La semeuse d’effroi, Eric Senabre.

Paris, 1926.
Sophie voit son monde s’écrouler. Alors que la jeune orpheline vient d’être recueillie par son parrain, l’adorable Rodolphe, celui-ci est accusé d’un crime et jeté en prison ! Elle a le sentiment d’avoir tout perdu. Tout ? Non. Il lui reste sa soif de vengeance et… une arme « inattendue ». Dotée d’une souplesse qu’elle a travaillée avec sa mère (acrobate à l’Opéra de Pékin), Sophie met son entraînement à profit, court sur les toits, s’introduit partout où elle le peut, dans l’objectif de récolter des informations et d’aider comme elle le peut son parrain. Au fil de ses pérégrinations, elle rencontre la troupe du Grand Guignol, un théâtre spécialisé dans les pièces horrifiques et les effets spéciaux sanguinolents, ce qui ne tarde pas à lui donner des idées.
Bientôt, l’heure de la justice sonnera. Car rien n’arrêtera plus la Semeuse d’Effroi !

Eric Senabre, pour moi, c’est un peu comme David Moitet : une valeur sûre ! Donc j’étais ravie de voir débarquer ce titre dans ma PAL de travail.

Le début de l’histoire nous emmène à Paris, début XXème siècle. Sophie, dont les parents viennent de mourir en Chine (sans doute dans les prémisses de la guerre civile), est recueillie par Rodolphe, son parrain. La jeune fille doit à la fois faire son deuil et s’habituer à son nouveau pays. Pas facile, lorsque la gent parisienne lui rappelle sans cesse qu’elle a des yeux « de bridés » et qu’elle ne fait pas « très française ». Pour ne rien arranger, elle assiste à une altercation durant laquelle son parrain est abreuvé d’insultes antisémites. Bonne ambiance, dans le Paris des années 20, non ? Et ça ne s’arrange pas lorsque Rodolphe est jeté en prison et Sophie expédiée au pensionnat, où elle est rejetée par ses coreligionnaires. On n’en est pas au niveau de La Petite Princesse, mais il s’en est fallu de peu !

« Rolande eut un sourire en coin qui était quasiment un abrégé de perfidie. »

Le récit semble puiser à plusieurs sources qui se marient fort bien. Sophie, d’une part, avec sa cape, son sens de la répartie et sa manie de courir sur les toits, évoque immanquablement Fantômette (qui, de toute façon, est citée dès la dédicace !). Mais le roman d’aventure se teinte de temps en temps de scènes horrifiques parfaitement menées, en témoigne la scène d’introduction – coercition menée par cadavre en pièces interposé. Cette scène d’ouverture, très marquante, fait d’emblée un effet bœuf. Au fil des pages, on comprendra que Sophie emprunte en fait tous les artifices terrifiants qu’elle utilise à la troupe du Grand Guignol – ce qui occasionne une réflexion intéressante tant sur le théâtre, que sur les apparences.
Sophie, d’ailleurs, joue beaucoup sur la sienne, la véritable, comme celle de la Semeuse d’effroi : sous son apparence véritable, on pense voir une frêle jeune fille, sans penser qu’elle boxe admirablement bien ; sous celle de la Semeuse, en revanche, jamais on n’imaginerait une adolescente de quinze ans.

« Et qu’auriez-vous fait si je n’étais pas un vrai policier ?
– Ah ! Je me serais enfuie, pardi !
– Vous pensez courir plus vite que moi ? demanda-t-il, de plus en plus amusé.
– Je n’en sais rien. Mais je grimpe sûrement mieux aux gouttières. Et puis…
– Oui ?
– Rien ne dit que je n’aurais pas pu vous étendre. Vous n’êtes pas un gros gabarit, si je puis me permettre. Méfiez-vous des femmes.
– Ah oui, on m’a déjà dit ça, répliqua-t-il en démarrant. »

L’intrigue se déroule sans temps mort : le jour, Sophie subit ses cours (inintéressants) et le harcèlement de ses petites camarades, la nuit, elle court partout et enquête. La tension est bien présente, car l’enquête n’est pas si aisée, et qu’elle est rythmée par l’épée de Damoclès au-dessus de la tête de Rodolphe (la peine de mort, donc). Heureusement, la tension est souvent allégée par l’humour piquant de Sophie, les réparties dont elle abreuve son entourage. Celui-ci, justement, est bien dépeint et l’auteur a fait attention à donner de la consistance à chacun des personnages qui gravitent autour d’elle.
Entre deux péripéties palpitantes, le récit évoque quelques sujets touchants : il est beaucoup question de relations familiales (avec la famille que l’on subit, celle que l’on se choisit), mais aussi de sujets très en prise avec l’époque dans laquelle se déroule le récit comme le racisme, l’antisémitisme ou encore l’éducation – déplorable – des jeunes filles. Malheureusement, on ne peut pas dire que ces sujets aient tous disparu des radars. Le récit comporte aussi d’intéressantes réflexions sur la double culture : Sophie est sans cesse renvoyée à la part chinoise de son identité par des gens qui fantasment complètement son pays (l’orientalisme n’est pas si loin). Elle rétablit parfois la vérité, fait des comparatifs entre différentes traditions, ou évoque la richesse culturelle de son pays. C’est fait subtilement et à bon escient, donc on ne verse pas dans le fameux orientalisme cité précédemment !

Lerne rejeta la tête en arrière.
– Très bien mademoiselle. Je vous promets que nous examinerons cette piste. En attendant, n…
– Je sais : « ne faites rien qui pourrait vous causer du tort, blah blah blah ». Est-ce que j’ai une tête à écouter les conseils des grandes personnes, monsieur le commissaire ?
– Non. Hélas !

Très bonne pioche, donc, que ce titre d’Eric Senabre ! Le roman d’aventure se pare d’une ambiance horrifique parfaitement amenée, puisque le récit couple les meilleurs moments de Fantômette aux artifices sanguinolents du Grand Guignol. L’intrigue, menée sans coup férir, fait la part belle aux péripéties, comme aux traits d’humour. J’ai passé un excellent moment avec les personnages, et serai ravie de relire un jour les aventures de Sophie.

La semeuse d’effroi, Eric Senabre. Didier Jeunesse, 12 octobre 2022, 288 p.

L’Exposition interplanétaire de 1875, Le Château des Étoiles #6, Alex Alice.

Après avoir visité la Lune et Mars, Les Chevaliers de l’Ether semblent tristement cloués au sol depuis l’échec de leur tentative visant à convaincre l’Empereur Napoléon III de secourir les Martiaux. Le jeune Séraphin a été jeté en prison, et la Princesse de Mars est détenue pour être exhibée lors de l’Exposition Interplanétaire qui doit s’ouvrir à Paris, le 25 avril 1875 en présence de leurs Majestés les Empereurs de France et d’Allemagne.
Afin de pousser les dirigeants du monde à dénoncer les crimes commis par la Prusse sur Mars, nos héros vont donc devoir libérer la princesse, ou tout au moins ses fabuleux pouvoirs mentaux.
Et ainsi, au nom de la concorde entre les peuples, Hans, Sophie et Séraphin, aidés de Loïc, du capitaine Schneidig et de la journaliste Jocaste Daumier n’ont plus le choix : ils doivent braquer l’Exposition ! Mais à quel prix ?

Ce tome conclut le troisième diptyque du cycle Le Château des Étoiles ; je pensais que c’était aussi la fin de la série, mais vu la conclusion et l’annonce de retrouvailles à venir, finalement, j’en doute !
Vu qu’il s’agit de la conclusion (même partielle !), l’auteur tâche de donner un point final à tous les arcs narratif. Et c’est réussi ! Mais dans le même temps, j’ai eu l’impression que les planches étaient nettement plus bavardes qu’à l’accoutumée : ce n’est pas gênant, car c’est surtout dans la première partie, mais on profite moins des graphismes, du coup. Ceci étant dit, on a largement le temps de se rincer l’œil par la suite, notamment grâce à cette triple page qui s’ouvre à l’italienne et qui donne un fabuleux aperçu sur l’exposition ! Superbe !

Pour ne rien gâcher, l’intrigue est hyper prenante avec, au programme, évasions spectaculaires, plan finement monté et enjeux politiques trapus. Il y a une petite ambiance casse de haute volée couplée aux enjeux internationaux vraiment pas désagréable. Il faut dire que l’Exposition attire toutes les têtes couronnées du moment, donc on est servis côté géopolitique ! J’étais d’ailleurs ravie de retrouver Sissi, l’impératrice d’Autriche, qui était assez présente dans les deux premiers tomes et qui revient dans cette conclusion.

Comme à l’accoutumée, je pensais lire une bande-dessinée mêlant planet opera et steampunk : si le second thème est bien présent, je dois dire que le premier est assez effacé et ne revient que dans les toutes dernières pages. L’essentiel de l’intrigue se déroule en effet à Paris, au cours de l’exposition interplanétaire – sorte d’exposition universelle, donc, mais avec deux pavillons consacrés respectivement à Mars et Vénus. On retrouve le thème du voyage spatial dans les dernières pages (et dans la suite qui semble annoncée). A ce titre, j’étais ravie d’avoir déjà lu Les Chimères de Vénus, puisque la faune vénusienne prend une part important dans ce récit et que le cross-over entre les deux séries est vraiment important ici (mais l’intrigue est parfaitement compréhensible si on ne l’a pas encore lu !).

Ce tome conclut donc en beauté le cycle dont il fait partie (et les deux précédents, au passage). L’auteur parvient à rassembler tous les fils narratifs, ne néglige pas ses personnages et prépare habilement non seulement le cross-over avec la série d’Alain Ayroles et Étienne Jung, mais également l’éventuelle suite de la série-mère (que j’ai évidemment hâte de découvrir !). Voilà une série que je relirai sans aucun doute !

Le Château des Étoiles #6, L’Exposition interplanétaire de 1875, Alex Alice.
Rue de Sèvres, 29 septembre 2021, 64 p.

L’Architective : les reliques perdues, Mel Andoryss.

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Je sais, je suis bizarre…
Armand, 15 ans, est architective, tout comme son père.
Imaginez : vous entrez dans un bâtiment et, en retenant votre respiration, vous avez accès à son âme, à toute sa mémoire, à ses souvenirs et à ses blessures, à ses pièces cachées et à ses moindres secrets. Les murs ont des oreilles, les murs se souviennent, et ils racontent leur histoire à ceux qui savent écouter…
Entre deux enquêtes pour le compte de son père, architective lui aussi, Armand essaie de mener la vie normale d’un adolescent parisien de 15 ans qui entre au lycée…

Dire que j’avais hâte de lire ce nouveau roman de Mel Andoryss frise l’euphémisme. Et la lecture a été à la hauteur des attentes placées sur ce titre, vraiment très bon !

L’histoire se déroule sur une seule petite semaine aussi les péripéties s’enchaînent-elles à bon rythme. De plus, le mystère est épais à souhait : alors que l’on découvre un personnage aux pouvoirs extrêmement mystérieux (les parents d’Armand étant avares en confidence, lui-même patauge tant et plus), il est plongé dans un mystère qui le dépasse complètement. Or, une chose est sûre, si on le cherche, on va le trouver. De fait, l’histoire propose son lot de courses-poursuites (réalistes ou magiques), petits stratagèmes, plans-catastrophes et retournements de situations acrobatiques. Impossible de s’ennuyer !

Mel Andoryss plante une galerie de personnages bien équilibrée, qui tourne autour d’un trio fort. Armand – qui ressemble à s’y méprendre à Jasper ! – possède un sens de l’humour et du courage à toute épreuve. Mais il peut, bien heureusement, compter sur Malaurie, son caractère de cochon et ses facultés incroyables, ainsi que sur Cédric, son meilleur ami et spécialiste des idées de génie à mettre en œuvre en dernier recours. Le trio est particulièrement dynamique et dégage une énergie très communicative.
À travers eux, Mel Andoryss met aussi en balance trois systèmes familiaux très différents, qui soulèvent pas mal de questions (tant chez le lecteur que chez Armand) : la réflexion est intéressante et pousse à réfléchir, tout en s’inscrivant fort bien dans l’intrigue générale.

Comme dans Evernightc’est aussi l’univers original qui fait le sel de L’Architective. D’une part, on déambule en terrain connu, l’intrigue se déroulant en région parisienne. Mais, d’autre part, le pouvoir d’Armand change totalement la donne : il est capable de pénétrer l’âme et les souvenirs des bâtiments, parvenant à voir les architectures passées des lieux, les particularités et les petits secrets des lieux qu’il visite. Ainsi, on visite la cathédrale de Meaux et la Sainte-Chapelle, leur donnant un tout autre visage que celui que l’on connaît ! Comme, de plus, le roman est très documenté (tant des points de vue historique, topologique, que religieux), on apprend une foule de choses sans même y penser : le roman est donc particulièrement enrichissant.

Excellente découverte donc, que cette aventure d’architective ! Le roman est à la fois court et dense et présente un univers résolument original, ainsi qu’une galerie de personnages bien pensée. De plus, l’histoire se conclue en fin de roman, ce qui est hautement appréciable, tout en laissant les coudées franches pour une éventuelle nouvelle aventure. Que je lirai avec grand plaisir, évidemment, si toutefois il est prévu qu’elle paraisse !

L’Architective : les reliques perdues, Mel Andoryss. Castelmore, juin 2016, 320 p.

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Les Ailés, Eric Simard.

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Il y a onze ans, une catastrophe a englouti Paris sous l’eau. Rudy vit au sommet d’un gratte-ciel. Pour retrouver sa mère disparue, il prend le risque insensé d’infiltrer la communauté des pirates. De son côté, Elorn, un garçon qui communique avec les dauphins, est averti qu’une terrible menace plane sur les siens, réfugiés sur la tour Eiffel. S’agirait-il de ce navire qui remonte lentement la Seine ? Un navire appartenant à des êtres mi-humains mi-oiseaux, les Ailés, qui semblent vouloir s’installer sur le Sacré-Cœur.

Plus jeune, j’avais adoré Le Souffle de la pierre d’Irlande (première version) d’Éric Simard ; mais si j’ai passé un bon moment avec Les Ailés, il m’a quelque peu laissée sur ma faim.

Les Ailés est le troisième volume du Cycle des Destins, mais chaque tome peut se lire indépendamment dans le grand univers créé par Éric Simard – et dans lequel se déroule également L’Arche des derniers jours.

Dès les premières pages, on découvre un Paris post-apocalyptique immergé où ne surnagent guère que la tour Eiffel, les tours de la Défense, la colline de Montmartre… différents endroits où vivent autant de communautés. Celle d’Elorn, les enfants de Dyoun, a colonisé les abords de la Dame de Fer : ils pratiquent les vagues, nagent avec les dauphins, communiquent par télépathie avec les animaux.
Rudy, de son côté, vit avec son père à la Défense, dans la communauté de l’Aviateur, qui possède quelques ULM. Rudy l’insolent a deux rêves : retrouver la trace de sa mère et devenir pilote.
Notre troisième protagoniste, Myrha, est une Ailée : mi-humaine, mi-oiseau, elle vogue sur un navire convoyant un mystérieux container cachant la Chose, une entité qu’elle doit amener à Montmartre au chef de son peuple.

L’auteur alterne les récits liés aux trois personnages, chacun ayant des objectifs et préoccupations particuliers. Les chapitres sont courts, ce qui offre un certain dynamisme ; malheureusement, on a parfois l’impression de sauter de l’un à l’autre un peu trop vite, sans réellement approfondir aucun des points de l’histoire. De plus, l’opposition qui se dessine s’avère, finalement, un peu trop manichéenne pour réellement fonctionner.
Heureusement, les amateurs de récits post-apocalyptiques, de villes transformées et de récits d’aventures (avec des pirates !) devraient s’y retrouver.

De fait, l’histoire est assez riche, chaque communauté ou personnage ayant des objectifs différant concernant leur univers. Si Elorn et Rudy n’ont guère de visée hégémonique, les Ailés, eux, entendent bien contrôler tout le territoire ; mais ce n’est dans les derniers chapitres que l’intrigue politique prend toute son ampleur, accentuant cette impression de survol en surface de certains éléments. Avant cela, l’auteur offre de nombreuses péripéties, variées, offrant de nombreux retournements de situation, quel que soit le personnage que l’on suit. Ce qui est intéressant, c’est qu’Éric Simard ne se cantonne pas à l’histoire purement post-apocalyptique : en faisait le lien avec ses autres romans (qu’il n’est vraiment pas nécessaire d’avoir lus, les rappels sont suffisants et complets), il développe ses personnages et leurs sentiments naissants – sans niaiserie aucune ! D’ailleurs, le fait que l’on suive les trois personnages, tour à tour, contribue sans doute à l’impression de lenteur initiale : il leur faut un moment avant d’enfin se rencontrer.

En somme, Les Ailés est un roman post-apocalyptique avec un grand nombre d’éléments plus qu’intéressants mais qui malheureusement, semble ne pas atteindre son plein potentiel. L’intrigue est un peu longue à se mettre en place et, lorsque c’est fait, s’avère un tantinet manichéenne, ce qui est un peu dommage. À côté de cela, on se régale d’aventures de pirates, de nageurs télépathes et d’hommes taquinant les cieux, en découvrant les destinées de trois adolescents décidés à prendre leurs vies en main. Le roman est un peu inégal, mais plaira peut-être aux amateurs d’aventures originales.

Les Ailés, Éric Simard. Syros, 2015, 300 p. 

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Les Sous-vivants, Johan Heliot.

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L’humanité, devenue stérile, a presque disparu de la surface de la Terre. Dans un Paris en ruines envahi par la forêt, de petites tribus survivent tant bien que mal. Le jour, leurs membres doivent affronter une chaleur étouffante ; la nuit, un ennemi plus implacable encore : les ferhoms, étranges robots qui enlèvent les adultes et les emportent vers une mystérieuse destination. Comment naissent les enfants qui peuplent les tribus ? Personne ne le sait…
Quand son père est à son tour capturé, Soria part à sa recherche avec son meilleur ami, Selim. Ils ne sont pas au bout de leurs surprises…

Dans un Paris dévasté, Johan Heliot nous fait suivre quelques jeunes personnages.
Tigdal, jeune apprenti Pur, est élevé dans des tunnels et deviendra, un beau jour, pilote – du moins l’espère-t-il. Depuis la grande catastrophe qui a ravagé Paris et, a fortiori, la Terre, les Hommes Vrais vivent dans les souterrains et assurent la perpétuation de l’espèce. Leur rôle consiste à évaluer les risques présentés par les populations vivant en surface et, lorsqu’un des sauvages de l’extérieur s’avère avoir le sang suffisamment pur, à le prélever afin d’en faire une main d’œuvre acceptable.
Soria, elle, vit avec la tribu de Notadam et tisse de quoi fabriquer étoffes et vêtements. Elle coule des jours heureux auprès de son père, Amin, malheureusement malade et mourant, ainsi que ses amis Keiff et Selim. Or, elle va rapidement devoir quitter son pré carré afin d’aller à la recherche des troqueurs, menés par son père, et qui ont disparu sur la route de leur retour.
Aux récits de ce qui arrive à nos deux protagonistes s’ajoutent les racontars de Selim. Rêveur et poétique, le jeune homme tutoie les gargouilles de Notre-Dame, ainsi que les corbeaux noirs qui en peuplent les hauteurs, et invente toutes sortes de récits évoquant le passé de la Terre, l’origine des tribus, ou servant de contes et légendes.

L’alternance permet donc de suivre les itinéraires des deux protagoniste et rend le récit dynamique. Les racontars de Selim, eux, viennent enrichir l’univers et lier son monde au nôtre. Le jeune homme trouve des explications sensibles et poétiques à l’organisation de son univers et ses récits ajoutent une petite touche onirique fort agréable à l’ensemble.
En dehors de cela, on ne peut pas dire que l’univers imaginé par Johan Heliot fasse vraiment rêver : ce Paris post-apocalyptique donne plutôt envie de fuir. Si les arbres ont repris leurs droits sur la capitale, les robots qui rôdent, toutes les nuits, sur le territoire, ont de quoi faire froid dans le dos. Comme les personnages, on guette les antrenuits dans lesquels se mettre à l’abri. Si le contexte n’est guère attrayant, Johan Heliot a adapté la ville post-apocalyptique. Ainsi, les noms ont tous quelque peu changé : Notre-Dame est devenue Notadam, la tour Eiffel est devenue Haute-Pointe, la Tour Montparnasse est nommée Monparse ou Longue Sombre et le Sacré-Cœur, Pleure-Pierre ou Sacreur. La Seine, de son côté, s’appelle Pue-la-Boue, ce qui donne une idée de son degré de propreté. Au fil des pages, on se surprend à traquer les références, à visualiser le plan et à tenter de faire coller le paysage urbain que l’on connaît à cette jungle étouffante et presque impénétrable que l’on arpente.

L’intrigue met quelques chapitres à s’installer mais, tout pris que l’on est par la découverte de l’univers et des us et coutumes locaux, on n’y prête guère attention. Cependant, une fois le fil rouge lancé, difficile de s’arrêter. Le voyage entrepris par Soria et Selim est loin d’être de tout repos et les péripéties s’enchaînent à bon train. Tigdal, de son côté, souffre du harcèlement constant de son binôme de travail et l’on a à cœur de voir le jeune homme s’affirmer et prendre enfin sa place. Rapidement, la quête des uns et des autres se transforme : alors que l’un cherche à trouver sa place dans sa société et que les deux autres cherchent leurs compagnons, ils se mettent à s’interroger sur les origines de leur univers si particulier. Johan Heliot invente, pour l’occasion, une explication originale et proprement captivante.

Les Sous-vivants est un très bon roman post-apocalyptique destiné à la jeunesse : original et dynamique, il offre une intrigue riche en actions et non dépourvue de poésie, dans un Paris ravagé que l’on arpente avec grand plaisir. 

Les Sous-vivants, Johan Heliot. Seuil, 2016, 319 p. 

 

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