Le dernier dragon sur Terre, Eoin Colfer.


Autrefois, il était connu sous le nom de Wyvern, Seigneur du Haut Feu, et son ombre terrifiait les masses. Aujourd’hui, il n’est que Vern, vautré dans le bayou où il se cache, matant Netflix non-stop en tee-shirt Flashdance et sifflant de la vodka à longueur de journée. Mais, contrairement aux autres membres de son espèce, il a survécu. Malheureusement, aucune quantité d’alcool ne peut combler son immense solitude.
C’est alors que le hasard lui propose une alliance inattendue… Aboutira-t-elle à l’extinction de sa race ou au retour de ses jours de gloire ?

Lorsque j’ai vu qu’Eoin Colfer, dont j’ai adoré les romans jeunesse, publiait un titre en fantasy adulte, j’étais aux anges ! Et cet état d’esprit n’a pas bougé au cours de ma lecture, que je suis ravie d’avoir faite.

Je ne sais pas si c’est un genre qu’il affectionne particulièrement, mais nous voici de nouveau dans de la fantasy urbaine, comme dans Artemis Fowl. À ceci près qu’il n’y a ici ni univers parallèle, ni magie dans le monde – sauf évidemment des dragons. Un, du moins : Wyvern, Seigneur du Haut-Feu, qui se fait plus modestement appeler Vern.
Mais Vern est loin de l’image habituelle que l’on a des dragons. Vern coule des jours tranquilles et heureux sur sa petite île cachée au milieu du bayou, boit comme un trou, et végète devant Netflix en révérant sa sacrosainte tranquillité. Une tranquillité brutalement chamboulée par Everett Moreau – dit Squib – jeune branleur local rendu là pour faire du trafic et pris dans les explosions provoquées par un petit règlement de compte mafieux impliquant un flic ripoux. Lequel se trouve être follement amoureux – à sens unique – de la mère de Squib, qu’il harcèle sexuellement avec une grande constance.
Partant de là, Squib et Vern se retrouvent, bon an mal an, à devoir faire équipe, le premier dans l’idée de survivre aux ennuis qui lui tombent sur le coin de la figure, le second dans l’objectif de retourner à sa petite vie tranquille, impliquant le moins d’humains (et de caméras de smartphones) possible.

« Squib plissa les paupières en les fermant presque. Il pensait que le blanc de ses yeux pouvait trahir sa présence. Hooke lui racontait-il des conneries ? Avait-il seulement attaché son bateau ?
Sans doute pas.
Il n’avait pas véritablement prévu la dernière partie de cette mission. Aussi se retrouvait-il bloqué sur cette putain d’île en compagnie des sangliers et des couguars et peut-être même d’une bande de fourmis rouges, alignées dans une file bien ordonnée, qui viendraient lui dévorer la bite. Et s’il essayait de s’enfuir en courant, Hooke lui enverrait une grenade au cul, comme un cornet de glace à réaction.
Quelle nuit délicieuse !
Everett Connard Moreau : organisateur de génie.
Comme ce petit Français qui aimait bien les grandes femmes pour se prouver quelque chose. Napoléon.
Mais pas du tout comme lui, en fait, sauf que tous les deux avaient fini coincés sur une île, s’il se souvenait bien de ses leçons d’histoire. Ou peut-être était-ce Huckleberry Finn qui s’était retrouvé en rade sur son île.
En tout cas, en cette belle soirée, c’était lui, l’imbécile bloqué sur une étendue de terre entourée d’eau
. »

Ça vous semble mal barré ? En effet, ça l’est. Car à partir de ce moment-là, c’est dans les ennuis jusqu’au cou que se retrouve Squib et, par extension, Vern.
À la fantasy urbaine se mêle donc le thriller, puisque l’on est rapidement environnés de tout ce que compte comme malfrats la pègre locale, avec en premier chef le flic ripou sus-nommé. J’étais d’ailleurs assez surprise de lire autant de scènes glauques – de torture, notamment – sans doute parce que je m’attendais à de la fantasy urbaine plus légère. Mais c’est ce qui fait le sel du roman !

Ça, et le cynisme des personnages. Vern, notamment, n’a pas sa langue dans sa poche et n’en rate pas une. Ses réparties saillantes m’ont souvent fait rire, comme son usage acharné du langage de charretier – oreilles sensibles s’abstenir, donc.
Les personnages tiennent d’ailleurs plus des antihéros que des héros. Entre leur langage résolument ordurier et leur conception assez floue du bien, du mal, et de la morale, il y a de quoi faire. Vern n’est pas contre un petit barbeuk d’humains de temps en temps. Squib ne voit aucun mal à traficoter par-ci par-là. Quant à Hooke, les concepts de consentement, harcèlement sexuel et bienséance lui sont de toute évidence tout à fait étrangers.

Le roman présente donc un parfait mélange entre ambiance hyper glauque et humour noir, au travers d’une intrigue qui sait de temps en temps s’alléger. Celle-ci n’est pas menée tambour battant, mais semble coller au rythme lent du fleuve qui irrigue le bayou. De fait, l’ambiance un peu poisseuse colle aussi parfaitement à la géographie des lieux.

Bonne découverte, donc, que ce nouveau roman d’Eoin Colfer avec lequel j’ai beaucoup ri. Il nous embarque dans une histoire un peu foutraque, un peu glauque, menée avec beaucoup de légèreté.

Le Dernier dragon sur Terre, Eoin Colfer. Traduit de l’anglais (Irlande) par Jean-François Ménard.
Pygmalion, août 2020, 416 p.

Mettre son grain de sel