Une planète dans la tête, Sally Gardner.

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Standish vit seul avec son grand-père, depuis la disparition de ses parents, dans la «Zone 7», celle réservée aux parias, privés de tout, et sous surveillance constante. Dyslexique, l’école n’est pour lui qu’une longue succession de brimades et d’humiliations. La rencontre avec Hector, son nouveau voisin, changera son quotidien du tout au tout. Ensemble, ils rêvent de s’envoler pour la planète Juniper, sortie des délires de leurs imaginations combinées.
L’ennui, c’est que la réalité est généralement moins rose que ce qu’on aimerait : Hector et ses parents disparaissent du jour au lendemain, sans laisser de traces… à moins qu’on ne les ait supprimés ?

L’univers de Standish, cette Patrie bienveillante, est loin d’être rose : d’une part car il vit dans la Zone 7, celle où les habitants ont forcément quelque chose à se reprocher et sont donc sous surveillance, d’autre part car il est dyslexique, ne sait ni lire ni écrire, et est donc taxé d’inutilité.
Dès le premier chapitre, on est plongé dans les pensées de Standish, qui a une vision très poétique de son univers et quelques fois un peu immature, malheureusement. Cela étant, son comportement un peu enfantin, ses remarques pleines de candeur renforcent l’aspect poétique de l’univers personnel de Standish, qui vient s’opposer à la grisaille et à la tristesse ambiante du régime dans lequel il vit. De sa dyslexie annoncée, en revanche, peu de nouvelles : elle est extrêmement légère, voire fugace, peu perceptible. Le texte n’en porte que très peu de marques, alors que c’est clairement annoncé comme le point central de l’histoire ; peut-être la traduction n’a-t-elle pas permis de rendre toutes les subtilités du langage de Standish, ce qui est un peu dommage, tant ses pensées sont oniriques, originales et colorées. On aurait aimé trouver des répercussions dans le style.

Dès le début du roman, on sait qu’Hector, le meilleur (et seul) ami de Standish a disparu ; mais Standish opère de très nombreux retours en arrière, afin de nous expliquer qui est Hector, ce qu’il représente pour lui, et ce qu’il s’est passé avant sa disparition. On avance donc lentement entre passé et présent vers ce qu’on considère comme inéluctable, la disparition du jeune garçon. Une fois ce point dépassé, on découvre la partie immergée de l’iceberg, et ce qu’a fait Standish par la suite. Avec cette construction du récit, le lecteur est pris dans le suspens : il connaît le point central de l’affaire, mais pas les tenants et aboutissants, ni les conséquences. Les chapitres étant très brefs, cela donne un rythme très dynamique au roman. Tout cela combiné explique qu’on le lise assez vite, et avec une grande curiosité.

De la Patrie, on ne saura pas grand-chose, simplement le strict minimum, ce qu’en perçoit notre jeune protagoniste : un régime totalitaire, qui surveille ses citoyens, en dispose comme il le souhaite et « supprime » les empêcheurs de tourner en rond (comme les parents de Standish). Ceux qui gênent mais font moins de vagues sont simplement relégués dans la fameuse Zone 7, où il est difficile de survivre. Tout est suggéré plutôt qu’avancé : on comprend très vite que Papou, le grand-père de Standish vit dans la peur, comme on comprend assez vite que la délation est reine. Que les gêneurs sont torturés avant d’être exécutés. Et on ne saura pas pourquoi il en est ainsi. Le lecteur se trouve donc dans la même position que Standish : il ne vit pas ce monde, il le subit.
Au bout de la Zone 7, il y a un grand mur, et un vieux palais désaffecté : terrains interdits, donc indispensables à visiter. Là, Standish et Hector font (forcément) d’intéressantes (mais dangereuses) découvertes, qui déclencheront les événements suivants. Ce manque d’informations sur la situation globale n’est pas particulièrement gênant : évidemment, les amateurs d’univers très fouillés y trouveront à redire mais ici, Sally Gardner donne juste assez d’éléments pour qu’on ait un tableau d’ensemble vague mais suffisant à la bonne compréhension des enjeux.

Les personnages sont assez typés : Papou représente la sécurité et la douceur (relatives) du foyer, Hector est l’ancre terrienne de Standish, M. et Mme Lush représentent les turpitudes du système et M. Gunnell est la répression personnifiée, le symbole vivant de la Patrie. Tous semblent n’être là que pour permettre au jeune homme de voler de ses propres ailes, et manquent un peu de développement, malheureusement.
Le contexte de l’histoire semble nous placer dans une Amérique des années 60, en pleine course à la conquête spatiale. De nombreux indices se glissent dans le texte, et on les apprécie à l’aune de notre propre histoire mondiale. Bien sûr, tout cela reste fictif, sans réelle accroche, mais on ne peut s’empêcher de lire un sérieux parallèle dans ce qui est décrit et de penser à de nombreuses polémiques toujours en cours dans les milieux concernés.

Une Planète dans la tête, en somme, est un récit plein de poésie : le style de Sally Gardner, bien qu’incisif est très doux et l’histoire est construite de façon à ce qu’on ait très envie d’en savoir la suite. Le suspens est au rendez-vous, et le brouillard artistique sur la situation historique et politique ne fait que renforcer l’envie d’en savoir plus. La fin, pleine d’émotion, porte une tristesse qui s’accorde totalement au reste de l’histoire : elle est parfaite. On regrettera pourtant l’absence de réel approfondissement autour de la dyslexie de Standish, ou la simplicité des personnages secondaires. Tout cela fait que le récit manque un peu de forces et d’émotion, alors qu’il avait un beau potentiel de départ.
Malgré ces deux petits bémols, Sally Gardner propose un roman étonnant, facile et agréable à lire, poétique à souhait, et dont le propos est intéressant et bien mené. Le récit donne à réfléchir sur la tyrannie, le pouvoir des masses, la manipulation des médias. Voilà un roman à lire en famille car, bien qu’un peu faible sur certains points, il ne manquera pas de vous séduire sur les autres !

Une planète dans la tête, Sally Gardner. Gallimard, 2013, 253 p.
7,5 / 10.

 

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4 commentaires sur “Une planète dans la tête, Sally Gardner.

  1. Tesrathilde dit :

    C’est ce genre de livre qui me fait typiquement défendre la littérature dite « jeunesse » bec et ongles ! 🙂 J’ai absolument adoré le mode d’expression du narrateur, l’univers est mine de rien assez poussé – on ne sait pas tout mais on ressent beaucoup plus, cette tension qui mine le quotidien de ces gens, les menaces latentes, l’inconfort. Je me suis aussi fait la réflexion que j’aurais peut-être ressenti cette lecture de manière un peu moins forte si je l’avais lu enfant, je trouve qu’en grandissant on remarque beaucoup plus de choses affreuses implicites.

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    • Sia dit :

      Je pense qu’en le lisant enfant, j’aurais certainement moins apprécié. Et quand j’ai fermé ce livre, j’étais très déçue de n’y avoir pas trouvé plus de rapports avec la dyslexie (comme annoncé) mais un an après la lecture, j’y pense encore, donc c’est une lecture qui m’a vraiment marquée !

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