Réseau(x) #1, Vincent Villeminot.

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France, futur proche. Les réseaux sociaux sont partout, et tout le monde les utilise. Facebook semble quelque peu dépassé, et les adolescents ont jeté leur dévolu sur DKB, le DreamKatcherBook, un réseau diurne, sur lequel ils racontent leurs pensées, leur vie, ou postent leurs créations. DKB a aussi son versant nocturne, MDP, MyDarkPlaces, où l’on raconte ses rêves et cauchemars, destinés à une petite bande de followers.
Sixtine, dite Sixie, jeune fille de 15 ans, apprentie cinéaste, est victime de cauchemars terrifiants. Pour les exorciser, elle a pris l’habitude de tourner ses cauchemars en petites vidéos oniriques, où elle apparaît avec un masque de licorne, qu’elle poste sur le réseau. Un jour, quelqu’un poste sur sa page une vidéo dans laquelle elle apparaît… et où elle commet un meurtre en direct.
Sans le savoir, Sixie a attiré l’attention d’un gros, très gros poisson… et devient l’enjeu d’une guerre à balles réelles, initiée sur les réseaux. Folie, manipulation, traque, vengeance implacable… la jeune fille est au centre de tous les regards.

Réseau(x) prend place dans un futur proche qui n’a rien de futuriste ou complètement loufoque : pas de vaisseaux incroyables, pas d’armes surpuissantes, pas de tenues ou inventions délirantes. La seule chose qui a changé, c’est ce double réseau social virtuel, DKB/MDP, décliné en versions diurne et nocturne. Les adolescents, sans aucune pudeur, narrent aussi bien les petits détails de leurs vies que le contenu de leurs cauchemars et autres songes.
L’intrigue principale tourne autour de Sixie, adolescente perturbée, coutumière de DKB et MDP, postant avec régularité ses cauchemars, afin de mieux les exorciser. Voilà pour l’histoire centrale. Là où tout se corse, c’est quand quelqu’un (de mal intentionné, semble-t-il), poste sur la page de Sixie un film où on voit la jeune fille assassiner quelqu’un, reprenant point par point un cauchemar qu’avait fait la lycéenne. Sixie est connue pour ses problèmes psychologiques, qui se répercutent sur son sommeil, et qui sont habilement mis en scène par l’auteur pour semer le doute dans l’esprit du lecteur (et des autres personnages), quant à la santé mentale de la jeune fille. Parallèlement à tout cela, on découvre un jeune anarchiste catalan, Cèsar Diaz, alias Nada#1, qui a inventé un jeu redoutable : désignant à ses fidèles un lieu précis (bâtiment publique, institution, ou autre) via les réseaux sociaux, il leur propose d’en prendre l’assaut, armés de fusils à airs comprimés ou lançant des billes de peinture, tout en reproduisant des scènes connues de jeux vidéos à la mode (et que l’on connaît bien). Le nom du jeu ? Play it for real (abrégé en PIFR). Un jeu qui met sur les dents toutes les polices du monde, et dont le but est de semer le chaos dans la population, les institutions, la société, à plus ou moins long terme.

D’ores et déjà, vous pouvez constater que Réseau(x) est un roman choral, à tiroir, dont les multiples sous-intrigues se croisent et s’entremêlent pour former un formidable imbroglio. Enquête, complots, trahisons, monde réel, monde virtuel, politique, théorie de l’anarchie, problèmes de société, révoltes étudiantes, contre-espionnage, snuff movies, impact des réseaux sociaux … les thèmes sont très nombreux, et rendent le roman difficile à résumer et à classer, le laissant à mi-chemin du thriller complexe et du roman de société implacable.
Les rêves sont omniprésents ; réel et virtuel s’imbriquent, créant d’improbables ponts que les personnages empruntent sans sourciller, comme si le monde onirique n’était qu’une sorte d’autre monde à arpenter. Rapidement, on éprouve une sensation d’étouffement, comme les personnages, car on différencie de plus en plus mal le réel et le virtuel : là est le propos, semble-t-il, certains personnages centraux ayant eux-mêmes du mal à distinguer les deux situations. Perdus dans un univers fantasmagorique, ils tentent d’y plaquer des solutions réelles et réalistes, sans s’apercevoir que les éléments du rêve n’existent plus dans le réel. La frontière,  excessivement floue, entre réel et virtuel est parfaitement rendue, très bien exploitée, et donne au roman son petit côté angoissant. En ce sens, Réseau(x) illustre à la perfection les dangers des mondes virtuels, qui prennent les utilisateurs aux pièges d’une toile invisible mais néanmoins omniprésente. Les dangers des épanchements virtuels, de ce que l’on jette en pâture à des followers pas toujours bien déterminés, des photo et vidéo-montages, ou encore des informations personnelles en libre-accès sont bien exploités, et servent de ciment à l’intrigue. L’actualité des scènes, des interactions, de ce réseau tentaculaire et des problèmes politiques évoqués rendent le roman terrifiant de réalisme : envisagé dans un futur très proche, Réseau(x) n’a de rien de science-fictif, et c’est ce qui le rend aussi percutant. On ne peut s’empêcher, à la lecture, de frissonner en imaginant les conséquences sur notre propre histoire.

La part belle est accordée à Sixie, ainsi qu’à quelques autres personnages centraux (autour desquels gravitent de multiples figures secondaires), même si tous ne sont pas tout à fait assez exploités. Et c’est intéressant de constater que Sixie, point de départ et épicentre de l’histoire, n’est pas le protagoniste que l’on suit le plus souvent : éclipsée, elle est néanmoins très présente, vu que tout tourne autour d’elle. C’est très bien réalisé et, même si l’héroïne centrale est, finalement, peu sous les projecteurs, on sent tout de même qu’elle porte cette histoire.  Les protagonistes, dans l’ensemble, sont très humains et une fois qu’on a bien compris les relations qu’entretiennent entre eux les personnages, tout va bien ; la mise en route est assez compliquée, tant les personnages et les rôles sont nombreux.

L’histoire est découpée en nuits ; chaque paragraphe développe un point de vue, et apporte une nouvelle dimension à l’histoire. Toutes ces dimensions s’entrecroisent, et créent un réseau narratif très dense. Le style est vif, rythmé, et très direct. Les scènes courtes renforcent l’impression de dynamisme qui se dégage de l’ensemble. Toutefois, la multiplicité des intrigues et sous-intrigues, l’enchevêtrement complexe des histoires, et la multitude de thèmes traités rend le tout parfois trop dense, et difficile à appréhender. On se perd assez vite entre les différentes factions – d’autant qu’il y a, évidemment, des traîtres – et il est facile de ne plus savoir où l’on en est. Le récit, très haché, donne une impression de petites scènes brèves, très cinématographiques, et parfois quelque peu absconses, d’autant que l’auteur se perd volontiers dans des détails techniques qui ne seront pas toujours abordables par les lecteurs. Malgré ces longueurs et maladresses, l’auteur parvient à une fin très satisfaisante, au sens où elle fait la lumière sur tous les points, y compris en apportant des révélations inattendues. Sur la fin, le ton, le suspens et l’adrénaline montent, faisant de la fin du roman un récit survolté.

Par sa construction originale, et son thème très actuel, Réseau(x) satisfera tant les lecteurs de thrillers que les amateurs d’aventures survoltées et denses. Malgré quelques longueurs, et une intrigue on ne peut plus dense et complexe, le roman permet un
bon moment de lecture et d’évasion dans les réseaux sociaux et les milieux anarchistes. Roman de société, thriller flirtant avec le roman d’anticipation, Réseau(x) est un roman touffu, choral, complexe, servi par un style vif et rythmé. Intéressante découverte, en somme ; reste à espérer que le second tome corrigera les petits défauts du premier, afin de pleinement révéler tout le potentiel de cette sombre histoire, qui en fera frissonner plus d’un !

 

 Réseau(x) #1, Vincent Villeminot. Nathan, septembre 2013, 446 p.
 7 / 10

 

6 commentaires sur “Réseau(x) #1, Vincent Villeminot.

  1. Mypianocanta dit :

    Aïe j’ai l’impression que les défauts que tu relèves s’apparentent un peu à ce qui ne m’avait pas plu dans Instinct … A voir, s’il croise mon chemin !

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    • Sia dit :

      J’avais bien aimé Instinct (je n’ai lu que le 1) même si c’était parfois un peu léger sur certains points du scénario. Il faudrait que je lise le 2 pour me remettre tout ça en mémoire !

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  2. eloely dit :

    Quel programme  ! J’avais aimé Instinct et surtout sa fin, Villeminot saurait donc clore ses romans comme il se doit ! Hop dans ma pal 🙂

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  3. Belledenuit dit :

    Bon ! Avec l’avis de Phooka, vous allez finir par le motiver à la sortir de ma PAL. J’avais beaucoup aimé Instinct même si le tome 3 n’était pas tout à fait comme je l’aurais voulu mais j’adore la plume et les histoires de cet auteur. Allez hop hop hop je le programme pour les vacances d’octobre

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    • Sia dit :

      Haha ! J’ai emprunté le tome 2 d’Instinct, justement, pour poursuivre la série. Je trouve que Vincent Villeminot a une plume très efficace, et les romans sont agréables à lire (même si Réseau(x) est un poil plus complexe qu’Instinct, c’est vrai). J’espère qu’il te plaira !

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