New Earth Project, David Moitet.

En 2125, la majorité de la population est pauvre et parquée dans des bidonvilles, tandis que l’élite profite d’une vie confortable sous le Dôme. Sur Terre, les meilleurs élèves cotoient la même école. C’est ainsi qu’Isis rencontre Orion, le fils du dirigeant du NEP et qu’elle lui ouvre les yeux sur son monde. Le jour où Isis est tirée au sort avec sa famille pour partir sur la Nouvelle Terre, Orion va mener son enquête sur le fonctionnement du NEP… et faire de terribles découvertes.

Dire que j’ai dévoré ce court roman de science-fiction ne serait pas tout à fait exact : il a fait l’affaire de pas même une journée !
La narration alternée nous fait découvrir les aventures d’Isis Mukeba (Immaculée-Sissy, de son petit prénom… véridique !) et d’Orion Parker. Si le second est le fils du multimilliardaire qui a mis sur pieds le projet NEP, la première survit avec ses parents au sein du bidonville flottant, et fréquente l’école dans l’espoir d’un avenir meilleur.
La société que l’on découvre a donc toutes les caractéristiques d’une dystopie, opposant les riches (très très riches) aux pauvres (très très pauvres, dans leur cas, et surnommés les Gris).

Et c’est grâce à un TP social qu’Isis va pouvoir ouvrir les yeux de nantis d’Orion, en lui faisant découvrir les réalités de son bidonville et en lui montrant que les Gris ont de la ressource à revendre – contrairement à ce que pensent les élites. Et ce qui est intéressant, c’est que l’on voit évoluer le jeune homme (contrairement à sa peste de camarade Miranda), tout comme Isis, qui cesse de penser que tous les riches sont à jeter. Leur découverte progressive des rouages de leur univers est l’occasion d’évoquer l’écologie (la Terre a été irrémédiablement abîmée par des générations d’humains peu scrupuleux) : partage des ressources, techniques d’agriculture novatrices (comme l’aquaponie et la permaculture), gestion durable des stocks et ressources, le panorama est large et c’est vraiment passionnant.

Autre point qui fait que l’on lit sans s’arrêter : la tension du récit. Le rythme se tient d’un bout à l’autre et, lorsque l’on pense que l’intrigue principale est résolue, un rebondissement vient relancer la tension. D’ailleurs, à partir de ce second élément perturbateur, le roman prend des accents de polar aussi réussis qu’efficaces.

En somme, New Earth Project est un roman de science-fiction très court, mais hautement efficace. L’intrigue, en plus d’être prenante, évoque des sujets d’importance : inégalités sociales (et pire si affinités), écologie, protection de l’environnement, le tout venant nourrir l’intrigue, sans imposer de discours se voulant bien-pensant ou moralisateur. Résultat ? Un roman palpitant qui se dévore littéralement !

New Earth Project, David Moitet. Didier Jeunesse, février 2017, 217 p.

Tout ce qui brille, Anna Godbersen.

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Ohio, 1929. Cordelia et son amie Letty quittent clandestinement et avec un immense plaisir leur province étriquée, direction New-York. Letty ne rêve que d’une chose : briller sur les planches d’un théâtre, et inscrire son nom en haut d’une affiche. Cordelia, elle, veut retrouver son gangster de père qu’elle n’a jamais connu, et qui hante ses rêves de jeune orpheline. Arrivées à New-York, leur grand rêve se réalise : elles sont loin des codes poussiéreux d’Union, et elles débarquent dans un univers plus libre et plein de promesses. À New-York, les femmes portent des chapeaux immenses et des tenues chatoyantes, les jeunes hommes sont audacieux, et chaque coin de rue semble dissimuler un débit de boisson clandestin. Toute la ville bruisse du murmure des fêtes, de la musique exaltée, des conversations galantes. Les deux filles sont aux anges : la ville est aux antipodes de leur province lointaine et arriérée. Là, c’est sûr, les deux jeunes femmes vont pouvoir prendre un nouveau départ. 

Ah, le rêve américain ! Voilà un idéal qui, manifestement, n’a pas fait courir que des Européens, nos deux héroïnes étant originaires de l’Ohio, mais bien décidées à aller faire leur vie à New York. L’une ne rêve que de la célébrité, l’autre recherche son père qu’elle n’a jamais connu. Dans le New-York des années 30 et des Années Folles, tout semble possible tant qu’il y a des paillettes, de l’alcool, et de la musique.

Cordélia et Letty débarquent dans un univers aux antipodes de leur province étriquée : New-York semble n’être qu’une interminable fête. L’ambiance de l’époque est admirablement rendue, et on plonge sans modération dans la vie incroyablement riche et mondaine d’une ville toujours éveillée. Que l’on découvre les bars illégaux, le commerce des bootleggers,  ou la vie des filles bien décidées à faire carrière, tout est minutieusement rendu. Si l’aspect Années Folles est exploité autant que possible, on regrettera que la partie Prohibition soit plus légère : difficile d’imaginer les descentes de police, les trafics incessants et les combines malhonnêtes à la lecture du roman, toutes étant passées sous silence.

Les parcours de Letty et Cordélia, s’ils diffèrent, ont tous deux leurs intérêts : l’une fera la cruelle expérience de la vie de jeune et jolie fille travaillant dans un bar clandestin, l’autre expérimentera la désillusion d’une vie apparemment dorée. Sous le vernis brillant du rêve, les filles expérimentent la « vraie » vie, et elle est bien éloignée de ce qu’elles avaient imaginé. C’est bien tout l’intérêt de l’histoire : Anna Godersen ne livre pas qu’une jolie fable acidulée mais s’attache plutôt à creuser sous les apparences, ce qui s’avère – bien sûr – diablement intéressant. D’une certaine manière, Tout ce qui brille traite plus des désillusions de la vie de ces jeunes filles, plutôt que d’un rêve rapidement concrétisé.
Les souteneurs ne sont malheureusement jamais loin, la virulente guerre des gangs entre bootleggers rivaux non plus, et toutes deux vont venir bousculer la vie de nos héroïnes. On regrettera d’ailleurs la profonde candeur des deux filles : chacune fait preuve d’une naïveté confondante, frisant parfois la bêtise, qu’on ne peut pas toujours mettre sur le compte d’une éducation loin de la ville. Mais c’est leur côté très enfantin qui va entraîner leurs expériences et, sans ça, il n’y aurait peut-être pas d’histoire.
Au fond, ce dont parle Anna Godbersen ici, c’est surtout du difficile passage de l’enfance à l’âge adulte, et c’est fait avec brio !

Le récit alterne les parcours des différentes jeunes filles que l’on suit et, qu’il s’agisse de Letty, de Cordélia, ou d’Astrid (la jeune New-Yorkaise), on attend avec impatience de savoir comment chacune va se tirer de l’épineuse situation dans laquelle elle s’est fourrée. Ceci étant dit, la fin est vraiment trop abrupte : retournement de situation extrêmement rapide, explications peu approfondies, et rebondissement mal amené, cela manque un peu de cohérence, et c’est dommage. Heureusement que le reste est à la hauteur !

Tout ce qui brille est donc un bon roman historique mettant les Années Folles à l’honneur. Malgré la fin abrupte, l’ensemble est dynamique et bien mené, et le suspens maintenu. Les personnages sont charismatiques, l’ambiance parfaite, les péripéties bien amenées, et le récit fluide : on lit le roman sans aucune difficulté, et avec un immense plaisir. Idéal pour replonger dans l’ambiance des années 30 ! 

 

Tout ce qui brille #1, Anna Godbersen. Albin Michel (Wiz), 2012 (VO 2010), 373 p.
8/10.

 

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Game, I Hunt killers #2, Barry Lyga.

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Jazz est le fils de Billy Dent, le plus sanglant tueur en série que les États-Unis aient connus. Après une période dense aux côtés des forces de police de Lobo’s Nod, Jazz accepte de seconder un enquêteur new-yorkais dans la traque d’un mystérieux criminel. Se sentant coupable d’avoir précipité les événements précédents, Jazz va redoubler d’énergie pour apaiser le climat d’angoisse. Mais les rues de New-York recèlent bien des surprises… 

Dans I Hunt killers, Jazz n’avait eu de cesse de se démarquer de son tristement célèbre père, en traquant un dangereux tueur en série. Pas de chance : le paternel a réussi à s’évader, et erre donc de nouveau dans la nature, au grand dam de Jazz qui pensait en être définitivement débarrassé. Portant difficilement sa croix de fils de serial-killer, Jazz s’empresse d’accepter la proposition d’un inspecteur new-yorkais : mettre à profit sa connaissance du milieu, et traquer un tueur qui écume la Grosse Pomme.
On quitte donc la campagne profonde pour la métropole : nouveau lieu, nouvelle ambiance, ce qui n’est pas forcément au goût de Jasper, repris par ses pulsions.

Si, dans le tome 1, Jasper était trop porté sur l’introspection, il faut remarquer qu’il s’est un peu calmé dans ce second tome – quoique pas tout à fait assez. Désormais, ses rêves se parent d’une nouvelle dimension: c’est un peu artificiel, mais on comprend assez bien où l’auteur souhaite en venir avec ce nouvel élément, plutôt bien exploité par la suite. Pourtant, Jazz assomme encore le lecteur de longues pensées introspectives, quant à sa nature, son ascendance, et son côté obscur – voire très obscur. Mais ici, tout cela sert l’analyse psychologique assez intéressante de l’intellect du fils Dent : contrairement au premier tome (qui avait des accents un peu trop prononcés de lamento), Jazz se montre beaucoup plus touchant dans ses inquiétudes.
On a de nouveau droit aux leçons de Billy mais, cette fois, elles sont plus d’ordre stratégique qu’anatomique : cela fait toujours froid dans le dos, mais on perd un peu de l’aspect gore et malsain qui faisait tout le charme du premier ouvrage, sans toutefois sombrer dans une ambiance sereine et colorée! Barry Lyga parvient à concilier un juste milieu entre les deux extrêmes.
Quoi qu’il en soit, Jazz reste un personnage très fouillé (au même titre que Connie et Howie, les deux autres personnages principaux), abonné à l’humour noir et macabre, et c’est justement pour cela qu’on s’y attache tant.

Côté intrigue, si les événements de I Hunt killers vous ont retourné les tripes, passez votre chemin sur ce volume-là. L’histoire est sombre, très sombre, et les crimes vraiment très glauques. D’ailleurs, en-dessous de 15 ans, ce n’est peut-être pas la meilleure lecture à conseiller à un jeune lecteur (sauf si vous êtes disponible toute la nuit pour aller allumer une veilleuse dans sa chambre, évidemment). L’histoire a de quoi donner des sueurs froides : pas tellement parce que c’est stressant ou oppressant, mais plutôt parce que les meurtres sont – en plus d’être nombreux – assez spectaculaires.
La trame de l’histoire est originale est bien trouvée : le suspense est entretenu jusqu’à la fin et l’on cherche désespérément à comprendre comment s’emboîtent les morceaux de l’intrigue. Je n’évoque qu’à mots couverts le coup de théâtre sur lequel s’achève le roman et qui vous fera probablement grogner de frustration (même si, à la réflexion, c’était un rebondissement que l’on aurait pu prévoir). Le rythme est intense, trépidant : on n’a vraiment pas le temps de s’ennuyer ! Hormis le fait que faire appel à un ado de 17 ans pour rivaliser avec les meilleurs profileurs du FBI peut sembler aussi incohérent qu’improbable, il faut reconnaître à Game son scénario très bien ficelé et son ambiance prenante. Le cliffhanger final (et qui s’applique à tous les protagonistes) vous laissera sans voix !

Game est une suite à la hauteur des promesses de I Hunt killers : si l’on peut regretter l’ambiance épouvantablement glauque du tome 1, on appréciera le scénario bien ficelé, l’originalité de l’intrigue et l’évolution de l’histoire. Le récit se lit sans aucune difficulté : suspens et rythme dynamique étant au rendez-vous, on n’a pas le temps de s’ennuyer ! C’est avec grand plaisir que l’on retrouve Jazz, Connie et Howie dans leurs nouvelles pérégrinations, et avec beaucoup de frustration qu’on les quitte, tant le cliffhanger final est ébouriffant. En somme : un bon thriller qu’on lit d’une traite, mais à réserver peut-être aux ados les plus aguerris. Prévoir également de s’armer de patience avant le troisième tome ! 

 

◊ Dans la même série : I Hunt killers. (1) ; Sang pour sang (3).

 

I Hunt killers 2, Game, Barry Lyga. Éditions du Masque (MsK), novembre 2013, 485 p.
8,5/10.

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