Cargo Paradis, Sandrine Bonini.

Alors que la vie à la surface de la planète est devenue impossible, une mission d’exploration souterraine a été lancée pour trouver un nouvel éden. À bord du Cargo Paradis, les enfants envoyés explorer les entrailles de la terre ont grandi, et sont maintenant devenus des adolescents. Entre les protocoles rigides, l’enfermement prolongé et les bouleversements émotionnels qu’ils traversent, les tensions s’accentuent parmi les membres de l’équipage. D’autant qu’ils découvrent qu’ils ne sont pas les seuls à forer la croûte terrestre…
Un formidable roman post-apocalyptique, richement illustré, qui fait se rencontrer 2001, l’Odyssée de l’espace et Voyage au centre de la terre.

Utiliser des équipages d’enfants pour faire de l’exploration et assurer le futur de l’humanité n’est pas une nouveauté en science-fiction jeunesse. Mais en général, les-dits enfants sont envoyés dans l’espace ou sur de nouvelles planètes (voyez La Honte de la galaxie, Glow, ou encore The 100 !).
Or, rien de tel ici : c’est à l’assaut des profondeurs et de la croûte terrestre qu’est lancé l’équipage du Cargo Paradis. A bord, six adolescents, partis lorsqu’ils étaient enfants, et une intelligence artificielle. Objectif : trouver Thulé, la nouvelle Éden où s’installera l’humanité, la Surface de la planète n’étant plus habitable.

Si le départ de l’intrigue est donc assez classique, l’environnement dans lequel celle-ci prend place a toute son originalité. Chapitre après chapitre, les adolescents traversent différentes strates de la croûte terrestre, creusant galeries et excavations en tous genres (ce qui vous rappellera sans doute vos meilleurs souvenirs de cours de géologie). Les sorties extra-véhiculaires se font en scaphandre et avec bouteille à oxygène, dans l’obscurité la plus totale et un océan de roches, à la merci des habitants des profondeurs : insectes géants et autres bêtes atteintes de gigantisme, ce qui a de quoi assurer une certaine tension ! Le vocabulaire géologique est bien présent, mais avec juste ce qu’il faut pour assurer la cohérence de l’univers, sans noyer le lecteur sous les détails. J’ai beaucoup aimé que les personnages colorent leurs imprécations de ce champ lexical, puisque leurs jurons favoris sont « humus, mull et moder » : immersion garantie ! Pas de panique si vous n’avez pas fait géologie : il y a un glossaire très bien fait en fin d’ouvrage, juste avant la playlist qui accompagne le récit.

Le récit fonctionne en huis-clos, au sein de l’excavatrice, ce qui laisse tout loisir de découvrir la psychologie des personnages. D’ailleurs il y a un petit côté famille dysfonctionnelle très attachant : alors qu’ils s’entendaient tous très bien enfants, l’adolescence génère des tensions dans l’équipage et il leur est parfois difficile de se supporter au quotidien. L’autrice s’est attachée à décrire chacun d’entre eux. La narration étant externe, on se focalise successivement sur les uns ou les autres (sans ordre pré-établi), en fonction des besoins de l’intrigue. On n’ignore donc rien de leurs marottes, inimitiés ou autres sentiments, ce qui donne à leur mission scientifique un côté très humain qui m’a bien plu. D’autant que si l’équipage est formé de scientifiques chevronnés, ce sont aussi des adolescents, avec des caractères et des réactions parfois fantasques – la palme revenant à Elijah, mécanicien et scribe de son état. Leurs échanges, vifs, sont donc ponctués d’humeur ou d’humour, c’est selon, et on ne s’ennuie jamais !

« Adélaïde perdait l’esprit et dans quelques instants, ils seraient sous le feu des mercenaires du Prométhium.
Derrière eux, cette paroi de karst bien lisse ferait un mur d’exécution parfait. Quel charmant tableau de fin, humus.
Et, tandis qu’Elijah se perdait dans ces considérations, l’impensable – tout au moins, selon le jeune garçon, qui était au fond un être de raison -, l’impensable donc, se produisit. »

Si le début peut sembler paisible, le titre de la première partie – L’Avarie – donne le ton. Peu à peu, à la tension entre les personnages s’ajoute une tension supérieure : la certitude d’être en danger, un danger immédiat et bien réel, qui m’a tenue en haleine. On passe de scènes de huis-clos à des phases d’exploration des profondeurs (à vous donner le tournis quand vous essayez de visualiser ce qu’ils font réellement !), le tout ponctué de scènes d’actions proprement haletantes.
Les péripéties sont très bien dosées et je me suis surprise à lire « rien qu’un chapitre de plus » plus souvent qu’à mon tour ! Le style de Sandrine Bonini est en effet fluide, et elle dose parfaitement les effets d’annonce ou de suspense. Le récit est en sus superbement illustré tout en nuances de roses, façon carnet de bord, soit de schémas techniques bien utiles, soit de petits dessins en marge qui viennent ponctuer les péripéties, soit de décors en bord de page reprenant les structures rocheuses et renforçant l’impression d’enfermement que l’on a tout au long du roman. Ce qui ne fait qu’augmenter le suspense !

J’avais eu un gros coup de cœur pour le diptyque Le Grand Tour et Cargo Paradis, présenté sous la même forme mi-récit mi-carnet de bord, m’a conquise également. Ce roman de science-fiction à l’univers souterrain très original et qui renouvelle habilement les genres du post-apo et du planet-opera, m’a tenue en haleine tout du long. J’ai fondu pour l’équipage attachiant du vaisseau, j’ai tremblé pour leurs vies, et suivi leurs pérégrinations avec passion. La tension ne fait que grimper au fil des pages, assurant au récit un rythme que j’ai trouvé extrêmement prenant. Il est certain que je guetterai les prochains romans ado de Sandrine Bonini et que, dans l’intervalle, je les conseillerai à tous, jeunes et moins jeunes lecteurs !

Cargo Paradis, Sandrine Bonini. Thierry Magnier, novembre 2023, 364 p.

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