À l’hôtel Bertram, Agatha Christie

Ah ! Les muffins de l’hôtel Bertram…
Ils n’ont pas leur pareil. Non plus que le thé, le personnel stylé et les clients, ladies respectables, ecclésiastiques et officiers en retraite qui viennent y retrouver l’atmosphère d’antan… Vraiment, l’hôtel Bertram est plus victorien que nature, et Miss Marple se réjouit d’y passer une semaine. Et pourtant, quelques détails la troublent : cette jeune fille, Elvira, qui s’est amourachée d’un pilote de course peu recommandable, sa mère, une aventurière décidée, et ce pauvre chanoine Pennyfather qui disparaît…
Il est bien étourdi, mais tout de même… Décidément, tout n’est peut-être pas aussi paisible et feutré qu’il y parait… à l’hôtel Bertram.

J’ai noté ce titre dans ma wishlist après en avoir vu une adaptation télévisuelle, mais je n’arrive pas à me souvenir laquelle. Comme la lecture n’a convoqué aucun souvenir, je penchais pour la série française Les petits meurtres d’Agatha Christie : les intrigues sont généralement transposées dans d’autres contextes que celui dans le récit. Mais je viens de vérifier sur Wikipédia et niet : point d’hôtel Bertram. Le mystère reste donc entier !

J’ai été, au début de ma lecture, assez surprise que le récit soit ancré temporellement dans les années 60 (avec une référence claire aux Beatles) : pour une raison qui m’échappe, je vois toutes les intrigues d’Agatha Christie dans les années 30… Ici, cela a en plus un intérêt particulier dans le récit puisque, justement, l’hôtel Bertram semble figé dans une autre époque, tout en ambiance feutrée, vieilles ladies, et personnes semblant tout droit sorties de l’ancien monde, ce qui ne lasse pas d’étonner Miss Marple.

Le début du récit est assez lent : Miss Marple est à l’hôtel, elle passe de bonnes vacances, observe ses contemporains… C’est très tranquille, et il ne se passe pour ainsi dire pas grand-chose, on est plus dans le roman d’ambiance que dans le récit d’enquête. Heureusement, l’autrice ne tarde pas à introduire des chapitres lorgnant du côté des forces de police qui, eux, traquent une bande de criminels organisés.
Sans surprise, les deux trames se rejoignent, mais j’ai été étonnée qu’elles se rejoignent si tard dans le récit !
Je ne me suis pas ennuyée pour autant car, tout de même, la plupart des personnages que l’on croise sont mystérieux. Il y a le chanoine Pennyfather, suprêmement étourdi (par ici, on dirait qu’il se « perd les chèvres », tant son étourderie est poussée !). Il y a Lady Segdwick, une aventurière qui n’est pas ravie de constater que son adolescente de fille, qu’elle a abandonnée lorsqu’elle était très jeune, séjourne dans le même hôtel. La jeune fille en question, Elvira, très troublée par des questions hautement pratiques (à combien s’élève sa fortune ? À qui revient-elle en cas de décès ?). Et ce pilote de course, Ladislas Malinowski, dont la voiture semble hanter chaque carrefour du quartier. On passe de l’un à l’autre, on s’attarde un peu sur Elvira et le chanoine, et les allées et venues des personnages, saupoudrées des petites remarques de Miss Marple, et des investigations policières assurent une certaine tension dans le récit, jusqu’à ce qu’enfin, il se passe quelque chose de croustillant !

Miss Marple accordait rarement à quelqu’un le bénéfice du doute, mais pensait invariablement au pire et, neuf fois sur dix, elle ne se trompait pas dans son jugement.

J’ai trouvé le récit original à plusieurs titres. Pour commencer, l’hôtel tient un place si importante qu’il est quasiment un des personnages de l’intrigue ! Ensuite, la présence de Miss Marple est assez discrète : oui, elle voit beaucoup de choses, notamment les dissonances entre l’hôtel de son souvenir et celui de ses vacances, mais le récit est essentiellement constitué de conversations surprises ici ou là, de scènes entraperçues (à l’hôtel ou ailleurs), le tout agrémenté des petites remarques de la vieille dame. Plus étonnant : elle participe d’assez loin à l’enquête, qui démarre très tardivement (je crois que le premier mort n’intervient que dans le dernier tiers !) et est finalement résolue par le Yard (mais grâce à l’aide de Miss Marple, tout de même !). Cela donne à la fois un côté un peu brouillon à l’intrigue (beaucoup d’éléments qui se mélange) et un aspect très douillet (dû à l’omniprésence des scènes dans les salons de l’hôtel) : bref, un cosy mystery en bonne et due forme !

J’ai passé un très bon moment avec ce roman mettant en scène Miss Marple. J’ai trouvé l’intrigue atypique, en raison de la multiplicité des récits qui s’entrecroisent, et de la présence discrète de la vieille dame. Le rythme est assez étonnant, mais Agatha Christie s’y entend pour insuffler de la tension dans le récit, ce qui fait qu’on passe un très bon moment !

À l’hôtel Bertram, Agatha Christie. Traduit de l’anglais par Claire Durivaux. Le Masque, 1967, 256 p.

Cartes sur table, Agatha Christie.

Mr Shaitana est un bien étrange personnage : longue figure, moustache cosmétiquée et sourcils en accents circonflexes qui accentuent son air de Méphisto. Et Mr Shaitana, qui est véritablement diabolique, s’est plu, ce soir-là, à convier à dîner huit hôtes triés sur le volet : quatre spécialistes du crime et quatre personnes qui seraient – à ses dires – des criminels assez habiles pour ne s’être jamais fait pincer. Il ne faut pas trop jouer avec le feu, fût-on le diable ou peu s’en faut. Au cours de la partie de bridge qui prolonge cette extravagante soirée, le rictus démoniaque s’effacera définitivement de la longue face de Mr Shaitana. Tout simplement parce que l’un de ses invités lui a donné un coup de poignard bien placé…

J’ai continué sur ma lancée télétravail et livre audio avec Cartes sur table d’Agatha Christie – dont j’ai dû voir l’adaptation une douzaine de fois, ce qui ne m’a pas empêchée d’écouter avec attention et passion !

C’est un roman à la fois classique dans la bibliographie d’Agatha Christie, puisque l’intrigue se déroule dans un univers très feutré, quasiment à huis-clos, et en même temps très étonnant, puisqu’on assiste à une joute d’enquêteurs. En effet, dès l’instant où il est certain que le meurtre a été commis, les quatre spécialistes du crime se retrouvent en compétition pour les résoudre.
Chacun y va donc de sa petite enquête et de ses méthodes : le colonel Race et le superintendant Battle façon « enquête classique », Mrs Ariadne Oliver en utilisant son intuition et son sens de l’observation, et Hercule Poirot, comme d’habitude, en utilisant ses « petites cellules grises ». Les deux premiers ne sont pas très présents dans l’intrigue, dont la résolution est vraiment menée par Hercule Poirot et Mrs Oliver. Celle-ci, autrice de romans policiers, ponctue son enquête de remarques sur l’écriture, les personnages, la création d’une intrigue, ou la réception d’un roman par ses lecteurs. Le tout avec beaucoup d’ironie – et sans doute d’autodérision de la part d’Agatha Christie, dont c’est clairement l’avatar.

L’enquête est assez complexe et, comme souvent, repose sur de très petits détails (comme les annonces du jeu de bridge qui était en cours au moment du meurtre), qui font tout son sel. L’émulation entre les enquêteurs est vraiment très prenante. Et ce qui ajoute ici du suspense, c’est que les quatre suspects ont déjà été soupçonnés dans d’autres affaires, dont les échos viennent se mêler à l’enquête en cours. Alors, meurtriers, ou pas ? Évidemment, on attend de savoir qui a vraiment fait le coup (puisqu’ils en avaient tous l’opportunité), mais on se passionne assez vite également pour leurs passés respectifs. Le tout est vraiment bien mené et monté. La preuve, bien que j’aie vu plusieurs fois l’adaptation, je n’ai pas trouvé le coupable avant d’avoir bien avancé dans mon audiolecture !

Cerise sur le gâteau, Denis Podalydès lit ce roman avec beaucoup de talent, ce qui ajoute au côté très prenant de l’histoire.

Agatha Christie est une valeur sûre, et elle me l’a encore prouvé avec Cartes sur table. J’ai adoré redécouvrir cette histoire en version audio et me suis totalement laissée porter par le rythme des péripéties, comme par la voix du lecteur. J’ai aimé la petite compétition entre les enquêteurs et le récit rondement mené. Bref, une réussite. J’ai d’autres titres d’Agatha Christie à écouter et j’ai hâte de m’y mettre !

Cartes sur table, Agatha Christie.
Traduit de l’anglais par Alexis Champon. Lu par Denis Podalydès.
Thélème, 2004, 200 minutes.