La mort s’invite à Pemberley, P.D. James.

Rien ne semble devoir troubler l’existence ordonnée et protégée de Pemberley, le domaine ancestral de la famille Darcy, dans le Derbyshire, ni perturber le bonheur conjugal de la maîtresse des lieux, Elizabeth Darcy. Elle est la mère de deux charmants bambins ; sa sœur préférée, Jane, et son mari, Bingley, habitent à moins de trente kilomètres de là ; et son père adulé, Mr Bennet, vient régulièrement en visite, attiré par l’imposante bibliothèque du château.
Mais cette félicité se trouve soudain menacée lorsque, à la veille du bal d’automne, un drame contraint les Darcy à recevoir sous leur toit la jeune sœur d’Elizabeth et son mari, que leurs frasques passées ont rendu indésirables à Pemberley. Avec eux s’invitent la mort, la suspicion et la résurgence de rancunes anciennes.

J’avais déjà écouté une première fois ce livre audio, mais en bricolant et sans faire preuve de la moindre attention, ce qui fait que je ne me souvenais ni de l’histoire, ni des personnages – donc il était tout indiqué pour une relecture si rapide (la précédente remontant à… l’été 2021 !).
Et si j’ai passé dans l’ensemble un bon moment de lecture, avec l’envie fréquente d’y revenir, je n’ai pas pu m’empêcher, à plusieurs reprises, de ressentir une pointe de violente frustration.

Parlons d’abord de l’histoire : le récit s’ouvre par un résumé très détaillé et commenté d’Orgueil et Préjugés, reliant chacune de ces deux caractéristiques à l’un des protagonistes du roman. Une fois fait ce rappel exhaustif de l’œuvre originale, l’autrice s’attache à présenter « son » Pemberley, où l’on se prépare à donner le traditionnel bal de Lady Anne, et à détailler les évolutions de personnages qu’elle a imaginées. On rentre donc doucement mais sûrement dans cette version alternative, et cela met l’eau à la bouche.
La tranquillité du cadre est brutalement interrompue par l’irruption de Lydia Wickham, qui hurle que son mari vient d’être abattu dans les bois. De fait, les hommes de la maison ne tardent pas à tomber sur le fameux Wickham, bien vivant, mais qui désespère devant le corps sans vie d’un de ses amis, le capitaine Denny et, cerise sur le gâteau, s’accusant d’avoir causé sa mort. Voilà qui fait tâche dans le décor…
Partant de là, l’autrice va donc dérouler l’enquête (assez succincte) et les réactions des divers personnages à cette horrible histoire.

J’aime bien le concept de reprendre un classique, d’en inventer la suite, en y ajoutant ici une dimension dramatique et des accents de polar – même si ceux-ci sont, somme toute, assez faibles, l’essentiel du récit se concentrant sur les réactions des uns et des autres à ce fait troublant. Si, dans l’ensemble, c’était une lecture assez agréable, je dois quand même dire que certains points m’ont laissée particulièrement dubitative.
Primo, les personnages. Je suis assez amatrice de pastiches littéraires mais je dois dire que là, la sauce a difficilement pris avec les personnages – ce qui fait que j’ai lu ce roman presque comme une œuvre indépendante. J’ai trouvé Elizabeth loin, très loin d’Elizabeth Bennett : elles partagent un nom, mais c’est à peu près tout. Certes, le contexte polar ne se prête peut-être pas au sarcasme acerbe, mais de là à en faire un personnage aussi falot, j’ai l’impression qu’il y avait un peu de marge…

Segundo, le roman souffre de longueurs assez pénibles, particulièrement dans la partie consacrée au procès. Mais que c’est long ! Et le pire, c’est que des éléments sont introduits, suscitant des questions, sans être résolus par la suite – il en va ainsi, par exemple, de la disparition de Mrs Younge, qui arrive comme un cheveu sur la soupe, entraînant des conséquences pour la suite, mais qu’on évacue en moins de deux. J’ai trouvé ça assez perturbant, et ça m’a laissé une impression de travail bâclé assez désagréable. Avec ça, le-dit procès qui m’a semblé s’éterniser pendant des plombes, se solde par un deus ex machina qui ne m’a paru particulièrement crédible : des aveux complets du véritable coupable – lequel est mort juste après les-dits aveux. C’est un peu trop pratique pour être honnête !
De plus, on a les explications en deux fois, mais en deux gros blocs et là encore, la crédibilité pêche : je n’ai pas trouvé que les dessous du mystère tenaient vraiment la route. Tout est justifié, entendons-nous bien, mais ce n’est pas le polar le plus finement exécuté que j’aie lu ! Quelque part, j’ai eu l’impression que tout cela tenait du fait que l’autrice respectait beaucoup trop le matériau d’origine pour s’en détacher totalement. Je ne saurais dire ce qui m’a lancée sur cette idée, mais elle m’est revenue en tête à plusieurs reprises au cours de ma lecture.

En somme, j’ai passé un bon moment de lecture, mais qui tient essentiellement, je pense, au talent de la lectrice – Guila Klara Kessous. Sans sa mise en voix, je ne sais pas si je serai allée au bout de ce pastiche littéraire sous forme de polar. Autant retrouver les personnages et Pemberley était plaisant, autant l’intrigue assez mal ficelée et les personnages, un peu fades, ont manqué d’un petit quelque chose pour réellement m’enthousiasmer. Ceci étant posé, comme je le disais en introduction, j’ai quand même (paradoxalement, peut-être ?) passé un bon moment, ayant hâte de m’y remettre entre deux lectures. Donc je le conseillerais à toute personne curieuse de cette forme de suite de l’œuvre de Jane Austen, sans toutefois s’attendre ni à un polar extraordinaire, ni à une réécriture audacieuse de l’œuvre d’origine !

La Mort s’invite à Pemberley, P.D. James. Traduit de l’anglais par Odile Demange.
Lu par Guila Klara Kessous. Audiolib, réédition 2013, 623 min.


Le second visage d’Arsène Lupin, Boileau-Narcejac.


Arsène Lupin a légué au Musée du Louvre les trésors de l’Aiguille creuse et a tiré sa révérence. Finis les cambriolages effectués d’une main de maître, les évasions pleines de panache, les billets d’excuse adressées aux victimes… La Griffe a pris le relais et ne fait pas de quartiers : cambriolages avec effraction, enlèvements, brutalité, et meurtres. Arsène Lupin ne peut pas laisser cet individu entacher la profession et semer la terreur. D’autant plus que La Griffe le défie avec insolence. Lupin doit contre-attaquer. Il est certes cambrioleur, mais gentleman avant tout !

En 2019 (je pensais pourtant que c’était l’an dernier !!), j’ai lu avec un immense plaisir La Poudrière, deuxième épisode (sur cinq) du pastiche d’Arsène Lupin écrit par le duo Boileau-Narcejac. Comme j’ai passé un excellent moment, je me suis offert la suite (on verra plus tard pour le tome 1, donc !), avec Le second visage d’Arsène Lupin.

Avant même de commencer, j’étais hyper emballée (déjà par la perspective d’un nouveau pastiche), mais aussi parce que mes deux titres préférés de la série originelle (La double vie d’Arsène Lupin et La femme aux deux sourires) comportent l’idée de dualité dans leur titre. Je me suis donc dit que c’était de bon augure !

Comme dans La Poudrière, Arsène Lupin va endosser son costume d’enquêteur, plutôt que celui de cambrioleur, même si sa vraie nature ne va pas tarder à revenir sur le premier plan de la scène. Car en effet, un autre cambrioleur de génie ose le défier et s’en prendre directement à sa réputation ! Cela mérite de sortir de sa retraite !

L’intrigue se déroule en fait juste après L’Aiguille creuse. Au vu de la fin, Arsène Lupin est tout simplement en train de cuver sa dépression et a complètement raccroché les gants. J’ai trouvé vraiment intéressant que les auteurs se glissent dans les interstices de la chronologie du personnage, et qu’ils exploitent les éléments des romans d’origine. Là, on est face à un Lupin au fond du seau, plus torturé que jamais et, comme dans le tome précédent, parfaitement écrit. Contrairement au tome précédent, il est aussi assez seul : son organisation a été dissoute et il se retrouve quasiment sans appui. Or, dès qu’il se lance dans la bagarre, cela peut jouer en sa défaveur… ce qui ajoute grandement au suspense général de l’intrigue.

Celle-ci reprend les codes que j’apprécie dans les Arsène Lupin : des opposants déterminés, des faux-semblants, des machinations menées de main de maître et des déguisements, beaucoup de déguisements ! D’ailleurs, il y a un côté très amusant quand on songe à la Griffe, qui se grime en Arsène, ce qui fait un peu pastiche dans le pastiche. Donc on est dans un vrai (ou presque !) Arsène Lupin, avec ce que cela comporte de moments de tension, mais avec en plus un petit côté comédie parodique bien agréable.
Comme je le disais un peu plus haut, l’intrigue est particulièrement prenante. J’avais deviné l’identité de l’opposant avant la fin (je pense que j’ai lu trop d’Arsène Lupin, maintenant, cela joue en ma défaveur), mais j’ai quand même passé un excellent moment de lecture avec ce titre. Je suis même carrément déçue de savoir qu’il ne m’en reste plus que trois à lire !

Encore une excellente pioche donc, dans la série de pastiche commise par le duo Boileau-Narcejac. Le style est impeccable et, s’ils se sont parfaitement approprié l’œuvre originelle, ils proposent une intrigue complètement originale, mais aussi particulièrement prenante, qui m’a tenue en haleine (et ce malgré le fait que j’aie deviné la fin). Je suis donc très, très curieuse de lire les trois tomes de la série qu’il me reste à découvrir !

Arsène Lupin : le second visage d’Arsène Lupin, Boileau-Narcejac.
Éditions du Masque, réédition 2013, 217 p.

Arsène Lupin : la poudrière, Boileau-Narcejac.

1912. Alors qu’il sort du théâtre du Châtelet, le prince Sernine, alias Arsène Lupin, sauve la comtesse de Mareuse de deux gaillards mal intentionnés. Bien décidé à nouer contact avec elle, le prince déchante rapidement : la jeune femme lui a donné une fausse adresse et en a profité pour filer à l’anglaise. Voilà qui titille la curiosité du gentleman-cambrioleur. Alors qu’il remonte sa piste, il se fait enlever puis séquestrer par des geôliers parlant difficilement le français. Puis c’est au tour d’un détective privé fraîchement trucidé, et manifestement sur la piste de la comtesse lui aussi, de croiser sa route. Il n’en faut pas plus pour piquer pour de bon la curiosité du prince Sernine, d’autant qu’une jolie jeune femme est concernée. Qui sont exactement les deux groupes impliqués, et que cherchent-ils à obtenir de la comtesse ?

Comme vous le savez peut-être, j’adore la série des Arsène Lupin et ne résiste jamais à la tentation d’un bon pastiche (même si certains sont moins bons que d’autres). Du duo Boileau-Narcejac, je pense avoir lu étant plus jeune un opus de la série Sans Atout, mais cette lecture s’est perdue dans les limbes. La poudrière n’est peut-être pas le meilleur roman pour découvrir leur œuvre littéraire propre, puisqu’il s’agit du pastiche de l’œuvre d’un autre, mais ce qui est certain, c’est que ce roman m’a donné envie d’en savoir plus à leur sujet !

Car Pierre Boileau et Thomas Narcejac se sont parfaitement approprié le style de Maurice Leblanc et les caractéristiques des aventures d’Arsène Lupin. À tel point qu’au cours de ma lecture, j’ai été plusieurs fois surprise d’apercevoir du coin de l’œil leurs noms sur la couverture, tant j’avais l’impression de lire un Lupin de Leblanc !
Cette aventure s’inscrit dans celles où Lupin est plus enquêteur que cambrioleur – elles ne sont pas majoritaires, mais il y en a quelques-unes. Comme souvent dans ces cas-là, l’intrigue est fortement géopolitique. Nous sommes dans les années 1910, et le spectre de la guerre mondiale hante tous les esprits, notamment celui d’Arsène Lupin, dont le patriotisme n’est plus à prouver.
De prime abord, l’intrigue semble très emberlificotée : il y a d’abord cette mystérieuse comtesse après laquelle courent des détectives privés et des étrangers prêts à tuer, un cambriolage violent démenti par voie de presse, une sœur amnésique après une tentative de suicide, la visite d’un prince étranger issu des Balkans et des papiers de la plus haute importance, qui s’avèrent être vierges. Vraiment, on patauge, d’autant qu’on a du mal à comprendre – tout comme Lupin – qui fait exactement quoi là-dedans. Et cela fait partie du charme de l’intrigue : on cogite, on place les pièces du puzzle dans différentes positions, on s’inquiète des actions que mènent les uns et les autres. Le suspense est donc très au rendez-vous.

Et pour soutenir tout cela, Lupin est plus Lupin que jamais : comme souvent, il se parle à lui-même (pour s’invectiver ou se lancer des fleurs), s’appuie sur une organisation dont les ramifications semblent sans limites, réfléchit avec plusieurs coups d’avance, se trompe, dragouille de-ci de-là, fait des filatures, se déguise, ou n’hésite pas aller se battre frontalement avec les ennemis déclarés. On retrouve tous les codes des romans de Lupin, mais savamment dosés, sans avoir l’impression que les auteurs ont essayé de tout balancer en dépit du bon sens. Et ce qui est intéressant ici, c’est que Lupin n’est pas maître des événements. Certes, il s’adapte à merveille ou provoque précisément ce qui l’intéresse, mais c’est un autre personnage qui détient les clefs du mystère, qui ne seront révélées qu’en toute fin de roman. Et c’est diablement bien fait, car les indices sont assez ténus, disséminés, et nous amènent peu à peu à une révélation d’ampleur.

Côté style, comme je le disais en introduction, Pierre Boileau et Thomas Narcejac se sont parfaitement approprié celui de Leblanc et les caractéristiques de son personnage fétiche. Clairement, on s’y croirait, ce qui rend cette lecture d’autant plus délicieuse. Comme Leblanc, lorsque l’intrigue se pare d’une dimension internationale, ils ont intégré à merveille des intérêts géopolitiques européens fictifs et réels, en les liant au contexte historique de l’époque. Et même si une partie de l’intrigue politique relève de la pure fiction, la crédibilité est au rendez-vous. En un mot, j’ai trouvé ça génial.

Excellente pioche donc que ce pastiche d’Arsène Lupin ! J’ai été littéralement embarquée dans ma lecture et conquise par la reprise faite par le duo Boileau-Narcejac. Ce qui m’a donné très envie de lire leurs autres pastiches, mais aussi leur œuvre originale !

Arsène Lupin : la poudrière, Pierre Boileau et Thomas Narcejac.
Éditions du Masque, 2013 (1987 pour l’original), 2019 p.

Les Nouvelles aventures d’Arsène Lupin #1, Les Héritiers, Benoît Abtey & Pierre Deschodt.

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Qui est-il? D’où vient-il? Nul ne le sait. Arsène Lupin est partout mais personne ne connaît son véritable visage. Il est le plus célèbre malfaiteur de son temps, le plus distingué aussi. Seulement, on ne s’en prend pas aux puissants de la terre sans subir leur colère…
En 1897, au lendemain de l’incendie du Bazar de la Charité – temple de la bonne société parisienne – Lupin disparaît. On le rend responsable du drame. Athéna, surtout, l’amour de sa vie, meurt dans le brasier. Plus rien, désormais, ne compte à ses yeux.
Dix ans plus tard, un scandale éclate et le ressuscite. Lupin, changé en monstre, serait-il passé à l’ennemi? Un quotidien, le Patriote, l’accuse d’avoir dérobé des secrets militaires pour les vendre à l’Allemagne ! La guerre est imminente.
Lupin va-t-il enfin sortir de son silence?

Si vous êtes familiers de ce blog, vous savez qu’Arsène Lupin est un des rares personnages à être entré dans mon Panthéon personnel. Aussi un pastiche le mettant en scène ne pouvait-il que m’interpeller !

Une chose est sûre, Benoît Abtey et Pierre Deschodt maîtrisent leur sujet et s’y connaissent en lupineries. Tout y est ! On trouve dans cette nouvelle aventure un contexte géopolitique à la mesure des aventures de notre gentleman-cambrioleur préféré : la guerre est proche, les nations s’entre-déchirent et le climat social n’est guère au beau fixe. De plus, les auteurs investissent quelques faits divers qui ont fait les gros titres à l’époque, comme l’incendie du Bazar de la Charité (dont Gaëlle Nohant a tiré un fabuleux roman, La Part des flammes, soit dit en passant), en y plaçant judicieusement Lupin et ses relations.
Les péripéties sont nombreuses et variées : on a à peine le temps de souffler et le roman est, de ce point de vue, extrêmement divertissant.

Malheureusement, il y en a un peu trop pour être honnête. Les auteurs ont repris tous les codes des romans de Lupin et les ont tous réutilisés : Lupin disparaît, semble mourir mais renaît toujours de ses cendres, se coule dans les déguisements les plus improbables, usurpe des identités, manigance, parvient à ses fins et rencontre – bien sûr – des ennemis coriaces avec de solides raisons de lui en vouloir. L’ennui, c’est que les auteurs abusent de ces stratagèmes alambiqués et grand spectacle. Qu’on en ait un, voire deux par roman, pourquoi pas. Au-delà, cela devient franchement lassant et tue le suspens dans l’œuf. On ne s’inquiète donc guère pour l’ami Arsène, qui bénéficie ici d’une chance insolente et s’en sort toujours haut la main.
L’épilogue m’a, par ailleurs, laissée dubitative. Soit j’ai décroché pour les raisons citées ci-dessus et loupé une étape, soit les auteurs font intervenir un personnage bel et bien décédé depuis longtemps, sans aucune cohérence ni raison valable. Les dernières pages m’ont donc laissée franchement perplexe.

Malgré tout, j’ai passé un moment plutôt sympa car, comme je l’ai dit en ouverture, les auteurs savent s’y prendre et proposent, dans l’ensemble une bonne aventure d’Arsène Lupin, avec tous les ingrédients qu’il faut pour contenter le lecteur – suffisamment pour me donner envie de tenter une autre potentielle aventure de Lupin sous la plume de Benoît Abtey et Pierre Deschodt, malgré ce qui m’a chagrinée dans celle-ci. 

Les Nouvelles aventures d’Arsène Lupin #1, Les Héritiers, Benoît Abtey & Pierre Deschodt.
XO Éditions, mars 2016, 351 p.

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