Rose de sang, Wyld #2, Nicholas Eames.

Tam Hashford en a assez de travailler dans la taverne de son quartier, de servir à boire à des mercenaires connus dans tout Grandual et d’écouter les bardes chanter de glorieuses épopées à mille lieues de sa petite bourgade perdue.
Alors quand Rose de Sang arrive en ville à la tête de sa redoutable bande et qu’on propose à Tam de devenir leur barde, la jeune fille n’hésite pas longtemps. Elle veut de l’aventure, eh bien ! elle va en avoir. Avec le reste du groupe, elle s’engage dans une quête qui ne pourra se terminer que de deux manières : la mort ou la gloire.
Il est temps d’aller faire un tour du côté du Wyld…

En fin d’année dernière, j’avais adoré le premier tome de cette série, La Mort ou la Gloire. Autant dire que j’étais assez emballée à l’idée de lire cette suite. Une fois la dernière page tournée, mon enthousiasme n’a pas décru !

Contrairement à ce que je pensais, le récit, qui se déroule six ans après la fin du premier, n’est pas centré sur Rose. Elle est présente, bien sûr, elle est même au premier rang des protagonistes, mais le récit est plutôt vu par les yeux de Tam, une jeune femme rêvant d’aventure et désespérant de servir des bières à la taverne du coin, et qui s’enrôle en tant que barde dans la roquebande de Rose, Fable – car elle maîtrise le luth, une chance. Malgré le taux de mortalité très élevé des bardes dans les roquebandes, Tam part donc avec enthousiasme. Direction : le lieu de villégiature d’un monstre légendaire pour une mission grassement payée – alors que toutes les roquebandes du pays se dirigent, elles, vers la horde du Wyld qui menace de passer les frontières. De fait, l’intrigue semble au départ extrêmement similaire à celle du premier tome (les monstres sont sur le point de déferler) – mais cela change après.

J’ai été un peu surprise par le changement de ton du roman. Le premier était extrêmement drôle et c’est un point que j’avais adoré. Celui-ci l’est également, mais nettement moins que l’opus précédent, et porte des réflexions beaucoup plus profondes (et donc surprenantes).
Ainsi, le thème qui traverse toute l’intrigue, cette fois, est celui de la parentalité. Surprenant en fantasy, non ? Mais si l’on récapitule, tous les personnages ou presque ont une sous-intrigue qui tourne autour de ce thème. Il y a ceux qui voudraient sortir de l’ombre de leurs augustes parents (Rose, bien sûr, mais Tam aussi, dont le père était mercenaire, et la mère une légendaire barde) et des rôles qu’on leur a assignés. Celui de la princesse en détresse pour Rose, notamment. Car malgré ses exploits à Castria, c’est toujours ainsi qu’on la voit : la fille dont le papa a traversé le pays et la horde d’envahisseurs pour la sauver. Mais c’est aussi une problématique pour Nuage Libre et Brune, dont les pères ont toujours une forte emprise sur eux, bien qu’ils soient tous plus que majeurs et vaccinés !
Il y a aussi ceux qui portent des questionnements sur l’autre versant de la parentalité : comment, après avoir été un héros aux épiques combats, on devient un parent avec d’autres types de responsabilités ? (Réponse : c’est pas évident. Comme dans la vraie vie, quoi.). D’ailleurs, j’ai aimé que Rose soit une mère qui n’apprécie pas son rôle… et que ce ne soit pas écrit de façon culpabilisante. Voilà qui change !
Bref, j’ai aimé cette question de l’héritage parental : elle est parfaitement déclinée, sans empiéter sur l’intrigue plus purement fantasy. Cela vient plutôt l’appuyer, lui donner du corps, tout en proposant d’intéressantes réflexions.
Autre sujet phare : celui du monstre, qui est abordé sous deux angles. Tout d’abord, à travers la figure de Roderick, le manager du groupe, qui se trouve être un satyre – et donc à peine mieux considéré que les monstres du Wyld par un bon nombre d’aventuriers. Le thème est également présent en raison des combats dans les arènes. Souvenez-vous, dans le premier volume, les aventuriers ne partaient déjà quasiment plus à l’assaut du Wyld pour se castagner avec des monstres. Non, ils allaient tranquillement les affronter dans des arènes. Or, ici, on découvre les dessous de ces arrangements : des « monstres » sont capturés, drogués, jetés en pâture à des aventuriers bien nourris et surexcités, et tout à fait prêts à en découdre. Alors ? Qui est le véritable monstre ?

Les personnages sont vraiment bien caractérisés et développés, avec des arcs narratifs qui leur sont propres. On ne perd jamais de vue le récit principal, mais l’auteur offre plusieurs incursions vraiment passionnantes dans les histoires personnelles de chacun. (Mention spéciale pour l’histoire de Brune, d’ailleurs).
Et, point qui change radicalement par rapport au premier tome : il y a des protagonistes féminines ! Plein ! (Plus que des hommes d’ailleurs). Et elles sont hyper réussies, avec ça. Je retire donc toutes mes râleries sur ce point contre le premier opus. Alors que le cliché de la princesse en détresse était au centre de l’intrigue du premier volume, ici il est largement piétiné (Rose se bat bien assez contre cela, d’ailleurs). Et cela aussi, cela fait du bien !

Mon début de lecture ne s’est pourtant pas fait sous les meilleurs auspices. J’ai trouvé que les premiers chapitres étaient terriblement lents et quelque peu répétitifs par rapport à la situation du premier roman. Mais cela a changé assez vite – pour se conclure d’ailleurs en apothéose, pour mon plus grand plaisir. C’est avec le même sentiment que j’ai retrouvé l’hommage au rock perceptible dans le premier tome. Je trouve ça toujours aussi original !

J’avais adoré le premier tome, et ce deuxième tome vient confirmer ma première impression. J’ai été assez surprise au départ de changer de personnages, mais cela apportait un renouveau vraiment intéressant à l’intrigue, comme à l’univers. J’ai également trouvé ce tome nettement plus riche en réflexions et en émotions que le premier. Sans toutefois oublier les bastons épiques et un suspense très prenant. Bref : que du bon !
Je terminerai en disant que les deux romans sont lisibles indépendamment (en raison du changement de personnages et de l’ellipse temporelle), mais qu’il est quand même mieux d’avoir lu le premier tome si on veut profiter pleinement de celui-ci.

◊ Dans la même série : La Mort ou la gloire (1) ;

Wyld #2 : Rose de sang, Nicholas Eames. Traduit de l’anglais (Canada) par Olivier Debernard.
Bragelonne, janvier 2020, 544 p.

 

La Mort ou la Gloire, Wyld #1, Nicholas Eames.

Clay Cooper et ses hommes étaient jadis les meilleurs des meilleurs, la bande de mercenaires la plus crainte et la plus renommée de ce côté-ci des Terres du Wyld – de véritables stars adulées de leurs fans. Pourtant leurs jours de gloire sont loin. Les redoutables guerriers se sont perdus de vue. Ils ont vieilli, se sont épaissis et ont abusé de la bouteille – pas forcément dans cet ordre, d’ailleurs.
Mais un jour, un ancien compagnon se présente à la porte de Clay et le supplie de l’aider à sauver sa fille, prisonnière d’une cité assiégée par une horde de monstres sanguinaires. Même si cela revient à se lancer dans une mission que seuls les plus braves et les plus inconscients seraient capables d’accepter. Le temps est venu de reformer le groupe… et de repartir en tournée.

Quand j’ai tourné la dernière page de ce roman (en fin d’année dernière, en majorité durant un voyage épique – de 12h…- en train), je me suis dit que cela faisait bien longtemps que je n’avais pas lu un roman de fantasy aussi déjanté, marrant et bien mené !

Premier point qui m’a éminemment plu : la bande de guerriers que l’on suit. Alors qu’on a l’habitude, en fantasy, de côtoyer des guerriers fringants, on a là affaire à une roquebande (une bande de mercenaires) de vieux croulants. La gloire de Saga est loin derrière les membres qui la composent et ceux-ci n’ont pas tous hyper bien veilli. On est donc plus dans l’ambiance arthrose et tours de rein que dans la fringance. Et ça fonctionne vraiment super bien, en plus de changer un peu des poncifs du genre.
Pourtant, c’est aussi au chapitre des personnages que se situe mon seul point de râlerie. Franchement, ça manque de personnages féminins ! Alors, pour être honnête, il y en a. Mais bouh, il y avait une réduction sur les clichés ou bien ? Hormis Jane qui tire son épingle du lot (mais n’est pas follement présente), les autres sont caricaturales à souhait : prenez les méchantes Disney et vous aurez une petite idée de ce à quoi on a affaire côté gent féminine. J’espère que le tome 2 est un peu mieux loti de ce point de vue-là …

Hormis ce point-là, je dois quand même reconnaître que je me suis bien amusée dans cette lecture. Déjà parce que le roman ressemble à un album de métal ou de hard-rock. Les bandes de mercenaires sont appelées des roquebandes, elles sont cornaquées par des managers qui leur organisent des tournées triomphales. Elles sont pourvues de bardes qui chantent leurs mérites (et meurent plus souvent qu’à leur tour) et, une fois par an, elles se retrouvent dans un immense festival, simplement appelé… La Route du Roque. C’est vraiment cet aspect qui donne à l’intrigue tout son sel. Soyons honnêtes, en dehors de cela, on est plutôt dans de la fantasy hyper classique, avec un récit très linéaire, agréablement rythmé par ce qu’il faut de scènes d’actions, de descriptions et de moments plus calmes. Rien de neuf sous le soleil, mais l’ambiance générale donne vraiment l’impression que l’auteur a su faire du neuf avec du vieux – et qu’il a fait ça bien, en plus. Il aligne moult créatures classiques comme plus originales (les druines, par exemple, des hommes aux oreilles de lapin qui, malgré cela, font preuve d’une certaine classe) et un mélange entre univers médiéval (on se bat à l’épée, on circule à cheval ou en chariot) et aspects plus novateurs (comme des vaisseaux se déplaçant avec des moteurs assez spécifiques).

« Pourquoi êtes-vous venus à Kaladar ? demanda Gabriel. Pour exhiber vos peintures faciales ? Vos nouveaux tatouages ? Vos cheveux teints ? Ou êtes-vous venus pour trouver autre chose ? Une roquebande ? Un manager ? La célébrité ? La gloire, peut-être ?
En entendant le mot « gloire », Clay eut l’impression qu’on soufflait sur les braises qui lui brûlaient le ventre. Quelle importance s’il était vieux ? S’il était fatigué ? S’il s’était rassasié plus souvent qu’à son tour en buvant au calice de la victoire et de la renommée ? Un guerrier entendant le mot « gloire » était comme un chien entendant le mot « promenade » : il se mettait aussitôt à remuer la queue.»

Il faut également noter que le rythme des péripéties est particulièrement enlevé, l’auteur n’hésitant pas à jeter ses personnages dans des situations toutes plus improbables les unes que les autres. À certains endroits, je me suis demandé si je n’étais pas en train de suivre une partie de jeu de rôle, tant j’avais l’impression d’une part, d’être remise entre les mains d’un maître du jeu machiavélique et, d’autre part, de subir des décisions prises au dé.  Mais aussi incroyable cela puisse-t-il paraître, cela fonctionne parfaitement ainsi. Le côté exagéré de certaines péripéties colle parfaitement à l’ambiance générale.

Celle-ci, malgré le tragique de la quête (les mercenaires partent quand même traverser une forêt dangereuse pour tenter d’enrayer un siège…), fait la part belle à l’humour. Les réparties cinglantes fusent et certains personnages, malgré une vraie profondeur, assurent le côté comique de l’entreprise (le sorcier Moog, pour ne citer que lui. Même s’il est tout entier accaparé par sa recherche d’un remède à une maladie dégénérative, c’est difficile de s’ennuyer avec lui).

« Admire ! Les Silk Arrows ! Comme tu peux le voir, j’ai vachement recruté. Au fait, t’as vraiment une sale gueule. Qu’est-ce qui t’est arrivé à la tronche ?
Clay haussa les épaules.
– Je suis né comme ça.
– Ta mère gardait une hache entre les jambes ? L’idée est intéressante. ça tiendrait les mecs à distance.
Barrett éclata de rire.
– Je l’aime bien, cette môme, dit-il.»

Nos personnages n’étant plus de toute première fraîcheur, ils croisent fatalement des roquebandes un peu plus gaillardes et pleines d’allant, ce qui ne manque pas d’occasionner quelques affrontements mi-bon enfant, mi-prétentieux. Évidemment, c’était mieux avant, du temps de Saga et des autres roquebandes légendaires, lorsque les mercenaires partaient la fleur à la flamberge tatanner du monstre dans le Coeur du Wyld. Les petits jeunes d’aujourd’hui se contentent d’affronter des monstres sous-alimentés dans des arènes gigantesques (dont l’entrée est évidemment payante). Sous couvert d’action trépidantes et de bastons interminables, il y a donc quelques petites réflexions qui affleurent, comme ça, et c’est bien agréable.

Bonne découverte, donc, que ce début de saga. J’ai aimé suivre des personnages vieillissants avec les aléas que cela implique (genoux qui craquent, dos qui se bloquent en plein combat), embarqués dans une quête héroïque et complètement désespérée. Malgré le classicisme de l’ensemble, l’intrigue qui ressemble à la tournée d’un groupe de hard rock, les péripéties façon jeu de rôle et l’humour bien présent rendent le tout hyper prenant. Mon seul regret tiendra aux personnages féminins que j’ai trouvés assez mauvais dans l’ensemble, l’auteur ayant manifestement privilégié l’option « méchantes Disney », ce qui est un peu dommage. Hormis cet aspect du roman, j’ai passé un très bon moment de lecture avec ce roman qui a, en outre, le bon goût de proposer une véritable fin.

Wyld #1 : La Mort ou la Gloire, Nicholas Eames. Traduit de l’anglais (Canada) par Olivier Debernard.
Bragelonne, octobre 2019, 576 p.

Point bonus : il y a une playlist créée par l’auteur pour accompagner le roman !