans le sous-marin de la Hanse est vraiment bien mise en scène. De plus, l’autrice a creusé le passé de la plupart des personnages (pas tous, mais ça viendra peut-être dans la suite). D’une part, cela m’a rappelé l’excellentissime L’Espace d’un an de Becky Chambers. D’autre part, cela assure un certain nombre d’arcs narratifs secondaires bien menés et qui pimentent idéalement l’intrigue (notamment avec un brin d’espionnage qui débouche sur des réflexions sociétales, lesquelles complètent parfaitement le panorama du roman). Les chapitres courts, l’équilibre des scènes d’action, contribuent aussi au fait que le roman se lit aussi vite que bien – et que j’ai maintenant diablement envie d’en savoir plus !

Bref, avec ce premier de tome de Confluence, Sylvie Poulain fait du neuf avec du vieux, et le fait bien. Le vieux, c’est l’univers terrien, que l’on connaît bien et qui permet d’emblée une immersion en eaux profondes. Le neuf, c’est cette dystopie qui va piocher à différents râteliers pour aérer quelque peu un genre qui commence à être vu et revu. De fait, Ce qui naît des abysses tient aussi du space opera dans un planet opera, lorgne clairement vers la SF militaire, tout en s’autorisant un crochet vers le cyberpunk et les réflexions plus sociétales auxquelles la dystopie nous a habitués. C’est dense pour un premier tome, mais en même temps cela crée des bases solides pour avancer par la suite – que j’ai d’ores et déjà hâte de découvrir !

Confluence #1, Ce qui naît des abysses, Sylvie Poulain. Bragelonne, 1er février 2023, 544 p.

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Lettre P !

84k, Claire North.

Théo Miller connaît la valeur de la vie humaine – jusqu’au dernier centime.
Au Bureau d’audit des crimes, son rôle consiste à évaluer chaque dossier qui lui est confié et à s’assurer que les criminels paient intégralement leur dette à la société. Mais lorsque son amour d’enfance est assassinée, tout change.

Il y a deux ans, j’avais beaucoup aimé La soudaine apparition de Hope Arden de Claire North, donc je dois dire que son 84K m’intriguait grandement.
Comme dans le titre précédent, l’autrice nous embarque dans une dystopie, ambiance sécurité et finances poussées à leur paroxysme.
L’histoire se déroule dans une Angleterre un peu futuriste (mais peut-être pas si lointaine que cela ?), dans laquelle tout, absolument tout se paie, et ce depuis que la société toute entière est gérée par la Compagnie, une compagnie d’investissement qui, peu à peu, a racheté la totalité du pays, services publics inclus. Pour tout privatiser, évidemment !
Pour la sécurité des citoyens et au nom de la lutte contre le terrorisme, les droits de l’homme ont été abolis. Chaque service se monnaie. Un appel au secours ? Ils se déplaceront si vous payez un forfait premium. La voie rapide au lieu des petites routes de campagne défoncées ? Avec l’abonnement autoroutier, sans aucun problème. Vous avez commis un délit ? Pas de panique. Vraiment pas. Car le Bureau d’Audit des crimes a l’habitude de chiffrer le montant de chaque crime, chaque délit. Tarifs revus à la baisse en fonction de votre profil de citoyen… et de celui de la victime : celle-ci était-elle court vêtue ? Son assurance était-elle à jour ? Faisait-elle partie d’une population considérée à risques ? Bref, tout a un prix, y compris – et surtout – la vie humaine – et celle-ci coûte vraiment moins cher quand on est déjà riche et puissant. Délicieux, n’est-ce pas ?

Dans ce charmant contexte, le récit mêle trois arcs narratifs, chacun correspondant à une temporalité différente. Il y a le (lointain) passé de Théo Miller, sa vie au Bureau d’audit des crimes (passée mais un brin plus proche) et le présent, alors qu’il a été blessé dans de mystérieuses circonstances et recueilli par une inconnue qui vit à bord d’une péniche. Et contrairement aux classiques du genre lorsque trois époques se mélangent, il n’y pas d’alternance narrative stricte. Non : l’autrice raconte plutôt les trois époques en même temps. On passe donc d’un Théo Miller à l’autre, et cela se passe parfois au sein de la même phrase. Le style, de fait, est très percutant. Phrases laissées en suspens, personnages qui répètent en boucle les mêmes mots, voire les mêmes phrases (à la suite !), qui alignent des mots les uns derrière les autres dans des accumulations qui, au premier abord, n’ont ni queue ni tête (car on est vraiment dans l’imitation du flot de pensée), mais qui, à terme, finissent par faire sens. Bref : il peut être difficile d’entrer dans le récit car le style et le mode narratif peuvent sembler au premier abord un peu hermétiques. Après un petit temps d’adaptation, cela se lit plus fluidement ! Et si vous avez lu La soudaine apparition de Hope Arden, vous ne serez pas franchement dépayé.e.s, car les procédés stylistiques y sont similaires.

En bref, Claire North signe une dystopie en tous points glaçante : la dérive du système entièrement privatisé fait particulièrement peur, et ce d’autant qu’elle semble particulièrement proche. Autre point terrifiant : l’inertie qui semble tenir toute la société, les employés exécutant, les puissants continuant à terroriser les plus faibles, le reste subissant la situation. Flippant à tous points de vue.
De fait, le récit est particulièrement sombre, et je dois dire que c’est l’originalité de la plume qui le rend moins plombant qu’il n’y paraît (pour peu qu’on y adhère). Bref, une dystopie originale et particulièrement réussie !

84K, Claire North. Traduit de l’anglais par Annaïg Houesnard.
Bragelonne, réédition septembre 2022, 550 p.

Et voilà qui valide la catégorie Nakatomi Tower du Cold Winter Challenge !

Robustia, Betty Piccioli.

Robustia. Une cité où chaque métal correspond à une position sociale. Où le combat peut vous élever dans la société.
Biann, conseillère d’Électrum, vient tout juste d’acquérir ce statut prestigieux en s’illustrant lors d’un tournoi. Mais la maladie qui la ronge à chaque cycle pourrait bien mettre un terme à sa carrière…
Kalel, conseiller d’Airain, se ne se remet pas d’avoir perdu sa position d’Électrum. Aveuglé par la rage, il est prêt à tout pour récupérer son pouvoir, jusqu’à se perdre lui-même…
Aequo, ancien habitant du royaume de Chromatopia, a entamé un long voyage loin de sa cité pour fuir ses démons. Jusqu’au jour où ses pas le conduisent face aux remparts de Robustia…
Ils ne le savent pas encore, mais leur rencontre pourrait bien sceller le sort des deux cités à jama
is.

J’avais été séduite par Chromatopia, dont le récit se déroule dans le même univers, donc j’étais assez curieuse de lire Robustia – qui peut se lire indépendamment. Si vous n’avez pas lu le précédent récit, pas de panique : les événements qui s’y déroulent et les enjeux qui en découlent sont largement rappelés dans le cours du texte (d’ailleurs, s’ils peuvent se lire indépendamment, je recommanderais quand même de commencer par Chromatopia, sans quoi vous risquez de vous divulgâcher complètement cette lecture !).

On découvre donc une autre cité au fonctionnement basé sur des castes, cette fois identifiées par des métaux. Pas de déterminisme ici, puisqu’il est tout à fait possible de changer de caste (vers le haut ou le bas), à l’occasion du tournoi guerrier annuel de la cité : la caste est déterminée par les résultats au combat de chacun.
C’est sur ce tournoi que s’ouvre justement l’histoire, tournoi dans lequel Biann va s’illustrer, et passer Conseillère d’Électrum, soit le plus haut rang qui soit – ce qui, au passage, lui attire la profonde inimitié de Kalel, qu’elle détrône sauvagement. Cette amertume va amener le jeune homme à des décisions politiques pas toujours très judicieuses, qui visent essentiellement à mettre son adversaire en difficulté et ce au détriment d’une politique fine. Troisième personnage : Aequo, qui a quitté Chromatopia à la fin de l’opus précédent et arrive à Robustia en qualité de touriste. La narration chorale va donc sauter de l’un à l’autre, dans une chronologie pas toujours linéaire (quelques petits retours dans le temps), ce qui nous donnera un aperçu assez global de la situation.

Les voix des personnages sont assez similaires, mais l’en-tête des chapitres et leurs préoccupations respectives permettent de toujours s’y retrouver. Comme dans l’opus précédent, j’ai apprécié leur diversité. Mais ce que j’ai trouvé hautement original, c’est que Biann souffre manifestement d’endométriose, un mal qui lui provoque des crises terribles et risque de mettre à mal sa position dans la cité – puisqu’on n’accepte pas la faiblesse, sous quelque forme que ce soit, à Robustia. Non seulement cette maladie est la source de quelques péripéties très prenantes, mais en plus de cela elle permet d’amener toute une réflexion sur le validisme de cette société, et le bien-fondé (ou non) à reléguer les « faibles » dans un quartier spécifique. En plus de cela, c’est assez rare de voir ce thème en littérature jeunesse, surtout traité ainsi, donc j’ai d’autant plus apprécié. J’ai simplement regretté qu’il semble s’amenuiser sur la fin (ceci étant dit, il se passe bien assez de choses sur la fin comme cela).
Chacun des personnages porte ses enjeux personnels et ses opinions. Je dois dire que celui que j’ai trouvé le plus intéressant à suivre est, finalement, Kalel, dont on suit l’aveuglement et l’entêtement qui mène aux pires décisions – tant politiques que personnelles. Je l’ai trouvé vraiment bien écrit, ce que je tiens à souligner, car je n’apprécie pas généralement les personnages sans nuances !

Ce qui peut sembler assez étonnant, c’est que le roman n’est pas tant bourré de scènes d’actions. Il y a évidemment des scènes de combat assez spectaculaires, de chasse ou de guerre, mais toute la tension réside plutôt dans les complots politiques qui agitent Robustia et dans lesquels les personnages sont pris. Les complots, et aussi les relations extérieures, notamment avec Chromatopia : il est beaucoup question de commerce, de géopolitique et des relations qu’entretient Robustia avec les cités alentours, ce qui m’a un peu surprise, car je m’attendais, vu le contexte guerrier, à de la baston en continu !

Chromatopia était une bonne découverte, Robustia l’a également été. L’intrigue, truffée de complots, est portée par un style fluide et entraînant qui rend la lecture difficile à arrêter. A lire si vous voulez faire une incursion en fantasy dystopique !

Dans le même univers : Chromatopia.

Robustia, Betty Piccioli. Scrinéo, 25 août 2022, 416 p.

La Longue nuit, David Moitet.

Mira a un rêve : devenir la première femme enquêtrice du royaume. Mais pour cela, elle doit réussir l’épreuve de la longue nuit, un rite qui permet à chacun de gagner sa place dans la société. L’enjeu est de survivre une nuit entière dans la forêt interdite et de trouver une fleur de Lune… Mira n’est pas au bout de ses surprises, car les secrets de la forêt vont bien au-delà de cette terrible initiation.

J’aime bien ce qu’écrit David Moitet (en tout cas, j’ai aimé tout ce que j’ai lu jusqu’ici !), aussi étais-je assez curieuse de lire son dernier titre en date.

Dès le départ, l’histoire nous plonge dans un univers très original : le royaume dans lequel vit Mira, notre protagoniste, est en effet cerné par deux murs (presque) infranchissables. Le premier, au Nord, sépare sa nation de la redoutable Forêt interdite, objet de toutes les attentions des pairs du royaume. Car telle celle qui entoure Poudlard, la Forêt interdite est le lieu de bien des mystères… A l’Est, nouveau mur, cette fois-ci pour protéger la nation herbivore (dont fait partie Mira), de la nation carnivore (des voisins pas tellement pacifistes). Or voilà donc l’originalité : dans ce roman, on croisera des humains-cervidés, humains-tigres, humains-rhinocéros, humains-antilopes (comme Mira) et autres humains-lapins… chaque peuple portant des signes distinctifs (qu’il s’agisse d’oreilles, de cornes, ou encore de trompes) de son animal tutélaire. Étonnant, non ? Évidemment, des petites bisbilles existent entre les uns et les autres et, cela va sans dire, il est impossible de faire cohabiter herbivores et carnivores (d’où le mur oriental). L’univers est très riche et vraiment bien construit !

Passée cette surprenante entrée en matière, on retombe en terrain connu. Certes, le royaume imaginaire nous envoie en fantasy, mais celle-ci se teinte complètement de dystopie, puisque les habitants sont répartis en deux castes. D’une part, ceux qui, durant la Longue nuit, ont trouvé une fleur de Lune et ceux qui, dans le même temps, ont échoué, ont rejoint les Lowers et donc une vie de servitude. C’est d’ailleurs par cette longue nuit que s’ouvre le roman, longue nuit durant laquelle nous suivrons Mira dans ce rite initiatique plus qu’éprouvant.

Or, la longue nuit, c’est un peu comme le fight club : il est interdit d’en parler, sous peine de conséquences judiciaires plus que déplaisantes. Forcément, cela complique grandement l’enquête de Mira, lorsqu’elle a l’impression que les réponses se trouvent dans la Forêt interdite, et qu’elle pourrait avoir besoin de poser des questions sur la longue nuit, justement. On baigne donc en permanence dans une ambiance très mystérieuse, qui contribue à rendre l’enquête de Mira très prenante. Au fil de ses investigations, elle en découvre de plus en plus sur les rouages de son royaume, ce qui ne fait que renforcer l’ambiance dystopique. En effet, ni la justice royale, ni l’Église (un pouvoir particulièrement puissant) ne voient son enquête de très bon œil (car qui se soucie des lowers, franchement ?!) et s’acharnent à lui mettre des bâtons dans les roues.

L’enquête démarre donc assez doucement, Mira essayant de comprendre où elle a mis les pieds. Bon an mal an, elle récolte des indices et nous avançons en même temps qu’elle. Malgré cette impression de piétiner, l’intrigue avance, car les péripéties s’enchaînent à un rythme confortable, apportant des éléments, mais sans dévoiler trop vite la façon dont ils s’articulent. Mieux : David Moitet m’a surprise à plusieurs reprises avec des rebondissements et retournements de situation que je n’avais pas anticipés, et dont l’intensité m’ont étonnée, tant ils lorgnaient du côté horrifique.
Après cette soigneuse mise en place de tous les éléments, j’ai presque trouvé que la fin arrivait trop vite – ou que tout était, du moins un peu trop facilement résolu, compte tenu des péripéties précédentes. Cela ne m’a pas empêchée de lire ce livre en moins de deux jours, mais je m’étais habituée au rythme un poil lent des débuts.

Encore une bonne pioche, donc, dans la bibliographie de David Moitet. J’ai trouvé son univers particulièrement original, et tout à fait propice au mélange entre fantasy (à tendance animalière), dystopie, enquête avec un soupçon d’horreur. Encore une fois, je me suis laissée porter par sa plume très fluide, qui rend la lecture palpitante ! A tel point que j’étais presque déçue d’arriver déjà à la fin, tant l’ensemble s’est révélé bien construit et palpitant.

La Longue nuit, David Moitet. Didier jeunesse, 6 avril 2022, 265 p.

After®, Auriane Velten.

La Terre d’après…
À l’abri d’un baobab, une société utopique, soudée par des règles strictes et bienveillantes, semble profiter d’une vie paradisiaque, totalement apaisée et égalitaire.
Pourtant, l’un des membres de cette communauté ne peut s’empêcher de se poser mille et une questions, sur tout, y compris sur l’avant. Une particularité qui fait de Cami la personne idéale pour remplir une mission d’exploration – sous surveillance. C’est donc avec Paule que Cami part pour les terres renoncées, une zone inhabitée et hostile, en quête d’une mémoire oubliée. Rapidement, leurs découvertes dépassent l’entendement, et les déroutent au-delà de ce qui peut être imaginé.
Ce voyage risque bien de bouleverser leur vie… et l’humanité.

Voici un roman que j’ai dû lire (sans l’avoir choisi !) dans le cadre de mon travail et, comme cela arrive de temps en temps, cela a été une excellente découverte !

Le roman débute avec une société qui s’est de toute évidence développée dans un univers post-apocalyptique. Et, dans un premier temps, cela ressemble plutôt à une société utopique, dont les maîtres-mots sont bienveillance, politesse, sérénité, censés placer tous les citoyens sur un pied d’égalité. Par ailleurs, le bien de la société est placé au-dessus de celui de l’individu et toutes les actions ne profitant pas à la collectivité sont proprement proscrites. Toutes ces règles sont réunies sous le doux nom de Dogme.
Évidemment, on s’aperçoit assez vite que le Dogme régit puissamment les vies des personnages et les empêche complètement d’exprimer leurs personnalités, l’expression des sentiments étant rigoureusement bannie, et le développement de compétences ou appétences personnelles absent des choix de vie. Le Dogme est tellement présent qu’on est à deux doigts du précepte religieux ! Bref, comme souvent, de l’utopie à la dystopie, il n’y a qu’un pas.
L’autre point intéressant ici, c’est que les personnages principaux n’ont pas du tout envie de révolutionner leurs univers. Cami ne colle certes pas du tout aux attentes de sa société, mais celle-ci a tout de même une emprise suffisante pour éviter toute remise en question. Il y a bien des sujets qui titillent… mais pas suffisamment pour qu’on débarque sur une révolte en pleine maturation, comme c’est souvent le cas dans le genre (en tout cas dans ce que j’ai lu). J’ai donc trouvé l’angle d’attaque très original !

Or, l’enquête sur laquelle sont envoyés Cami et Paule va engendrer de nouvelles interrogations, notamment sur les choix politiques de leur société. Aussi bienveillante soit-elle, la collectivité est gouvernée par un Conseil (très restreint) qui applique ses décisions de façon assez verticale. Au gré de leurs explorations dans les terres renoncées, Cami et Paule déterrent des artefacts leur donnant une vision de plus en plus précise du monde d’avant. Et là… eh bien, c’est la révolution !

Attention, la suite contient des divulgâchis sur l’intrigue. La conclusion est saine !

Car à force de fouiller les ruines de ces « muzés » dont ils ignorent tout (et dont on comprend assez vite qu’ils sont à Paris !), Cami et Paule déterrent des textes (notamment une Bible qui les fait s’interroger), ou des œuvres picturales, qui remettent en question non seulement leur vision de la société, de son organisation ou de sa politique, mais aussi leur vision de l’humanité.

Depuis le début, Auriane Velten use d’un style parfaitement inclusif, qui gomme les distinctions de genre. Les articles et déterminants sont remaniés (« an » pour un.e, « ceulx »), tout comme les pronoms (« ile, illes » pour les troisièmes personnes) ou les terminaisons de mots, afin d’éviter un genre trop marqué (je pense notamment à « ouvrièr », qui m’a initialement fait craindre que ma liseuse n’affiche pas les caractères correctement !). Cela nécessite quelques chapitres pour s’adapter, mais le texte s’avère parfaitement lisible. Évidemment, les personnages portent, autant que faire se peut, des prénoms épicènes, ou tronqués, afin de continuer à gommer les distinctions. Les descriptions, si elles permettent d’imaginer les traits des personnages, ne donnent pas non plus trop d’indices.
Ceci s’explique aux alentours du premier tiers du roman, lorsque l’on découvre, subitement, la véritable nature des personnages : si leur vision de l’humanité est complètement remise en question lorsqu’ils voient un tableau figurant des humains, c’est parce que nos personnages sont en fait des drones recouverts d’un hologramme à figure humanoïde et n’ont pas de corps à proprement parler. J’avoue qu’à ce moment-là du roman, j’étais déjà très intriguée, mais cette découverte m’a encore plus emballée !

La quête engendre une foule de découvertes et questionnements, notamment sur leur rapport à l’art. Le Dogme est si présent qu’ils ne sont pas autorisés, chez eux, à aller consulter à la bibliothèque des ouvrages considérés comme inutiles à la société, et qui seraient du remplissage sans intérêt de mémoire (lorsque l’on découvre que la mémoire en question est un disque dur, on comprend mieux le pourquoi de cette préoccupation). Or, cette règle immuable va fortement impacter les découvertes des personnages. Faut-il garder la Bible même si elle n’explique pas comment améliorer un silo ? Faut-il garder cette sculpture dont le seul avantage est d’être belle ?
Là s’affrontent les deux visions du monde portées par Cami et Paule. Cami, de nature très curieuse, va tenter de défendre et protéger les œuvres, au péril de sa vie, sans respecter le Dogme qu’on lui inculque pourtant depuis sa naissance. Paule, de son côté, choisi pour la mission justement pour son parfait respect du Dogme, aura plutôt tendance à vouloir s’en débarrasser, ne voyant pas bien l’utilité de l’art. Or, dans le secret de la nuit, Paule pratique ce que Cami appelle les « jolisons » (de la musique, donc), une pratique qui lui procure un bonheur indicible, mais aussi une culpabilité incroyable, puisque ce n’est pas intrinsèquement utile – du moins, d’après le Dogme. Pourtant, impossible de s’en passer !
Tous ces éléments arrivant peu à peu dans le récit, ils engendrent une réflexion extrêmement bien menée sur l’utilité de l’art, le rapport qu’on entretient avec les œuvres, et la nature du beau et de l’utile. Et j’ai trouvé la façon de faire bien plus riche que mes cours de philo du lycée ! En effet, Auriane Velten ne nous assène pas ces éléments de façon dogmatique (haha), mais amène vraiment les éléments qui vont nourrir la réflexion de façon subtile et intelligente.

De fil en aiguille, on débouche sur une vraie réflexion sur la nature de l’humanité, sur l’utilité des sentiments, mais aussi sur le pouvoir et les dérives totalitaires. A ce titre, l’intrigue finit de façon un peu brusque, mais sur un dialogue qui invite vraiment à poursuivre la réflexion entamée précédemment.

Dans la mesure où l’intrigue progresse surtout grâce aux introspections des personnages ou leurs dialogues très policés, Dogme oblige, on ne peut pas dire que l’action soit particulièrement trépidante. Néanmoins, entre le style narratif, les rebondissements bien disséminés, et l’originalité de l’ensemble, le récit s’avère très prenant. Par ailleurs, passé un certain point du récit, les scènes alternent entre et passé et présent, ce qui contribue au dynamisme de l’ensemble.

Auriane Velten signe donc un premier roman très original. Si le roman peut sembler de prime abord un peu difficile, en raison d’un choix narratif particulier et d’un rythme très posé, l’intrigue ménage ses effets, ce qui la rend particulièrement prenante. Le récit propose des réflexions passionnantes, que la fin nous invite vraiment à poursuivre. Bref, c’était une excellente pioche, et j’ai hâte de lire ses prochains romans !

After®, Auriane Velten. Mnémos, 16 avril 2021.

Bpocalypse, Ariel Holzl.

Pour se rendre au lycée, Samsara n’oublie jamais sa batte de baseball, ses talismans et son couteau de chasse. Tout ce dont elle a besoin pour affronter les animaux mutants, fantômes et autres créatures qui ont envahi les rues de Concordia après l’Apocalypse. Aujourd’hui, la ville vient de lever la quarantaine de l’ancien parc public et s’apprête à accueillir ses habitants, réputés avoir muté. Les deux jumeaux que Sam voit débarquer dans sa classe sont loin d’avoir un physique standard. Très vite, ceux qui se moquent d’eux ou les prennent à partie sont les victimes d’incidents inexpliqués. Tout semble accuser les nouveaux venus. Mais dans une ville comme Concordia, peut-on se fier aux apparences ?

Un nouveau titre d’Ariel Holzl ? Comment résister ?! Comme avec l’excellent Lames Vives, l’auteur change de nouveau de registre par rapport à son titre précédent et s’attaque cette fois à la dystopie post-apocalyptique – un genre dont on pensait avoir déjà tout tiré. Eh bien il se trouve que non.

Le roman nous propulse donc à Concordia, petite ville américaine pas franchement riante du Kansas. Huit ans plus tôt, on y a donc survécu à l’Apocalypse et la population s’est habituée… à peu près à tout. Les zombies ne sont guère plus que de la faune locale, les bestioles mutantes aussi et les petits caïds du lycée n’ont pas beaucoup évolué.
L’auteur nous plonge dans un univers à la fois très classique (le lycée ressemble à s’y méprendre aux nôtres, si l’on excepte la milice et les tests ADN à l’entrée), et à la fois dépaysant, puisque la ville est départagée en quartiers, suivant la menace qui y règne. Et à l’intérieur du quartier, il faut être attentif aux tracés de peinture et respecter les couleurs qui signalent dangers et menaces – mortelles, évidemment.
L’univers fourmille ainsi de trouvailles toutes plus chouettes les uns que les autres. La monnaie ? Oubliez l’argent, bienvenue aux CD et DVD. La banque est donc… un vidéoclub. La nourriture ? Eh bien il faut aimer les boîtes de conserve et ne pas être trop regardants sur le contenu du ragoût… Quant aux habitants… mieux vaux ne pas compter le nombre exact de dents du voisin, sous peine d’être terrifié. Concordia recèle un bestiaire riche et varié : j’ai parlé plus haut des zombies et bestioles mutantes mais il faut bien se dire que de nombreux mutants sont aussi et surtout… humanoïdes ! C’est d’ailleurs ce qui lance l’histoire, puisque l’on demande aux Concordiens d’accueillir de nouveaux mutants, ce qui n’est pas du goût de tout le monde. De ce fait, l’intrigue a un côté assez classique : lutte des anciens (tenants du « tout-humain ») et des modernes (plus ouverts d’esprit quant à la disposition génétique de chacun), le tout sur fond de lutte des classes bien ancrée, et d’un brin de racisme. Alors oui, les communautés vivent ensemble à peu près sereinement (et c’est pas mal), mais des mutants, franchement !

Alors, qu’est-ce qui rend le récit si prenant ?
Eh bien déjà, l’univers si riche dont je parlais ci-dessus. Même si on a l’impression de zoner dans un film de série B, chaque trouvaille m’émerveillait un peu plus ! Car Ariel Holzl ne nous balance pas d’un coup tout son cheptel. On découvre plutôt au fil des errances des personnages dans la cité ce dont elle se compose, quartier par quartier. Sans avoir l’impression de lire un catalogue, ce qui est parfait ! Même si chaque créature semble assez attendue au vu de l’univers, j’ai plutôt été surprise d’en découvrir certaines (les zombies, ou les vers des neiges, par exemple), car la cohabitation est vraiment riche.

Ensuite, les personnages. Le récit est centré sur Sam, notre lycéenne vedette. Sam est un personnage vraiment intéressant : pas forcément sympathique (je lui ai parfois trouvé un petit côté Katniss pour la froideur dont elle peut faire preuve, et sa façon assez déplorable de traiter ses amis ! Je ne vous parle même pas de son béguin pour l’abruti canon du coin), mais traversé par d’intéressants questionnements. Ainsi, Sam a un projet dans la vie (devenir milicienne et dézinguer du mutant, deux souhaits qu’elle a d’excellentes raisons d’avoir) et elle ne va pas forcément se poser les bonnes questions en temps et en heure. On pourrait même dire qu’elle est un peu bornée mais c’est aussi pour cela qu’on l’apprécie. On la regarde donc s’embourber dans ses obsessions, en se demandant bien quand elle va redresser la barre. Et c’est, je trouve, ce qui nous pousse à nous interroger sur nous-mêmes : qu’aurions-nous fait dans des circonstances similaires ? (Car oui, vraiment, Sam a des œillères, mais aussi d’excellentes raisons d’en avoir).
Mais Sam a également des amis proches qui portent eux aussi le récit. Si Danny s’éclipse assez vite (avec ses amis mutants), on se rattrape sur Yvette. Ha, Yvette !! Clairement et définitivement mon personnage préféré de ce roman ! Avec son franc-parler et son amour pour les amulettes en tout genre (on pratique le vaudou dans sa famille), elle oppose un parfait contrepoint à l’entêtement de Sam. Et puis, vu combien Sam est chiante (soyons honnêtes), on se rattrape forcément avec Yvette ! Le duo fonctionne à merveille – et pas seulement en raison des échanges de punchlines entre les deux adolescentes. Le panel comporte aussi, évidemment, quelques opposants que l’on adore détester et d’autres dont on se dit qu’il y a peut-être encore un bon fond à sauver (ou peut-être pas).

Le maquillage artisanal ne la rendait pas franchement sereine. Le maquillage artisanal chimique ? Encore moins. Surtout si c’était Yvette qui maniait les éprouvettes. Sans parler de ses conseils de séduction :
-Montre-toi vulnérable. Prends-le par les sentiments. ça va le faire craquer, en mode chevalier servant !
– Et si c’est juste un psychopathe qui veut me voir souffrir ?
– Encore mieux. T’auras l’air de la parfaite victime !
– Yvette, tu es la honte de la cause féministe postapocalyptique.

L’intrigue, enfin. Le récit sait laisser planer des parts de mystère exactement où et quand il faut. Le début peut paraître assez simple mais on se rend bien vite compte que l’intrigue recèle quelques surprises et développements qui la complexifient. Si, dans l’ensemble, le cheminement n’est pas révolutionnaire, la façon dont elle est menée la rend à la fois passionnante et palpitante. Car l’auteur mêle à la post-apocalypse des sous-intrigues plus réalistes, comme la petite guerre des clans qui règnent dans la cité (chaque quartier ayant ses revendications et ses spécificités… un peu comme dans la vraie vie !), ou les petites bisbilles qui opposent les lycéens les uns aux autres. Ce qui fait que, de sous-intrigue en arc secondaire, on progresse rapidement et avec entrain.

En bref, Bpocalypse est une dystopie entraînante. Si l’intrigue passe par une évolution assez classique, le récit est vraiment porté par ses personnages, et son univers riche et parfaitement construit, et qui fait quelques clins d’œil aux classiques du genre (qu’il s’agisse de films ou de séries). Le style est fluide, le récit bien rythmé et souvent relevé par des échanges de répliques particulièrement percutantes entre les personnages. A la fin, j’en aurais quand même voulu plus, tant j’ai apprécié l’univers. Donc je serais assez partante pour une autre aventure dans les parages !

Bpocalypse, Ariel Holzl. L’École des Loisirs (Medium+), octobre 2020, 413 p.
#PLIB2021 #ISBN9782211310161

Si vous avez aimé, vous aimerez peut-être :

Chromatopia, Betty Piccioli.

Au royaume des couleurs, c’est en noir et blanc qu’on voit le mieux.

Chromatopia.
Un royaume où chaque couleur représente une caste sociale. Où il est impossible de se dérober à son destin. Aequo, teinturier de la Nuance Jaune, s’apprête à reprendre la prestigieuse entreprise familiale. Mais après un accident, il perd la vision des couleurs…
Hyacintha, orpheline de la Nuance Bleue, tente de survivre comme elle peut en bas de la cité, où règnent la misère et la pauvreté.
Jusqu’au jour où on lui propose un marché pour retrouver ses parents… Améthyste, princesse du royaume, doit choisir le futur roi parmi ses prétendants.
De ce choix dépend l’avenir de Chromatopia… Ils ne le savent pas encore, mais tout peut changer grâce à eux.

Est-ce qu’on parle de cette couverture ? J’essaie, autant que faire se peut, de ne pas succomber à la couverture d’un roman mais je dois dire que celle-ci m’a bien tapé dans l’œil. Et ce qui est chouette, c’est que la découverte était plutôt très bonne !

Et pourtant, tout n’a pas démarré sous les meilleurs auspices. Car dès les premières pages, je me suis retrouvée certes dans un univers basé sur les couleurs… mais qui ressemblait à s’y méprendre à n’importe quelle dystopie un peu primaire. Car si l’on résume ce que l’on sait de l’univers et de la politique de Chromatopia, on peut en dire que plus on monte dans la cité et vers le violet, plus l’on tape dans les classes sociales hautes, plus l’on descend vers le bleu, plus la population est pauvre. Or, la répartition par castes (même colorimétriques !) et catégories socio-professionnelles n’est pas follement originale. D’autant que l’on apprend assez vite qu’une septième faction, non officielle, celle-là, entend justement… renverser le gouvernement (dont le fonctionnement est très très rapidement caractérisé) et les inégalités sociales. Bref : rien de neuf sous le soleil de la dystopie.

Alors, qu’est-ce qui a tout fait basculer ? Eh bien pour commencer, c’est le premier protagoniste que l’on croise, Aequo, un jeune apprenti teinturier de la Nuance jaune (4e Nuance en partant du haut, qui regroupe les artisans) et fils d’une famille très respectée de sa Nuance.
Que vois-je ? Un teinturier ? Eh bien je dois dire que c’est bien la première fois que je croise ce métier en littératures de l’imaginaire, et qu’un jeune homme exerce un métier en rapport avec la mode ! Voilà un premier bon point fort appréciable. D’autant que le métier en question n’est pas juste là pour faire joli, et que de nombreuses scènes ont lieu dans l’atelier, donnant un bon aperçu de ce qu’il s’y fait. L’atelier prend de toute façon un intérêt crucial dès qu’Aequo devient achromatope : comment un teinturier ne voyant pas les couleurs peut-il exercer ? Or, si le jeune homme ne prend pas la relève de ses parents, il risque d’être relégué dans la Nuance Bleue, sans ressources et sans possibilités de s’en sortir, ce qui inquiète profondément ses géniteurs.

Vous l’aurez compris, les inégalités sociales sont au cœur du roman. Et c’est plutôt bien fait, notamment parce que l’on suit à la fois un personnage de la Nuance Bleue, une jeune voleuse, Hyacintha, la princesse Améthyste de la Nuance Pourpre et Aequo, donc, comme représentant de la Nuance Jaune.
Le récit alterne successivement les points de vue des trois personnages, en collant à leurs niveaux de langage respectifs – ce qui est surtout perceptible chez Hyacintha, qui n’est pas une professionnelle de la syntaxe. J »ai aimé que les personnages aient parfaitement intégré les caractéristiques de leurs castes respectives, sans vraiment les remettre en cause – aucun n’étant un fervent défenseur de la cause. J’ai trouvé que ça changeait un peu de ce qu’on voit habituellement. Oui, ils ont conscience que tout n’est pas rose dans leur univers, mais peut-être pas au point de tout cramer dès le départ. C’est donc surtout la mise en perspective des trois points de vue qui permet d’embrasser la réalité des inégalités qui règnent à Chromatopia.

Et c’est là qu’intervient l’originalité du roman. Pas dans la description d’une société dystopique fondée sur des inégalités. Mais plutôt dans la façon dont ces inégalités vont être bousculées. Car oui, il y a bien un complot, fomenté par la Nuance Noire, les rebelles locaux. Nos personnages en sont-ils ? Eh bien non. C’est de façon complètement involontaire qu’ils se retrouvent mêlés à toute cette histoire. Et ce que j’ai trouvé vraiment bon, c’est que certes, ils participent, mais c’est plutôt par obligation (morale ou par chantage) et pas forcément de leur plein gré. Cela change un peu ! D’autant que l’intrigue réserve de nombreux rebondissements qui nous éloignent du déroulé classique de ce genre d’intrigue. A ce titre, j’ai adoré la réaction finale d’un des protagonistes qui, plutôt que de rester dans la cité à célébrer la victoire… préfère s’en aller, tournant le dos à la réussite, comme à la romance qui se profilait pour lui.

Et parlons de la romance, tiens. Oui, il y en a. Non, ce n’est absolument pas un des objectifs premiers de l’intrigue. Cela vient plutôt en fond pour étoffer certains personnages. Et, énorme point appréciable, les histoires sont à la fois diverses et présentées en douceur, avec une grande bienveillance des personnages entre eux. Ce qui était parfait.

Côté style, Betty Piccioli a une plume très fluide, qui rend le roman très accessible (je le conseillerai même à des préados !). Les changements de niveaux de langue permettent de différencier le personnage dont on suit le point de vue (sa Nuance est de toute façon rappelée en tête de chapitre). Toutefois, les chapitres alternant les situations, la chronologie est parfois un peu perturbée. Soit que l’on reprend quelques minutes ou instants avant des situations dont on déjà eu un aperçu (en changeant de perspective), soit que ce que l’on découvre vient compléter ce que l’on a déjà lu. Dans tous les cas, cela induit une tension vraiment prenante dans le récit.
Celui-ci est mené tambour battant, avec un enchaînement des péripéties plus que confortables. Les retournements de situation sont bien amenés, même si je mentirais en disant qu’ils sont tous hyper inattendus. Le rythme s’accélère grandement vers la conclusion et, si je l’ai appréciée, j’ai trouvé qu’elle était un peu plus molle que le reste. Comme si les résolutions étaient un peu trop rapides par rapport à la mise en tension qui a précédé. En réalité, ce n’est pas gênant, mais j’avais tellement apprécié le début de la lecture que cette différence de rythme m’a un peu désappointée.

J’avais placé beaucoup d’attentes sur ce titre (superficialité, quand tu nous tiens) et ressors ravie de ma lecture. J’avoue avoir eu un peu peur au départ de me retrouver avec une dystopie hyper classique, mais le traitement de l’intrigue et des personnages apporte une dose certaine d’originalité au roman. Le suspense étant au rendez-vous, je l’ai lu en moins de deux. Voilà un titre que j’ai hâte de conseiller à la médiathèque !

Chromatopia, Betty Picciolo. Scrineo, août 2020, 400 p.
#PLIB2021 #ISBN9782367409030

Edit 22/11 : ce titre est en lice dans la présélection du #PLIB2021 !

Le Jardin des âmes, Les Brumes de Cendrelune #1, Georgia Caldera.

Dans le royaume de Cendrelune, les dieux épient les pensées des hommes, et leur Exécuteur, l’Ombre, veille à condamner tous ceux qui nourriraient des envies de rébellion.
Or, il semble que certaines failles existent. À l’âge de 17 ans, Céphise ne vit en effet que pour se venger. Depuis qu’on l’a amputée d’une partie d’elle-même et privée de sa famille, elle ne rêve plus que d’une chose : s’affranchir de la tyrannie du tout-puissant Orion, Dieu parmi les dieux. Et contre toute attente, il se pourrait qu’elle ne soit pas seule…

J’avais choisi ce livre pour le challenge Mois de la fantasy car sa sélection dans la shortlist du PLIB m’a rendue très curieuse. Et, malheureusement… je dois dire que ça ne l’a pas fait, malgré un univers vraiment charmant.

Il faut imaginer une terre post-apocalyptique, où le métal a remplacé, à peu près partout, la nature. Les personnages mangent d’ailleurs, pour la plupart, de la nourriture synthétique – la seule serre produisant de la verdure étant, comme il se doit, réservée au strict usage des dieux. La connaissance a disparu, et le peuple est quasiment analphabète.
Sans trop de surprise, à l’ambiance post-apo se mêle donc une dystopie assez classique, la société étant séparée en plusieurs castes, gouvernées par des dieux autoritaires, menés par Orion. Du côté des divinités, l’autrice a plutôt tapé dans la mythologie grecque, puisqu’aux côtés d’Orion on peut croiser Héphaïstos, Eurydice ou encore Rhadamanthe. Chacun possède des pouvoirs extraordinaires (mention spéciale à Verlaine), le plus grand étant bien entendu celui d’Orion, qui a donc celui de surveiller en permanence les pensées de chacune et chacun, prévenant ainsi quelque crime, ou « pensée déviante » (à son encontre) que ce soit. On parlait de dystopie ? Bienvenue dans Minority Report.

Bon, évidemment, ça ne se passe pas exactement comme dans Minority Report. Car Orion a beau faire tuer ses détracteurs et démonter puis remonter les plus jeunes d’entre eux afin d’avoir sur eux un parfait contrôle, ça ne fonctionne pas à merveille et certains commencent à développer de forts intéressants pouvoirs magiques, aussi bien trouvé que tournés. À ce titre, j’ai adoré le concept des Rapiécés, vraiment original, quoiqu’un peu glauque (soyons honnêtes). On est presque toujours dans ce mélange de fantasy et d’horreur, qui donne au roman une ambiance assez prenante.

L’intrigue est narrée du point de vue de différents narrateurs et alterne entre Céphise, la Rapiécée des bas-quartiers, et Verlaine, l’homme des dieux aux troubles missions. Ces chapitres-là sont écrits à la première personne. Car d’autres chapitres, à la troisième personne, eux, interviennent rapidement dans l’affaire, s’intéressant tour à tour à différents autres personnages (le meilleur ami de Céphise, un dieu, un enfant du quartier). Sans trop de surprise (pour moi), ce sont les chapitres que j’ai préférés, car c’est le style narratif qui me convient le mieux. L’alternance entre personnages et systèmes narratifs permet donc d’avoir, d’une part, une vision assez globale de ce qu’il se passe, mais aussi un rythme assez confortable, ce qui fait que le roman se lit assez vite.

Bon, finalement, qu’est-ce qui ne l’a pas fait ? Malgré cet univers vraiment intéressant, j’ai eu un mal fou à me passionner pour les tribulations des personnages et leurs enjeux. Céphise est entièrement concentrée sur son projet de vengeance. Verlaine sur celui de s’en tirer. Les habitants de la Cathédrale d’Éternité ont leurs petites bisbilles divines et, pendant ce temps-là, la révolte s’installe doucement – mais assez sûrement – dans la Cité d’Acier. D’ailleurs, on ne peut même pas dire que l’unité soit d’actualité chez les dieux (puisqu’Héphaïstos et Proserpine manigancent dans leur coin). En soi, tout cela est très intéressant du point de vue de l’univers, mais aucun personnage, ou aucun enjeu, n’a réussi à m’embarquer. J’ai même trouvé certaines scènes ou péripéties un peu cliché, à mon grand dam, et quelques longueurs. En fait, une grande partie du roman repose sur les pensées des deux protagonistes et, comme depuis le départ, je me sentais assez indifférente à ce qui leur arrivait… eh bien ça ne s’est pas amélioré. Heureusement, la seconde partie, bien qu’à huis-clos, s’est avérée un peu plus prenante, et même intrigante pour la suite !

Malgré tout cela, impossible de dire que j’ai détesté ma lecture. Certes, les personnages ne m’ont fait ni chaud ni froid, non plus que leurs péripéties. Or, voilà : l’univers et l’idée de départ m’ont vraiment charmée. C’est hyper inventif. Original dans les pouvoirs et la mythologie locale. Et cela colle parfaitement au savant mélange de fantasy, d’horreur et de dystopie auquel on assiste. Au détour d’une phrase, on hume un petit air de steampunk, et l’intrigue fait la part belle à l’écologie. Bref, plein de bonnes idées !

Les Brumes de Cendrelune #1 : Le Jardin des âmes, Georgia Caldera. J’ai Lu, 2 octobre 2019, 349 p.

Le Glas, La Faucheuse #3, Neal Shusterman.

Dans un monde qui a conquis la mort, l’humanité sera-t-elle anéantie par les êtres immortels auxquels elle a donné naissance ?
Le sinistre maître Goddard se prépare à prendre le pouvoir suprême sur la communauté des faucheurs. Seul celui qu’on nomme  » le Glas  » pourrait faire basculer l’humanité du côté de la vie…

Voilà un troisième tome que j’ai attendu avec une impatience grandissante, surtout au vu de la conclusion du précédent ! Verdict ?

Eh bien j’ai adoré. Je crois même que j’ai trouvé cet opus encore meilleur que les précédents, ce qui est placer la barre très, très, très haut.
Et pourtant, ce n’était pas gagné car, au vu de la fin du tome 2, de la couverture et du titre de celui-ci… Eh bien il y avait fort à parier que Citra et Rowan ne seraient pas sur le devant de la scène. Spoiler alert : en effet. Et malgré tout, Neal Shusterman propose un roman épatant.
Cette fois, on suit Greyson Tolliver : rappelez-vous, cet adolescent élevé par le Thunderhead, seul humain au monde à ne pas être étiqueté malpropre. Devenu dans des circonstances plus qu’étrange Toniste, il a même été propulsé au plus haut rang de la secte et se fait désormais appeler le Glas. On sait que les Tonistes et les Faucheurs se croisent rarement (sauf quand Goddard va les massacrer) mais, curieusement, c’est Greyson qui pourrait aider la Vieille Garde à se débarrasser du Nouvel Ordre.

Dans les deux premiers tomes, on a eu tout le temps de voir qui faisait alliance avec qui, et quels étaient les antagonismes les plus puissants. De plus, on quitte clairement l’enjeu local (les Faucheurs de MidAmérique) pour un enjeu mondial (Goddard n’entendant pas se contenter que des Faucheurs MidAméricains). Tout cela donne un opus plutôt concentré sur la résolution des conflits qui opposent la Vieille Garde au Nouvel Ordre, que sur l’action à tout va. Le rythme est donc nettement plus posé que dans les tomes précédents, un point qui ne m’a pas gênée le moins du monde, puisque j’adore les intrigues politiques – surtout quand c’est bien mené, comme ici. Malgré cet aspect très politique, j’ai trouvé ce volume particulièrement sombre. Goddard est plus en forme et incontrôlable que jamais, ce qui donne des apparitions toujours pour le moins… sanglantes.

L’auteur a choisi de multiplier les points de vue parmi les différents camps en présence – on suit donc de nombreux personnages neufs ou presque, et de plus anciens. Le tout est, comme toujours, émaillé de chapitres consacrés uniquement au Thunderhead (un personnage pour lequel j’ai beaucoup de tendresse depuis le début).
Mais il a également choisi deux fils chronologiques différents, qu’il ne situe pas l’un par rapport à l’autre dans un premier temps. Pour être honnête, c’est le point qui m’a donné le plus de fil à retordre au début, jusqu’à ce que je parvienne à les situer. C’était bien vu ! Car cela donne une perspective vraiment intéressante à l’ensemble du récit. De plus, tous les fils mis en place précédemment trouvent une réponse ou une conclusion, et c’est vraiment agréable.
Ceci étant dit, je dois dire que j’ai été particulièrement surprise par les derniers chapitres ! Je ne m’attendais vraiment pas à ce que la trilogie s’achève ainsi et l’auteur m’a vraiment surprise – encore une fois, en bien. J’accorde même une mention spéciale à la conclusion proprement dite, que j’ai trouvée à la fois touchante, parfaite pour cette trilogie et… suffisamment ouverte pour rêver à une suite. Non pas que j’appelle de mes vœux une suite à la trilogie, mais j’aime bien quand les auteurs concluent vraiment leur histoire, tout en laissant assez de matière aux lecteurs pour rêvasser à ce qui pourrait se passer après.

Neal Shusterman fait depuis longtemps déjà partie de mes auteurs incontournables. Mais il m’a encore plus conquise (si c’était possible !) avec cet opus. Je trouve qu’il a complètement transcendé l’idée de départ avec cet opus. C’est bien écrit, c’est hyper prenant, ça ne part pas dans tous les sens – même si je ne m’attendais pas DU TOUT à cette conclusion – et ça tient la route globalement. Il se paie le luxe de nous faire réfléchir à notre société en même temps. Franchement, que dire de plus ? Le Glas est un tome hyper dense (700 pages, quand même !), intense à souhait et qui clôt magistralement cette ambitieuse saga. Ne vous laissez pas rebuter par l’étiquette young-adult, c’est aussi lisible par les autres adultes !

◊ Dans la même série : La Faucheuse (1) ; Thunderhead (2) ;

La Faucheuse #3, Le Glas, Neal Shusterman. Traduit de l’anglais par . R. Laffont, 28 novembre 2019, 709 p.