Oscar Goupil : a London mystery, Camille Guénot.

Mes parents m’avaient laissé une lettre : je passerais mes vacances de fin d’année chez ma grand-tante Léonie, à Londres. Pas vraiment un cadeau, vu sa réputation. Et le train partait dans une heure. « Délicieusement excentriques » ? Complètement irresponsables, je dirais. Heureusement que je me débrouille en anglais. Je me demande maintenant à quoi ressemblerait ma vie si j’avais raté ce train, si je n’avais pas été obligé d’aller dans ce musée, la National Gallery, si je n’avais pas découvert… Disons juste que la magie n’est pas toujours là où on s’y attend.

On continue avec la (bonne) série de ma PAL de travail. Un titre mystérieux, une autrice que je ne connaissais pas et, résultat : un titre à un cheveu du coup de cœur !

L’intrigue débute au soir des vacances de Noël, où Oscar découvre que ses adorables parents l’ont tout simplement abandonné, en lui laissant un billet de train et la consigne d’aller crécher chez sa grande-tante Léonie, qu’il connaît à peine (laquelle est moins que ravie de l’accueillir, étant en froid avec sa nièce, la mère d’Oscar.). Avec ça, Léonie a elle aussi prévu de se débarrasser d’Oscar, qui est expédié à la National Gallery, pour y travailler durant ses vacances. Bref : excellente ambiance en famille (esprit de Noël, tout ça tout ça).

« Le seul espace où je me sentais chez moi était ma chambre. Une immense bibliothèque en bois, à laquelle je grimpais à l’aide d’une échelle coulissante, couvrait un mur entier, et des piles de romans, de bandes dessinées et de mangas s’entassaient au petit bonheur autour d’un matelas à même le sol.
Une baie vitrée inondait mon lit de lumière et, en ce mois de décembre, dévoilait les branches couvertes de givre des tilleuls de la place Martin-Nadaud. Ici, rien ne pouvait m’atteindre du monde extérieur. Je ne connaissais pas plus grand bien-être que de griffonner sur mes carnets dans un coin de soleil ou de me blottir sous ma couette après la classe avec un saucisson, une part de tarte aux noix de pécan – oh, bonheur suprême ! – et d’ouvrir un livre. J’étais entouré d’amis silencieux – Harry, Katniss, Ophélie, Nicolas, Blacksad, Lyra, Enid… – avec qui je vivais, du fond de mon lit, des aventures extraordinaires. Pourquoi irais-je me confronter aux autres quand, avec eux, je pouvais frissonner, rire, pleurer et surtout rester moi-même ? Avec eux, j’avais le droit d’être très ennuyeux ou complètement fou, cela ne changeait rien, et j’aimais cette constance par-dessus tout. »

Rapidement, l’intrigue bascule dans un mélange très réussi d’enquête policière (les sept artistes contemporains invités au musée, dont la mère d’Oscar !, disparaissant mystérieusement) et de fantastique (Oscar se découvrant un pouvoir avec les tableaux, pouvoir qui est à peine explicité). Les deux aspects du récit s’entremêlent à la perfection, l’aspect fantastique nourrissant l’enquête et vice-versa.
De fait, le suspense est bien présent, puisqu’Oscar, livré à lui-même, se retrouve à chercher à la fois des informations et des solutions sur son pouvoir, et le problème de la disparition.

« Mes yeux s’ouvrirent tout grands: un peu plus loin, dans le tableau près de l’escalier, une femme me regardait.
–Tu as interrompu ma lecture, se plaignit-elle, en s’éventant d’un air agacé.
Était-ce un écran de télévision, une illusion d’optique ? Je clignai des yeux mais, rien à faire, la femme agitait toujours son livre. […]
– Et je suis experte en drames familiaux, voyez-vous, ajouta-t-elle pour se justifier. Ce roman m’a tout appris. Il faut dire que je le lis depuis cent cinquante ans !
Elle me montra fièrement la couverture du livre qu’elle tenait sur ses genoux. Je dus plisser les yeux pour en déchiffrer le titre. C’était Tom Sawyer de Mark Twain.
– Moi aussi, j’adore lire. Harry Potter est mon roman préféré. Vous connaissez ? C’est drôle parce que les tableaux parlent aussi.
– Bien sûr qu’ils parlent ! Son autrice, Mrs J. K. Rowling, a pris conseil auprès de Wallis pour que tout soit conforme.
– Wallis ?
– Wallis Simpson, enfin, la duchesse de Windsor ! Elle est à la Portrait Gallery, mais nous avons été voisines de rénovation pendant quelque temps. La malheureuse avait la peau du cou toute fripée! Ce n’est pas parce qu’on est l’épouse du roi que…
– Attendez ! Vous voulez dire que les autres tableaux… parlent aussi ?
Je me sentis défaillir. Mark Twain, J. K. Rowling, Wallis machin-chose… je n’y comprenais rien.
– Cher ami, je vais finir par croire que vous êtes sot ! Évidemment que nous parlons ! C’est le miracle de l’art ! »

L’art est donc au centre du récit : la quasi-totalité des scènes se déroulent au sein de la National Gallery, qu’Oscar arpente donc de long en large, en regardant les tableaux (voire en discutant directement avec eux). Cela m’a donné d’une part très envie de découvrir ses tableaux et, d’autre part, d’aller visiter ce fameux musée. Par ailleurs, il y a une vraie tension entre art classique et contemporain : l’événement proposé par le musée consiste à laisser carte blanche à sept artistes contemporains pour des installations au sein même des galeries très classiques de la National Gallery. Il y a donc une vraie polémique au sein du monde de l’art, les uns arguant que cet événement va redonner de l’élan au musée, les autres estimant qu’il s’agit d’un non-sens total. La réflexion sur la beauté est donc très intéressante, bien menée, et la conclusion est laissée à la libre appréciation du lecteur.
Le roman évoque aussi les relations familiales : la famille d’Oscar peut se révéler un peu étrange (parents démissionnaires, secrets de famille, etc.), ce qui suscite quelques réflexions intéressantes.

J’ai trouvé le roman très original : le pouvoir lié aux tableaux est bien mis en scène, la tension entre art classique et contemporain parfaitement intégrée au récit et dès que l’on bascule dans les tableaux, il y a un côté baroque et loufoque qui m’a éminemment plu (notamment les chevaux magiques de la duchesse de Windsor !). Avec ça, l’autrice n’oublie pas de glisser des touches d’humour bienvenues dans le texte, que ce soit dans les descriptions, dans les dialogues, ou dans les notes de bas de page (qui sont utilisées à très bon escient). Londres oblige, les dialogues sont également mâtinés de quelques touches d’anglais (faciles d’accès), qui concourent à créer l’ambiance très british de l’ensemble.

En bref, j’ai adoré cette lecture. L’intrigue est très originale, mêle avec brio enquête et fantastique, tout en proposant d’intéressants sujets de réflexion. Surtout, elle donne très envie d’aller au musée, voir les tableaux cités (mais pas que) et de s’intéresser à l’art en général ! Très bonne pioche, donc, et je guetterai la suite des œuvres de l’autrice, que je ne connaissais pas.

Oscar Goupil : a London mystery, Camille Guénot. L’École des Loisirs, 26 octobre 2022, 233 p.

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Un autre roman très original qui se déroule dans l'univers fascinant des tableaux !

L’Atelier des poisons, Sylvie Gibert.

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Paris, 1880. À l’académie Julian, le premier atelier à ouvrir ses portes aux femmes, la vie n’est pas facile. L’apprentissage du métier de peintre est ardu, long et coûteux. Seules les jeunes filles dotées d’un véritable talent et, surtout, d’une grande force de caractère, parviennent à en surmonter les obstacles.
Du talent, Zélie Murineau n’en manque pas. De la force de caractère non plus. N’a-t-elle pas déjà prouvé qu’elle était prête à tout pour parvenir à ses fins ? Pourtant, lorsque Alexandre d’Arbourg, le commissaire du quartier du Palais-Royal, lui demande de faire le portrait de sa filleule, sa belle assurance est ébranlée : comment ne pas croire que cette commande dissimule d’autres motifs ? Même si elle en connaît les risques, elle n’est pas en mesure de refuser le marché que lui propose le beau commissaire : elle sera donc « ses yeux ».
Des auberges mal famées jusqu’aux salons de la grande bourgeoisie, elle va l’aider à discerner ce que les grands maîtres de la peinture sont les seuls à voir : les vérités qui se cachent derrière les apparences.

Paris, 1880. La jeune Zélie sent poindre des sueurs froides lorsque le commissaire Alexandre d’Arbourg lui commande un portrait de sa filleule tout en l’enjoignant de jeter un œil sur la maisonnée de son cousin, que quelqu’un a tenté d’empoisonner avec des graines d’if. Or, celui-ci lui montre un faux qu’elle a exécuté… le commissaire lui ferait-il du chantage ? Qu’à cela ne tienne. Elle exigera de lui qu’il retrouve l’enfant de Rosalie, la nourrice dont elle fait le portrait.

Sylvie Gibert immerge son lecteur dans un Paris artistique – et sexiste – minutieusement reconstitué. C’est d’ailleurs plus pour la toile de fond historique que pour l’enquête que l’on lit ce roman. En effet, cette dernière progresse lentement – mais sûrement – et c’est bien la plongée dans l’ambiance de l’époque qui nourrit les investigations. On traverse, ainsi, le quotidien des femmes peintres de l’académie Julian. L’auteur détaille la façon dont les femmes peintres étaient déconsidérées, ainsi que les rouages du Salon, qui ne mettait en valeur que les œuvres figuratives signées par des hommes et dépréciait grandement les nouveautés, comme les toiles impressionnistes – ou les peintures réalisées par des femmes, donc. L’intrigue nous fait également découvrir le quotidien d’une famille bourgeoise et, mieux encore, quelques aspects des bas-fonds et autres quartiers des masses laborieuses. Une chose est sûre, de l’ambiance feutrée de l’exposition de peinture aux tripots en bord de route, il y a un abîme…

L’enquête policière, de son côté, est constituée de différents arcs : Zélie est chargée par le commissaire de découvrir qui a tenté d’empoisonner son cousin ; le commissaire, quant à lui, enquête sur l’enlèvement de l’enfant de la nourrice ; mais on se demande également quel est le secret de Zélie qui permet au commissaire de faire pression sur elle : est-elle un faussaire de génie ? A-t-elle trempé dans quelque sombre affaire ? Autre question de fond : à quoi sont dues les crises de folie qui frappent les Parisiens et les transforment en monstres déchaînés et assoiffés de sang ? La ville souffre-t-elle d’un empoisonnement à grande échelle ? Tous ces mystères s’entrecroisent et constituent une toile solide : si l’enquête ne prend jamais le pas sur la toile historique, elle entretient habilement le suspens.

L’Atelier des poisons est donc un roman historique et policier comme on aimerait en lire plus : regorgeant de suspens, il laisse pourtant la part belle à l’ambiance historique, minutieusement rapportée par l’auteur avec un luxe de détails fort appréciable. L’intrigue est portée par des personnages travaillés dont certains, comme Marie Bashkirtseff, qui a laissé un Journal, ont réellement existé. Au-delà des intrigues proprement historique et policière, Sylvie Gibert offre un beau portrait de la place des femmes – qu’elles soient bourgeoise, nourrice, aristocrate, artiste ou ouvrière – dans le Paris du XIXe siècle. 

L’Atelier des poisons, Sylvie Gibert. Plon, 2016, 352 p.