Nox, Yves Grevet.

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Dans une ville basse que recouvre un brouillard – la nox – si dense que les habitants ne peuvent se déplacer sans lumière, l’espérance de vie est courte. Pire, les habitants sont contraints à une misère perpétuelle : hommes, femmes, enfants sont forcés de marcher ou de pédaler sans cesse afin de produire énergie et lumière avec des dynamos. Puisque l’expérience de vie est si courte, la loi impose aux adolescents de se marier et d’avoir des enfants le plus vite possible – dès 17 ans.
Lucen aime bien sa vie telle qu’elle est, mais craint de perdre celle qu’il aime, Firmie, car elle ne semble pas pressée de procréer. Il sent, par ailleurs, que son petit groupe d’amis est en train de mourir : Gerges, le fils du chef de la milice, s’apprête à la rejoindre et à œuvrer, lui aussi, à terroriser les habitants ; quant à Maurce, il fréquente un peu trop les hors-la-loi pour son bien. Pour chacun, l’heure des choix a sonné et les conséquences pourraient être fâcheuses.
Au même moment, dans des territoires épargnés par la nox, dans la ville du haut, la jeune Ludmilla ne parvient à se résigner au départ forcé de Martha, sa gouvernante qui l’a élevée, injustement renvoyée par son père. Elle décide de tout tenter pour la retrouver, quitte à s’aventurer dans la nox et à s’y perdre. Dans son imprudence, elle a de la chance, car c’est sur Lucen qu’elle tombe. Peut-être bien pour leur malheur à tous les deux…

Nox était ma première rencontre avec Yves Grevet : rencontre pour le moins réussie !

La première chose qui marque, c’est l’univers dans lequel l’auteur déroule son histoire. Coupé en deux extrêmes, il oppose à la ville haute, claire, rangée, ordonnée, la ville basse, sale, bruyante, polluée. Les habitants sont, eux aussi, départagés : dans la ville haute, ils ont le teint et le verbe haut et clair alors que, dans la ville basse, ils sont prix dans la nox. En témoignent leurs noms : si, dans la ville haute, ils portent des prénoms académiques, ceux de la ville basse omettent qui une consonne, qui une voyelle, créant ainsi des prénoms pour le moins exotiques, mais pas toujours faciles à prononcer. Cet univers scindé en deux parties bien distinctes (et contiguës) sert, évidemment, à mettre en place une intrigue dystopique. Sans surprise, la société du bas est opprimée par celle du haut qui, en plus de faire peser une législation très lourde régentant toute la société (mariages, naissances, métiers…) sur ceux d’en-bas, véhicule tout un tas de clichés racistes sur les habitants des quartiers défavorisés (sales, incultes, violents et on en passe). On imagine donc sans peine leur volonté de se rebeller, d’autant que la milice des bas-quartiers fait régner un ordre aussi violent qu’arbitraire. Or, dans son quartier chic, Ludmilla fréquente elle aussi quelques agités : peu à peu, les différentes groupes se retrouvent donc non pas à faire cause commune (ne se fréquentant pas), mais à œuvrer dans le même sens, ce qui s’avère vraiment intéressant.
De plus, le fait qu’une moitié de la ville soit constamment plongée dans le noir offre d’intéressants ressorts narratifs : difficile de savoir qui se terre dans l’obscurité, qui espionne quoi et de deviner les motivations de chacun !

Autre point passionnant, c’est que Nox est avant-tout une histoire d’amitié. Au fil des pages, on assiste à des amitiés d’enfance (pourtant solides !) qui se déchirent, d’autres qui se reforment ou qui se transforment en haines profondes et tenaces, faute de temps pour s’expliquer sereinement. Il y a les amitiés qui motivent toute l’histoire – comme le lien profond qui unit Ludmilla à Martha et qui précipite l’histoire – et celles qui se nouent et se dénouent dans la nécessité et l’adversité. L’histoire tourne, de fait, surtout autour de Ludmilla, dont les recherches vont la pousser à fréquenter des rebelles dont les intérêts rejoignent ceux des habitants de la nox. Autre figure centrale : Lucen, dont l’existence part soudainement en vrille après un tout petit accroc, lequel prend de plus en plus d’importance de péripéties en péripéties, de façon à la fois affreusement réaliste et percutante. Il n’est nullement difficile de s’identifier à ce que vit ce garçon ! L’auteur accorde un soin particulier à ses personnages, qu’ils soient amis, opposants, ou baignant dans un flou artistique savamment entretenu.

Enfin, la narration apporte son lot de piquant ! On vogue d’un personnage à l’autre, en revenant toujours un petit peu en arrière. Mais ce n’est absolument pas répétitif, l’auteur choisissant systématiquement un nouvel angle d’approche, permettant de nuancer l’histoire qu’il nous narre. Non seulement cela vient nuancer le propos mais, en plus, cela augmente diablement le suspense.
Au fil des chapitres, nos adolescentes découvrent (avec déplaisir), combien leur monde est sombre et assistent à la lente mais irrémédiable destruction de leurs illusions. On pourrait craindre un roman sinistre mais loin de là ! La conclusion et les derniers chapitres viennent nuancer cette impression, tout en portant un beau message d’espoir !

En somme, au rayon dystopies, voilà une excellente série qui sort du lot. Point de batailles rangées opposant rebelles et pouvoir institutionnel. En lieu et place, une intrigue soignée, amenant le lecteur à réfléchir sur les clivages de la société, mettant en scène des personnages très humains (quel que soit leur bord !), et bien plus semblables qu’ils ne le pensent. Bref : une dystopie intelligente à préférer aux cadors du marché !

Nox, Yves Grevet. Syros, 2015 (pour l’intégrale), 845 p.
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Un texte pas tout à fait dystopique mais un peu quand même, dans lequel le langage est travaillé aussi.

 

2 commentaires sur “Nox, Yves Grevet.

  1. solessor dit :

    Dystopie que j’avais repérée, mais le résumé m’avait laissée sceptique. Ta chronique vient réveiller mon intérêt ! Par contre, appeler un personnage Lucen dans le contexte, c’est facile ! ^^

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