Les Filles de l’orage, Le Sang et l’Or #1, Kim Wilkins.

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Le Thyrsland va mal. Son roi, Aelthric, est dans le coma. Mais, pour l’instant, seuls ses plus proches conseillers et ses cinq filles sont au courant. Si ses ennemis venaient à l’apprendre, ce serait le chaos. Or, il semblerait que la maladie du roi n’ait rien de naturel mais, en revanche, tout de magique.
Bluebell, sa fille aînée, héritière du trône, chef des armées et guerrière prétendument invincible, décide alors de demander de l’aide à une magicienne vivant aux confins du royaume, entraînant ses quatre sœurs et leur père malade dans un périple qui est loin d’être tout repos. D’autant que chacune des sœurs dissimule un secret qui pourrait bien conduire le royaume à la ruine…

Cela faisait un moment que je n’avais pas lu un roman de fantasy qui me tienne autant en haleine !
Dès les premières pages, on plonge dans un univers plutôt rustique (même pour un univers de fantasy) que les descriptions fournies – sans être lourdes – dépeignent à merveille. Il faut imaginer des châteaux qui ont tout de grosses fermes fortifiées, organisés en longères séparées, diverses cours et bâtiments épars (cuisine, écurie, salle de réception…), bien loin, donc, de l’imaginaire des châteaux certes fortifiés, mais offrant un minimum de confort.
Autre détail qui vient trahir une certaine rusticité : la famille royale semble connaître les prénoms du petit personnel, une attitude que l’on a du mal à faire cadrer avec une famille siégeant dans un château ! D’ailleurs, le royaume se compose de bourgades, de fermes isolées et de petites villes fortifiées et l’on sent que tout cela n’est relié que par des chemins boueux et des espaces encore largement naturels. Et tout ce petit monde est aux prises avec de féroces bandes de brigands (que l’on a du mal à imaginer dans un univers plus urbanisé), aux intérêts divergents (mais visant tous à se débarrasser des puissants). Le décor est donc pour le moins pastoral – et original.
Mais il ne faudrait pas s’imaginer que décor bucolique rime avec vie idyllique. Loin de là ! Les complots politique font rage !

En effet, le Thyrsland est, en quelque sorte, la tête de proue d’une petite fédération de royaumes qui, sans former de véritable alliance, se contentent de cohabiter plus ou moins pacifiquement. Outre les habituelles querelles territoriales, il faut compter avec un litige religieux qui oppose les « païens » (dont la majorité des habitants du Thyrsland, famille royale incluse) aux adeptes de la religion trimartyre, qui ne reconnaissent que le dieu unique Maava et ont des convictions diamétralement opposées à celles qui, traditionnellement, régissaient le royaume. Ainsi, ils dénient aux femmes toute autre occupation que celles ayant trait à la cuisine ou à l’éducation des enfants – et il va sans dire que toute ressemblance avec la réalité est loin d’être fortuite ! Fatalement, la défaillance du roi tombe au plus mal, dans un contexte aussi troublé.

Ainsi présenté, on pourrait se dire que l’intrigue est plus que classique, puisqu’il s’agit seulement de sauver le roi et le royaume. Ce qui fait tout le sel du récit, ce sont vraiment ses personnages et la façon dont Kim Wilkins amène et aménage les rebondissements.
Ainsi, on suit les cinq filles, aux caractères, particularités et histoires bien différentes (et aux noms de fleurs ou de plantes). Bluebell est, en quelque sorte, le fils que le roi n’a jamais eu : elle se bat sur le terrain avec ses hommes, commande aux armées, n’a peur de rien ni de personne, manie les armes comme pas deux et s’accommoderait merveilleusement d’une vie solitaire avec son cheval et ses deux chiennes. Bref, c’est une dure à cuire – surnommée Téton d’Acier par ses adorables petites sœurs, d’ailleurs, ça veut tout dire. Pourtant, sous des dehors d’indifférence, Bluebell se montre très humaine et très concernée par le sort de son père ou de ses sœurs. Celles-ci ne le lui rendent pas toujours. Ainsi, Rose est plus obnubilée par sa romance que par le sort du royaume mais Kim Wilkins nous campe une femme tiraillée entre son cœur et son devoir, tout en montrant à quel point son propre égoïsme l’aveugle. Vraiment, l’auteur s’y entend pour trousser des personnages complexes et aux facettes multiples, c’est très agréable : car on donne difficilement tort ou raison à certaines d’entre elles, dont les dilemmes sont cornéliens.
La troisième sœur, Ash, est sans aucun doute le pendant de Bluebell. Envoyée au loin pour devenir conseillère en foi commune (un mélange aussi original qu’inédit entre prêtresse et rebouteuse), elle s’inquiète de voir ses pouvoirs grandir et devenir totalement incontrôlables. De fait, elle a vu son avenir (alors qu’elle ne devrait pas pouvoir) et sait que rien de bon ne va en sortir. Aussi craint-elle de mettre sa famille, ses sœurs et, pour finir, le royaume en danger, ce qui la pousse à caresser l’idée de s’exiler définitivement. Entre Bluebell qui doit assurer l’intérim du royaume, Rose qui met en péril le sien (elle est l’épouse d’un roi voisin) et Ash qui craint de déclencher l’apocalypse en restant, on est servis en dilemmes moraux. Ceux-ci sont à la fois bien posés et bien exploités, ce qui donne à l’intrigue beaucoup de corps, les sous-intrigues s’entrecroisant.
Il y a, enfin, les deux petites dernières, les jumelles Ivy et Willow : la première, frivole et légère, n’aspire qu’à une vie dissolue de plaisirs ; la seconde a secrètement embrassé la foi trimartyre et méprise de plus en plus les traditions familiales, mettant en péril le fragile équilibre qui, jusque-là, les maintenait tous unis.
Et ce sont leurs interactions qui sont absolument passionnantes. Comme on passe de l’une à l’autre, on connaît leurs aspirations, leurs désirs, leurs analyses sur la situation ou sur leurs propres sœurs. On décrypte les sous-textes de leurs échanges, lourds de sous-entendus, de rancœurs inavouées et d’amours inavouables (on ne peut en effet pas dire que la communication soit le point fort de la famille).

À cela s’ajoutent les bisbilles politiques qui agitent les royaumes. Le roi disparaît et Bluebell est loin de faire l’unanimité – on l’a vu, pour les trimartyrs, il est hors de question qu’une femme puisse monter sur quelque trône que ce soit et, globalement, elle enquiquine tout le monde avec son caractère de cochon et ses aptitudes au combat. Pour eux, n’importe qui plutôt que Bluebell fera l’affaire – et, de préférence, quelqu’un soigneusement placé sur le trône suite à conspirations. Elle est donc crainte, pourchassée, traquée sans relâche. Combiné à l’intrigue magique et aux autres problèmes en cours, cela donne un roman riche en poursuites, en batailles, trahisons et escarmouches jouant avec les nerfs du lecteur. Vraiment, on ne voit pas les quelques 400 pages passer tant l’ensemble est prenant et dynamique.

Dernier point, et non des moindres : le roman fait vraiment la part belle aux personnages féminins. Les cinq sœurs sont évidemment les protagonistes : elles sont guerrière, épouse, amante, mère, dévouée à la foi, amoureuse, traîtresse, magicienne, stratège… Et, évidemment, on leur demande de prouver mille fois plus de choses que si elles étaient des hommes (étonnant, non ?). Volontairement cantonnées à des rôles de seconde zone (hormis Bluebell), elles n’en portent pas moins l’écrasante pression qu’exerce sur elles un univers dominé par les hommes. Là encore, toute ressemblance avec la réalité est moins que fortuite.

Voilà un début de série du meilleur augure ! Si l’intrigue peut sembler classique, ce sont l’univers et les personnages mis en scène qui en font tout le sel. Kim Wilkins narre l’histoire de cinq sœurs prêtes à prendre leur destin et leurs armes en main, à se lancer à corps perdu dans toutes les batailles et à faire ce qu’elles pensent être juste : il va sans dire que j’ai hâte de découvrir la suite !

Le Sang et l’Or #1, Les Filles de l’orage, Kim Wilkins. Traduit de l’anglais par Nenad Savic.
Bragelonne, juin 2016, 408 p.

4 commentaires sur “Les Filles de l’orage, Le Sang et l’Or #1, Kim Wilkins.

  1. Chess dit :

    Un premier tome très sympa, je suis curieuse de lire la suite 🙂 !

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  2. Lupa dit :

    Mon nouveau mantra : « Non, je ne commencerai pas de nouvelle saga fantasy… Non, je ne commencerai pas de nouvelle saga fantasy… Non, je ne commencerai… ».
    Je te dirai si ça marche 😉

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