L’Exposition interplanétaire de 1875, Le Château des Étoiles #6, Alex Alice.

Après avoir visité la Lune et Mars, Les Chevaliers de l’Ether semblent tristement cloués au sol depuis l’échec de leur tentative visant à convaincre l’Empereur Napoléon III de secourir les Martiaux. Le jeune Séraphin a été jeté en prison, et la Princesse de Mars est détenue pour être exhibée lors de l’Exposition Interplanétaire qui doit s’ouvrir à Paris, le 25 avril 1875 en présence de leurs Majestés les Empereurs de France et d’Allemagne.
Afin de pousser les dirigeants du monde à dénoncer les crimes commis par la Prusse sur Mars, nos héros vont donc devoir libérer la princesse, ou tout au moins ses fabuleux pouvoirs mentaux.
Et ainsi, au nom de la concorde entre les peuples, Hans, Sophie et Séraphin, aidés de Loïc, du capitaine Schneidig et de la journaliste Jocaste Daumier n’ont plus le choix : ils doivent braquer l’Exposition ! Mais à quel prix ?

Ce tome conclut le troisième diptyque du cycle Le Château des Étoiles ; je pensais que c’était aussi la fin de la série, mais vu la conclusion et l’annonce de retrouvailles à venir, finalement, j’en doute !
Vu qu’il s’agit de la conclusion (même partielle !), l’auteur tâche de donner un point final à tous les arcs narratif. Et c’est réussi ! Mais dans le même temps, j’ai eu l’impression que les planches étaient nettement plus bavardes qu’à l’accoutumée : ce n’est pas gênant, car c’est surtout dans la première partie, mais on profite moins des graphismes, du coup. Ceci étant dit, on a largement le temps de se rincer l’œil par la suite, notamment grâce à cette triple page qui s’ouvre à l’italienne et qui donne un fabuleux aperçu sur l’exposition ! Superbe !

Pour ne rien gâcher, l’intrigue est hyper prenante avec, au programme, évasions spectaculaires, plan finement monté et enjeux politiques trapus. Il y a une petite ambiance casse de haute volée couplée aux enjeux internationaux vraiment pas désagréable. Il faut dire que l’Exposition attire toutes les têtes couronnées du moment, donc on est servis côté géopolitique ! J’étais d’ailleurs ravie de retrouver Sissi, l’impératrice d’Autriche, qui était assez présente dans les deux premiers tomes et qui revient dans cette conclusion.

Comme à l’accoutumée, je pensais lire une bande-dessinée mêlant planet opera et steampunk : si le second thème est bien présent, je dois dire que le premier est assez effacé et ne revient que dans les toutes dernières pages. L’essentiel de l’intrigue se déroule en effet à Paris, au cours de l’exposition interplanétaire – sorte d’exposition universelle, donc, mais avec deux pavillons consacrés respectivement à Mars et Vénus. On retrouve le thème du voyage spatial dans les dernières pages (et dans la suite qui semble annoncée). A ce titre, j’étais ravie d’avoir déjà lu Les Chimères de Vénus, puisque la faune vénusienne prend une part important dans ce récit et que le cross-over entre les deux séries est vraiment important ici (mais l’intrigue est parfaitement compréhensible si on ne l’a pas encore lu !).

Ce tome conclut donc en beauté le cycle dont il fait partie (et les deux précédents, au passage). L’auteur parvient à rassembler tous les fils narratifs, ne néglige pas ses personnages et prépare habilement non seulement le cross-over avec la série d’Alain Ayroles et Étienne Jung, mais également l’éventuelle suite de la série-mère (que j’ai évidemment hâte de découvrir !). Voilà une série que je relirai sans aucun doute !

Le Château des Étoiles #6, L’Exposition interplanétaire de 1875, Alex Alice.
Rue de Sèvres, 29 septembre 2021, 64 p.

Les Naufragés de Velloa, Romain Benassaya.

XXVIIIe siècle. Suite à la destruction de la Terre, Mars et Vénus régentent le système solaire et protègent jalousement leur surface des milliards de réfugiés condamnés à l’errance et la précarité.
Quand l’agent martien Mark Slaska découvre la preuve que l’Embrun 17, un vaisseau de naufragés à qui Vénus a refusé l’asile, a rejoint l’étoile Sigma Draconis quatre cents ans plus tôt, une vive stupéfaction s’empare des deux planètes-forteresses. Comment un appareil à peine capable de franchir la distance Terre-Vénus a-t-il pu parcourir une distance de près de 20 années-lumière de manière quasi-instantanée ? Existe-t-il une force, dans l’orbite de l’étoile, qui les y aurait invités ?
Martiens et Vénusiens décident d’organiser une mission conjointe vers le système de Sigma Draconis. Mais, derrière l’entente de façade, les représentants des deux peuples sont bien décidés à découvrir la force mystérieuse qui se cache dans l’orbite de l’étoile, et s’en emparer pour assoir la domination de leur camp.

Dans un futur proche et post-apocalyptique (de plus en plus crédible), la Terre est devenue inhabitable. Quelques petits chanceux ont fondé des colonies sur Mars et sur Vénus et continué de prospérer, tout en empêchant les autres (c’est-à-dire la majorité des humains ayant survécu) d’accéder au même confort. L’humanité est donc essentiellement dispersée dans des endroits peu habitables, comme les satellites de Jupiter. Alors que les Naufragés – les Blattes, comme disent les Martiens et Vénusiens – survivent à grand peine, les deux autres planètes prospèrent et développent des technologies : intelligence artificielle pour les Martiens, qui disposent de processeurs quantiques intégrés, réenveloppement pour les Vénusiens, virtuellement immortels, pour peu qu’une sauvegarde existe. La mention d’une potentielle planète habitable, aux confins de l’univers, leur ayant échappé mais ayant été trouvée par des Naufragés lance donc Martiens et Vénusiens dans une nouvelle conquête spatiale (pusiqu’on a bien compris que c’était deux peuples tout à fait bienveillants et respectables).

Le roman débute donc comme du space-opera, avec le voyage de Mark, l’agent Martien, et Karen, l’héritière Vénusienne, vers cette fameuse planète. Cette première partie pose le décor, et instaure d’ores et déjà un bon suspense. En effet, on découvre que Mark a subi un “réenveloppement”  chez les Vénusiens mais qu’il ne se souvient pas très bien des circonstances de son décès. Hormis que celui-ci… avait tout à voir avec la mission en cours. Cet élément introduit dès le départ un intéressant suspense. 

Or, celui-ci ne diminue pas à l’arrivée sur Velloa, cette planète de cauchemar sur laquelle s’est implantée l’humanité. Les conditions climatiques y sont plus qu’hostiles. En réponse à cet environnement très difficile, et dans l’idée de pallier leur faible nombre, les humains de Velloa ont instauré une société religieuse très stricte, dominée par le culte de la déesse Adrastée. Au programme : esclavage, mariages forcés, malformations génétiques et autres joyeusetés. C’est là qu’intervient un nouveau protagoniste : Dayani, une jeune femme qui a la ferme intention d’échapper au destin qui l’attend. 

Rapidement, l’intrigue tourne autour de quatre personnages : Mark, Dayani, Karen et Línea, la garde du corps de la précédente. Or, si chacun essaie de survivre, on s’aperçoit assez vite que leurs intérêts ne convergent pas nécessairement. A la découverte cauchemardesque de Velloa et à l’enquête sur les circonstances plus qu’étranges de l’arrivée des Naufragés, vient donc se mêler un brin d’espionnage tout à fait passionnant.
D’autant que plus l’on avance, plus les circonstances du décès de Mark deviennent intrigantes. Le récit alterne entre ce qu’il se déroule dans le présent, sur Velloa, et des flashbacks de ce qu’il a vécu avant d’en arriver là, le puzzle se reconstituant peu à peu.
L’intrigue, de fait, est très riche et nourrie de nombreux et prenants rebondissements. Si certains d’entre eux semblent relever du deus ex machina, j’avoue que je n’ai pas boudé mon plaisir et englouti le roman sans jamais rechigner !

Au fil des chapitres et de l’enquête menée par les personnages, des thèmes forts sont évoqués et suscitent d’intéressantes réflexions : fanatisme religieux (notamment sur Velloa), écologie, réfugiés et questions autour du pouvoir politique émaillent le récit. Des thèmes très actuels, somme toutes, vraiment bien traités et qui résonnent (malheureusement) avec l’actualité.

Les Naufragés de Velloa est donc un page-turner très efficace mêlant space opera, planet opera, espionnage et réflexions très actuelles sur des sujets forts. L’intrigue, bourrée d’actions et de rebondissements, et le style, très fluide, font que l’on dévore les pages sans même s’en rendre compte. Excellente pioche, donc, qui m’a donné plus qu’envie de lire d’autres titres de l’auteur !

Les Naufragés de Velloa, Romain Benassaya. Pocket, réédition mai 2021, 553 p.

 


 

Phobos : origines, Victor Dixen.

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Ils incarnent l’avenir de l’Humanité.
Six garçons doivent être sélectionnés pour le programme Genesis, l’émission de speed-dating la plus folle de l’Histoire, destinée à fonder la première colonie humaine sur Mars.
Les élus seront choisis parmi des millions de candidats pour leurs compétences, leur courage et, bien sûr, leur potentiel de séduction.
Ils dissimulent un lourd passé.
Le courage suffit-il pour partir en aller simple vers un monde inconnu ?
La peur, la culpabilité ou la folie ne sont-elles pas plus puissantes encore ?
Le programme Genesis a-t-il dit toute la vérité aux spectateurs sur les « héros de l’espace » ?
Ils doivent faire le choix de leur vie, avant qu’il ne soit trop tard.

En attendant de découvrir la suite des aventures des colons martiens de Genesis – qui se fait attendre, la série étant passée des deux tomes prévus à plutôt quatre… – j’ai lu ce recueil de nouvelles consacré aux origines des candidats.
Et, première petite déception, le recueil ne concerne en fait que les six garçons… pour les filles, il va donc falloir attendre encore un peu… Mais bon, on passe outre et on découvre les aventures des futurs Martiens, avant qu’ils ne montent dans la navette. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il leur en arrive de bien bonnes !

Comme pour les romans, l’auteur découpe les scènes suivant les caméras – en l’occurrence, On et Off, en fonction de ce que font les caméras. En On, ce sont les scènes qui se déroulent dans les locaux de Genesis ; en Off, c’est la vie privée des jeunes hommes. Chacun, à sa manière, vit dans des conditions précaires ou subit de grandes difficultés, ce que l’on avait commencé à soupçonner à la lecture des deux premiers tomes, au fur et à mesure que se révélaient les secrets de quelques-uns d’entre eux.

Les nouvelles nous montrent comment ils en sont arrivés à postuler pour Genesis, comment ils ont passé les épreuves, leurs conditions de vie et, à terme, comment ils ont appris à cohabiter durant l’année d’entraînement. On assiste même au décollage de la navette, vu cette fois du point de vue du module des garçons.

Ce n’est pas inintéressant, mais je n’ai pas pu m’empêcher de penser, à la lecture, que j’aurais préféré avoir tout cela condensé dans le roman, plutôt que de découvrir les tenants et aboutissants de l’histoire après coup. Car les nouvelles nous permettent en effet de mieux comprendre ce qui s’est joué dans les coulisses de Genesis mais, comme on en connaît déjà la plus grosse part, il ne reste pas grand-chose à découvrir.
De plus, le recueil souffre des mêmes faiblesses que le tome 1 : le style est trop didactique ! Ainsi, les comploteurs ont la désagréable manie de se ré-expliquer ou de se re-démontrer par A+B les différentes étapes du complot, en citant les noms, prénoms et fonctions des participants… y compris en leur présence. Du coup, ça ne sonne pas très naturel et ce n’est pas non plus très vraisemblable : un comploteur bien au fait a-t-il réellement besoin qu’on lui refasse l’historique de ce dans quoi il trempe ? Non.

En somme, le recueil de nouvelles apporte des éclaircissements indispensables à la série initiale car les textes viennent combler quelques lacunes du texte. On découvre les origines des garçons, leurs histoires et comment et pourquoi ils en sont arrivés à postuler au programme Genesis. Si on découvre tout cela avec plaisir, j’ai un peu regretté que ces éléments ne soient pas inclus normalement dans la série et que l’on soit obligé d’en passer par un, voire deux recueils de nouvelles annexes.

 

◊ Dans la même série : Phobos (1)Phobos (2).

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Phobos #2, Victor Dixen.

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Les 12 pionniers de Mars sont prêts à atterrir sur la planète rouge malgré les terribles révélations de Leonor. Entre eux et Serena McBee, un redoutable bras-de-fer s’enclenche. Les pionniers doivent taire ce qu’ils savent et tâcher de faire la lumière sur ce qu’il s’est réellement passé dans l’Habitat n°7. À la clef, rien de moins que leur survie. 

Ce deuxième volet reprend pile là où s’arrêtait le précédent, c’est-à-dire au moment où Leonor mettait ses camarades d’infortune au courant des manipulations de Serena et du degré hautement mortel de leur mission. L’ambiance, à bord, n’est donc pas vraiment au beau fixe.
Comme dans le premier volume, Victor Dixen tisse plusieurs fils dans son intrigue. Tout d’abord, il y a l’intrigue purement science-fictive, liée à l’exploration martienne que doivent mener les prétendants et aux quelques contenus scientifiques que contient leur mission – après tout, puisqu’ils y sont, autant que leur sacrifice serve la recherche. À cela s’ajoute l’intrigue sentimentale : s’ils ont débarqué du vaisseau et cessé les speed-dating, tout n’est pas encore résolu, loin de là. Les adolescents doivent s’apprivoiser, qu’ils se soient choisis ou non. Et la cohabitation va révéler des comportements insoupçonnés, des postures que les vitres du parloir avaient soigneusement cachés. À les voir évoluer enfin tous ensemble (quoique toujours par le prisme du regard de Leonor), on a l’impression de les découvrir un peu plus, mais il semble clair que l’auteur n’a pas encore tout révélé des caractères. Troisième fil : le thriller ! Précédemment, tout se jouait à huis-clos. Vu que, maintenant, les cosmonautes peuvent sortir au grand air (ou presque) sur Mars, on ne peut pas vraiment parler de huis-clos. Mais l’ambiance thriller ne s’est pas perdue en route ! Elle gagne d’ailleurs en puissance et complexité : Serena étant désormais au mieux avec les pouvoirs politiques, il est extrêmement difficile de ne pas frissonner en l’observant comploter ou en pensant aux conséquences de ses manipulations. De ce point de vue-là, l’histoire est d’ailleurs furieusement réaliste – ce qui la rend d’autant plus percutante.

Si le premier tome était axé sur la conquête spatiale, celui-ci va approfondir les relations entre les personnages, ainsi que les diverses manipulations qui les entourent.

Victor Dixen reprend la forme à la fois théâtrale et cinématographique du premier volet : le roman est découpé en cinq actes, eux-mêmes subdivisés selon les trois points de vue que sont le champ (nos astronautes), le contre-champ (Serena, la production, …) et le hors-champ (Andrew, qui poursuit son activité d’électron libre). Le découpage est assez dynamique et bien pensé puisque chaque point de vue permet d’apporter de nouvelles informations ou de nuancer celles que l’on a obtenues précédemment. Pourtant, le rythme n’est pas aussi trépidant que dans le premier volume. Les recherches des astronautes, l’enquête d’Andrew et le double-chantage qui s’opère entre Serena et les jeunes Martiens mettent, en effet, du temps à s’installer et induisent même quelques longueurs dans le texte. Longueurs balayées par les révélations fracassantes qui s’accumulent dans les derniers chapitres, laissant, à nouveau, les lecteurs dans l’incertitude. Force est de reconnaître, d’ailleurs, qu’hormis les quelques révélations finales, l’intrigue ne progresse guère, ce qui renforce l’impression de lire un tome plus indolent que le précédent. Aussi, si les relations entre personnages, le contexte politique et les mystères évoluent, le lecteur n’a, à l’issue de ce deuxième volume, pas grand-chose de plus à se mettre sous la dent.

Malgré tout, on ne s’ennuie pas, tant l’écheveau est complexe. Dès le premier volume, on avait compris que chacun des embarqués avait un gros secret à cacher : Tao est paralysé, Leonor a le dos barré par une abominable cicatrice, Mozart transporte une bille mortelle… chacun, à sa façon, cèle un cadavre qu’il préfèrerait ne pas déterrer. On imagine donc sans peine que les neuf autres sont dans la même situation. Et ça ne rate pas, certains se révèlent dans cet opus et les révélations sont à la hauteur des attentes ! De plus, il y a toujours la question du traître conditionné et embusqué par Serena. Victor Dixen sème autant d’indices que de trouble, il est donc difficile de devenir vers quoi on s’achemine. De fait, le roman fait la part belle aux manipulations : les personnages mentent, trichent, se mentent à eux-mêmes…
Comme dans le premier volume, tout cela permet de mettre au jour une critique des médias et des sociétés où l’apparence prime sur la sincérité. Un sujet toujours d’actualité, semble-t-il.

Ce deuxième volume de Phobos est donc un tome de transition : malgré les longueurs et l’impression que l’intrigue avance à peine, les péripéties sont nombreuses et l’auteur creuse la psychologie de tous ses personnages. La fin propose, à nouveau, un cliffhanger redoutable : vivement donc le troisième (et dernier ?) tome !

◊ Dans la même série : Phobos (1) ;

Phobos, tome 2, Victor Dixen. R. Laffont, 2016, 490 p.