La Mémoire de Babel, La Passe-Miroir #3, Christelle Dabos.

Thorn a disparu depuis deux ans et demi et Ophélie désespère. Les indices trouvés dans le livre de Farouk et les informations livrées par Dieu mènent toutes à l’arche de Babel, dépositaire des archives mémorielles du monde. Ophélie décide de s’y rendre sous une fausse identité afin d’enquêter. 

J’ai découvert cette série en 2013, lorsqu’est paru le premier tome, qui m’a littéralement envoûtée. J’ai eu un petit coup de mou à la lecture du deuxième volume, mais ce troisième tome m’a à nouveau transportée. J’ai même dû me restreindre dans ma lecture pour le savourer au mieux, pour ne pas n’en faire qu’une seule et ridicule petite bouchée !

Le roman reprend après une longue ellipse : plus de deux ans se sont écoulés depuis la fin du deuxième tome. Et tout a changé. Thorn a disparu, Ophélie est revenue sur Anima, sous la surveillance étroite des Doyennes — dont elle va assez vite s’affranchir pour nous emmener sur Babel. Là, on découvre une troisième arche avec ses particularités, ses mythes… et ses dysfonctionnements. Car depuis le tome 2, on l’a compris. L’univers de Christelle Dabos, sous des dehors chatoyants, a tout des allures d’une dystopie un poil cauchemardesque.

Comme dans le tome précédent, l’intrigue prend de très nets accents de polar et de roman d’initiation : Ophélie est plongée dans une nouvelle enquête pour laquelle elle va devoir donner de sa personne. Retour sur les bancs de l’école, à la grande joie de notre protagoniste. À première vue, on pourrait croire qu’il n’y a pas beaucoup d’action dans le roman, comme dans le tome 2 : en fait, c’est que les événements ont lieu petit à petit et que l’intrigue se constitue d’une multitude de petites choses mises bout à bout. En même temps, cela correspond parfaitement au caractère d’Ophélie, qui mêle passivité et opiniâtreté.
Sur les bancs de l’école, disais-je, Ophélie va avoir maille à partir avec les meilleurs étudiants de Babel. L’ennui, c’est que le sommet de la pyramide alimentaire ne comporte qu’une seule place et qu’Ophélie en a désespérément besoin pour retrouver Thorn et lui venir en aide, le tout sans se faire griller par Dieu qui est sans doute aux aguets. Comme attendu, le combat est rude. J’ai traversé cette période comme en apnée, prise par l’ambiance fiévreuse des études épuisantes, l’anxiété due aux harcèlements que subit Ophélie, la pression qui pèse sur elle, telle une chape de plomb : réussira-t-elle, ou non, à gagner la place ? De fait, tout cela est très prenant ; mais si Ophélie apprend moult techniques d’analyse des objets, ce n’est rien comparé à ce qu’elle apprend sur elle-même. Cette épreuve la fait réfléchir, mûrir, grandir : elle en apprendra beaucoup sur son univers, évidemment, mais aussi sur elle et sur sa relation aux autres. Et si la partie purement scolaire était prenante, ce versant plus initiatique est, lui, passionnant.

L’enquête que mène l’Animiste est étroitement liée à celle initiée dans le précédent tome, qui portait sur les raisons de la Déchirure et l’étonnante amnésie des esprits de famille. Et comme Ophélie, on tâtonne, on échafaude des hypothèses, on essaie de comprendre les tenants et aboutissants de cet univers qui semblait si confortable et accueillant au départ, mais qui finalement ne l’est pas tant que ça. Au passage, on découvre donc l’arche de Babel, truffée d’automates, où l’on s’habille suivant ses pouvoirs (et où les Moldus les sans-pouvoirs ne sont pas les bienvenus), où l’on prend des tramoiseaux pour se déplacer et où il faut absolument fournir des notices catalographiques détaillées pour le catalogue en cours de constitution… lequel fonctionne avec des cartes percées — si vous avez suivi, l’ancêtre de l’ordinateur, mais dans une bibliothèque qui a la classe et l’allure de celle d’Oxford. Oui, vous l’aurez compris, toutes ces descriptions ont fait palpiter mon petit cœur de bibliothécaire (et regretter de travailler dans un bâtiment aussi moderne que moche, mais là n’est pas la question).
Babel est originale, envoûtante et surprenante : elle est rarement là où on l’attend, luxuriante et débordante d’idées audacieuses. Avec ce tome 3, j’ai retrouvé l’ambiance survoltée qui va avec la découverte d’une terra incognita, ambiance qui m’avait positivement marquée dans le premier tome.

À cela, il faut ajouter le rythme de l’intrigue. Je l’ai dit rapidement en ouverture, l’histoire se constitue de plusieurs petites choses qui passent inaperçues mais qui, mises bout à bout, viennent tresser une intrigue dense. Celle-ci est aérée par quelques coups d’œil au Pôle où l’on retrouve Bérénilde, Victoire, Archibald et bien d’autres. Et, là encore, c’est palpitant. Car s’ils n’enquêtent pas sur les mêmes points qu’Ophélie, eux aussi sont au prises avec des difficultés qui entraînent des développements passionnants. Du coup, comme on progresse en même temps sur tous les fronts, difficile de s’ennuyer. D’autant que, là non plus, les personnages ne sont pas inactifs et vont contribuer (parfois à leurs dépens !) à dévoiler un peu plus de la résolution du mystère qui nous occupe.

Je ne vais pas mentir et prétendre n’avoir eu aucun horizon d’attente concernant ce roman : mais l’attente valait le coup, car il a littéralement pulvérisé mes espérances. À tel point que l’attente, pour le quatrième tome, risque de prendre des allures de douce torture – mais si c’est pour l’auteure la possibilité de livrer un tome aussi extraordinaire, alors je suis volontaire. 
À la lecture de ce volume, j’ai retrouvé l’ambiance tour à tour envoûtante, poétique, surprenante, déstabilisante ou un brin cruelle qui m’avait tellement plu dans le premier tome. Encore une fois, Christelle Dabos nous entraîne sur des chemins insoupçonnés et nous plonge dans un univers d’une incroyable originalité à l’ambiance délicieusement steampunk. Son intrigue, menée de main de maître, mêle au roman initiatique des accents de polar et un romantisme échevelé ; autant d’excellents ingrédients qui m’ont incitée à en savourer chaque page et qui, une fois la dernière page tournée, m’ont laissée une envie impérieuse : celle de relire immédiatement les trois tomes parus. 

◊ Dans la même série : Les Fiancés de l’hiver (1)Les Disparus du Clairdelune (2) ;

La Passe-Miroir #3, La Mémoire de Babel, Christelle Dabos.
Gallimard jeunesse, 1er juin 2017, 496 p.

 

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10 commentaires sur “La Mémoire de Babel, La Passe-Miroir #3, Christelle Dabos.

  1. Attendre, ou ne pas attendre la sortie du tome 4 avant de reprendre ma lecture de cette saga, arrêtée à la fin du premier ? Telle est la question !
    Je vais encore patienter, pour pouvoir lire TOUS les tomes, jusqu’au dernier, d’un seul coup !
    La torture ne passera pas par moi 😀

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    • Sia dit :

      Mais quelle force ! En même temps, moi j’étais foutue dès la lecture du tome 1, que j’ai abordé en toute ignorance de cause ! (Mais c’était une excellente idée, tout de même !)

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  2. Drine Psylook dit :

    C’est cool que tu aies aimé ce troisième tome. En ce qui me concerne, j’ai préféré les deux premiers mais celui-ci était quand trop bien.
    L’attente pour le quatre va en effet être une torture :/

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    • Sia dit :

      J’ai eu une petite baisse de régime sur le 2 mais je pense que ça venait de moi. Là, maintenant, j’ai particulièrement envie de tout relire d’un coup !
      L’attente va être longue, mais j’aime autant avoir un tome 4 bien mûri qu’un truc bâclé !

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  3. J’avais tellement hâte de me plonger dans ce nouveau tome ! Babel et Ophélie m’ont époustouflé. J’ai adoré l’évolution de l’héroïne et les nouveau personnages qu’elle rencontre qui sont très intéressants. Les anciens m’ont un peu manqué et Thorn se fait beaucoup attendre mais c’est encore un très bon roman.

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  4. […] Neverland, Encres & Calames (Sia), La couleur des mots (Olivia), La tête dans les livres, Le Brocoli de Merlin […]

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  5. Acr0 dit :

    A posteriori, je me rends compte que j’ai préféré premier et troisièmes tomes au deuxième. Cette nouvelle arche est vraiment très intrigante à découvrir ! J’ai trouvé aussi que le rythme était bien contrôlé tout comme les détails amenés, on n’avait plus qu’à se glisser dans l’histoire.

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    • Sia dit :

      Moi aussi j’ai préféré les tomes 1 et 3 🙂 Et je n’ai eu aucune difficulté à me glisser dans l’intrigue – hormis les petits détails que j’avais oubliés mais qui ont fini par revenir.

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