Encens, Johanna Marines.

Nouvelle Orléans, 1919. Alors que le tueur à la hache sème la terreur dans les rues et nargue les enquêteurs, le corps mutilé d’une jeune femme est découvert en ville. Que signifient ces notes de musique et ces marques de brûlures retrouvées sur sa peau et ces étranges plumes métalliques plantées dans son dos ?
Pour les inspecteurs Perkins et Bowie, une nouvelle enquête s’ouvre. Se pourrait-il qu’un deuxième meurtrier soit à l’œuvre ? Que faire quand deux tueurs en série rivalisent de cruauté et que la ville devient leur terrain de jeu ? Plongez au cœur des Bayous où le jazz est roi et prenez de la hauteur à bord du Mécanic Hall, un aérocabaret où les dancing-automates sont devenus des déesses de la fête. Découvrez le passé trouble de Grace, une intrépide cartomancienne et de sa chouette mécanique et sautez de toits en toits aux côtés des désembobineurs qui collectent l’électricité pour la New Orleans General Electric Company.

Encens est un des cinq romans nominés au PLIB 2022 et… malheureusement, on ne peut pas dire que j’ai franchement accroché à ce titre.
L’histoire se déroule à la Nouvelle-Orléans, dans les États-Désunis d’Amérique, en 1919. Dans cette réalité alternative, les automates sont légion, que ce soit parmi les humains ou les animaux. Par ailleurs, un tueur armé d’une hache sévit dans la cité, répandant la terreur. Pour cet aspect de l’intrigue, l’autrice a repris un véritable fait divers, qui a inspiré de nombreuses œuvres (dont l’excellent thriller Carnaval de Ray Celestin !), sans doute car l’identité réelle du tueur n’a jamais été découverte.

Le récit se concentre autour de trois personnages principaux (plus quelques autres, mais qui sont moins fouillés) : l’inspecteur William Perkins, en charge des deux affaires de tueurs en série ; Ian Cobb, un psychiatre tourmenté ; et Grace, la fille de l’inspecteur Perkins, qui vit seule, travaille dans un aérocabaret, porte des pantalons (so chocking !) et a été adoptée après la destruction totale de son orphelinat dans un incendie. De façon assez classique, le récit fait s’entrecroiser les points de vue et trajectoires des trois personnages, en les entrecoupant d’analepses, d’introspection des tueurs en série, de brefs passages chez les personnages secondaires, ou d’articles de journaux. Un schéma narratif qui a fait ses preuves et qui fonctionne ici parfaitement, donnant au récit un rythme très agréable – d’autant que celui-ci est mené d’une plume fluide et entraînante. L’enquête est menée sans répit : les changements de focale rapides, comme la façon dont s’entrecroisent les secrets des personnages (car évidemment ils sont tous liés !) rendent l’ensemble vraiment prenant.

Si l’uchronie n’est vraiment pas poussée, on profite de cette esthétique chargée en dirigeables, automates, et créations électriques : le roman relève du dieselpunk, c’est-à-dire du steampunk, mais pas sous l’ère victorienne (plutôt l’entre-deux-guerres), et avec d’autres technologies que la seule vapeur. Cela change un peu, et j’ai trouvé cela très plaisant !

Mais alors, qu’est-ce qui ne l’a pas fait ?
Autant j’ai apprécié le rythme, autant l’alternance rapide des points de vue m’a parfois empêchée de m’attacher aux personnages, donc je suis restée en peu en dehors. Et alors que la tension ne faisait que monter, le retournement final m’a semblé faire tout retomber à plat, en introduisant des éléments pas du tout évoqués jusque-là et comme sortis du chapeau. Je n’ai pas trouvé la conclusion de l’enquête franchement crédible.
Par ailleurs, j’ai eu l’impression que le récit faisait intervenir trop de thèmes pour réussir à vraiment les traiter tous en même temps : outre l’enquête autour des deux meurtriers en série, il est question de la lutte sociale des automates pour leurs droits (que j’ai interprétée comme une relecture de la ségrégation), des conditions de vie (souvent désastreuses) des minorités (parmi lesquelles les homosexuels et les automates), des avancées technologiques (notamment autour de l’électricité et des automates), ou encore des progrès et des dérives de la médecine (toujours avec l’électricité, avec semble-t-il un clin d’œil aux travaux autour de la santé mentale qui faisaient fureur à l’époque).
Chacun d’entre eux est intéressant, mais on part un peu dans tous les sens, et on reste toujours un peu en surface ; cela ne m’a pas aidée à plonger dans ma lecture, car j’ai dû me remobiliser à chaque chapitre concernant l’enquête proprement dite.
Enfin, j’ai été particulièrement gênée par les coquilles et les tournures de phrase exotiques, qui m’ont sortie de ma lecture à de nombreuses reprises.

Une lecture en demi-teinte, donc. Si j’ai franchement apprécié le style fluide, comme l’idée de détourner un fait divers réel (et sordide !) dans une ambiance steampunk hyper réussie, l’accumulation de thèmes, comme les trop nombreuses coquilles, ont contribué à mon manque d’enthousiasme dans ma lecture.

Encens, Johanna Marines. Snag, juin 2021, 500 p.
#PLIB2022 #ISBN9782490151370

The Scorpion rules #1, Erin Bow.

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La première règle, pour éviter la guerre ? En faire une affaire personnelle… Très personnelle.
Duchesse de Halifax, princesse de la Confédération panpolaire, mais surtout… otage. Je m’appelle Greta Stuart, et ma vie ne tient qu’à un fil. Il y a quatre cents ans, une série de terribles conflits liés au changement climatique a ravagé la planète : guerres, famines, inondations, exodes… Débordées, les autorités ont fait appel à une intelligence artificielle omnisciente pour tenter de mettre un terme au massacre. Mais Talis – c’est son nom – a vite pris son indépendance et le contrôle du monde. Désormais, il garde en otages les fils et filles des grands dirigeants de la planète. À la première déclaration de guerre, les héritiers des deux camps concernés sont froidement exécutés.
Il me reste seize mois à tenir, seize mois avant d’avoir dix-huit ans et de pouvoir quitter le Préceptorat où je suis prisonnière depuis l’âge de cinq ans. Mais l’arrivée d’un nouveau pensionnaire, venu du pays voisin du mien, va tout changer. Elián, qui ne cesse de défier Talis, de mépriser les règles qui régissent notre existence, met nos vies à tous en danger. Malgré tout, son esprit de révolte est contagieux. La résistance serait-elle possible ? Car nous le savons tous : le pays natal d’Elián va forcément finir par déclarer la guerre au mien…

Mais que voilà un roman étrange et intrigant ! L’histoire est centrée autour de Greta, une jeune princesse-otage très – trop ! – consciente de la position délicate dans laquelle elle se trouve. Au début de l’histoire, elle pense mourir assassinée en même temps que le jeune otage américain, leurs deux pays étant en bisbilles. Mais seul Sidney meurt… et se trouve rapidement remplacé par Elián, otage du Cumberland, et forte tête s’il en est. La vie de Greta était déjà menacée, elle ne tient désormais plus qu’à un fil.
Ainsi, le roman place le lecteur sous tension constante, d’autant que l’on s’aperçoit assez vite que les têtes couronnées ne tiennent pas nécessairement à leur progéniture…

Le roman se déroule en quasi-totalité en huis-clos, au sein du Pensionnat, dans une ambiance feutrée vraiment appréciable. Car les jeunes pensionnaires sont – peu ou prou – tenus à l’écart du monde, mais en même constamment baignés dans ces relations internationales ô combien crispées. Ce flot d’informations parfaitement contrôlée permet, évidemment, de garder la main-mise sur eux et de leur rappeler à quel point leur existence et précaire, ce qui contribue grandement au suspens général.
Comme dans tout huis-clos, l’essentiel de l’intrigue repose sur les personnages. Et, curieusement, Greta et Elián ne sont ni les plus intéressants, ni les plus charismatiques. La première est quelque peu torturée, ce qui s’explique par 11 ans de captivité. De fait, elle fait parfois un peu girouette, avec pas mal d’atermoiements et, parfois, des prises de positions qui se contredisent – somme toute, elle est très humaine. Mais, au fil des pages, elle grandit et on se surprend à s’attacher à sa personnalité un peu froide et distante. Elián, de son côté, semble plus fade : c’est un ado rebelle assez classique, sans grande consistance, mais avec un intéressant sens de la répartie. L’opposition entre les deux est intéressante : Greta est partisane de la soumission, Elián de la rébellion et, contrairement aux clichés du genre, c’est plutôt la première qui retient l’attention du lecteur – Elián manquant quelque peu de recul et d’esprit critique, contrairement à Greta qui a une bien meilleure perception des enjeux.

Mais si on ne s’attarde guère sur le jeune premier, c’est parce que les personnages secondaires, eux, sont à la hauteur. Hormis la palme du manichéisme qui revient à la grand-mère d’Elián, les autres rattrapent le coup avec des personnalités équilibrées et intéressantes. Ainsi, l’Abbé, geôlier en chef, déroute. On ne sait s’il est du côté des otages, du côté de Talis, un peu des deux, s’il ment, s’il doute, lui aussi. Et ce questionnement est très réussi – et assez surprenant, de la part d’une intelligence artificielle. L’autre grande IA de l’histoire, c’est Talis, bien sûr, dont le curieux sens de l’humour et de la justice fait placer une atmosphère à la fois grinçante et inquiétante sur le récit.
Mais s’il ne fallait retenir qu’un seul personnage, ce serait Da-Xia, dite Xie, la meilleure amie et cothurne de Greta. Héritière d’un empire – céleste – asiatique, la jeune fille a fait des poses énigmatiques et des décisions très personnelles ses religions – et cela fonctionne merveilleusement. Malheureusement, l’intrigue est telle qu’elle ne laisse pas toujours assez de place aux personnages pour les développer, ce qui nous laisse parfois avec un sentiment de trop peu.

Celle-ci privilégie la politique par rapport aux scènes d’action, ce qui change un peu des dystopies habituelles. Ceci étant, le roman n’est ni lent, ni totalement dépourvu d’adrénaline et de suspens : on se surprend donc à tourner les pages à toute allure à plusieurs reprises ! Là où le roman est original, c’est qu’il mêle des thèmes archi-classiques des dystopies pour adolescents à des péripéties et retournements de situations plus originaux. Ainsi, on n’échappe pas aux tartes à la crème du genre comme la prise de conscience tardive (mais celle-ci est totalement inattendue et surprenante !), le méchant très méchant (mais ce n’est pas forcément celui auquel on pense), ou la traditionnelle romance saupoudrée de triangle amoureux (bien que, dans un cas comme dans l’autre, ça ne se déroule pas du tout comme on aurait pu, au premier abord, l’envisager). Il en résulte, du coup, un curieux mélange de clichés particulièrement communs, tournés de façon originale. Aussi déroutant que surprenant ! Et ce n’est pas l’audacieuse conclusion qui nous ramène sur les sentiers de la banalité ; Erin Bow donne une nouvelle orientation pleine de suspens à son roman.

Alors que la dystopie est un genre qui peine à se renouveler, Erin Bow propose le premier tome étonnant d’un diptyque qui parvient à aligner tous les lieux communs du genre, en les détournant fréquemment. Ainsi, ce premier tome peut parfois sembler ce qu’il y a de plus classique, avant d’exploiter une orientation pour le moins originale. Il en résulte un récit étonnant, prenant à souhait et particulièrement stimulant !

The Scorpion Rules #1, Erin Bow. Traduit de l’anglais par Jean-Baptiste Bernet. Lumen, avril 2016, 407 p.

Faux frère, vrai secret, Olivier Gay.

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Léa menait une vie parfaitement normale entre les cours, les livres et ses amis, mais tout change le jour où elle apprend que des proches de son père sont morts dans un accident de voiture. Leur fils de quinze ans, Mike, devenu orphelin, va emménager sous le même toit qu’elle. Difficile de devoir partager l’appartement familial – et sa salle de bains – avec un parfait inconnu…
Si seulement c’était tout ! Mais il ne connaît pas les codes du lycée, se montre trop parfait pour être honnête et n’a pas peur des brutes que tout le monde fuit.
Léa est bien décidée à découvrir ce que cache son nouveau frère… sinon sa vie va devenir un enfer.

L’histoire débute comme un roman adolescent classique : Léa nous décrit sa vie d’ado lambda, essayant de se fondre dans la masse pour échapper aussi bien à la vigilance des professeurs que des petites brutes du lycée. Parallèlement, elle espère secrètement que son père, bourreau de travail, fera enfin l’effort de passer plus de temps à la maison. Or, en quelques chapitres, la voilà exaucée et flanquée d’un frère adoptif pour le moins étrange.
Dès l’arrivée de Mike, Olivier Gay instaure un climat lourd de tension : certes, Mike est l’archétype du gendre parfait, mais le personnage comporte trop de failles pour être totalement honnête (on se demande d’ailleurs vraiment, dans un premier temps, d’où il peut bien sortir). De plus, on sombre presque immédiatement dans un roman bourré d’adrénaline et fleurant bon l’espionnage à plein nez : courses-poursuites, scènes d’action musclées et intenses réflexions sont donc au programme.

À partir de là, les péripéties s’enchaînent à bon train, ne laissant aucun répit ni aux personnages, ni au lecteur. L’histoire va donc assez vite – peut-être même un poil trop, par moments. L’avantage, c’est que le récit ne souffre d’aucune longueur !
Rapidement, on se doute de ce que peut bien être le secret de Mike, mais l’aventure n’en reste pas moins prenante car les opposants ne tardent pas à s’accumuler, sans que leurs motivations soient toujours bien claires.

Les personnages sont, eux aussi, passionnants. Si Léa est une ado plus que banale, Mike, atypique à souhait, est bien plus intéressant. Mieux, c’est même l’un des opposants de Léa et Mike, Maxime, qui s’avère être le personnage présentant le plus d’aspérités – comme quoi, on peut être le bad guy du lot sans être totalement archétypal. Et c’est intéressant de voir que Léa n’est ni le personnage le plus puissant, ni le plus intéressant du tas ; cela change des canons du genre. Le cocktail de personnages est donc vraiment réussi !

L’histoire est, par ailleurs, portée par le style enlevé et plein d’humour d’Olivier Gay, qui multiplie les références à la culture pop ou à la littérature jeunesse (y compris à ses propres romans). Le ton se marie à merveille au récit et contribue à donner l’impression qu’il est trop court – car c’est avec un goût de trop-peu que l’on referme ce roman.

Faux frère, vrai secret est donc un one-shot particulièrement prenant. L’anticipation mâtinée de thriller fonctionne à plein, portée qu’elle est par un style léger et plein d’humour. Un roman qui se lit certes un peu vite, mais qui offre un très bon moment !

Faux frère, vrai secret, Olivier Gay. Castelmore, novembre 2016, 282 p.

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Les Fuyants de Maxfield Academy, Les Variants #2, Robison Wells.

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Benson pensant avoir échappé à la Maxfield Academy.
Il avait tort.

Une fois n’est pas coutume, voici un résumé minimaliste, car en dire trop reviendrait à spoiler l’intégralité de l’intrigue de la saga.
On retrouve donc Benson à peine quelques instants après la fin du premier tome et, si vos souvenirs sont bons, vous vous rappellerez qu’il se trouve dans une sacrée panade. Dans la neige, hors des grilles, perdu, désorienté, furieux, terrifié, et avec un blessé sur les bras. L’état d’esprit de Benson changera assez peu au cours du volume, et on retrouvera presque toujours ce mélange détonnant – auquel s’ajoutera un brin d’héroïsme forcené frisant l’inconscience.
Comme dans le premier opus, Benson se révèle donc assez souvent agaçant, égocentrique, et manquant parfois de plomb dans la cervelle. On lui reprochera à nouveau de s’occuper un peu trop souvent de lui avant de penser aux autres, et de foncer tête baissée sans se demander si ce qu’il s’apprête à faire n’est pas dangereux ou contre-productif. Par ailleurs, il passe un temps considérable à se démener, oscillant entre des pensées diamétralement opposées car il ne sait pas lui-même s’il veut sauver sa peau, sauver celle des élèves, ou sauver tous les adolescents pris dans la tourmente.

Ce questionnement incessant occupe une grande part du récit, et s’avère un brin répétitif. Mais, d’un autre côté, il permet de mettre en avant le manque d’informations dont souffrent les personnages. Soyons clair, on ne sait pas grand-chose de ce qu’il se trame réellement à Maxfield (sinon que c’est énorme, illégal et potentiellement dangereux) et Benson non plus. Du coup, on est à l’affût du moindre petit indice et les révélations qui arrivent au compte-goutte sont … surprenantes. La fin des Variants  laissait présager quelque chose d’époustouflant : la tension est à son comble dans le second opus, jusqu’aux dernières pages. Sans achever son deuxième tome sur un cliffhanger, Robison Wells parvient tout de même à placer suffisamment de rebondissements étonnants pour que l’on veuille en savoir plus – d’autant que les révélations laissent envisager qu’on ne maîtrise pas encore l’ampleur de la machination à peine révélée.

À nouveau, l’auteur joue sur les éléments de l’huis-clos, du thriller, de l’enquête désespérée, de la science-fiction, de la manipulation psychologique. À nouveau, son récit se pare d’un fort effet de réalisme qui rend le tout d’autant plus prenant, et quelque peu dérangeant. Les personnages sont réduits à commettre des actes d’une violence extrême, peut-être encore plus poussée que dans le premier opus. Pourtant, ce n’est pas particulièrement choquant. Non, le plus dérangeant, c’est le traitement qui leur est réservé, et la machination dans laquelle ils sont pris au piège.

Malgré les quelques petites longueurs centrales, dues aux permanentes hésitations de Benson, on replonge dans le même mélange exaltant d’action, de suspense, d’angoisse et de questionnements que dans le premier tome. Aux très bon éléments du début de saga s’ajoute la découverte d’une machination que l’on n’avait, jusque-là, pas soupçonnée dans toute son ampleur, et dont on soupçonne qu’elle cache encore des révélations incroyables. La tension est à son comble, l’ambiance toujours aussi oppressante, les révélations glauques et fracassantes, et l’intrigue menée tambour battant. Passées les retrouvailles avec le caractère urticant de Benson, on passe un très bon moment de lecture avec ce roman bourré d’action aux accents futuristes, qui joue sur les genres. Avec Les Variants, Robison Wells sort des sentiers battus des romans de science-fiction destinés aux adolescents, et il serait dommage de passer à côté de cette bonne série.
À ne surtout pas rater si vous aviez apprécié le tome 1, à noter si vous ne connaissez pas encore la saga !

Dans la même série : Les Variants. 

 

 Les Variants #2, Les Fuyants de Maxfield Academy, Robison Wells. Editions du Masque (MsK), 2013, 283 p.
8/10.

 

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Les Variants, Robison Wells.

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Bienvenue à Maxfield Academy.
Vous pouvez rejoindre les gangs suivants :
la Société
le Chaos
les Variants.

Un seul mot d’ordre : SURVIVRE.
Une seule issue : la FUITE.
Et surtout : NE FAITES CONFIANCE A PERSONNE.

Aujourd’hui paraît en librairie Les Variants, premier opus du nouveau diptyque éponyme de la collection Msk, dont je remercie vivement les petites mains pour m’avoir fait découvrir cette merveilleuse nouveauté! Mais, avant toute chose, parlons un peu de l »histoire…

Lorsque Benson Fisher arrive au collège de Maxfield, il pense que tous ses problèmes de familles d’accueil sont enfin résolus. Finis les petits boulots sous le manteau imposés par ses nouveaux parents, finis les déménagements incessants, terminés les foyers d’accueil. Il va enfin pouvoir se consacrer sereinement à ses études grâce à  sa bourse, passer des diplômes et bien se lancer dans la vie.

Malheureusement, tout ne se passe pas exactement comme prévu, et le rêve ne tarde pas à virer au cauchemar. Dès son arrivée, Benson constate que le collège est livré aux pensionnaires, surveillés en permanence par des caméras vidéos. La discipline y est excessivement stricte, et les élèves obligés de s’intégrer à un des trois gangs existants pour survivre – oui, car vivre n’est pas gagné dès le départ dans cette école atypique. En choisissant les Variants, Benson est persuadé de trouver un moyen de fuir cette école de fous. La seule chose qu’il n’avait pas prévue, c’est que la fuite ne serait peut-être pas possible.

On débute ce roman comme une histoire normale. Un orphelin, emmené par une femme dans un monospace vers sa nouvelle école, entièrement concentré sur ses études à venir. Mais la situation se détériore très rapidement, dans les premières minutes que Benson passe dans l’établissement. Avec lui, le lecteur va de surprise en surprise : pas d’adultes dans le collège ? Un règlement obtus et des caméras de surveillance ? Et, pire, des gangs ? Benson pense être la victime d’une mauvaise farce, et j’avoue avoir attendu la fin de ce que je pensais être une épreuve d’initiation. Qui ne vient pas. Puisque c’est bien le concept du collège : des caméras, un mur d’enceinte, et des châtiments qui tombent sur les élèves à la moindre infraction, allant de la privation de nourriture à la disparition pure et simple du récalcitrant. Benson se voit donc obligé de trouver très vite le moyen d’éviter ces punitions, quitte à faire des choses ne lui ressemblant pas vraiment, mais qui lui permettront de se découvrir.
Au roman initiatique, Robison Wells ajoute l’huis-clos, mené dans une ambiance glauque à souhait, et se dégradant peu à peu. Confrontant Benson à ses petits camarades, il fait agir son protagoniste comme celui qui devrait lancer l’étincelle de la révolution, sans y parvenir. On le regarde donc s’agiter en vain, essayer de secouer ses inertes camarades et se moquer royalement des plus élémentaires règles de sécurité, mettant sa vie et celle des autres en danger.

De ce point de vue-là, Benson est particulièrement agaçant. Quelque peu égocentrique, il ne se préoccupe que de lui-même et pense tout savoir mieux que les autres, qui sont enfermés là depuis des lustres. Évidemment, ce qui devait arriver arrive : il se met la plupart des élèves à dos. Mais, à sa décharge, cela lui permet de mettre le doigt sur un indice révélateur, à propos des sombres choses qui se trament dans l’établissement. Même s’il est parfois souverainement pénible, on s’attache à lui et on comprend aisément sa démarche – après tout, personne n’aime être enfermé sans motif et contre son gré pour une durée avoisinant la perpétuité.

Avec Les Variants, Robison Wells propose aussi un portrait qui ressemble fort à celui d’un lycée américain classique : parmi les élèves, on retrouve un certain nombre de stéréotypes. Ainsi, on croise la brute de service arborant des colliers d’or, sa petite amie musclée, flippante et hargneuse, la gentille fille qui essaie d’aider les autres, l’intello qui veut tout gérer et quelques trublions (la seule qui manque à l’appel semble être la bimbo décérébrée, ce qui n’est pas plus mal). Pourtant, en mâtinant son récit d’éléments troublants, l’auteur glisse clairement sur la pente de la science-fiction, ce qui décale totalement ce portrait, comme une pâle copie : les élèves n’agissent ainsi que pour garantir leur survie, endossant des rôles qui les dépassent parfois totalement, mais avec lesquels ils ne se débrouillent pas trop mal. Benson, par exemple, d’enfant obéissant, devient une vraie tête brûlée, et est bien décidé à s’en sortir tout seul. Jouant sur une ambiance à mi-chemin entre Sa Majesté des mouches et Dix Petits nègres, Robison Wells balade allègrement son lecteur.

Les éléments de science-fiction arrivent presque sans crier gare. Presque car, rapidement, le lecteur a des soupçons – sans toutefois deviner immédiatement de quoi il est question. Et les révélations remettent toute l’histoire en cause, faisant habilement repartir l’intrigue, qui menaçait de s’essouffler. En changeant totalement la donne, Robison Wells insuffle un regain de vitalité dans son scénario, qui dope du même coup l’intérêt du lecteur. D’autant que ces éléments futuristes sont assez subtils pour que la situation garde un fort effet de réalisme, rendant le tout d’autant plus dérangeant. La tension monte jusqu’à atteindre un point de non-retour ; on attend désespérément de savoir de quelle manière la situation va exploser – et les révélations ne sont pas moins fracassantes. L’auteur manie brillamment les éléments du huis-clos, de la science-fiction, du roman d’énigmes, tout en lorgnant de temps en temps vers le thriller, ce qui fait des Variants un roman aussi riche qu’efficace. Le suspens, les révélations et les découvertes sont parfaitement dosés ; le lecteur marine un certain temps, tournant et retournant les possibilités dans sa tête. Car ici, on ne peut faire confiance à aucun des personnages. L’isolation morale que subit Benson est très forte, et déteint sur le lecteur, qui ne peut s’empêcher de chercher d’où viendra le prochain coup-bas. Vous l’aurez compris, l’ambiance est très prenante, parfois un peu effrayante, et le malaise ne fait que monter crescendo jusqu’à la fin brutale, dramatique et magistrale.

En définitive, Les Variants est le roman type qui pourra plaire à différents publics : en mêlant science-fiction, ambiance prenante, huis-clos et énigmes, Robison Wells réussit un roman aussi palpitant que dynamique, bien écrit et captivant, qui semble d’ores et déjà se classer parmi les meilleurs titres de la collection MsK.

 

◊ Dans la même série : Les Fuyants de Maxfield Academy, tome 2.

 

Les Variants, Les Variants #1, Robison Wells.  Editions du Masque (MsK), janvier 2013, (1ère édition 2011) 329 p.
8/10.

 

Si vous avez aimé, vous aimerez peut-être…

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L’Oiseau d’Amérique, Walter Tevis.

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Au XXVe siècle, l’humanité s’éteint doucement, abreuvée de tranquillisants prescrits en masse par les robots qu’elle a elle-même programmés à cette fin. Le monde repose désormais sur les épaules de Robert Spofforth, l’androïde le plus perfectionné jamais conçu, qui possède des facultés inouïes… sauf, à son grand regret, celle de se suicider. Mais l’humanité moribonde se fend d’un dernier sursaut. Paul Bentley, petit fonctionnaire sans importance, découvre dans les vestiges d’une bibliothèque l’émerveillement de la lecture, depuis longtemps bannie, dont il partagera les joies avec Mary Lou, la jolie rebelle qui refuse ce monde mécanisé. Un robot capable de souffrir, un couple qui redécouvre l’amour à travers les mots, est-ce là que réside l’ultime espoir de l’homme ?

Dans la droite lignée de 1984 ou du Meilleur des Mondes, L’Oiseau d’Amérique explore l’avenir de l’être humain. Dans une société peu à peu phagocytée par les robots, inondée de drogues et gouvernée par les principes suprêmes de Solitude et d’Individualisme, les humains n’ont presque plus voix au chapitre. Élevés en batterie, comme des animaux, ils en dépassent à peine le stade de conscience; la lecture n’est plus enseignée depuis longtemps, l’écriture non plus -considérées comme souvent comme des activités subversives.

La déchéance de ce monde en fin de course est observée au travers du regard de trois personnages ; Paul Bentley, petit fonctionnaire qui redécouvre la lecture, et se passionne pour Mary Lou, jeune femme rebelle ayant échappé au système, qui lui ouvre les yeux sur bien des sujets. Et puis, Spofforth, le robot intelligent et suicidaire qui aimerait bien quitter cette vie, mais en est incapable. Ces regards entremêlés redessinent la définition de ce qu’est l’existence humaine, tout en examinant ce qui la menace, ou les aspects qu’il serait bon de ne pas développer. Le triple point de vue permet de suivre bien plus précisément les aventures des personnages, et rend l’ œuvre d’autant plus réaliste.
Bien que le livre soit centré sur l’existence et la mainmise des robots sur le monde, c’est une aventure formidablement humaine que nous narre Walter Tevis. Une aventure qui finit, non pas en demi-teinte, mais sur une fin totalement ouverte, et n’excluant pas une possible rédemption, voire une amélioration significative.

Portés par le style sans fioritures de Walter Tevis, c’est avec une certaine crainte mâtinée d’enthousiasme que l’on suit les pérégrinations des personnages; outre les avertissements dispensés en filigrane, on trouve dans l’ouvrage une réflexion plus globale sur les bienfaits de la lecture et, dans une certaine mesure, ses enjeux, portée par trois personnages en quête du bonheur, et en quête d’eux-mêmes. Un roman d’anticipation subtilement réflexif, à lire de toute urgence !

 

L’Oiseau d’Amérique, Walter Tevis. Trad. de Michel Lederer. Gallimard (Folio SF), 2005 (1ère édition 1891), 386 p.
8/10.

 

Si vous avez aimé ce livre, vous aimerez peut-être…

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1984, de George Orwell.