Clémente nous soit la pluie, Récits du Demi-Loup #4, Chloé Chevalier.

Au fond d’elles-mêmes, elles le savaient déjà. Depuis le début. Elles s’étaient juste efforcées de l’oublier, pendant toutes ces années. Pourtant la solution se tapissait là, patiente, attendant son heure dans le plus sombre recoin de leur mémoire.
L’unique et dernier espoir du Demi-Loup. Mais aussi le plus fondamental, le plus douloureux, de tous leurs devoirs de Suivantes. Nersès et Lufthilde ne peuvent plus feindre de l’ignorer. L’heure est venue de l’ultime sacrifice.
Une question, toutefois, demeure en suspens : à quoi bon ?
Cet Empire qui se dresse, immense, tout puissant, face au Demi-Loup moribond, faut-il le craindre ou l’espérer ?

Attention, cette chronique contient des spoilers sur l’ensemble de la série, et particulièrement ce tome-ci. La conclusion est sûre !

Cela fait maintenant cinq ans que j’ai attaqué cette série dont j’ai attendu chaque tome plus impatiemment que les précédents – et celui-ci peut-être plus encore, car l’attente a été longue. Presque trois ans, mais trois ans d’attente qui en valaient clairement la peine vu la qualité de cet épisode !

À l’issue de ma lecture, je m’aperçois que j’ai à la fois détesté et adoré ce dernier tome. Détesté car c’est le dernier tome, bien sûr, mais aussi parce que tout n’a pas forcément tourné comme je l’espérais. En finissant le tome 3, j’avais la sensation que l’affaire ne pouvait que mal tourner et, de ce point de vue-là, j’ai été servie ! Lorsque l’on ouvre le roman, le Demi-Loup est au bord du gouffre. La rupture est consommée entre la reine des Éponas et la future reine de Véridienne, la dissenssion gronde parmi les Chats (une partie de l’armée étant fidèle à Édelin, l’autre lui préférant Lufthilde), la Preste Mort ravage le royaume, la Suivante Nersès a pris la fuite pour cuver son chagrin, et le coup d’état fomenté par Cathelle et Aldemor semble de plus en plus près d’aboutir. Au fil des chapitres, tout semble aller de mal en pis, et rien n’est fait pour épargner les personnages, lesquels se mettent à commettre de plus en plus de choix discutables et à s’enliser dans les pires situations. Combien de fois n’ai-je pas grogné contre l’un ou l’autre qui – au choix – manque de discernement ou commet une aberration ?
Mais en même temps, j’ai adoré ma lecture. À tel point que je me suis un peu réfrénée pour ne pas la terminer trop vite ! Donc non, les choses ne tournent pas forcément au mieux pour tout le monde (encore que ça dépend de quel point de vue on se place !) mais tout s’agence à merveille. Chaque fil d’intrigue est bouclé et toutes les annonces faites dans le récit trouvent leur révélation – ou presque toutes, mais j’y reviens plus bas. Plus j’avançais dans la lecture (et voyais le nombre de pages restantes se réduire), plus je m’inquiétais : l’histoire allait-être réellement être bouclée ? Des sous-intrigues seraient-elles sacrifiées au profit du reste ? Eh bien non. Et c’est vraiment bluffant de maîtrise !

Comme dans les opus précédents, le récit est fait a posteriori, et en suivant différentes époques, alors que jusque-là le récit était parfaitement linéaire. On retrouve évidemment les écrits des Suivantes Lufthilde et Nersès, comme ceux de Crassu, plus quelques échanges épistolaires. Premier étonnement pour ma part : les journaux de Cathelle et Aldemor sont d’abord totalement absents. Or, j’avoue que je m’étais bien habituée à lire leur point de vue, qui donne un aperçu vraiment complet de la situation (et qui jusque-là permettait souvent au lecteur d’avoir une ou deux longueurs d’avances sur les paires royales). Or là, nada, silence radio. Pire, on découvre même leur implication dans certains événements sur le vif, ou dans les récits des autres qui n’ont que partiellement identifié ce qui se déroulait pourtant sous leurs yeux. Conséquence immédiate ? J’avais la nette impression (sans doute comme les protagonistes), de m’agiter dans le noir, sans pouvoir discerner ce qui m’attendait ou allait se produire. Le suspense en a été décuplé, tout comme mon investissement dans la lecture ! À la moitié du roman, nouveau changement narratif : on est alors 25 années après ce qui se déroulait précédemment, et revoilà le couple maudit, interrogé par le poète Chantrenard qui s’attelle à la rédaction d’une chronique du Demi-Loup. Quoi ?! Comment ?! Mais revenons à nos moutons !! Car on a laissé les protagonistes dans de beaux draps et on ne sait rien, mais absolument rien de ce qui leur est, dès lors, arrivé. Inutile de dire que j’ai trépigné tout du long en lisant le – long, mais passionnant – chapitre d’aparté, d’autant que celui-ci multiplie les effets d’annonces ou les subtiles références à ce qui s’est déroulé (sans en dévoiler le moindre aspect). Effet de suspense garanti ! Or, la suite est à l’avenant : finis les écrits des Suivantes, puisque l’on passe directement… à leur procès. La construction a un côté implacable qui scotche au récit – que j’ai d’ailleurs lu la boule au ventre, tant j’étais prise par ma lecture. J’avais trouvé les trois tomes précédents vraiment très bien menés, mais là on est encore un cran au-dessus.

Malgré tout, il m’est resté, à la fin de ma lecture, quelques questions en suspens : qui est vraiment Tinek ? Quel est cet Empire qui n’aime pas l’Empire ? Qui est ce brillant orateur cité par Chantrenard, Aldemor et Cathelle et qui semble avoir pris la succession de cette dernière ? Pourquoi l’Empire de Gloire tremble-t-il sur ses fondations ? Que sont devenus Orelond et les Chats des Éponas ?
Autant de petits mystères qui ne sont pas vitaux à l’intrigue, mais qui donnent du corps au roman et qui, surtout, sont la marque d’une bonne fin ouverte. Car Chloé Chevalier réussit ici un tour de force : donner à la fois une véritable conclusion à la série, tout en laissant quelques portes entrouvertes. Celles-ci n’appellent pas nécessairement à une suite mais elles ont l’immense avantage de laisser vagabonder l’esprit du lecteur après la dernière page tournée (et d’appeler à une relecture ceux qui, comme moi, auraient peut-être expédié un peu trop vite la fin, car trop pressée de savoir comment cela allait terminer).

Indéniablement, ce tome est le plus sombre des 4. Le plus politique, aussi, alors que, paradoxalement, toutes les grandes décisions semblent avoir déjà été prises ; les personnages se retrouvent donc à jongler avec leurs conséquences – décisions difficiles voire horribles, guerre et batailles rangées, puisque l’on a dépassé depuis longtemps les petits jeux d’espionnage. Chacune livre son point de vue sur ses actions et chacune est persuadée soit du bien-fondé de ce qu’elle a entrepris, soit d’avoir fait au mieux avec les éléments dont elle disposait. L’autrice ne se pose jamais en faveur de l’une ou de l’autre, et évite de trousser des caractères manichéens. Oui, il y a des « gentils » et des « méchants » mais, plus l’on avance dans l’histoire, plus il devient difficile de savoir qui appartient à quel bord (Crassu en est d’ailleurs le parfait exemple, lui qui est sans cesse balloté entre les trois camps). Cela rend la réflexion sur le pouvoir et les choix qui en découlent d’autant plus passionnante. L’autre point absolument passionnant, est d’avoir suivi, de l’enfance à l’âge adulte, les cinq protagonistes. D’adolescentes choyées et frivoles, elles sont devenues des reines implacables ou perdues, des maîtresses de guerre, ou encore des espionnes chevronnées. Le récit permet de suivre la subtile évolution – et surtout l’érosion – de leurs relations. Il semble que chaque trait de caractère, chaque nouvelle dispute, découle d’une adolescence mal guérie, que l’autrice a parfaitement mise en scène. Les portraits de femme qu’elle dresse sont à l’image du reste du roman : parfaitement menés.

En somme, j’ai attendu cette conclusion avec une immense impatience et une attente démesurée, et les deux sont comblées. La construction du récit, mêlant narrateurs et époques, rend le roman absolument passionnant, d’autant que la montée en puissance des opus précédents trouve ici son apothéose. J’ai adoré chaque page. J’ai lu avec la boule au ventre, tant l’intrigue est menée de façon aussi implacable que magistrale à sa conclusion. Juste avant de lire ce dernier tome, j’avais relu les trois précédents mais, une fois tournée la dernière page de la série, j’en sors avec une certitude : je relirai sans aucun doute toute cette série, qui est entrée tout droit au panthéon des mes romans favoris. Avec trois coups de coeur sur quatre tomes, c’est le minimum syndical.

◊ Dans la même série : Véridienne (1) ; Les Terres de l’Est (2) ; Mers brumeuses (3).

Récits du Demi-Loup, #4 : Clémente nous soit la pluie, Chloé Chevalier.
Les Moutons électriques, 10 avril 2020, 544 p.

 

Mers brumeuses, Les Récits du Demi-Loup #3, Chloé Chevalier.

Pour Cathelle et Aldemor, l’heure n’est plus aux regrets. Rien n’arrêtera ce qu’ils ont déclenché.
Véridienne et les Éponas, pour la première fois, lèvent les armes l’un contre l’autre. Sur les rivages des Mers Brumeuses, les Chats de Calvina et les guerrières de Malvane se jaugent, et les deux Suivantes, résignées et amères, se préparent à devoir verser le sang de leurs camarades d’enfance. Alors que leurs reines, à tort ou à raison, leur retirent peu à peu toute confiance et que leurs terres se transforment en cimetières, plus rien ne semble pouvoir empêcher les désastres à venir.
Les rêves se fanent, les espoirs se muent en vaines illusions, amitiés et amours se délitent, tandis que le Demi-Loup, les yeux bandés, danse au bord du gouffre.

Après deux coups de cœur pour les deux premiers tomes, je ne pouvais pas passer à côté de la suite des Récits du Demi-Loup !
Cette fois encore, le temps a passé depuis la fin de l’opus précédent et les querelles se sont envenimées. Ce sont donc deux royaumes au bord de la guerre que l’on retrouve — inconscients, qui plus est, de la menace grandissante que représente l’Empire de l’Est, sous la savante houlette d’Aldemor. D’ailleurs, les points de vue des personnages nous permettent de suivre l’évolution de la situation : on oscille donc entre Véridienne, les Éponas et l’Empire, avec des narrateurs de tous bords.

Côté narrateurs, on suit à nouveau les Suivantes Nersès et Lufthilde (respectivement attachées à Véridienne et aux Êponas), le prince Aldemor, la Suivante déchue Cathelle, ces deux derniers faisant partie du contre-pouvoir (et qui m’ont semblés un poil moins au centre de l’histoire). Surgit également une nouvelle voix, que j’ai découverte et suivie avec passion : celle de Crassu, le fils aîné adoptif de Nersès et Firment, sourd de naissance – mais non muet, détail qui a son importance. Crassu est un adolescent bringuebalé dans une guerre qu’il n’a pas demandée, moqué en sus en raison de son handicap et très souvent sous-estimé. Comme, en outre, il est assez jeune, on ne le juge que rarement à sa juste valeur, ce qui lui permet d’avoir un point de vue inédit sur le conflit et de noter une foule de détails capitaux qui échappent aux autres. Ainsi, le roman a un petit côté récit d’espionnage pas désagréable du tout – car Crassu en capte, des secrets ! Et avec les informations dont on dispose à la fin du roman et qui ne sont pas encore arrivées à qui de droit partout… j’étais littéralement sur des charbons ardents !

La narration garde sa forme particulière : elle se fait au travers des écrits des narrateurs, qu’il s’agisse de leurs journaux (où ils couchent scrupuleusement ce qui leur arrive) ou de leurs échanges épistolaires. Si j’ai (à nouveau) regretté que la version numérique ne fasse pas apparaître les blasons immensément pratiques qu’il y avait dans la version papier (du moins du tome 1), je n’ai eu aucune difficulté à me repérer dans les voix, tant celles-ci peuvent être différentes. Mais surtout, l’avantage considérable qu’apporte ce type de discours rapporté, c’est le suspense incroyable qu’il distille dans l’intrigue. Les personnages écrivent avec du recul sur ce qu’ils ont vécu et multiplient les effets d’annonce… celles-ci n’étant pas nécessairement dans les pages qui suivent immédiatement ! On ronge son frein, on patiente, on stocke l’information dans un coin de cerveau en guettant le moment où elle va surgir et on grogne de frustration lorsqu’elle n’arrive pas avant la fin du roman !
Attention, spoiler : Par exemple, je meurs d’envie de savoir qui est ce Tinek qui erre aux Éponas et sert de précepteur aux enfants…

J’ai eu l’impression, dans ce tome, qu’il se passait quelque chose à peu près toutes les deux pages : les vengeances des unes et des autres se dessinent de plus en plus clairement et se mettent vraiment en place. On a la nette sensation qu’on a dépassé, ici, le point de non-retour et qu’on s’achemine doucement – mais sûrement – vers la catastrophe. Et le pire, c’est qu’on a hâte de voir ce que ça va donner !
Outre le volet politique, complexe à souhait, Chloé Chevalier accorde aussi beaucoup d’attention aux vies privées de ses personnages : entre leurs histoires (ou leurs peines) de cœurs, leurs préoccupations personnelles et leurs aventures qui ne semblent pas directement liées à l’enjeu politique, on est servis. C’est agréable, car les personnages ne sont pas réduits au simple rôle de pantins inexistants en dehors du conflit politique dans lequel ils se sont embarqués. Et cela donne d’autant plus envie de suivre leurs pérégrinations. Cela tient sans doute aussi au temps qui a passé : les princesses et leurs Suivantes ont grandi (la preuve en sont les enfants qui se mettent à naître), elles se sont endurcies (et pas toujours pour le mieux, d’ailleurs). Le roman a même un petit goût d’innocence perdue un tantinet mélancolique, mais qui sied parfaitement à l’intrigue !

Il y aurait encore tant à dire, mais il y a déjà bien assez de détails révélés dans cette chronique. Je m’arrêterai là en disant que j’ai littéralement dévoré ce roman, pressée que j’étais de savoir comment tout cela allait tourner, tout en ayant la certitude que ça ne pouvait que mal tourner. L’histoire est devenue bien plus sombre : non seulement nos cinq têtes de linottes ont brutalement grandi mais, en plus, le récit nous emmène vers de sombres lendemains (entre la Mort de l’Eau, l’Est ou les petits plans machiavéliques des uns et des autres, il y a de quoi faire). Chloé Chevalier, une fois de plus, nous présente des personnages attachants, pour les péripéties desquels il n’est pas difficile de se passionner. J’ai donc terriblement hâte, une fois de plus, de découvrir la suite de leurs aventures !

◊ Dans la même série : Véridienne (1) ; Les Terres de l’Est (2) ;

Les Récits du Demi-Loup #3, Mers brumeuses, Chloé Chevalier. Les Moutons Électriques, 1er juin 2017, 368 p.

Les Terres de l’Est, Récits du Demi-Loup #2, Chloé Chevalier.

coupdecoeurrecits-du-demi-loup-2-les-terres-de-l-est-chloe-chevalier

Deux ans ont passé. La Preste Mort poursuit ses ravages et la scission entre les deux domaines du royaume, Véridienne et les Éponas, se creuse chaque jour davantage. Aux deux Suivantes, Lufthilde et Nersès, il revient d’œuvrer dans l’ombre de leurs reines pour éviter le pire. Ballottées entre la frivolité de Calvina, les lubies imprévisibles de Malvane et la colère grandissante des comtes et du peuple, l’une comme l’autre peinent à se montrer à la hauteur de la tâche.
Tandis que de vieilles querelles de jeunesse se muent peu à peu en dangereux jeux de pouvoir, à l’est, l’Empereur tourne son regard et ses légions vers le Demi-Loup. Pour Cathelle et Aldemor, la Suivante et le prince renégats, l’heure approche de sortir de l’ombre et, enfin, de prendre leur revanche.

L’an dernier, j’avais succombé au charme de Véridienne ; inutile de préciser que j’attendais Les Terres de l’Est avec une certaine impatience, largement récompensée. Dans le premier volume, on suivait essentiellement les tribulations des deux cousines, au travers des journaux de leurs trois Suivantes et du prince Aldemor. Cette fois, l’histoire se concentre bien plus sur Aldemor, le prince renégat et sur Cathelle, la Suivante déchue, qui a suivi Aldemor dans sa disgrâce.
Au travers des écrits d’Aldemor, on en apprend plus sur son passé à l’Est et cela éclaire à la fois sa personnalité et quelques événements du premier volume.

La situation politique ne cesse de se complexifier et il est intéressant de voir l’angle sous lequel Chloé Chevalier envisage la situation. Le Demi-Loup n’est, finalement, qu’un royaume de bouseux mal dégrossis, menacé par la proximité d’un immense empire bien plus brillant. Les échanges de Nersès et Lufthilde, à ce titre, sont particulièrement édifiants, et permettent de mieux saisir les évolutions sanitaires, politiques et sociales en marche – et il y a du boulot. Comme dans le premier volume, on ne voit jamais les deux reines, mais on les suit tout de même pas à pas. Ces longs échanges de lettres sont également l’occasion de revenir sur leurs erreurs de jeune fille et, si en lisant le premier tome on ne s’est pas arrêté sur certains détails, les implications de leurs petits conflits sont maintenant plus claires.

On passe aisément d’un narrateur à l’autre – mais je regretterai tout de même que les blasons, bien pratiques pour les identifier, n’apparaissent pas dans la version numérique – car Chloé Chevalier les a tous dotés d’une voix bien particulière. Et dès que l’on passe à un nouveau personnage, c’est pour regretter de ne pas suivre plus longtemps le précédent, preuve que l’auteur a su rendre leurs tribulations littéralement passionnantes.

Si, dans le premier tome, les querelles juvéniles des cinq filles donnait au roman de faux airs lents, le rythme est nettement plus soutenu dans ce deuxième tome. Entre ceux qui se lancent dans une quête vengeresse presque promise à échouer, ceux qui tentent vaille que vaille de résoudre les problèmes et celles qui décident qu’elles ont mieux à faire, une certaine tension s’installe.
Mais, parallèlement à cela, l’auteur écrit, encore une fois, un roman très humain, centré sur les relations des personnages et leurs quêtes personnelles, qui viennent nourrir l’intrigue générale. Sans en révéler de trop, les quêtes politiques se doublent de quêtes identitaires, en se nourrissant les unes les autres.

De plus, on a enfin quitté les murs glacés de Véridienne – qu’on ne retrouve plus que par l’entremise des échanges épistolaires entre Nersès et Lufthilde. On voyage beaucoup plus dans cet opus, passant des murailles de Véridienne à celles des Éponas, des Plaines Jaunes aux immenses cités de l’Est, des recoins les plus obscurs du Demi-Loup aux bourgades les plus étranges. Chloé Chevalier nous donne à voir un univers vaste, riche de coutumes, légendes et d’une histoire secouée, quel que soit l’endroit que l’on visite.

Véridienne était un excellent premier tome, Les Terres de l’Est poursuit sur sa très bonne lancée ! Chloé Chevalier signe une aventure très humaine, portée par un contexte géopolitique complexe à souhait. J’espère de tout cœur que la suite sera à la hauteur de ces deux premiers tomes ambitieux et fascinants !

◊ Dans la même série : Véridienne (1) ;

Récits du Demi-Loup #2, Les Terres de l’Est, Chloé Chevalier. Les Moutons électriques, 19 août 2016, 327 p. 

Si vous avez aimé, vous aimerez peut-être :

les-filles-de-l-orage-le-sang-et-l-or-1-kim-wilkins

Pas raccord/Le Monde de Charlie, Stephen Chbosky.

pas-raccord-le-monde-de-charlie-chbosky

Charlie entre au lycée. Pour se donner du courage, il se met à écrire à un correspondant imaginaire – semble-t-il. Marqué par le suicide récent de son meilleur ami, sensible, très intelligent, il s’intéresse aux gens et s’adapte manifestement mal à son environnement. Les autres élèves le prennent pour un « freak », un type bizarre. Du coup, Charlie reste en marge, lit les livres supplémentaires que lui donne son prof de lettres et fait des dissertations supplémentaires.
Un jour, il rencontre deux terminales, Patrick – dit « rien du tout » – et la jolie Samantha, que tout le monde appelle Sam. Les voilà qui le prennent sous leur aile pour lui faire découvrir la vie, les amis, la musique, le sexe, les fêtes. Et tout s’accélère pour Charlie.

Cela fait des plombes qu’on parle de ce roman, il était plus que temps de s’y mettre, d’autant qu’il est aussi bon qu’il en avait l’air.

Première chose à noter : c’est un roman épistolaire (mais j’ai un petit faible pour ce genre). Et il n’y a qu’un seul épistolier : Charlie. On ne saura d’ailleurs pas exactement à qui il écrit ses lettres, ni même si cet ami a une existence tangible. Tout ce dont Charlie a besoin, c’est d’un exutoire, quelqu’un à qui raconter ses journées, ses petits tracas, ses pensées les plus profondes. Car Charlie n’est « pas raccord » avec l’univers et, s’il n’est pas spécialement brimé, tout le monde le lui rappelle avec constance. Or, l’année du lycée, cela peut devenir pesant.

Heureusement, Charlie rencontre très vite Patrick et l’adorable Sam, deux frères et sœur par alliance, un peu plus âgés que lui, qui le prennent sous leur aile. Et le voilà qui découvre la vie à vitesse grand V, ce qui n’est pas plus mal pour lui, d’ailleurs. Là, tout y passe : les virées entre amis, les fêtes, le rock, la drogue, le sexe, l’amour. En un mot, la vie. Et la vie de Charlie s’accélère considérablement, car tout cela se bouscule un peu dans sa tête, ce qui l’oblige à mettre de l’ordre dans ses pensées avec des mots.

Dans ses lettres, Charlie raconte tout : ses doutes, ses craintes, ses espoirs, le déroulé de ses journées, le résultat de ses lectures (son professeur de littérature lui fait lire des œuvres et rédiger des dissertations supplémentaires), ses découvertes, le tout saupoudré de souvenirs fulgurants qu’il a de sa tante Hélène, tragiquement décédée lorsqu’il était plus jeune et dont il était extrêmement proche. Elles sont l’occasion d’évoquer de multiples sujets : amour et amitié, bien sûr, mais aussi homosexualité, littérature, musique, arts, famille, passage entre les âges…

Charlie est un garçon à la fois sensible et naïf, deux traits de caractère que l’on ressent parfaitement dans ses lettres. Cela va de pair avec une expression souvent enfantine, mais parsemée de fulgurants éclairs de compréhension d’une redoutable profondeur, extrêmement émouvants et bien souvent exprimés à demi-mots. Au fil des lettres, Charlie grandit et se constitue peu à peu et c’est terriblement touchant.

À la lecture du roman, on comprend aisément pourquoi, en version originale, il en est à sa vingtième réimpression. Stephen Chbosky évoque l’adolescence avec beaucoup de talent et une remarquable subtilité. Il parvient à saisir l’effervescence de la période et le sentiment d’éternité qui la marque. Grandiose !

Quant à l’adaptation, elle est particulièrement fidèle : passer de l’un à l’autre se fait sans difficulté, tant le film colle au roman.

Pas raccord / Le Monde de Charlie, Stephen Chbosky. Sarbacane, 2008, 294 p.

Si vous avez aimé, vous aimerez peut-être :

qui-es-tu-alaska-john-green   ou   pardonne-moi-leonard-peacock-matthew-quick

 

Véridienne, Récits du Demi-Loup #1, Chloé Chevalier

coupdecoeurvéridienne-chloé-chevalier
Au bord de l’implosion, le royaume du Demi-Loup oscille dangereusement entre l’épidémie foudroyante qui le ravage, la Preste Mort, les prémisses d’une guerre civile, et l’apparente indifférence de son roi. Les princesses Malvane et Calvina, insouciantes des menaces qui pèsent sur le monde qui les entoure, grandissent dans la plus complète indolence auprès de leurs Suivantes. Nées un jour plus tard que les futures souveraines auxquelles une règle stricte les attache pour leur existence entière, les Suivantes auraient dû être deux. Elles sont trois. Et que songer de la réapparition inopinée du prince héritier, Aldemor, qu’une guerre lointaine avait emporté bien des années auparavant ? Avec lui, une effroyable réalité rattrape le château de Véridienne, et le temps arrive, pour les Suivantes et leurs princesses, d’apprendre quels devoirs sont les leurs.

Très belle surprise de la rentrée fantasy ! Au royaume du Demi-Loup, le quotidien des princes et princesses est géré par une règle très stricte : on adjoint à chaque enfant un Suivant, du même sexe, né un jour après l’héritier et auquel on dispense le même enseignement. En cas de disparition de ce dernier, le Suivant pourrait être appelé à assurer la régence et doit donc devenir à la fois l’ami et le confident de son aîné. Or, au royaume du Demi-Loup, question Suivants, les affaires semblent plutôt mal embouchées. D’une part, le Suivant du prince Aldemor – parti depuis bien longtemps mener l’armée contre l’empire de l’est – est décédé lorsqu’ils étaient jeunes enfants. D’autre part, pour écourter une chasse à la Suivante décidément trop longue, le roi Aldemar a ramené à sa fille cadette Malvane une fillette née deux jours après elle (Nersès), avant qu’une autre fillette (Cathelle) née le bon jour n’arrive au château ! Double scandale ! Mais vaille que vaille, Malvane a deux suivantes. Les ennuis ne sont pas terminés. Alors que la princesse a une douzaine d’années, deux fillettes dépenaillées débarquent au château de Véridienne : il s’agit de Calvina, cousine de Malvane et princesse des Éponas (royaume méridional) et de Lufthilde, sa Suivante, tout juste réchappées du coup d’État qui voit passer la couronne des Éponas de la tête de feu le roi à celle de son ex-général des Armées. Bon an mal an, la famille royale recueille les deux rescapées et tente de leur offrir le meilleur, ce qui, dans un premier temps, fonctionne plutôt bien… avant de partir en quenouille.

Véridienne ouvre une série de fantasy ambitieuse. Ce premier volume vient poser le décor d’un univers riche à souhait. La géopolitique, d’un côté, est très dense : le Demi-Loup se partageait en deux royaumes satellites, Véridienne et les Éponas, gérés par deux rois frères, jusqu’à ce que le général de l’armée des Chats ne s’empare des Éponas. Mais cette épine dans le pied n’est rien comparée à la puissance du gigantesque empire de l’est, à côté duquel le Demi-Loup fait figure de piqûre d’épingle sur la carte. Et il faut un certain nombre de chapitres pour s’en apercevoir, car l’auteur introduit les éléments peu à peu.

Il y a en effet une sorte de lenteur qui règne sur l’ensemble de ce premier tome et qui sied parfaitement à l’intrigue, tenue presque à huis-clos dans les murs du château. Les princesses vivent leurs vies dans une sorte d’indolence confortable, sans trop se poser de questions, et toutes aux bisbilles adolescentes qui peuvent les opposer ou les réunir. La réalité n’a, finalement, que peu de prises sur leur petit univers douillet – avant qu’elle ne leur tombe violemment dessus. Du coup, c’est l’occasion pour le lecteur de découvrir l’univers, les hiérarchies, les coutumes. Dans une grosse première partie, on suit essentiellement les cinq filles, jusqu’à ce que la réalité du monde extérieur ne s’invite dans leur bulle – et dans celle de la famille royale, plus globalement, le roi étant lui-même particulièrement inactif et indolent. Malgré la lenteur globale du récit, qui prend son temps pour s’installer, le récit est rythmé. D’une part, la vie des adolescentes ne manque certainement pas de piquant et, d’autre part, les perspectives de l’épidémie et de la guerre induisent un suspense tenace.

Malvane, Nersès, Cathelle, Calvina et Lufthilde sont cinq feu follets qui virevoltent dans les couloirs glacés et humides du palais. L’auteur s’est attachée à chaque fille, affinant leurs caractères, dessinant leurs relations, semant les graines de la discorde entre elles. Car évidemment, la belle entente de l’enfance vire en inimitiés féroces, renforcées par les caprices des unes et des autres. De fait, alors que diverses menaces (toutes plus létales les unes que les autres) pèsent sur le royaume, c’est une intrigue très humaine que tisse Chloé Chevalier. Les princesses aiment, détestent, se passionnent pour des sujets, en exècrent d’autres, étudient, s’émancipent, comme des adolescentes parfaitement normales. Et leurs caractères évoluent grandement au fil des pages. Du coup, lorsque le fil rouge s’installe pour de bon, on a la délicieuse impression d’avoir affaire à des personnages complexes et consistants.

À cela il faut ajouter la forme que prend Véridienne. C’est un roman choral, mais qui ne se contente pas d’alterner les points de vue. Certes, on passe d’un personnage à un autre, mais toujours par le biais d’un écrit – un point intéressant, quand on pense que la lecture et l’écriture sont des compétences extrêmement rares dans le Demi-Loup et qui ont donné lieu à des méthodes parallèles parmi le peuple ! D’un chapitre l’autre, on lit donc les journaux intimes des personnages, entrecoupés de correspondances, rapports et autres messages qui viennent enrichir ces différents angles de vue. Autre point très original : jamais nous ne connaissons les points de vue intimes des princesses en titre. En effet, on suit les journaux de Nersès, Cathelle et Lufthilde, les trois suivantes, ainsi que celui du prince Aldemor, astucieusement signalés par un système de blasons en tête de chapitre – qui pallient l’uniformité des récits, les voix étant assez similaires. Ce système laisse libre champ à chacun pour interpréter (ou surinterpréter !) les paroles et réactions des autres, et chacun s’en donne à cœur joie !

Excellent début en fantasy pour Cholé Chevalier, donc, qui met en place un univers riche, aux coutumes vraiment intéressantes. Ce premier volume sert d’introduction à une intrigue politique pour le moins dense. En prenant le temps de développer les caractères de ses protagonistes de l’enfance à l’âge adulte – avec tout ce que cela suppose de remous – Chloé Chevalier tisse brillamment une intrigue à échelle humaine, avec des personnages agréablement complexes. Voilà qui est prometteur pour la suite que j’ai hâte de lire !

Récits du Demi-Loup #1, Véridienne, Chloé Chevalier. Les Moutons électriques, 2015, 376 p.

 

14-14, Silène Edgar & Paul Beorn.

14-14-paul-beorn-silène-edgar

 

2014. Adrien a 14 ans, vit à Laon en Picardie, est amoureux de Marion, dessine et rêve d’arrêter le collège.
1914. Hadrien a 14 ans, vit à Corbeny en Picardie, envisage de demander la main de son amie Simone et voudrait poursuivre ses études au petit lycée de Laon, alors que son père, illettré, aimerait le voir reprendre l’exploitation familiale. 
Adrien envoie une carte de vœux à l’un de ses cousins, confiant la missive à une boîte aux lettres bleues qu’il n’a jamais vue. Par un curieux jeu de magie et de hasard, la lettre parvient à Hadrien, 100 ans plus tôt, qui y répond. Or, Adrien ne l’ignore pas, 1914 est loin d’être une année faste pour la Picardie… 

Deux époques, deux protagonistes, deux auteurs : Silène Edgar pour Hadrien, Paul Beorn pour Adrien.
Et on peut dire que le système fonctionne : impossible de confondre les « voix » des deux garçons, tant leurs styles sont distinctifs -Hadrien s’exprimant comme un vrai jeune homme du début du XXe siècle en sus.

Le récit est dynamique, non seulement parce qu’on passe d’un jeune homme à l’autre, mais aussi parce que les deux garçons nourrissent une correspondance passionnée et passionnante. En effet, on découvre peu à peu la vie de chacun des deux épistoliers… et leurs incroyables similitudes, malgré un siècle d’écart. L’un comme l’autre éprouvent des difficultés avec leurs parents ou à propos de l’école. Tous deux vivent en fratrie, éprouvent des sentiments pour une jeune fille, qu’ils ont du mal à exprimer. À l’intrigue proprement historique se mêlent donc deux histoires plus personnelles, mais pas moins haletantes.

Malgré le suspens angoissant lié à l’imminence de la guerre – et la difficulté pour Adrien de faire comprendre à Hadrien qu’il est en danger – 14-14 est un roman qui ne manque pas d’humour. En effet, les décalages et incompréhensions des deux garçons – qui ne savent pas immédiatement qu’ils vivent à un siècle d’écart – sont très drôles. Si Adrien trouve sa Marion « super » et voudrait sortir avec, Hadrien ignore ce que signifie le terme et envisage, de son côté, de se marier avec Simone pour finir sa vie avec elle. De même, il ignore ce qu’est un email et explique à Adrien – qui lui demande ses coordonnées électroniques et téléphoniques  – que le téléphone semble être une invention tout à fait intéressante, mais qu’elle n’est pas encore arrivée dans son village de Corbeny, ce qui ne manque pas de surprendre l’épistolier du XXIe siècle…

L’intrigue progresse à bon rythme et réussit à proposer une fin qui boucle parfaitement l’histoire sans frustrer le lecteur – malgré quelques petites facilités que l’on pardonne sans peine, au vu du niveau du reste. Malgré les différences d’expression entre les deux jeunes hommes, le texte est très accessible, y compris pour de jeunes lecteurs.
De plus, la mise en perspective des deux points de vue permet d’apprendre une foule de choses : sur la guerre, sur la vie au début du XXe siècle, sur l’évolution des mœurs – scolaires, familiales – ou des sciences et techniques.

14-14 est donc un très bon roman, qui mêle histoire et fantastique, et traite de thématiques très contemporaines qui parleront aux jeunes lecteurs, tout en leur apprenant une foule de choses sur la première guerre mondiale et le début du XXe siècle. Une combinaison parfaite, somme toute. À avoir dans toutes les bonnes bibliothèques !

14-14, Paul Beorn et Silène Edgar. Castelmore, 2014, 350 p. 

 

14-18-sélection-lectures-encres-et-calames

Lettre E !

Les Princes charmants n’existent pas, Maïa Brami.

les-princes-charmants-n-existent-pas-maïa-brami

 Nora a quinze ans, elle déteste son physique, envie son amie Julie, et est une incorrigible rêveuse, qui aimerait être Ava Gardner. Un jour, elle trouve sur son balcon une lettre de rupture adressée à son voisin, un certain Rodrigue. Amusée, elle lui renvoie la missive, avec un court billet. Contre toute attente, Rodrigue répond. S’engage alors une correspondance passionnée, que Nora apprécie de plus en plus, trop timide pour oser rencontrer Rodrigue. Elle ne peut s’empêcher de rêver ; mais la réalité peut-elle être aussi douce que son rêve ? 

 

Nora est une grande rêveuse, nettement plus à l’aise à l’écrit qu’à l’oral. Du coup, lorsque cette correspondance s’installe, elle éprouve le plus grand mal à s’en détacher… alors que Rodrigue, lui, est dans le concret, et regrette de ne pouvoir parler en direct à Nora.
Maïa Brami fait donc des relations entre adolescents (amicales, fraternelles ou amoureuses), le centre de son roman.

La forme est intéressante : le roman alterne entre récit externe des événements, lettres de Nora, lettres de Rodrigue. Les styles des deux ados sont nettement différenciés : lyrique, poétique et plein d’envolées pour Nora, plus pragmatique et ramassé pour Rodrigue. Aucun des deux ne manque d’humour, ou ne rechigne à s’exprimer clairement, ce qui fait que les lettres sont très agréables à lire. Comme dans tout roman épistolaire, les lettres entretiennent le suspens du déroulement de la relation, et de l’intrigue générale : c’est donc assez prenant, car on se demande comment les deux correspondants vont négocier les nombreux virages de leur relation particulière.

Les pistes de réflexion lancées par le récit sont assez nombreuses : Les Princes charmants n’existent pas n’est pas qu’une bluette adolescente – même si celle-ci prend la plus grande place. Au fil des lettres de Nora et Rodrigue, on découvre deux vies pas si roses : Nora s’interroge avec ferveur sur les apparences, craint de perdre sa meilleure amie qu’elle sent plus mature qu’elle et, alors qu’elle le nie farouchement, rêve au grand amour. Rodrigue, de son côté, vit mal sa récente rupture, et les incessantes disputes de ses parents ne sont pas pour l’aider. L’un le voit en pianiste de renom, l’autre en ingénieur brillant : difficile de concilier les désirs de ses parents, tout en vivant sa vie, ses relations. Julie, la meilleure amie, fait de son côté les frais de l’utilisation néfaste des réseaux sociaux, et de la calomnie. Tout cela est longuement évoqué et fait de ce roman un récit plus profond qu’il n’en a l’air au premier abord.
Il est pourtant assez frustrant car, si toutes ces pistes sont lancées, certaines ne sont pas suffisamment creusées : ainsi, on ne sait pas ce qu’il s’est réellement passé dans le vestiaire, et l’histoire de Julie se règle bien trop rapidement, alors même qu’il y avait matière à creuser – et quelle matière ! De même, le personnage de Maxim, profondément malheureux, aurait mérité un peu plus de place et d’attention : les causes de son comportement ne sont évoquées qu’à mots couvert, bien que l’on comprenne pourquoi il se comporte comme le petit frère infernal qu’il est.
De plus, le roman est assez court, et laisse donc peu de place à un suspens palpitant : il n’en reste pas moins très agréable à lire, mais une intrigue un peu plus dense n’aurait pas été de refus.

En bref, Les Princes charmants n’existent pas a le double mérite de proposer une romance légère et divertissante, tout en développant d’intéressantes pistes de réflexion liées à l’adolescence et en explorant le genre épistolaire avec réussite. Malgré une intrigue qu’on aurait souhaité plus dense, et un développement moins rapide, voilà un roman jeunesse facile et agréable à lire, idéal pour accompagner les beaux jours du printemps ou le début de la saison estivale. L’histoire de Nora et Rodrigue devrait plaire aux fleurs bleues dans l’âme, ou aux lecteurs rêvant d’une évasion poétique, et d’un happy end bienvenue : c’est le titre remonte-moral parfait !

 

Les Princes charmants n’existent pas, Maïa Brami. Nathan, avril 2014, 304 p.
7 / 10. 

 

Si vous avez aimé, vous aimerez peut-être :

 

une-guitare-pour-deux-mary-amato

Une guitare pour deux, Mary Amato.

une-guitare-pour-deux-mary-amato

C’est la fin de l’été, et la rentrée s’annonce assez morose pour Tripp. Sa mère lui a confisqué sa guitare, lui extorquant la promesse d’améliorer ses notes et de faire des efforts de sociabilisation au lycée. S’il remplit son contrat, il pourra récupérer son instrument. La rentrée ne débute pas mieux pour Lyla : excellente élève, violoncelliste hors pair, elle a besoin de s’entraîner encore et encore pour ses concerts, et pour s’assurer une place dans une grande école de musique.
C’est comme ça que Tripp et Lyla vont se partager la salle de répétition du lycée. Chacun ayant des choses à reprocher à l’autre, ils nouent une relation par pupitres et petits messages acides interposés. Mais leur passion commune fait changer peu à peu le ton des messages…

 

Une guitare pour deux. Une seule et unique guitare pour deux adolescents passionnés de musique. L’un est enfermé dans une solitude profonde, l’autre prisonnière du carcan de ses obligations. Tripp et Lyla pourraient fonctionner comme des négatifs : elle est studieuse, respectueuse des règlements, et essaie de toujours faire ce qu’on attend d’elle. Lui est plus bohème, parfois rebelle, et se contrefiche plutôt de l’opinion – toujours négative – que l’on porte sur lui. Ils ont pourtant quelques points communs : l’extrême solitude dans laquelle ils vivent, pour commencer, et leur passion commune pour la musique, qu’ils vont finir par partager grâce à la fameuse guitare.

Dès le départ, ce roman se place avec un choix original : avant de partager la guitare, Tripp et Lyla nouent une relation épistolaire, en se laissant des petits mots dans la caisse de l’instrument. D’abord acides (Lyla reproche à Tripp son je-m’en-foutisme assumé), ils deviennent plus complices et familiers, au fur et à mesure que passent les semaines et que les deux jeunes gens apprennent à se connaître. Les deux adolescents jouent alors à un petit jeu de cache-cache : ils se voient, ne se parlent pas, et ne correspondent que grâce à ces petits mots. La première partie du roman est donc assez rafraîchissante et joue très bien avec les codes de la relation épistolaire : l’époque étant ce qu’elle est, Tripp et Lyla correspondent aussi par messages électroniques de toutes sortes.
L’autre idée originale, c’est que le texte est truffé de partitions, petits airs, et des paroles des chansons jouées par les personnages. Pour peu que l’on dispose des bases les plus classiques en musique, on peut siffloter en chœur avec les personnages, et cela permet de mieux entrer dans l’univers.

Le style de l’auteur est très fluide et le roman se lit vraiment tout seul, le vocabulaire ou l’intrigue ne posant aucune difficulté. Malheureusement, il faut reconnaître que l’on reste un peu sur sa faim : si le style est clair et efficace, il manque un peu de force pour retranscrire les puissantes émotions liées à la découverte, à la pratique de la musiqueet aux émois de ces deux adolescents qui apprennent à communiquer à travers elle. On sent qu’il y en a, mais on reste toujours un peu trop en surface, et c’est dommage.

De même, il est fort regrettable que les meilleurs passages du livre soient victimes d’ellipses. Rien sur l’évolution des relations des adolescents avec leurs parents, rien non plus sur l’acceptation des dits-parents sur la personnalité de leur progéniture. L’auteur a tenté de retranscrire ces passages centraux en scènes courtes chargées d’émotions mais, comme pour la musique, cela reste un peu faible pour réellement émouvoir et embarquer le lecteur. Du coup, on passe très régulièrement d’un point à un autre sans trop savoir comment, et certains passages semblent un peu hachés, en raison de ces changements de situation intempestifs. Pourtant, sous couvert d’une sympathique histoire d’amitié, Une guitare pour deux propose des développements inattendus qui rendent le livre bien plus percutant que ce l’on pourrait imaginer en commençant la lecture. Mary Amato sait ménager suspens, tension et situations aussi réalistes que cruelles, aux côtés de passages plus doux et poétiques.

Une guitare pour deux, c’est donc avant tout une belle histoire d’amitié par la musique, qui devrait plaire tant aux habitués des conservatoires qu’aux musiciens autodidactes plus libres. Une histoire qui fait un peu rêver, et qui est  heureusement dépourvue de toute mièvrerie – quoique les personnages soient un peu fleur bleue, chacun à leur manière. Le style est fluide, le propos très clair ; l’histoire est très mignonne, à la fois sensible et tendre, mais aussi dure et impitoyable. Pourtant, cela manque encore un peu de profondeur, et l’on sort malheureusement de la lecture avec un goût de trop-peu, malgré un concept original, et un sujet traité tout en douceur.

Le petit plus : la version V.O. des chansons est disponible ici.

 

Une guitare pour deux, Mary Amato. Nathan, 2013, 288 p.
7/10.

Si vous avez aimé, vous aimerez peut-être :