[2023] Petit bilan de mars-avril

Carnet de lectures

Telle que je suis, Elle McNicoll (École des Loisirs) :
Elle McNicoll est une jeune autrice écossaise dont le précédent titre, Les Étincelles invisibles a été remarqué par les lecteurs et la critique. J’étais donc assez curieuse de découvrir celui-ci.
L’histoire : on découvre Cora, une jeune fille neurodivergente qui s’apprête à aller – contrainte et forcée – à une fête chez les Hawkins, les patrons de son frère, dans une maison luxueuse et froide, pour les 13 ans de leur fils Adrien, un garçon si spécial qu’il ne va pas à l’école. Alors qu’elle s’attendait à le détester, une profonde amitié se noue entre les deux adolescents, déclarés inadaptés et inclassables par la société. Mais une ombre plane sur cette relation lumineuse : celle du père d’Adrien et de son mystérieux institut Grenade, où l’on crée les clones digitaux de personnes afin que leurs proches puisse continuer à les voir après leur décès. Et justement, l’institut s’intéresse de très près à Cora et veut lui faire signer un contrat. Ils peuvent se montrer très persuasifs…
Le récit prend donc place dans un futur très proche du nôtre : la société est identique à la nôtre, les technologies aussi, hormis ce programme d’hologrammes de l’institut Grenade. Les protagonistes, eux, sortent clairement des sentiers battus de la littérature jeunesse : Cora est autiste, Adrien a un TDAH. A travers eux, on explore les regards sans concession ni compassion de la société : le harcèlement scolaire, les profs pas formés qui ferment les yeux ou empirent la situation (pas tous, heureusement), les parents qui aspirent à un enfant « normal »… On vit tout ça à travers les yeux des personnages, dont les pensées sont parfaitement retranscrites – ce qui ne nous fait que mieux comprendre les implications de leurs situations. En filigrane, l’histoire invite à questionner son propre rapport à la différence : la neurodivergence est-elle une maladie ? Faut-il la soigner ? Comment, en tant que parent, accueillir un enfant neurodivergent ? Tout cela est subtilement mené et sert, évidemment, le versant un peu plus SF du récit, qui ne prend toute sa place que dans la seconde partie du récit après un gros retournement de situation. Aux questions précédemment évoquées s’ajoutent celles sur le clonage, l’eugénisme, et la place des IA dans la société (un sujet tout d’actualité). Les deux parts du récit s’entremêlent vraiment bien, avec des péripéties bien dosées qui le rendent très prenant. A mes yeux de vieille lectrice, j’ai trouvé que le dénouement était un peu facile, mais je sais que j’aurais chéri cette lecture en étant plus jeune. L’autrice parvient à mêler récit innovant, questionnements sociétaux parfaitement menés et lecture accessible aux préadolescents, et c’est parfait !
Si vous avez aimé, je vous recommande chaudement de lire La Maison des reflets de Camille Brissot, qui a elle aussi exploré le thème des hologrammes post-mortem !

La Fille du train, Paula Hawkins (Audiolib). Lu par Valerie Marchand, Josephine De Renesse, Julie Basecqx
J’ai écouté La Fille du train, mon tout premier roman de Paula Hawkins ! Et si j’ai passé un bon moment dans l’ensemble… je suis restée un peu sur ma faim avec la conclusion !
L’histoire : depuis la banlieue où elle habite, Rachel prend le train deux fois par jour pour aller à Londres. Le 8 h 04 le matin, le 17 h 56 l’après-midi. Chaque jour elle est assise à la même place et chaque jour elle observe, lors d’un arrêt, une jolie maison en contrebas de la voie ferrée. Cette maison, elle la connaît par cœur, elle a même donné un nom à ses occupants qu’elle voit derrière la vitre. Pour elle, ils sont Jason et Jess. Un couple qu’elle imagine parfait, heureux, comme Rachel a pu l’être par le passé avec son mari, avant qu’il ne la trompe, avant qu’il ne la quitte. Rien d’exceptionnel, non, juste un couple qui s’aime. Jusqu’à ce matin où Rachel voit un autre homme que Jason à la fenêtre. Que se passe-t-il ? Jess tromperait-elle son mari ? Rachel, bouleversée de voir ainsi son couple modèle risquer de se désintégrer comme le sien, décide d’en savoir plus sur Jess et Jason. Quelques jours plus tard, c’est avec stupeur qu’elle découvre la photo de Jess à la une des journaux. La jeune femme, de son vrai nom Megan Hipwell, a mystérieusement disparu…
Le récit est tissé par trois voix différentes : celle de Rachel, la narratrice principale, celle de Megan, la disparue, et celle d’Anna, la nouvelle épouse de l’ex-mari de Rachel. Pourquoi Anna ? Car l’ancienne maison de Rachel, et donc désormais celle d’Anna, est située quelques numéros plus bas que celle des Hipwell, et que Rachel, traumatisée par son divorce, ne peut s’empêcher d’appeler encore et encore son ex. J’ai trouvé le personnage de Rachel vraiment très intéressant : c’est une femme seule, engluée dans sa routine et gravement alcoolique. L’autrice dépeint parfaitement le terrible engrenage de cette maladie, la façon dont les petits verres ou les grosses descentes se succèdent, entraînant Rachel dans des « trous noirs » dont elle ne garde aucun souvenir – ce qui évidemment, devient très intéressant dans un polar. Le roman évoque aussi avec brio la question du voyeurisme, la façon dont on fantasme ou dont on se projette sur les vies des autres. Tout cela crée un environnement plein de suspense ! Et il en faut, car j’ai trouvé le début du récit assez lent, à se demander où l’on va. Ce n’est pas gênant car, comme j’ai dit, on a plein d’autres choses à se mettre sous la dent, mais il ne faut pas s’attendre à une intrigue trépidante dès le départ. Là où j’ai été un peu déçue, parce que j’avais deviné une part de la résolution en amont, et parce que j’ai trouvé que l’on restait toujours un peu en surface des personnages – alors que des thèmes vraiment sombres sont abordés tout au long du roman. De plus, alors que le reste du roman est assez lent, la fin est réglée en deux coups de cuiller à pot, ce qui ne me l’a pas rendue particulièrement crédible. Donc j’ai passé dans l’ensemble un bon moment en écoutant ce titre, mais je ne suis pas certaine que la lecture me restera longtemps en tête !

Rayon bulles

Le jour où j’ai voulu sauver la forêt, Nora Dåsnes.
Cette BD a atterri sur ma PAL de boulot et j’ai passé un chouette moment avec !
L’histoire : Bao, 13 ans, est déléguée principale des élèves de son collège. Lorsque le conseil décide de raser la forêt jouxtant le collège pour en faire un parking, son sang ne fait qu’un tour : pourquoi les adultes ne comprennent-ils pas l’urgence climatique, alors que le pays est en proie à de violentes inondations ? Bao monte alors un comité de soutien pour la forêt et lance un programme de désobéissance civile, soutenue par ses amies de toujours, Emma et Linéa.
Si vous avez lu L’année où je suis devenue ado, vous connaissez déjà Emma. Ceci étant posé, les deux titres sont parfaitement indépendants. J’ai beaucoup aimé la façon dont l’autrice représente ce moment entre l’innocence de l’enfance et la gravité de l’adolescence. Bao, par exemple, joue avec ses amies dans la forêt et toutes trois défendent leur « base » face à la bande de garçons de l’autre classe de 5. Ils se chahutent, se tendent des embuscades, bref ils s’éclatent comme des enfants. Mais à côté de ça, Bao est très consciente des enjeux climatiques et écologiques, très investie dans son rôle de déléguée des élèves. Les deux tendances sont bien préservées dans le récit (surtout dans la première partie) et malgré la mise en scène de l’engagement très ferme de l’adolescente, l’autrice n’oublie pas de petits moments de respiration avec les histoires de cœur des personnages, ou quelques aperçus de leurs relations familiales (parfois tendues). J’ai trouvé que la BD parlait vraiment bien de l’engagement chez les adolescents, en sachant aussi mettre en scène le désarroi des parents un peu largués. Et du coup : c’est très prenant ! Côté illustrations, j’ai beaucoup aimé le travail à l’aquarelle et les jeux de couleurs bien choisis pour rendre les différentes ambiances. Cela m’a donné envie de lire son précédent titre !

Côté séries

La disparue de Lørenskog, Nikolaj Frobenius,Stephen Uhlander.
Des fois, on se lance dans des séries au synopsis alléchant, et des fois, eh bien ça ne le fait pas.
L’histoire : la femme d’un millionnaire disparaît. Alors que les ravisseurs exigent qu’il ne prévienne pas la police, celui-ci implique tout de même les forces de l’ordre, qui se voient contraintes d’enquêter dans le plus grand secret – pas d’enquête de voisinage, donc. Parallèlement, les médias finissent par découvrir le pot-aux-roses et se mêlent de l’enquête.
Je ne sais pas trop par où commencer… ! Le récit est porté à la fois par des personnages-enquêteurs et par des journalistes. Mais au lieu d’alterner les points de vue, on a plutôt des épisodes entiers consacrés aux uns, ou alors aux autres. Ce qui fait que l’histoire avance de façon assez bancale, puisqu’on est toujours dans le noir sur l’un ou l’autre des points de vue. De plus, le récit s’étend sur un temps extrêmement long (au moins deux ans). Je pense que c’est assez représentatif des vraies enquêtes, mais là on est dans une sorte d’inertie assez pesante : il ne se passe globalement rien, personne ne s’affole et… et c’est long. Le vide est meublé par quelques instantanés des vies personnelles de certains personnages, mais ça ne suffit pas à remplir les blancs : on a vraiment l’impression que c’est là pour caler les bouts branlants du scénario, et cela ne m’a pas passionnée.
L’enquête fait un bon subit dans les derniers épisodes, grâce aux avancées des journalistes, mais rien n’est bouclé. Car c’est bien le problème : la série s’achève en cul-de-sac, sans résolution. Ils sont partis dans tous les sens, on nous a montré les pistes privilégiées et … pas de conclusion. Je ne sais pas si c’était prévu en plusieurs saisons au départ, mais celle-ci ne m’a clairement pas convaincue !

Monster, Masayuki Kojima, d’après le manga éponyme de Naoki Urasawa.
Je crédite cette série dans ce bilan mensuel, mais vu la longueur (quelques 74 épisodes quand même), je crois bien qu’elle est entamée depuis décembre ! Je n’ai pas lu le manga éponyme, donc je ne me prononcerai pas sur l’adaptation en elle-même !
L’histoire : 1986, Düsseldorf, Allemagne de l’Ouest. Le Dr Tenma, un brillant neurochirurgien japonais installé en Allemagne, décide d’ignorer l’ordre de son supérieur (abandonner l’opération en cours d’un enfant pour sauver une célébrité locale arrivée après le bambin) et sauve la vie de l’enfant. C’est ainsi que commence cette horrible histoire ! Bientôt accusé de meurtre(s), le docteur Tenma cherche à résoudre le mystère et à sauver sa peau.
C’était vraiment excellent ! Je ne suis pas très friande des animes (je n’ai pas assez regardé le Club Dorothée apparemment) mais là, c’est vraiment un titre qui sort du lot. Malgré le classement sur les différentes plateformes, je ne le conseillerais pas à un public jeunesse (ado à la rigueur) : c’est sombre, c’est glauque, il y a du meurtre à tour de bras et psychologiquement, faut être bien accroché, quand même. L’histoire débute en 86 avant de faire un sacré saut en avant : on va principalement suivre Tenma alors que cela fait déjà une dizaine d’années qu’il enquête de son côté, tout en étant activement recherché par la police. Le récit est assez touffu, car l’histoire de cet enfant miraculé intéresse de nombreuses personnes (pas toutes hyper recommandables). De fait, l’anime est subdivisé en différents sous-arcs narratifs qui donnent l’impression qu’on explore une histoire montée en arbre, avec plein de petites ramifications de-ci de-là. L’avantage, c’est que tout est intéressant, donc même si on a l’impression de quitter le sentier central pour explorer des détails dans les sous-bois, on ne s’ennuie pas un instant ! Cela m’a donné envie de lire les mangas !

The Sinner, Derek Simonds
Mon dilettantisme de l’année dernière ne m’a pas permis de vous parler de cette série policière qui m’a pourtant tenue en haleine durant trois saisons, et je le regrette ! Comme j’ai regardé cette année la quatrième (et dernière) saison, j’en profite !
L’histoire : alors qu’il est à la retraite, Harry Ambrose et sa compagne peintre, Sonya (rencontrée dans la saison précédente), posent leurs vacances sur l’île d’Hanover, dans le Maine. Alors qu’ils y sont depuis à peine une journée, Harry surprend une jeune pêcheuse du cru, Percy, en train de sauter de la falaise en pleine nuit. Quelques heures plus tôt, il avait eu avec elle un échange assez troublant. Alors que la famille, en situation de monopole sur l’île, peine à croire au suicide, Harry est associé à l’enquête.
Comme dans les trois premières saisons, l’enquête se déroule sur l’ensemble des huit épisodes. Et comme dans les trois premières saisons, on va explorer les tréfonds les plus sombres de l’âme humaine. Car oui, The sinner n’est clairement pas la série à regarder si vous avez déjà des envies de meurtre sur vos congénères : ça ne va pas vous aider à vous détendre (pas du tout). J’aime beaucoup la façon dont le scénario nous balade de-ci de-là, explore les faux-semblants, creuse les petits secrets de famille et fait exploser aux yeux des personnages la montagne qu’ils essayaient de cacher. Ce sont toujours des intrigues à tiroirs, qui nécessitent de bien creuser derrière les apparences et qui, généralement, mettent au jour les péchés des uns et des autres (en même temps, le titre est transparent). Harry est encore plus torturé que dans les saisons précédentes, l’histoire qui l’a opposé à Jamie (saison 3) ayant laissé des traces durables. Encore une fois, on est dans du glauque, du poisseux, du sombre, du désespéré, du qui-donne-pas-foi-en-l-humanité (mais bon, c’est le principe de la série !). Le rythme est assez lent, mais colle à l’ambiance générale !

Tops/Flops :

Sur ces deux mois, je n’ai qu’une lecture qui m’est vraiment tombée des mains (mais que j’ai quand même terminée), j’ai nommé Lightlark, tome 1, d’Alex Aster, qui bénéficie pourtant d’un excellent accueil critique sur les réseaux sociaux, que j’ai du mal à comprendre. Pourtant, ça partait bien, puisqu’on était dans du Hunger Games sauce fantasy.
Malheureusement, l’écriture franchement passable, les clichés à la queue-leu-leu et les rebondissements sans queue ni tête ont clairement eu raison de ma patience, et j’ai passé plus de temps à lever les yeux au ciel qu’à savourer l’intrigue (que j’ai trouvée très pauvre en plus). Bref : clairement pas la lecture du mois, et il est certain que je me dispenserai de lire la suite si elle paraît !

A côté de cela, j’ai eu un gros coup de cœur pour Pénélope, reine d’Ithaque de Claire North, qui inaugure avec ce titre une trilogie intitulée Le Chant des Déesses. On sait qu’Ulysse a répondu à l’appel d’Agamemnon parti assiéger Troie et que le voyage du retour, semé d’embûches, lui a pris plusieurs années. Mais pendant ce temps-là, que s’est-il passé à Ithaque ? Comment Pénélope a-t-elle ménagé la chèvre et le choux, pendant qu’elle aussi subissait le siège d’une centaine de prétendants ? C’est le point de départ de ce récit de fantasy historique qui m’a beaucoup plu. La narration est assez originale, puisqu’elle est menée par Héra, la déesse, qui pose un regard sans concession sur ses collègues divins, comme sur l’humanité. Le style est assez moderne (Héra n’est pas avare en grossièretés), ce qui tranche avec l’époque et apporte un peu de frais à ce qu’on pense est être un récit rebattu ! Cela m’a beaucoup plu et j’ai hâte de lire la suite !

Citations

« Wolf traînait au hangar en faisant mine d’entretenir son scaphandre. Il avait ouvert la trappe du coeur électronique et essayait de se rappeler à quoi servaient les différents composants. C’était une entreprise vouée à l’échec, qu’il poursuivait pourtant avec une obstination contrariée. Il n’avait jamais appris à quoi servaient ces pièces. En cas de besoin – pour un dépannage imprévu sur le terrain, par exemple -, son NHESTOR lui aurait listé le rôle et les caractéristiques de chaque module, chaque carte. Ces connaissances ne lui avaient jamais véritablement appartenu mais le résultat était le même : Wolf avait le sentiment d’avoir perdu quelque chose. »
Ce qui naît des abysses, Sylvie Poulain.

« C’est ce que m’ont appris mes séances de psy : les manques dans ma vie seront éternels. Il faut grandir autour d’eux, comme les racines d’un arbre autour d’un bloc de béton ; on se façonne malgré les creux. »
La fille du train, Paula Hawkins.

« Soyons francs, encore aujourd’hui, la valeur d’une femme se mesure à deux choses : sa beauté ou son rôle de mère. Je ne suis pas belle, et je ne peux pas avoir d’enfant. Je ne vaux rien. »
La fille du train, Paula Hawkins.

« Comment aurait-on pu remarquer nos souffrances ou entendre nos appels à l’aide, quand nous ne pouvions rien faire de plus que chuchoter dans le noir ? »
Si je dois te trahir, Ruta Sepetys.

« Darlington aimait à dire qu’avoir affaire à des fantômes, c’était comme prendre le métro: N’établissez pas de contact visuel. Ne souriez pas. N’entamez pas de conversation. Dans le cas contraire, vous ne savez jamais ce qui risque de vous raccompagner chez vous. »
La Neuvième maison, Leigh Bardugo.

2 commentaires sur “[2023] Petit bilan de mars-avril

  1. Je gare un bon souvenir de la série anime « Monster », je serais curieuse de la revoir (et de lire le manga).

    J’aime

Mettre son grain de sel