Olangar : Bans et Barricades 1/2, Clément Bouhélier.


Dix-sept ans ont passé depuis la bataille d’Oqananga, où la coalition entre les Elfes et les Hommes a repoussé les Orcs par-delà les frontières.
À l’approche des élections, Olangar est une capitale sous tension, véritable poudrière où seule manque l’étincelle. Tandis que les trois candidats noircissent les journaux de leurs promesses, les accidents se multiplient sur les chantiers navals ; les salaires se font attendre et la Confrérie des Nains menace d’engager un mouvement de grève d’une ampleur jamais vue. À leur tête, Baldek Istömin ira jusqu’au bout.
Au même moment, Evyna d’Enguerrand, fille d’un ancien seigneur de guerre, débarque en ville pour chercher la vérité sur la mort de son frère, soldat assassiné au Grand Mur dans d’étranges circonstances. Pour l’aider, elle fait sortir de prison Torgend Aersellson, un Elfe banni par les siens et vieil ami de son père. Ensemble, ils se lancent dans une enquête acharnée, qui les mènera des bas-fonds de la cité jusqu’aux couloirs de la Chancellerie et ses arcanes politiques.

Je connaissais Clément Bouhélier au rayon horreur, je le découvre au rayon fantasy avec autant de plaisir : attention, auteur à suivre !
Si l’histoire débute sur la fameuse bataille d’Oqananga : l’introduction est saisissante, car on partage le vécu des soldats se voyant dans l’obligation de donner un assaut qui semble d’ores et déjà voué à l’échec. Le roman s’ouvre sur une scène de violence et de désespoir qui prend littéralement aux tripes. Dès les premières pages, l’auteur nous met donc dans le bain : entre les humains, les nains, les elfes et les orcs, les fameuses Peaux Vertes, ce n’est pas le grand amour.
Puis, changement radical d’ambiance, puisque le récit reprend dix-sept ans plus tard, en centre-ville, dans une cité plus ou moins pacifiée, et va s’attacher à plusieurs personnages – que rien ne relie, du moins en apparence : Evyna, une jeune noble du Sud cherchant à faire la lumière sur la mort de son frère, Torgend, un Elfe déchu et Baldek, un nain menant le piquet de grève. Voilà pour les trois principaux, mais il faudrait également citer Mandrac, le truand qui règne sur les bas-fonds et dont les rets semblent s’étendre à l’infini.

Je savais plus ou moins à quoi m’attendre en attaquant le roman, car le « Mois de » Clément Bouhélier venait de s’achever sur Bookenstock et qu’on a pas mal évoqué ce titre ; ceci étant, j’avoue que le motif de la grève titillait entièrement ma curiosité, puisque ce n’est pas un thème que j’ai l’habitude de croiser en fantasy — plus en SF, à vrai dire. Et je dois dire qu’il s’y marie ici très bien !
Tout cela tient à l’univers que déploie l’auteur dans ce premier volume : Olangar est une cité très industrialisée, qui compte sur ses chantiers navals et sur ses mines… dans lesquels les conditions de travail sont plus que discutables. C’est un univers dans lequel on se déplace à cheval ou en carrosse, mais aussi en train ; on y livre des batailles héroïques, mais on y fait aussi grève, et assez sévèrement, avec ça.  Tout cela pourrait paraître contradictoire et anachronique, mais en fait cette fantasy industrielle fonctionne à merveille !

Et je crois que c’est aussi ce mélange des genres qui m’a tellement plu. Il y a tout d’abord le récit de fantasy classique, dans lequel on trouve un personnage qui cherche une sorte de vengeance, l’alliance entre la fougue de la jeunesse et l’amertume tenace du guerrier solitaire, qui pour beaucoup repose sur un conflit ancien qui ne semble pas près de se résoudre. Sa comparse de toujours, quant à elle, semble avoir tiré un trait sur ce passé et vivre selon ses propres règles (parfois conflictuelles avec son héritage, justement). Ce sont des schémas auxquels on est habitués en fantasy mais c’est comme pour l’univers, l’auteur les mêle à d’autres thèmes et/ou motifs plus inattendus. La quête des personnages prend assez vite les allures d’un véritable récit d’aventure, tendances roman de cape et d’épées mâtiné de western — et je ne dis pas cela seulement pour la fabuleuse scène de l’attaque du train à laquelle on assiste ! Il y a un souffle particulièrement épique dans ce roman, qui m’a à plusieurs reprises laissée pantoise devant les péripéties infligées aux personnages.
À côté de cet audacieux (mais génial !) mélange de fantasy, d’aventure et de western, il y a ce qui ressemble nettement plus à un roman noir, avec les petits trafics et complots que la pègre s’ingénie à pérenniser tout en les dissimulant. On visite donc en long, en large et en travers les bas-fonds, dont l’influence auprès des hautes sphères semble sans limite. Certains passages font froid dans le dos lorsque l’on pense aux conséquences au niveau national des petits trafics que l’on surprend…

Car en plus des trajectoires personnelles de chacun des protagonistes, c’est la destinée d’Olangar qui se joue elle-même, les élections étant en approche : cette échéance rapide vient rythmer le roman, tout en insufflant la sensation que tout ce petit monde se dirige vers le point de non-retour (mais lequel ?). Et c’est certainement avec cela que l’on quitte les rives de la fantasy classique pour rejoindre celles d’un autre genre hybride — au cas où les accents d’aventure, de western et de roman noir ne vous auraient pas comblés. Comme je l’ai dit au départ, l’univers est hyper industrialisé, ce qui fait que les personnages ont des préoccupations extrêmement modernes : les ouvriers se sont constitués en syndicats, ils luttent pour de meilleures rémunérations et primes, des conditions de travail décentes et, globalement, une politique transparente et honnête… Qui a dit « comme dans la vraie vie » ?! Car oui, comme dans la vraie vie, il sera question de financements privés occultes, des coulisses (pas nettes) d’une campagne électorale, de la façon de communiquer envers le « peuple », de mépris de classe, des enjeux que peuvent avoir une grève générale, ou encore des moyens (dégueulasses) que l’on utilise pour briser une grève. Bref, ça nous parle, c’est hyper rafraîchissant en fantasy et surtout, ce n’est pas moralisateur. Triple bon point !

L’intrigue étant assez dense, le roman s’avère très prenant : on n’est pas nécessairement à bout de souffle toutes les trois pages, mais il y a tellement d’enjeux différents qu’il est difficile de se sentir serein pour tous les personnages. Du coup… le roman se dévore plus qu’il ne se lit, il faut bien l’avouer ! Le mélange entre fantasy, aventure, roman noir et préoccupations sociales est aussi palpitant que saisissant, d’autant que le récit se fait volontiers épique. Évidemment, tout n’est pas résolu (pour cela, il faudra lire le deuxième volume du roman), mais on a déjà un assez net tableau des forces en présence, une idée des enjeux qui se disputent et, pour ma part… la féroce envie de savoir comment tout cela va se terminer !

Olangar : Bans et Barricades, volume 1, Clément Bouhélier. Critic, août 2018, 445 p.

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2 commentaires sur “Olangar : Bans et Barricades 1/2, Clément Bouhélier.

  1. Dis donc, quelle chronique ! Je me suis pris les deux volumes suite à l’avis de Dup, et heureusement : ton avis me donne furieusement envie de m’y mettre de suite 😀

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