Widjigo, Estelle Faye.

En 1793, Jean Verdier, un jeune lieutenant de la République, est envoyé avec son régiment sur les côtes de la Basse-Bretagne pour capturer un noble, Justinien de Salers, qui se cache dans une vieille forteresse en bord de mer.
Alors que la troupe tente de rejoindre le donjon en ruines ceint par les eaux, un coup de feu retentit et une voix intime à Jean d’entrer. A l’intérieur, le vieux noble passe un marché avec le jeune officier : il acceptera de le suivre quand il lui aura conté son histoire.
Celle d’un naufrage sur l’île de Terre-Neuve, quarante ans plus tôt. Celle d’une lutte pour la survie dans une nature hostile et froide, où la solitude et la faim peuvent engendrer des monstres…

Estelle Faye est une autrice dont j’adore la plume mais j’avoue que lorsque j’ai vu que son dernier titre en date était plutôt du fantastique horreur (ce qu’en bonne flippette, je ne lis pas), j’ai franchement eu l’idée de passer mon chemin. Sa sélection dans les 25 titres en lice pour le PLIB 2022 n’y a rien fait mais, voilà : il a également été sélectionné au Prix Imaginales des Bibliothécaires, auquel j’ai de nouveau l’immense plaisir de participer avec mes collègues. Dooonc… je m’y suis mise.

Et j’ai eu raison ! Car Widjigo a été une excellente lecture !
L’intrigue est construite sur deux temporalités : d’une part, le présent, en 1793, alors que Jean Verdier vient arrêter le marquis Justinien de Salers et, d’autre part, le passé, quarante ans plus tôt, alors que le noble était embarqué dans une expédition à Terre-Neuve, qu’il va entreprendre de faire revivre pour les oreilles de Jean Verdier.

Avant tout, ce roman est un roman d’ambiance : celle de la Vendée en cette fin agitée de XVIIIe siècle d’une part, celle de Terre-Neuve quarante ans plus tôt, qui commence avec un le naufrage d’un navire laissant assez peu de survivants. Échoués sur une plage isolée et glacée, contraints de traverser une forêt dangereuse pour essayer d’atteindre la civilisation, les voilà qui se mettent à disparaître les uns après les autres dans d’épouvantables conditions, les cadavres étant soigneusement et atrocement mis en scène, après ce qui ressemble à des morts plus que violentes. Folie ? Malédiction ? Assez vite, le doute plane, et on ne frissonne pas seulement en raison des températures particulièrement basses qui sont évoquées dans le roman. D’autant que l’on comprend qu’ils ont tous une raison de mourir, cachée dans leurs tumultueux passés. Des meurtres soignés, un endroit isolé, un meurtrier caché dans la troupe… il y a indéniablement un petit côté Agatha Christie dans cette intrigue, l’aspect fantastique et la touche de nature writing en sus !

En effet, la nature est à l’honneur, puisque le récit de Justinien nous embarque sur Terre-Neuve, dans un recoin assez sauvage de l’île, éloigné de toute civilisation. Le contexte de l’île nous plonge dans un véritable huis-clos, car on se sent assez vite isolés dans cette nature hostile. Tout cela est vraiment propice au surgissement du surnaturel. En effet, le folklore breton comme celui lié aux cultures natives du Canada sont assez rapidement convoqués, ce qui contribue à l’émergence du fantastique : la tension monte crescendo après chaque mort, et la façon dont Justinien raconte, fait des pauses, introduit des suspicions ou des incohérences ne fait que semer encore plus le doute dans la tête du lecteur (en tout cas, dans la mienne, cela a fonctionné à plein régime).

En débutant le roman, j’avais peur d’être terrorisée au point de ne pas pouvoir lire le soir mais en fait, comme la tension monte doucement (mais sûrement) et que le fantastique est introduit au même rythme, j’ai tout simplement profité à fond de ma lecture ! N’allez toutefois pas croire que le récit soit doux, bien au contraire. Il y a des explosions de violence incroyables, et le récit comporte son lot de monstres !
Ce que j’ai également beaucoup aimé, c’est la façon dont Estelle Faye évoque l’époque. A travers le personnage de Marie, l’aventurière métis, c’est toute la question du traitement (lamentable) des peuples indigènes par les colons Européens qui est évoquée. Marie est souvent en butte avec les autres personnages, qui font allègrement preuve de racisme. Avec les personnages du pasteur et de Pénitence, sa fille, on va plutôt s’intéresser aux puritains, à la religion et, bien sûr, aux chasses aux sorcières – très en vogue à l’époque. Enfin, le contexte dans lequel se déroule le récit nous ramène plutôt à la révolte des Chouans. C’est donc très riche et particulièrement prenant !

Widjigo est donc un récit horrifique qui fait la part belle à la nature sauvage de Terre-Neuve et à des personnages vraiment bien construits. Le système de récit enchâssé rend la lecture très prenante et convient parfaitement à cette intrigue (puisque le narrateur choisit évidemment ce qu’il raconte ou ce qu’il tait !). L’ambiance se met en place doucement mais sûrement, jusqu’à un final saisissant que j’ai trouvé particulièrement réussi. En deux mots comme en cent, j’ai donc adoré ma lecture, alors que je pensais peiner de la première à la dernière page !
C’est ma troisième lecture pour le Prix Imaginales des Bibliothécaires et franchement, le vote va être particulièrement serré !

Widjigo, Estelle Faye. Albin Michel Imaginaire, 29 septembre 2021, 256 p.
#PLIB2022 #ISBN:9782226457431

7 commentaires sur “Widjigo, Estelle Faye.

  1. […] D’autres lectures : Outrelivres, Au Pays des Cave Trolls, Mélie et les livres, L’épaule d’Orion, Just a word, Fantasy à la carte, Lullaby, Yuyine, Bulle de livre, Lady Butterfly, Carolivre, Un bouquin sinon rien, Book en stock, Sometimes a book, Café Powell, L’ours inculte, Tachan, La Geekosophe, 233°C, L’imaginarium électrique, Souvenirs de lecture, La grande parade, Les pipelettes, Boudicca (Le Bibliocosme), Albedo, Encres & Calames, […]

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  2. Zina dit :

    C’est une lecture sympa !
    Bon courage pour le reste !

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  3. zoelucaccini dit :

    J’ai longtemps mis de côté ce titre, comme toi j’avais peur de ne pas du tout adhérer, #teammauviettes aussi.
    A l’occasion de l’annonce des finalistes du PLIB samedi, Estelle Faye était invitée (mais ses bouquins n’ont pas été sélectionnés) et je me suis dit que j’allais sortir de ma petite zone de confort.
    J’ai acheté le bouquin, et à te lire, je me dis que j’ai bien fait. Ta chronique m’a rassurée, alors je pars confiante. merci pour ton retour 🙂

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    • Sia dit :

      De rien ! J’ai vu que pas mal de copinautes plus versées dans le style avaient été mitigées, mais à chaque fois que je repense à cette lecture, je suis enchantée ! J’ai même voté pour ce titre pour le Prix Imaginales des Bibliothécaires (même si j’ai vraiment hésité entre lui et Le Sang de la cité !).

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      • zoelucaccini dit :

        Ah oui, le sang de la cité est un super titre ! Au final il n’a pas passé la sélection finale du plib (il était dans mes 5, snif), mais il s’est bien rattrapé depuis en raflant un ou deux prix des Imaginales !

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      • Sia dit :

        C’est clair ! Il était aussi dans mes cinq, alors j’étais un peu déçue de ne pas le voir dans la sélection finale… Les deux prix sont amplement mérités !

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  4. […] Le retour bref mais juste de Caroligraphie et l’avis très positif d’Encres et calames, qui fait partie de ces lecteurs à même de mieux comprendre le sous-texte de ce […]

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