Aylus, La Voie des oracles #3, Estelle Faye.

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Les temps ont beaucoup changé. Thya la Jeune vit désormais à Rome, où les oracles sont appréciés, recherchés. Mais Thya fait de drôles de rêves. Des rêves dans lesquels le monde est extrêmement différent… 

Vous aurez remarqué que le résumé est volontairement vague. Je vous déconseille vivement de lire le résumé officiel avant de lire le roman si vous ne voulez pas vous gâcher une bonne part de l’intrigue ! 
Et on va donc tâcher d’évoquer ce roman sans en divulgâcher le point principal 🙂

C’est un début un peu laborieux que nous offre cet opus : quoi ? Mais que fait-il là, celui-là ? Qui est cette personne, déjà ? L’histoire est sans dessus-dessous, c’est à n’y rien comprendre. Une brève relecture de la fin du tome 2 s’impose, d’ailleurs…
Il faut donc quelques pages avant de comprendre ce qu’a fait l’auteur… Et là, on ne peut qu’admirer la façon dont elle triture la matière de son récit pour nous proposer un angle de vue radicalement différent et une perspective toute neuve !

Si le tome s’intitule Aylus, c’est plutôt Thya qui est au centre de l’histoire – et quelle histoire ! Aylus est là, bien sûr, mais il évolue en marge de ce que fait Thya – et sans trop en révéler, celle-ci est vraiment sur tous les fronts.
L’auteur a, à nouveau, réservé une évolution magistrale à ses personnages. Aylus, oncle de Thya et père adoptif d’Enoch, oracle lui aussi, se révèle enfin sous toutes ses facettes, dont certaines qu’on n’aurait pas soupçonnées. Aedon, de son côté, cède à ses travers de comploteurs et tente, une fois de plus, de mener la danse. Quant à Enoch et Thya, cette nouvelle perspective nous offre de belles découvertes, des revirements de positions, de nouveaux arrangements : c’est passionnant. Le roman fait également la part belle à un nouveau personnage, d’une importance capitale : l’Oracle Brûlée. Celle-ci tente, comme elle peut, de lier entre eux les fils du destin et entraîne assez vite le lecteur dans une spirale infernale mais néanmoins efficace.

Comme dans les autres volumes, la question de la religion est primordiale, d’autant qu’on assiste ici à un léger renversement. Autant les premiers volumes montraient combien la religion chrétienne a bridé toute spontanéité et toute manifestation du folklore païen, autant là on voit combien une trop grande importance accordée aux devins peut s’avérer néfaste. C’est absolument passionnant, car cela questionne beaucoup le rapport à la spiritualité.
De même, comme dans les volumes précédents, la part belle est laissée au voyage. Dans le premier volume, Thya s’échinait sur les routes de l’empire ; ensuite, elle visitait l’Orient ; cette fois, elle part pour Britannia, lieu qui va laisser à l’auteur toute latitude pour faire appel à un folklore bien ancré et fort différent des deux précédents opus.
Cette fois, donc, il faudra compter avec le Sidh et ses redoutables habitants : dullahans, kelpies et autres sylvains locaux s’invitent dans les chapitres (et s’ajoutent à ceux rencontrés précédemment), instaurant une ambiance confinant au mystique et toujours un peu sombre. Et plus les chapitres avancent, plus on se sent comme oppressé par cette ambiance sombre, fantastique, un peu onirique – la preuve que tout, dans ce roman, fonctionne à merveille. De plus, alors que l’on est toujours dans l’empire romain, on perçoit combien cette entité englobait de peuples et de cultures différents : difficile, au contact des Pictes et du petit peuple celte de toujours sentir l’influence de l’imperator. Malgré l’aspect foncièrement surnaturel de l’univers, cette réalité historique est parfaitement palpable.

Si le début du roman peut laisser un peu dubitatif du fait de la confusion instaurée, une fois les marques prises, on fond dans une intrigue aussi rythmée que les précédentes. La quête de Thya est loin d’être terminée et au vu des enjeux divins et terrestres phénoménaux qui s’entrecroisent, on vient à douter de la réussite de la jeune femme. Aucun répit n’est laissé au lecteur et on se demande bien comment l’auteur va parvenir à retomber sur ses pattes – spoiler : elle y arrive, et de fort belle façon avec cela.

On n’en dira pas plus au risque de divulgâcher l’énorme twist qui fait tout le sel de ce dernier volume de La Voie des oracles. Comme le laissait présager la couverture sombre, en opposition aux blanches couvertures des deux premiers tomes, on bascule dans un univers bien moins léger et riant que précédemment.
Estelle Faye s’est parfaitement approprié l’Antiquité et, au fil des tomes, nous fait découvrir l’empire Romain sous toutes ses coutures, en faisant voyager son personnage sur le continent européen, en Orient mais aussi sur l’île de Britannia, nous permettant ainsi de découvrir les particularités des différentes mythologies et croyances liées à ces divers endroits. Surtout, elle révolutionne totalement son intrigue dans ce dernier tome, lui donnant de nouvelles facettes et perspectives, tout en conservant le rythme et l’univers merveilleux des premiers épisodes. Tout simplement fantastique ! 

◊ Dans la même série Thya (1) ; Enoch (2).

La Voie des oracles #3, Aylus, Estelle Faye. Scrinéo, 2016, 315 p.

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Enoch, La Voie des oracles #2, Estelle Faye.

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Poursuivis par les hommes d’Aedon, Thya, Enoch et Aylus fuient dans les terres barbares…
Sur les routes, les trois acolytes vont découvrir un monde très divers, coloré, fabuleux, où des magies et des mystiques plusieurs fois centenaires côtoient des aspirations farouches à la liberté. Un monde plus vaste et plus étrange que tout ce qu’ils auraient pu imaginer.
Au cours de ce nouveau voyage, Thya et Enoch vont à nouveau être mis à l’épreuve, et se révéler, ou se perdre…. Avec, en fond, la menace grandissante d’Aedon, soutenu cette fois par un nouvel allié surnaturel…

Après la très bonne découverte qu’a été le premier tome, ce deuxième volume était très attendu… et ça en valait la peine !

Dans le premier opus, on suivait Thya, Enoch et Mettius sur les routes de Gaule et d’Italie. Cette fois, changement de décor : Thya file d’abord vers la Germanie, avant d’embarquer pour l’Orient, Constantinople et l’empire sassanide.

Un peu de géo…

Le roman est donc placé sous le signe du voyage et on est servis : on sent littéralement le vent chaud du désert jouer dans nos vêtements, la soif qui tenaille les voyageurs avant de rencontrer les oasis, le sable chaud sous nos pieds tandis qu’on arpente la Route de la Soie. C’est tout simplement fabuleux ! D’autant que l’univers extrêmement fouillé et évocateur est soutenu par une mythologie toujours plus creusée. Dans le premier volume, une large place était laissée aux créatures mythologiques gréco-romaines : dryades, faunes, sylvains et autres sirènes côtoyaient nos personnages. On les retrouve ici avec plaisir, mais l’auteur va encore plus loin en mettant en scène un grand nombre de divinités presque oubliées des divers panthéons (on est au Ve siècle après Jésus-Christ et les chrétiens ont veillé à ce que soient fermés les temples pour se débarrasser des cultes dits païens). Or, ces divinités en perte de vitesse n’ont pas l’intention de se laisser faire : voilà que Dionysos, Culsans (le dieu des portes dans la mythologie étrusque), Apollon et Hécate se mêlent à la partie – chacun voyant, évidemment, midi à sa porte. En bref ? Gros bazar cosmogonique en prévision ! Et c’est ce qui fait tout le sel du roman. À la quête personnelle de Thya (qui prend un tour dramatique !) s’ajoute l’intrigue proprement divine, où chacun tente de mettre des bâtons dans les roues du voisin (et de Thya si possible), pour faire avancer ses propres plans.

De fait, on n’a pas le temps de s’ennuyer. Car si la quête est, au départ, assez linéaire et permet d’installer posément les différentes sous-intrigues, le fait de suivre tour à tour plusieurs personnages (Thya, Enoch, Aylus et même le très charmant Aedon) laisse souvent le lecteur sur des charbons ardents. Surtout lorsque l’on passe à un autre personnage en laissant le précédent… dans les ennuis jusqu’au cou – et plus si affinités. Le roman est, de plus, bien rythmé : aux scènes d’introspection ou de réflexion succèdent des batailles proprement épiques qui font monter l’adrénaline !

Et les personnages, dans tout ça ? Dans le premier tome, ils étaient déjà assez complexes… et cela continue. Comme l’annonce le titre, Enoch est au centre de l’histoire et son évolution est proprement captivante. On s’intéresse aussi à Aedon, le très énigmatique et ambigu frangin, que l’on apprécie de découvrir sous tous ses angles. Thya, enfin, fascine tant et plus. Seul petit bémol : on a parfois du mal à réellement ressentir les émotions qui agitent les personnages, malgré la justesse de leurs réactions. Le roman est assez court et cette brièveté dessert légèrement la charge émotionnelle – heureusement, c’est minime tant le reste est passionnant !

En refermant ce deuxième opus, on se surprend à se demander avec anxiété quand arrivera le troisième volume. Car au gré d’un ultime rebondissement, Estelle Faye nous laisse avec des interrogations sans fin !
Plus dense, plus complexe, bien rythmée, cette suite s’inscrit dans la parfaite continuité du premier volume. On replonge avec un immense plaisir dans un univers fascinant, extrêmement original, qui explore les mythologies latines et orientales antiques. Voilà de la fantasy historique comme je l’aime !

◊ Dans la même série : Thya (1) ;

Merci à Livraddict et Scrinéo !

La Voie des oracles #2, Enoch, Estelle Faye. Scrinéo, 2015, 331 p.

 

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Thya, La Voie des oracles #1, Estelle Faye.

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Gaule, début du cinquième siècle après Jésus-Christ. Récemment christianisé, cerné par les barbares, miné par les intrigues internes et les petits jeux de pouvoir, l’Empire romain décline lentement mais sûrement. Dans une villa perdue au milieu des forêts d’Aquitania, Thya, seize ans, fille du général romain Gnaeus Sertor, cache ses dons d’oracles ; dans l’Empire chrétien tout neuf, il ne fait pas bon être devin, ou lié à l’ancienne religion païenne… Le secret a toujours commandé la vie de Thya qui est devenue une adolescente solitaire et renfermée, protégée par son général de père. Or, celui-ci tombe sous le coups d’une bande de pirates pictes au cours d’une de ses visites ; alors que Thya se retrouve sous la responsabilité de son odieux frère… une vision lui montre à un moyen de sauver son père. Elle entrevoit la forteresse de Brog, où il a obtenu sa plus grande victoire sur les Vandales. Comprenant qu’elle doit s’y rendre, elle s’enfuit à la faveur de la nuit. 
Mais la route est pavée d’embûches… surtout pour une jeune patricienne qui n’est jamais sortie de chez elle, et dont les dons intéressent un peu trop de monde !

 

Thya vit sa vie tranquille au fin fond de l’Aquitania, où son père cache ses dons d’oracle. Mais évidemment, cela ne dure pas, car dès que son père est attaqué, Thya se retrouve en danger. Et la voilà lancée sur les routes d’Aquitania, en direction de la forteresse de Brog. Son but ? Elle n’en sait rien, si ce n’est qu’elle pressent que la solution est là-bas, à Brog. Commence donc un périple riche en aventures, qui fait la part belle au trio de personnages.
Thya, tout d’abord, un improbable mélange entre patricienne romaine, petite sauvageonne posant des collets, jeune oracle usant de ses pouvoirs pour lire l’avenir. Face à elle, Enoch, un bâtard barbare, maquilleur de profession, fanfaron accompli et coureur de jupons de haute volée. Mettius, enfin, ancien soldat aux ordres du général Sertor… et qui devient rapidement le protecteur de Thya.
Dans leur périple, les personnages sont talonnés par Aedon, un bien grossier personnage qui tente de ramener Thya au bercail par tous les moyens ; c’est, finalement, le seul personnage clairement estampillé comme étant mauvais. Les autres ont tous leurs bons comme leurs mauvais côtés, ce qui fait que l’auteur évite tout manichéisme, ce qui n’est franchement pas désagréable.
Le voyage permet aux personnages une belle évolution ; leurs relations s’étoffent, leurs caractères se dévoilent… on en vient quasiment, par moments, à lire le roman plus pour savoir comment le trio va évoluer que pour connaître le fin mot de la quête !

La quête, d’ailleurs, reste assez mystérieuse. Et au fil des péripéties, c’est surtout sur eux-mêmes que les compagnons vont apprendre des choses. Et cela ne rend l’affaire que plus passionnante, d’autant que certaines confidences se mêlent précisément de ce qu’il s’est passé à Brog, des années auparavant… et dont Thya pense que cela peut sauver son père.

Dès les premières pages, le surnaturel vient se mêler à l’histoire ; Thya, tout d’abord, possède des pouvoirs que l’on peut qualifier de magiques. Et ces pouvoirs intéressent tout un petit peuple que l’église aimerait bien voir disparaître : faunes, dryades, sirènes, divinités oubliées… un petit monde parallèle hante les forêts et les chemins de l’empire romain déclinant. Estelle Faye joue la corde de la fantasy historique, et avec talent ! On s’immerge sans peine dans son imaginaire dense, qui colle tout à fait à l’histoire. Les personnages sont bien esquissés, et l’auteur n’en cache ni les qualités ni les défauts ; ce trait s’applique également au reste de l’univers. Tour à tour lumineux, ou bien très sombre, son petit peuple attaché à la magie se pose tout en ambivalences. Et c’est ce qui fait le charme du roman : si la quête est assez linéaire (on suit le voyage de Thya) et comporte quelques épisodes sans surprise, c’est le contexte qui ferre habilement le lecteur. D’une part parce qu’un récit de fantasy dans la Gaule du Vè siècle après Jésus-Christ est assez original pour surprendre (après tout, il n’y en a pas tant que ça), d’autre part car l’auteur a un imaginaire prolixe que l’on découvre avec beaucoup de plaisir. D’autant que sa plume est fluide qu’agréable à lire : en somme, ce premier volume de La Voie des Oracles a tout pour plaire.

Avec Thya, Estelle Faye initie une série de fantasy historique prometteuse ; si ce premier tome sert essentiellement la mise en place du contexte et des personnages (dont l’évolution est particulièrement intéressante), il annonce une suite alléchante, que l’on attend désormais avec impatience. Tous les ingrédients sont là : style fluide et plaisant, quête initiatique, intrigue opposant ancien et moderne, imaginaire complexe, personnages fouillés… tout concourt à faire de ce premier tome un roman que l’on lit avec autant de curiosité que de plaisir. Pour une première rencontre littéraire avec Estelle Faye, on peut dire que c’est une rencontre réussie !

◊ Dans la même série : Enoch (2) ;

 

Merci à Livraddict et Scrinéo pour ce partenariat !

 

La Voie des Oracles #1, Thya, Estelle Faye. Scrinéo, 2014, 337 p.

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