Les Fiancés de l’hiver, La Passe-Miroir #1, Christelle Dabos.

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Sous son écharpe élimée et ses lunettes de myope, Ophélie cache de singuliers talents : elle peut lire le passé des objets en les touchant, et traverser les miroirs. Elle vit paisiblement sur la petite arche d’Anima lorsqu’elle apprend qu’elle a été fiancée à Thorn, du puissant clan des Dragons. Ophélie doit alors quitter sa famille, son arche, pour rejoindre la Citacielle, capitale flottante du Pôle. Mais elle voyage incognito. Pourquoi l’a-t-on choisie, elle ? Pourquoi doit-elle cacher son identité ? Et pourquoi son mari semble-t-il nettement moins bien situé qu’on le lui a dit ?
Ophélie pourrait bien mettre les pieds dans un monde beaucoup plus complexe et sournois qu’elle ne le pensait …

Dès les premières pages, on plonge dans un univers original, séparé (suite à une sorte de cataclysme divin) en arches physiquement indépendantes les unes des autres, chacune ayant développé un arc de compétences. Sur Anima, l’arche d’Ophélie, on a du pouvoir sur les objets, et Ophélie travaille pour la mémoire collective, en tenant un musée, puisqu’elle a la capacité de lire le passé des objets.
Ophélie est opposée à l’image que l’on se fait d’une conservatrice de musée : timide, gauche, elle est affreusement maladroite et apprécie peu la compagnie de ses congénères. Pire : elle n’a aucun prétendant, et ne fait même pas mine de s’en chercher un. On comprend donc que l’annonce inopinée de ses fiançailles (obligatoires) avec un illustre inconnu de la capitale la laissent assez froide – et un tantinet désespérée.

En quelques pages, l’auteur nous rend immédiatement Ophélie sympathique. Sa – nombreuse – famille est merveilleusement croquée, et on plonge sans aucune difficulté dans la chaleureuse cuisine, ou dans les méandres glacés des Archives. L’ambiance, sur Anima, est à la fois chaleureuse, amicale et familiale : dès le départ, on s’y sent bien – et on est donc un peu déçu de quitter l’arche si vite. A l’opposé, la Citacielle (la capitale du Pôle, dont est originaire le fiancé) est glaciale, venteuse, et il vaut mieux se méfier de tout et de tous. Les ambiances sont extrêmement bien rendues et, autant on se sentait à l’aise sur Anima, autant on frissonne facilement (de peur ou de froid) lorsqu’on se trouve au Pôle. Même si les deux ambiances sont très différentes, il faut reconnaître que tout l’univers de Christelle Dabos possède un charme délicieux, parfois un peu désuet, mais d’une classe folle – tout comme certains personnages, d’ailleurs.

Thorn (le fiancé) et Ophélie sont diamétralement opposé : il est aussi grand qu’elle est chétive, aussi bourru qu’elle est douce, aussi désagréable et taciturne qu’Ophélie est volontaire et curieuse d’apprendre. En gros : deux êtres que tout oppose ! Et surtout aux antipodes de ce qu’on attend de personnages principaux : ils ne sont pas beaux, ils ne sont pas populaires et, si l’on en croit les rumeurs, leurs talents laissent à désirer. Les descriptions sont extrêmement soignées, tant au niveau des décors que des personnages. Ainsi, lorsqu’il est question de Thorn (par exemple), le lecteur est bercé dans un champ descriptif toujours similaire (mais toujours renouvelé) : l’air de ne pas y toucher, l’auteur nous rappelle constamment à quel point il est grand, anguleux, sombre et taciturne. Au lieu d’être répétitif, c’est subtil et cela donne une ambiance très travaillée à l’ensemble, vu que la technique est appliquée à l’ensemble. On est donc plongé dans un bain de petits détails particuliers à chaque personnage, chaque lieu, qui rendent cet effet très visuel des scènes.On visualise très vite les scènes, grâce aux détails, bien sûr, mais aussi grâce au style très fluide et vivant, qui rend la lecture très aisée, d’autant que l’auteur place quelques beaux effets de style au détour des phrases, qui accrochent encore un peu plus un lecteur déjà subjugué.
Les personnages sont fouillés, complexes, et tout sauf monolithiques : l’auteur nuance les propos, et c’est ce qui rend le tout si riche, et agréable à parcourir. La galerie de personnages est variée, et il est agréable de constater que même les personnages secondaires ont droit à une personnalité fouillée, complexe, et difficile à appréhender au premier abord.

L’intrigue, de son côté, est travaillée, et complexe à souhait : comme Ophélie, on ne sait pas exactement comment cela va tourner et les découvertes peuvent s’avérer surprenantes, tant l’auteur sait ménager son suspens. L’univers se dévoile petit à petit mais, loin d’être didactique, la balade est intelligemment instructive, certains détails importants étant passés petit à petit, et discrètement. Il faut d’ailleurs garder à l’esprit que rien n’est acquis. Mettant en pratique les us et coutumes de ses personnages, l’auteur manipule fort bien le lecteur, et le prend au piège des trahisons et faux-semblants distillés dans le texte. On frémit, on frissonne, on s’angoisse parfois : le rythme est extrêmement bien tenu, et les moments de pause toujours utilisés à bon escient. Il n’y a pas à dire : question scénario, Les Fiancés de l’hiver est très très bien ficelé. Christelle Dabos évite, de plus, les clichés et fait de son histoire quelque chose d’original, personnel, et très accessible à la fois. On entre dans l’univers comme dans une paire de chaussons, et il est difficile de s’en ressortir.

Ce qui est agréable, c’est qu’en refermant le livre, on a aussi peu de certitudes qu’au début : difficile de savoir où l’on doit se situer et à qui l’on peut se fier. Sans cliffhanger mal amené, l’auteur parvient à laisser son lecteur sur des charbons ardents, avec l’impatience de savoir ce qu’il pourrait se passer dans la suite.

Avec Les Fiancés de l’hiver, Christelle Dabos initie une série étonnante, dans un contexte original. L’univers, implacable, fantastique, aux consonances parfois oniriques, peut faire penser au Pays des Merveilles d’Alice, ou aux univers d’Hayao Miyazaki : fin, travaillé, et tellement singulier qu’il marque longtemps l’esprit du lecteur. Quoi qu’il en soit, on est face à un premier tome abouti, narré dans un style aussi fluide qu’élégant : l’histoire est enivrante, rythmée et pleine de rebondissements. La toile de l’intrigue est complexe, mais extrêmement bien tissée : on ne s’ennuie pas un seul instant et, même si passé un certain point (tardif), on finit par voir où on va en arriver, on continue d’être surpris et dans l’attente jusqu’au bout. Le roman est à la fois rusé et charmant : ce cocktail explosif rend la lecture très prenante, et c’est avec regret que l’on tourne la dernière page. Les Fiancés de l’hiver est un excellent premier tome, un vrai coup de cœur, et on espère très vivement que le tome 2, en cours d’écriture, continuera sur cette très bonne lancée ! 

◊ Dans la même série : Les Disparus du Clairdelune (2) ;

 

 La Passe-miroir #1, Les Fiancés de l’Hiver, Christelle Dabos. Gallimard, 2013, 528 p.
9/10.

 

20 commentaires sur “Les Fiancés de l’hiver, La Passe-Miroir #1, Christelle Dabos.

  1. Cléo dit :

    Ce livre me tente de plus en plus depuis sa sortie!!

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  2. Mypianocanta dit :

    Eh bien ! tu en parles plus que joliment en donnant vraiment envie d’ouvrir ce livre. allez hop dans la wish 🙂

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  3. Camille dit :

    Oh tient! Tu viens de me donner envie de le lire! Surtout qu’il m’intriguait depuis un moment…

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    • Sia dit :

      Je peux te certifier que le premier prix du concours n’est pas usurpé, c’est vraiment très réussi (ça, c’était au cas où tu n’aurais pas été totalement convaincue). 

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  4. Gaellooo dit :

    Très belle cronique!! j’ai hâte de me replonger dans cet univers

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  5. […] Encres & Calames (Sia), La tête dans les livres, Les carnets de Radicale, Les histoires de Margaud, Les lectures de […]

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  6. Acr0 dit :

    Ophélie est sympathique et très intéressante de par son don. Mais à vrai dire, je n’aimerais pas être à sa place 😉 L’univers est vraiment très beau !

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  7. Marie dit :

    Un grand merci pour cette decouverte ! Un livre genial

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  8. […] pour offrir une carte de l’univers, ainsi que des arbres généalogiques. Le tome 2 de La Passe-Miroir devrait débarquer en librairies… en novembre. Allez, on peut bien attendre quelques semaines […]

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  9. […] des airs de Camille Brissot (L’Atalante) – Le Premier de Nadia Coste (Scrineo) ♥ La Passe-Miroir, tomes 1 & 2 de Christelle Dabos (Gallimard Jeunesse) – Phobos, tomes 1 & 2 de […]

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  10. […] de le mettre là, mais je dois reconnaître que Les Disparus du Clairdelune, tome 2 de la série La Passe-Miroir de Christelle Dabos, m’a un tantinet laissée sur ma faim… J’ai trouvé les […]

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