The Memory Book, Lara Avery.

On me dit que ma mémoire ne sera plus jamais la même, que je vais commencer à oublier des choses. Au début juste quelques-unes, mais ensuite beaucoup plus. Alors je t’écris, cher futur moi, pour que tu te souviennes !

Sam a toujours eu un plan : sortir première du lycée et filer vivre à New York. Rien ne l’en empêchera – pas même une anomalie génétique rare qui, lentement, va commencer à lui voler ses souvenirs, puis sa santé. Désormais, ce qu’il lui faut, c’est un nouveau plan.
C’est ainsi que naît son journal : ce sont les notes qu’elle s’envoie à elle-même dans le futur, la trace des heures, petites et grandes, qu’elle vit. C’est là qu’elle consignera chaque détail proche de la perfection de son premier rendez-vous avec son amour de toujours, Stuart. Le but ? Contre toute ttente, contre vents et marées : ne rien oublier.

Il était grand temps que je vous parle de ce roman, pour lequel j’ai eu un énorme coup de cœur lorsque je l’ai lu. L’été dernier.
Mieux vaut tard que jamais, non ?
Depuis Nos Étoiles contraires, la sick-litt (ou littérature de malades) a le vent en poupe. Là-dedans, il y a des textes de qualité différente et j’avoue avoir été très agréablement surprise par celui de Lara Avery – mais j’imagine que vous l’aviez deviné.

Le texte emprunte l’apparence du journal intime : celui que Sam adresse à son futur elle amnésique, dont la mémoire aura été rongée par le syndrome de Niemann Pick. Alors, oui, c’est un peu triste – et il est possible que vous soyez obligés de sortir un mouchoir de temps à autres – mais Sam a suffisamment d’humour pour que l’on ne passe pas tout son temps à sangloter.
Au fil des pages, c’est un portrait assez touchant de la jeune fille qui se dessine. Car, malgré tout, Sam est une adolescente tout à fait lambda : elle participe au club de débat de son lycée, a quelques problèmes de sociabilité et des vues sur un jeune homme de son âge. À ce titre, j’ai eu un peu peur en voyant se profiler un triangle amoureux mais finalement, c’était plus fin que prévu et vraiment réaliste. Comme je l’ai dit, Sam est une adolescente tout ce qu’il y a de plus normal (hormis sa maladie, s’entend), qui vit de grands émois adolescents… et fait aussi quelques erreurs, dont quelques-unes cuisantes, qu’elle ne minimise pas.
Sam a une analyse assez fine de son entourage et, même si elle essaie parfois de se cacher derrière sa maladie, elle reste assez lucide sur ce qui peut heurter ses proches. De fait, le roman est loin d’être guimauve : on est loin de l’intrigue pleine de bons sentiments sur la maladie. Sam est une battante, mais elle n’a pas la science infuse – elle tente néanmoins d’emprunter la voie de la sagesse, ce qui la rend éminemment attachante.

J’ai aimé que le journal laisse aussi la place aux sentiments des autres personnages : plus l’on galope vers la fin, moins la parole de Sam est fiable (à cause des attaques), aussi certains de ses proches prennent-ils la plume. Au vu du sujet, j’imagine que c’était inévitable, mais cela nous donne un bon aperçu. De plus, cela permet de nuancer parfois la personnalité de Sam. Au premier abord, celle-ci n’est pas des plus sympathiques mais, plus cela va, plus l’on découvre ses petites failles (que ce soit par sa voix ou celle des autres), ainsi que les trésors que recèlent sa personnalité volontaire.

Il faudrait encore que je vous dise que j’ai lu ce roman en moins de 24h – en semaine, donc j’ai dézingué le roman en un tour de bus – ce qui ne m’arrive plus si fréquemment que ça maintenant. Il faudrait encore que je vous parle du style ô combien fluide de Lara Avery, qui donne voix à Sam, même lorsque celle-ci éprouve les pires difficultés à écrire et à former des pensées cohérentes. 
Il faudrait surtout que je vous dise que ce roman, loin de n’évoquer que la douleur qu’entraîne la maladie, avec son collège de pertes et de deuil, est en fait un roman plein d’énergie, qui donne furieusement envie de croquer la vie à pleines dents. 

The Memory Book, Lara Avery. Traduit de l’anglais par Julie Lafon. Lumen, mai 2016, 442 p. 

Sans prévenir, Matthew Crow.

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Francis Wootton a quinze ans, et se passionne pour les vieux films, la musique rock compilée par son frère, et les poètes maudits. Sa plus grande préoccupation est de savoir s’il va réussir haut la main son année de seconde. Mais Francis ne se prend pas au sérieux, et ne prend pas non plus au sérieux les petites excentricités de sa mère, ou la désinvolture étudiée de son frère aîné, qui vit à deux pâtés de maison.
Lorsqu’on lui diagnostique une leucémie, ses priorités changent. Francis est catastrophé à l’idée d’être retardé d’une année au lycée, s’angoisse d’une calvitie imminente, ou de la perte de tous ses poils. Subitement, trouver sa plus belle chemise au cas où une pop star visiterait l’hôpital pour faire des photos devient vital. Finalement, la seule chose que Francis n’avait pas envisagée, c’est de rencontrer Ambre, son caractère de chien fou, son humour féroce, sa vulnérabilité désarmante et irrésistible… 

 

Depuis la parution de Nos étoiles contraires (et plus encore depuis la sortie du film), parler de maladie à l’adolescence est un exercice périlleux. Mais Matthew Crow s’en sort plutôt bien !

Francis, à quinze ans, a une petite vie bien réglée et plutôt banale : si son père a déserté le foyer familial, le reste de la famille est plutôt soudé. Julie, la mère, est un véritable pilier, et on lui pardonne bien volontiers ses petites excentricités. Francis adore également sa grand-mère, et son frère Chris, adulte-mais-pas-trop, qui arrive toujours à point nommé lorsque sa mère a fini les courses pour razzier instantanément le contenu des placards. Malgré les petits différends, le portrait est saisissant : la famille se soutient, fait front dans les bons, comme dans les mauvais moments. Francis est un adolescent plutôt banal : il est bon en cours sans se forcer (et ne se force pas), plutôt introverti, il a peu d’amis, est féru de connaissances quasiment encyclopédiques (qu’il aime dispenser à tout va), un peu égoïste : il a quinze ans, l’université en ligne de mire, et la nette impression que le monde n’attendait que lui.
Évidemment, lorsque la leucémie s’invite dans ce petit schéma, tout est déréglé. Surtout le regard des autres, d’ailleurs, mais Francis tente de faire comme avant, malgré tout.
Son séjour à l’hôpital va lui faire rencontrer d’autres adolescents malades, comme lui, avec lesquels il sera difficile de se lier : Paul est l’archétype du beau footballeur populaire ; Kelly est l’incarnation de la bimbo décérébrée ; Ambre est bien trop mordante et adepte de persiflages. Mais comme, de toute évidence, Kelly et Paul forment une paire, Francis et Ambre doivent former l’autre.

Sans prévenir se concentre vraiment sur les personnages (et particulièrement Francis, le narrateur). Certes, il est malade, mais la leucémie est traitée comme cet invité un peu collant dont vous avez du mal à vous débarrasser, mais que vous tolérez tout de même. Du coup, l’auteur ne se perd pas dans de longues descriptions de la maladie, ou de l’état d’esprit de Francis. C’est là, ça arrive, mais ce n’est pas le plus important, même si la maladie parvient à prendre le dessus dans certaines scènes.
Le centre de l’histoire sont donc les personnages : la relation entre Francis et Ambre démarre un peu subitement, et prend rapidement toute la place. D’entente cordiale, elle devient fusionnelle, et les adolescents se font inséparables. C’est tour à tour émouvant, drôle (l’escapade dans le tramway, notamment), ou prenant. Si les deux adolescents sont parfois insupportables (mais criants de réalisme), on s’attache vite à eux.
Mais le gros point fort, c’est le soin accordé aux personnages secondaires : loin de se concentrer sur les deux malades (comme on pourrait s’y attendre), Matthew Crow s’attache à développer tous ceux qui gravitent autour. Les deux mères, par exemple, sont des personnages extrêmement forts et touchants que ce soit dans leurs forces, ou dans leurs faiblesses (notamment le passage où la mère de Francis s’enferme dans les toilettes pour pouvoir téléphoner tranquillement). On sent qu’elles sont là pour porter à bout de bras leurs enfants, la maladie, les soucis du quotidien, tout en continuant à vivre et… c’est ce qui rend le roman aussi touchant et percutant. De même, Chris, le frère adulte-mais-pas-trop sait se montrer sérieux, grave, et attentif, et il est vraiment très agréable de constater que le portrait est nuancé.

L’autre point fort, c’est de parler de la maladie sous ses aspects moins attendus : ce n’est pas mélodramatique, c’est souvent plutôt décalé, et assez drôle. Francis et Ambre jouent de leur état, savent se montrer assez agaçants… et sont parfois remis à leur place. L’approche est très décomplexée, le roman est dépourvu de pathos ou de scènes volontairement larmoyantes (même si on ne vous cachera pas qu’on peut avoir la gorge plus que serrée) et c’est surtout (malgré tout !) un roman plein d’optimisme.

Si la comparaison au roman de John Green est inévitable, Matthew Crow a su faire de Sans prévenir un roman original (même si certaines scènes sont sans surprises), plein d’optimisme. Les personnages (notamment secondaires) sont le vrai point fort du roman : réalistes, authentiques, ils agacent autant qu’ils charment, et c’est ce qui fait tout le sel du récit. 
Sans verser dans le mélodrame et les scènes larmoyantes, Matthew Crow livre un texte juste et sensible sur la maladie adolescente, vraiment différent de Nos étoiles contraires, malgré un sujet similaire (et c’est bien là l’exploit !). À lire !


Sans prévenir
, Matthew Crow. Traduit de l’anglais par Marie Hermet
. Gallimard jeunesse, 2015, 307 p.

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Nos Étoiles contraires, John Green.

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Hazel a 16 ans. Mais elle est aussi atteinte d’un cancer incurable. Si son dernier traitement semble avoir stoppé l’évolution de la maladie, elle se sait condamnée. Bien qu’elle s’y ennuie passablement, elle continue de fréquenter un groupe de soutien aux jeunes malades, essentiellement pour faire plaisir à sa mère. C’est là qu’elle rencontre Augustus, un jeune homme en rémission, qui partage son sens de l’humour et son goût pour la littérature. L’attirance est immédiate. Mais Hazel refuse de s’engager dans une quelconque relation, sachant son temps compté. Pourtant, les deux adolescents se rapprochent, et se lancent assez vite dans un projet un peu fou, ambitieux, et plein de vie.

Le résumé annonce la couleur ; Nos Étoiles contraires ne sera pas une de ces comédies romantiques fades auxquelles la littérature jeunesse nous a habitués ces dernières années; non, Nos Étoiles contraires s’annonce comme un roman dur et fort. Mais il serait dommage de croire que le dernier roman de John Green est triste comme les pierres. Car Hazel et Augustus, nos deux adolescents atteints du cancer, comptent bien profiter de la vie qu’il leur reste au maximum et ce de la manière la plus enthousiasmante possible.

Des romans sur la maladie, il y en a des tas. Des comédies romantiques mal embranchées aussi. Mais des romans qui lient les deux, et traitent le sujet de façon intelligente, il y en a très peu.
Nos Étoiles contraires est de ceux-là.
Les adolescents que l’on croise ici sont, pour la plupart, des morts en sursis, qui ont perdu jusqu’à l’espoir d’atteindre la majorité. Dans ces circonstances, difficile de se faire des amis, surtout des amis sincères ; toutes leurs forces sont concentrées sur la survie. Lorsqu’ils se rencontrent, et se nouent d’amitié, Hazel et Augustus changent juste leur façon de survivre. Elle se sait condamnée, lui est presque tiré d’affaire. Leur passion commune pour la littérature les rapproche, et leur donne un nouvel objectif. La question n’est plus de vivre seulement un jour de plus, mais de s’offrir quelques petits bonheurs supplémentaires. Hors de question de penser à quoi que ce soit d’autre. Lorsque l’on sait que l’on va bientôt mourir, il est difficile de laisser les gens s’attacher, ou de s’attacher à eux. La peine qui se profile à l’horizon suffit à stopper toute velléité de relation qu’elle soit amicale ou plus intime.

On est très loin du scénario larmoyant qu’on aurait pu craindre ; John Green évite aisément tout pathos, et s’attache à décrire justement ces deux jeunes gens, leurs ambitions, leurs sentiments, et leurs réflexions. De sa plume fluide, on surfe sur les diverses émotions qu’il insuffle à son texte. Souvent drôle, le récit est plutôt optimiste. Hazel, comme Augustus, sont particulièrement cyniques et se laissent rarement abattre. Bien sûr, le roman traite de la mort, de la maladie, et de la décrépitude qu’elle entraîne. Mais force est de constater que Nos Étoiles contraires est surtout un roman sur la vie, aussi enthousiasmant que possible. À la lecture, on passe par différentes émotions d’une puissance rare : John Green mobilise tout son talent pour faire passer dans son texte les diverses émotions qui secouent ses personnages. « On rit, on pleure, on en redemande », a écrit Markus Zusak à propos de ce roman ; c’est exactement ça. Il serait vraiment dommage de croire que ce roman n’est qu’un roman triste de plus sur l’amour, la mort, et la maladie. Car l’intérêt de Nos Étoiles contraires est ailleurs : il réside dans cet indécrottable optimisme qui anime Hazel et Augustus, cet optimisme qui en fait des héros ordinaires d’un quotidien que l’on ignore. Tout la magie du livre réside dans l’émulation qui se dégage de leur relation, et dans leur attitude face à la vie.

Nos Étoiles contraires est une petite pépite de littérature jeunesse, un vrai concentré d’émotions à haute teneur vitale et, au final, un livre qui vous fait plus que jamais aimer la vie. Certes, on est parfois obligé de sortir un petit mouchoir. Certes, on en veut beaucoup à John Green pour certains développements. Mais, une fois tout ça assimilé, on peut se dire qu’on a lu un excellent roman qui fait réfléchir et qui vous chamboule complètement. S’il fallait ne retenir que cinq adjectifs pour le qualifier, il faudrait se dire que Nos Étoiles contaires est un roman triste, mais surtout un roman drôle, poétique, intelligent et éminemment subtil. À mettre sans hésiter et de toute urgence entre toutes les mains. Et si vous hésitez encore à vous lancer, allez regarder cette petite vidéo de John Green.
Voilà, je ne mettrai pas de mention « coup de cœur » à ce livre parce que ce n’en est pas un. C’est un coup de poing. Et un coup de poing que je relirai.

 

Nos Étoiles contraires, John Green. Nathan, 2013, 323 p.
9/10.