Le Grand Tour #1, Sandrine Bonini.

Au sein du prospère duché d’Hextre, trois adolescents effectuent, chacun de leur côté, un voyage initiatique jusqu’aux confins du monde connu.
Aglaé, l’idéaliste, issue d’une famille noble déchue, vient de s’engager dans une carrière militaire. Siebel, l’altruiste, a été promise au prince Orlan dans le but d’apaiser les tensions entre leurs deux tribus ennemies. Et enfin Arto, le destructeur, qui décide, contre toute logique, d’embarquer son équipage dans une expédition périlleuse : trouver le légendaire passage Sinistre, qui a déjà coûté la vie à tant de marins…

Le Grand Tour, c’est ce voyage initiatique que réalisent tous les enfants bien-nés du Duché d’Hextre, à l’adolescence, celui dans lequel se lance Arto, un des trois personnages que l’on va suivre.

De façon assez classique, le roman fait alterner les points de vue consacrés aux trois personnages, que l’on va donc suivre tour-à-tour. Par leurs situations particulières, on touche du doigt un univers dont la géopolitique est particulièrement complexe. Le duché d’Hextre, en effet, est régi par des lois assez spécifiques : ainsi, les droits de chacun sont matérialisés par des pierres dont la nature, la couleur, la dimension ou encore la taille sont déterminantes. Or, il suffit de déplaire au pouvoir pour voir sa pierre diminuer et ses droits être réduits – exactement ce qui est arrivé à la famille d’Aglaé, originaire d’une région à la rébellion facile et qui a été durement matée. Par Siebel, on découvre que les clans majeurs de leur région d’Argutie – les Convers et les Argans – sont quasiment des ennemis mortels et que son mariage, très controversé, avec un Prince Argan, est censé réduire les tensions entre les deux communauté – celle de Siebel étant largement écrasée par celle de son futur époux, le prince Orlan. Par Arto, on va ouvrir un peu nos horizons et découvrir l’ennemi héréditaire du duché d’Hextre, le pays Sinistre. A ce stade, vous vous dites peut-être qu’avec tous ces ennemis (extérieurs comme intérieurs), la situation est un brin tendue, et vous avez bien raison : il plane sur le récit comme un malaise indéfinissable, qui ne se révélera que dans les dernières pages.

De fait, le récit de ce premier tome a une dimension d’exposition certaine : on ne peut pas dire qu’il ne se passe rien, mais l’action et le panorama progressent plutôt à petites touches, ce qui donne à l’ensemble un air assez lent. Un air seulement car, en vérité, le roman contient beaucoup de péripéties, et des scènes d’action particulièrement palpitantes. Mais c’est également un récit qui sait poser son rythme et prendre son temps lorsque c’est nécessaire, deux points que j’ai particulièrement appréciés au cours de ma lecture, tant ils permettent de mettre en place des éléments essentiels au bon déroulement de l’intrigue. L’alternance des points de vue des personnages, elle aussi, assure un rythme confortable, non seulement dans l’évolution du récit, mais aussi et surtout dans la dissémination des révélations. En effet, les différents pans de l’intrigue reposent sur chacun des protagonistes : Arto, en bonne tête brûlée, nous fournit la part d’aventures. Avec Siebel, on va plutôt s’intéresser à l’aspect politique des choses, puisque sitôt le (futur) mariage consommé, son (presque) mari l’expédie en exil au pays Sinistre, pour mener des tractations diplomatiques. Aglaé, quant à elle, va aider le mystère à se nouer, puisque sa première mission l’envoie sur les traces d’un mystère épineux à résoudre et qui lui révèle la présence d’une nouvelle rébellion contre le pouvoir en place.

Les chapitres sont entrecoupés d’échanges épistolaires entre Siebel et son frère, le jeune Baltasar parti lui aussi pour son grand tour, d’extraits du Précis (le grand livre des pierres), de contes traditionnels, autant d’éléments qui enrichissent à la fois l’univers et l’intrigue, et qui sont toujours amenés à bon escient.

A ce stade, il me paraît urgent de parler de l’extraordinaire maquette dont bénéficie ce roman : évidemment, la couverture bleu profond, avec son gaufrage doré, attire l’oeil. Mais l’intérieur vaut également le détour, car tous ces inserts que je viens d’évoquer sont présentés sur pages du même bleu, avec les textes en blanc. Et ce n’est pas tout ! Car le récit en général est imprimé lui aussi dans un bleu que j’ai trouvé particulièrement reposant pour les yeux et d’un esthétisme fou. L’autrice, qui est également illustratrice, a parsemé son textes de petits dessins à l’encre, qui peuvent représenter des objets, des détails d’architecture, de techniques ou de costumes, comme les fameuses pierres qui font la pluie et le beau temps. Chaque double-page ou presque est illustrée, ce qui fait de ce roman un objet-livre magnifique, aux allures de carnet de voyage très réussies.

En bref, ce premier tome du Grand Tour propose une entrée en matière réussie : l’univers, comme les enjeux de l’intrigue sont suffisamment exposés pour donner envie d’en savoir plus, tout en gardant une part de mystère. Le style, simple et direct, comme le rythme bien dosé, assurent une lecture particulièrement aisée. Le tout est enfin réuni dans un objet-livre splendide, que l’on prend plaisir à feuilleter. Voilà un titre que j’ajoute à ma liste de conseils pour les adolescents voulant débuter dans le genre !

◊ Dans la même série : Le Grand Tour (2).

Le Grand Tour #1, Sandrine Bonini. Thierry Magnier (Grands Romans), avril 2021, 312 p.

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