Moitiés d’âme, Chroniques des cinq trônes #1, Anthelme Hauchecorne.

La mägerie n’obéit qu’à un seul principe : elle ne peut s’exercer qu’à deux. Liutgarde le sait. Elle a pourtant fui Ortaire, l’époux qui lui avait été imposé, renonçant ainsi à son pouvoir. Exilée au nord des terres, elle serait morte sans l’aide des caravaniers et de Rollon, un mäge à l’esprit torturé. Épris l’un de l’autre, Liutgarde et Rollon se déplacent en roulottes avec leur communauté dans l’hostile forêt de la Sylverëe, ancien royaume des Faëes de l’Hiver. Mais l’équilibre de cette vie en cavale va complètement basculer, les obligeant à régler les dettes de leurs vies antérieurs. Car dans ce monde tout se sait et tout se paie un jour. Leur pouvoir et leur amour suffiront-ils à les protéger ?

Cela faisait bien longtemps que je n’avais pas lu un roman d’Anthelme Hauchecorne, mais je dois d’ores et déjà vous dire que cette reprise a été un énooooorme coup de cœur !

L’auteur nous embarque dans un univers aux connotations médiévales, hanté par la guerre qui a naguère opposé les Faëes aux humains. Au nord, justement, l’ancien royaume des Faëes, la Sylverëe, un territoire sylvestre hostile, glacial, peuplé d’arbres et de créatures de cauchemars. Le roman s’ouvre d’ailleurs sur une scène de course-poursuite à vous faire dresser les cheveux sur la tête ! De fait, j’ai trouvé que le roman était dans l’ensemble assez sombre. L’univers est assez brutal, et ce n’est pas l’ambiance glaciale induite par l’Hiver et la Sylverëe qui va démentir cette impression.
Dans ce roman, il est donc question de Faëes et d’humains. Ceux-ci, bien qu’ils aient vaincu, n’ont jamais réellement percé le secret de la mägerie Faëe, et se retrouvent forcés de pratiquer leur propre magie à deux. Ce qui entraîne la formation de couples mal assortis, car mariés de force – comme Liutgarde et son affreux mari. Pour être certains ne de rater aucun mäge, le Mägistère incite très fortement les parents dont les enfants manifestent un quelconque pouvoir à les signaler le plus vite possible afin de les formater éduquer correctement. Ensuite de quoi, le Mägistère exerce un contrôle tout au long de la vie de ses mäges, qui sont priés de ne pas dévier du droit chemin. Bref, la situation n’est pas rose et je dois dire que le Mägistère avait même un petit côté Inquisition savamment suggéré que j’ai bien apprécié.
Dans ces conditions, on pourrait croire que le Mägistère va être l’opposant attitré de l’intrigue. Eh bien non ! Les opposants (officiels), ce sont évidemment les vilaines Faëes qui, bien qu’envoyées ad patres, continuent d’empêcher les innocents humains de tourner en rond. Seulement voilà. L’histoire est un brin plus subtile que cela et, au fil du récit, on s’aperçoit que chaque personnage peut recéler une part un peu sombre à laquelle on ne s’attendait pas. Bref, plus les chapitres avancent et moins l’on sait sur qui on peut vraiment compter tant les petites trahisons s’enchaînent. Il faut ajouter à cela une certaine propension de l’auteur à faire subir à ses protagonistes les pires avanies, ce qui ne tarde pas à placer le lecteur dans un état d’instabilité émotionnelle assez puissant qui pousse à enchaîner les pages : quelle meilleure raison, en effet, que de vouloir savoir si son personnage préféré va s’en sortir ?

Dans ce roman, Anthelme Hauchecorne a déployé une science du récit assez géniale. A posteriori, on se dit que tout était quelque peu prévisible car, d’une façon ou d’une autre, il introduit les éléments nécessaires au cours de son récit au fur et à mesure, et suffisamment en amont. Chaque détail compte. Si une description précise de la forêt est faite, c’est que plus tard, au cours du récit, cela sera utile. Si tel ou tel trait de caractère d’un personnage est mentionné, c’est qu’il va resservir par la suite. Peu à peu, il avance donc ses pièces et, au fil des chapitres, elles s’emboîtent les unes avec les autres pour terminer le puzzle. Mais là où cette façon de faire devient géniale, c’est qu’elle est imperceptible ! Même à partir du moment où l’on a compris comment fonctionne le récit, on n’a jamais l’impression que l’intrigue est téléphonée. On ne se dit pas « Tiens, il est question de ce personnage retors, donc il va trahir ». Du tout ! Les détails arrivent à point nommé et on ne discerne pas les ficelles qui tiennent l’intrigue. Ce n’est qu’une fois tournée la dernière page que j’ai pleinement embrassé cet épatant système narratif. D’autant qu’il faut bien le dire, on peut être surpris par la tournure de certains événements ou l’utilisation de certains détails.

Par ailleurs, c’est avec un immense plaisir que j’ai retrouvé la plume de l’auteur. J’ai trouvé qu’elle s’était encore affinée (même si ma dernière lecture remonte un peu, pour être honnête !) et a gagné en maturité. Le vocabulaire est riche, les tournures élégantes, et invitent à la lecture à haute voix pour en profiter au mieux – tout en se payant le luxe de ne pas être pédant. C’est comme pour les descriptions et les détails. Tout est là où il faut, comme il faut, et il n’y a rien à retirer. Rien que pour cela, ce roman mérite amplement le coup de cœur !
En réalité, celui-ci est également dû à la teneur de l’intrigue. Je dois dire qu’après ma lecture de Sidh, dans lequel (si ma mémoire est bonne) on croise également quelques Faëes de mauvaise composition, je m’attendais à retrouver des créatures féeriques loin d’être sympathiques. Et j’ai été servie ! Le personnage de Dame Hölle m’a parfois fait dresser les cheveux sur la tête, et invitée à revoir les clichés. On n’a clairement pas affaire à Marraine la bonne fée ici. Mais comme je le disais plus tôt, ce qui est intéressant, c’est qu’elle n’est pas la seule opposante de l’histoire, ni la seule dont on pense qu’elle mériterait des claques. C’est aussi ce qui fait la richesse du récit !

En trois mots comme en cent, j’ai adoré ce roman qui a, en plus, le bon goût d’être magnifique : couverture brochée, gaufrée et dorée, tranche décorée, signet en tissu couleur or, inutile d’être un bibliophile assermenté pour profiter de la beauté de l’objet-livre. Au-delà de son apparence, le coup de foudre est allé à l’histoire, l’univers et le style. C’est assez rare que j’ai je craque pour tous ces éléments à la fois, et je trouve que ça méritait d’être signalé. En guise de conclusion, si vous avez un/e amateur/trice de fantasy dans vos pratiques et pas d’idée à mettre sous le sapin, je ne saurais que trop vous conseiller de vous jeter sur ce titre !

Chroniques des Cinq Trônes, #1, Moitiés d’âme, Anthelme Hauchecorne.
Gulf Stream, octobre 2019, 524 p.

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2 commentaires sur “Moitiés d’âme, Chroniques des cinq trônes #1, Anthelme Hauchecorne.

  1. bouchondesbois dit :

    Je l’ai lu en fin d’année, et j’avoue que cette lecture ne m’a pas laissée insensible également ! Il me tarde vraiment d’avoir la suite 🙂

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