ReLIFE #1-3, Yayoiso.

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Arata a 27 ans et sa vie est loin, très loin d’être celle qu’il imaginait 10 ans plus tôt. Au chômage, célibataire, il n’a même pas le courage d’avouer à ses amis qu’il est sans emploi et se force à jouer la comédie – débarquant à leurs afterworks en costume trois pièces, comme s’il sortait lui aussi du bureau. Et comme il a démissionné de son premier emploi après seulement 3 mois, il n’est pas près de retrouver un poste… D’ailleurs les entretiens d’embauche se suivent et se ressemblent, se soldant tous par des échecs cuisants. Or, il n’a pas encore atteint le fond, ce qui ne tarde pas à arriver : sa mère lui annonce de but en blanc la fin du soutien financier parental … C’est alors que surgit le mystérieux Ryo Yoake, employé de l’institut de recherche ReLIFE, pour lui proposer de participer à une expérience de réinsertion sociale, réservée aux chômeurs, passant par… une année de retour au lycée ! Pour ce faire, Arata est prié d’avaler une simple pilule, lui redonnant l’apparence de ses 17 ans. Il reprend donc le chemin de la terminale… et c’est bien moins facile qu’il n’y paraît.

ReLife est un manga atypique. En effet, il est tout en couleurs, alors que traditionnellement, s’il y a des couleurs, seules les premières pages y ont droit. En effet, le manga a d’abord été publié en tant que web-série en couleurs et le passage au format papier a conservé ce caractère.

L’histoire de Yayoiso mêle donc allègrement science-fiction et tranches de vie adolescentes : car, si Arata retourne au lycée, il y découvre également Ryo, son « contrôleur de mission ». Ce retour en arrière est vraiment drôle : Arata cumule les bourdes et a bien du mal à se remettre dans le bain – franchement, j’ai compati.

L’histoire ne propose pas un suspens haletant, mais je me suis tout de même laissée emporter par ma lecture, parce que je voulais savoir si Arata réussirait à faire coïncider ses deux existences en cours ou pas.

Côté dessins, j’ai pleinement apprécié d’avoir un manga tout en couleurs, ce qui apporte un air nouveau. A ce titre, l’adaptation (du format vertical adapté à la lecture sur smartphones au format papier normal) est très réussie.

Une fois ce premier tome terminé, j’avais hâte de savoir comment Arata allait se débrouiller dans sa nouvelle existences adolescente. J’ai donc passé un bon moment avec les aventures de ce jeune homme, et je suis curieuse de lire la suite de ses aventures lycéennes. 

ReLIFE #1, Yayoiso. Ki-oon, mai 2016, 184 p.

 

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Pour Arata, pas facile de se remettre dans le bain! Les vieilles habitudes ont la vie dure, et le programme de terminale est bien loin…Bref, les premiers contrôles de l’année ne sont pas une réussite, sans compter le savon magistral que lui passe son professeur principal en trouvant des cigarettes dans son sac!
Heureusement, le jeune homme lie rapidement connaissance avec plusieurs élèves de sa classe, dont Kazuomi Oga, Rena Kariu et Chizuru Hishiro. Cette dernière, extrêmement timide, a beaucoup de mal à se faire des amis: notre « redoublant » décide alors de lui donner un coup de pouce, mais la tâche promet d’être ardue…

Eh non, la reprise n’est pas facile pour Arata. Après avoir obtenu des notes déplorables aux examens généraux, Arata se démet une épaule et s’écorche un genou en sport. ReLife est un programme destiné à favoriser la réinsertion des chômeurs mais, s’il donne aux participants l’apparence d’adolescents, il ne leur en donne pas les capacités physiques ! De même, Arata n’oublie pas qu’il a 27 ans et non 17 : tout cela contribue à conserver le décalage constant entre le jeune homme et ses camarades de classe.

Dans ce volume, l’accent est mis sur les relations entre eux, ce qui peut être un peu frustrant, vu que l’aspect ReLIFE est peu exploité. Arata est bien décidé à rendre service à Chizuru, laquelle semble particulièrement peu douée en relations sociales – ce qui est souvent assez comique, notamment lorsqu’elle tente de conquérir Rena à coups de sourires carnassiers, qui tiennent plus de la tête de psychopathe que de la future bonne copine.
L’histoire est vraiment centrée sur les histoires adolescentes, et moins sur le retour dans le passé d’Arata. Ceci-dit, les chapitres sont entrecoupés des rapports envoyés par Yoake à son responsable, qui nous rappellent de temps en temps que tout cela n’est qu’une expérience scientifique appelée à s’arrêter un an plus tard.

Côté dessins, c’est toujours aussi sympa d’avoir un manga tout en couleurs, cela change un peu de ce que l’on lit habituellement. Mais c’est parfois un peu difficile de différencier les garçons entre eux, qui se ressemblent un peu les uns les autres – ce qui est un peu dommage.

Ce deuxième tome est parvenu, lui aussi, à me tenir en haleine, alors même qu’il ne se passe pas grand-chose de trépidant – rien d’autre que les péripéties lycéennes d’une classe lambda. Mais rien qu’avec ça, Yayoiso réussit à nous installer une ambiance prenante, qui donne envie d’en savoir plus à la fin !

ReLIFE #2, Yayoiso. Ki-oon, août 2016,192 p.

 

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Devant les notes désastreuses d’Arata, Kazuomi lui propose de l’aider à réviser pour les rattrapages… An se joint à eux, et la petite bande commence à se lier d’amitié, même si les résultats scolaires de notre cobaye sont toujours au plus bas !
Mais Chizuru se débrouille beaucoup moins bien : convaincue que Rena l’apprécie, elle ne se rend pas compte qu’elle excite au contraire la jalousie de sa camarade. Lorsque celle-ci vole son sac sur un coup de tête, Arata la prend en flagrant délit et tombe avec elle dans les escaliers ! À son réveil, il décide de tout dire à Chizuru…

Le tome 3 reprend sur les querelles et amitiés lycéennes et, de ce point de vue-là, il y a fort à faire. Et si c’est intéressant, c’est un peu frustrant du point de vue du concept de la ReLIFE.
Heureusement, le ton change vite et Arata se retrouve confronté à une situation aussi inédite qu’embarrassante, tant pour son avenir au lycée que pour la réussite de sa ReLIFE. Suspense et tensions garantis dans la deuxième moitié du tome, avec moult révélations à la clef ! Du coup, le rythme est vraiment bien maintenu et ce jusqu’à la fin !

Côté révélations, on en apprend un peu plus sur le contrôleur de mission, le très très discret Ryo Yoake. Mais aussi sur le passé d’Arata en tant qu’employé ! Toutes les zones d’ombre ne sont pas encore levées mais on commence à entrevoir pour quelles raisons il a bien pu démissionner au bout de seulement trois mois de travail.

D’ailleurs, la série commence à faire montre d’une double lecture assez intéressante. Sous des dehors de comédie scolaire, il est aussi question de l’attirance (parfois involontaire) d’Arata pour ses très jeunes camarades, mais aussi des manipulations un rien sordides auxquelles se livrent les adultes entre eux. Sur ce point, les révélations de la fin du tome ne font qu’épaissir le mystère autour de l’expérience ReLIFE… et pousser le lecteur à relire le début de la série.

Après une petite baisse de rythme, le tome 3 vient relancer tout l’intérêt pour l’histoire. C’est à la fois drôle, plein de suspens et bien plus complexe qu’il n’y paraît ! Du coup, j’attends impatiemment le tome 4 !

ReLIFE #3, Yayoiso. Ki-oon, août 2016,192 p.

A Silent voice 5-7, Yoshitoki Oima.

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Après la sortie au parc d’attractions qui a regroupé plusieurs anciens camarades, Shoya est embarqué dans le projet de film de Tomohiro, qui le propulse assistant. Premier problème : alors que l’histoire du film s’inspire de la rencontre providentielle entre Tomohiro et Shoya, qui n’aurait jamais eu lieu sans Shoko, celle-ci ne fait pas partie de l’équipe et les participants semblent trouver normal de l’écarter en raison de sa surdité, ce qui ne plaît pas du tout à Shoya. Second problème : Tomohiro veut absolument tourner une scène dans une école. Il charge donc Shoya d’aller demander l’autorisation de filmer dans son ancien établissement. Pour des raisons évidentes, celui-ci n’a pas particulièrement envie de remettre les pieds là-bas, d’autant que Tomohiro convainc Shoko de l’accompagner. C’est finalement Satoshi, un jeune homme très critique envers les enfants cruels, qui accompagne Shoya.
Celui-ci éprouve des sueurs froides à l’idée que son secret soit révélé… ce qui ne manque pas, ravivant toutes les tensions qu’il avait, jusque-là, réussi à apaiser.

Ce cinquième volume fait office de pause dans l’intrigue car il met de côté l’histoire entre Shoko et Shoya pour étudier les conséquences de l’odieux comportement de Shoya lorsqu’il était enfant.

Si la mère de Shoko l’exècre toujours au plus haut point, ses camarades de classe qu’il vient de retrouver semblent avoir passé l’éponge, ce qui ne lasse pas d’étonner un Shoya en quête de rédemption. Pire : lorsqu’il retourne dans son école, son ancien professeur semble suggérer que le problème venait de Shoko elle-même ! Ajouté au fait que l’ensemble de ses camarades participant au film semble trouver normal d’écarter Shoko en raison de son handicap, Shoya comprend qu’il y a encore un long chemin à parcourir pour atteindre la tolérance – chemin qu’il n’a, lui-même, pas fini de parcourir.
Comme le volume développe plusieurs arcs narratifs, il semble un peu plus lent que les autres. Parallèlement, Yoshitoki Oima évoque la réalisation du film, la relation amicale (mise à mal) entre Shoya et Tomohiro et, de façon plus générale, entre Shoya et ses camarades, l’étrange relation qui unit Shoya à Shoko (laquelle continue de penser qu’elle est la cause de tous les maux), ainsi que la perception du handicap dans la société (qui aurait bien besoin de progresser).
Les rumeurs allant bon train, Shoya est de nouveau au centre de toute l’attention, ce dont il se serait bien passé. À nouveau, le suspense psychologique est très fort, puisqu’on se demande si Shoya va réussir, cette fois encore, à s’en sortir.
C’est, finalement, sur les toutes dernières pages que se concentre toute l’action : les derniers événements changent beaucoup de choses, amènent encore plus de questions et, surtout, laissent le lecteur sur des charbons ardents !

Malgré une petite baisse de rythme, voilà encore un tome passionnant et qui donne de plus en plus envie de lire la suite !

A Silent voice, tome 5, Yoshitoki Oima. Traduit du japonais par Géraldine Oudin.
Ki-oon, octobre 2015, 192 p.

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A l’issue du volume précédent, Shoya sauvait in extremis Shoko d’une chute mortelle. Et c’est finalement lui qui se retrouve branché à une machine, coincé sur un lit d’hôpital…

Voilà un opus bien différent des précédents ! En effet, l’histoire tourne, généralement, autour de Shoya. Or, là, il en est totalement absent, puisque dans le coma. Cela laisse toute latitude à Yoshitoki Oima pour développer les autres personnages, comme les familles respectives de Shoya et Shoko, que l’on voit, finalement, assez peu dans le reste du manga. Ce que l’on découvre sur l’une et l’autre est vraiment intéressant et permet de remettre pas mal de choses en perspective, notamment du côté de Shoko.
Et, alors que la petite bande d’amis semble de plus en plus soudée, l’odieuse Naoka contine de représenter la frange qui pense que les personnes handicapées ne sont qu’un poids mort pour la société. Yoshitoki Oima procède à un examen des mentalités assez poussé, tout en laissant entrevoir une possible amélioration de ces mêmes mentalités.

Bon an mal an, le tome se déroule sur un rythme que l’on pourrait presque trouver monotone comparé à ce qui s’est passé avant. Mais c’est aussi l’occasion pour les personnages de se remettre en question – et il y en a à qui ça ne fait vraiment pas de mal !

Tout cela aboutit à une scène de conclusion relançant immédiatement les interrogations ! Sachant qu’il ne reste qu’un tome, on se demande comment l’auteur va parvenir à conclure cette émouvante histoire. 

A Silent voice #6, Yoshitoki Oima. Traduit du japonais par Géraldine Oudin.
Ki-oon, janvier 2016, 
192 p.

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Et voici venue la conclusion tant attendue de la série phénomène de Yoshitoki Oima !

Et, au vu des six premiers tomes, je n’ai pas pu m’empêcher de ressentir une légère pointe de déception à la lecture de celui-ci. En effet, cette conclusion a un petit goût d’inachevé, comme si l’auteur n’était pas allée vraiment au bout des choses au vu des pions qu’elle avait avancés.
Bon, il faut nuancer un peu : toutes les intrigues trouvent une conclusion ici et on assiste même à l’entrée de Shoko et Shoya dans la vie adulte, main dans la main, ce qui est bien agréable quand on voit d’où ils sont partis. Mais voilà, peut-être la part de midinette qui, manifestement, se terre quelque part en moi, en espérait-elle un peu plus.

Malgré cela, A Silent voice est une série qui vaut vraiment le détour. Yoshitoki Oima signe une série lumineuse, émouvante, pleine d’émotions, qui traite avec intelligence et subtilité le thème du handicap – aujourd’hui toujours tabou et ce, quel que soit le pays dont on parle.
Elle brasse, ainsi, de nombreux thèmes, tous creusés : harcèlement scolaire, amitié, amour, adolescence. C’est une série très émouvante, mais aussi riche d’enseignements , à mettre entre toutes les mains ! 

A Silent voice #7, Yoshitoki Oima. Traduit du japonais par Géraldine Oudin.
Ki-oon, avril 2016, 192 p.

◊ Dans la même sérieA Silent voice (1-2) ; A Silent voice (3-4).

Poison City, Tetsuya Tsutsui.

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Tokyo, 2019. À mois d’un an de l’ouverture des Jeux Olympiques, le Japon est bien décidé à faire place nette avant de recevoir les athlètes du monde entier. Une vague de puritanisme exacerbé s’abat dans tout le pays, cristallisée par la multiplication de mouvements autoproclamés de vigilance citoyenne. Littérature, cinéma, jeu vidéo, bande dessinée : aucun mode d’expression n’est épargné. C’est dans ce climat suffocant que Mikio Hibino, jeune auteur de 32 ans, se lance un peu naïvement dans la publication d’un manga d’horreur ultra réaliste, Dark Walker. Une démarche aux conséquences funestes qui va précipiter l’auteur et son éditeur dans l’œil du cyclone…

Avant de parler du manga, un peu d’actus. La réputation de mangaka de Tetsuya Tsutsui n’est plus à faire. Mais en 2013, il découvre inopinément que son polar Manhole est censuré au Japon, par la section des affaires sociales et de la santé du département de Nagasaki, en raison d’une « incitation considérable à la violence et à la cruauté chez les jeunes ». Résultat : son manga est retiré des librairies et bibliothèques du département. Il n’en a jamais été officiellement averti. Or les œuvres incriminées (comme il s’en aperçoit en assistant à une réunion du comité d’études) sont passées « au crible » en 35 minutes… à raison de 33 mangas par séance ! Le jugement, incomplet et aberrant, n’est fondé que sur l’appréciation visuelle et subjective des œuvres. De plus, les auteurs ne peuvent faire appel (ils le peuvent, mais c’est classé sans suite).  Aujourd’hui, Tetsuya Tsutsui lutte toujours pour réhabiliter son titre ainsi que pour la liberté d’expression. L’auteur ayant pour habitude de s’inspirer de l’actualité et de son expérience personnelle, Poison City, son dernier manga, aborde lui aussi la question des dangers de la censure.

Poison City met donc en scène Mikio Hibino, jeune auteur de 32 ans, se lançant dans la publication de Dark Walker, un manga d’horreur hyperréaliste, dont l’intrigue se déroule dans une univers post-apocalyptique infesté par un virus, qui pousse les humains à dévorer des cadavres. Tôru Kiritani ayant servi de cobaye dans un labo, il est porteur du virus mais ne perd pas la tête. Sa compagne, Haruka Sakazaki, cobaye elle aussi, est totalement immunisée, mais doit porter un masque à gaz en raison d’une hypersensibilité aux produits chimiques. Ensemble, ils essaient de sauver l’humanité et, surtout, de survivre ! Ce que Mikio Hibino ignore, c’est que la publication de son manga va avoir des conséquences pour le moins funestes.

Poison City joue sur deux fils narratifs : Dark Walker et l’histoire personnelle de Mikio. Celui-ci vit dans un univers assez liberticide : dès le premier chapitre, il est confronté à la censure, empêché d’acheter un film de zombies interdit aux jeunes, sous prétexte qu’il n’a pas ses papiers sur lui ; dans la foulée, il assiste au démantèlement d’une petite statue irrévérencieuse (façon Manneken Pis), au motif qu’elle contrevient aux lois sur la pornographie infantile ! Dès l’intro, on assiste aux réunions, prises de décision et actions de la fameuse commission de censure qui officie à grandes coupes claires dans le patrimoine culturel, le tout arrosé de quelques chapitres sous haute tension de Dark Walker.

Et la construction est vraiment brillante ! Car on fait sans cesse le parallèle entre l’histoire de Tetsuya Tsutsui et celle qu’il met en scène. Au fil des réunions éditoriales, Mikio s’entend dire comment corriger son manga : ici en supprimant les cannibales (remplacés par des zombies), ici en passant sous silence un détail ou un bout de scène… La censure, peu à peu, assure sa main-mise sur la production artistique et culturelle, sans que certains y trouvent quoi que ce soit à redire… Et c’est terrifiant.

L’histoire permet également de découvrir les dessous de la censure des comics aux États-Unis : en faisant le parallèle avec le passé, Tetsuya Tsutsui rend l’histoire d’autant plus prenante et percutante. En notant les similitudes avec notre univers, on ne peut que s’inquiéter pour la liberté d’expression – dans notre réalité, et dans celle de Mikio.

Voilà un manga à découvrir absolument ! En évoquant les dérives de la commissions de censure japonaise, Tetsuya Tsutsui parle à merveille de notre propre univers, toujours plus craintif quant à la valeur de la parole. Il nous rappelle, au passage, que la liberté d’expression doit toujours être défendue et que la parole ne doit surtout pas être réduite à ce qu’une toute petite minorité souhaite entendre. Un rappel plus que jamais indispensable !

Poison City #1, Tetsuya Tsutsui. Traduit du japonais par David Le Quéré. Ki-oon, mars 2015, 232 p.

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Dans ce second tome, Mikio Hibino, notre jeune mangaka, est de nouveau confronté à la stigmatisation de son manga d’horreur hyperréaliste, Dark Walker, supposé trop violent.  Son éditeur lui suggère alors de faire ce que souhaite la commission, à savoir modifier le contenu : en effet, c’est le nombre de pages violentes sur l’ensemble qui détermine le degré de dangerosité du manga. Or, en regroupant toutes les séquences violentes, on peut diminuer le nombre de pages incriminées, ramenant le total à un nombre acceptable. Mikio s’arrache donc les cheveux, recombine ses chapitres, réarrange son histoire et abandonne : céder signifie dénaturer son manga et il n’en a absolument pas l’intention. Il poursuit donc et la commission le poursuit de ses foudres,  lui imposant alors une audience publique.

Comme dans le premier volume, l’intrigue alterne deux fils narratifs : la vie de Mikio et les extraits de Dark Walker – lesquels sont toutefois moins nombreux que dans le tome précédent – que l’on attend presque avec impatience tant la tension est omniprésente ! Le manga compare à nouveau la situation au Japon et la situation des comics aux États-Unis : c’est donc avec anxiété que Mikio arrive à l’audience, échaudé par l’histoire d’un auteur de comics déclaré nocif et retiré du marché éditorial…

Plus que la censure des média, Tetsuya Tsutsui met en évidence l’hypocrisie d’une société – qui ressemble à s’y méprendre à la nôtre, finalement… – qui préfère trouver un bouc-émissaire facile (les mangas, les films, les romans policier, le metal, les jeux vidéos – rayez la mention inutile !), plutôt que d’analyser ses travers et erreurs et de se remettre en question. On pourrait, dans un premier temps, penser que l’auteur nous offrirait une conclusion positive mais raté. La tension va croissante et Tetsuya Tsutsui termine sur un point d’orgue terrifiant. Difficile, une fois la dernière page tournée, de ne pas se demander ce qui pourrait nous arriver. D’ailleurs, on peut se demander si le manga ne flirte pas avec le récit d’anticipation.

Ce second volume vient clore un manga exceptionnel, qui évoque la censure et la liberté d’expression et qui nous rappelle combien il est important de lutter avant que la première n’étouffe la seconde. Et cela demande une vigilance de tous les instants !

Poison City #2, Tetsuya Tsutsui. Traduit du japonais par David Le Quéré. Ki-oon, décembre 2015, 200 p.

Bride Stories #6-7, Kaoru Mori

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La vie poursuit son cours. Mais le clan d’Amir n’a toujours pas renoncé à récupérer la jeune femme. Voilà que sa famille s’allie au clan Berdan, lui-même allié des Russes, afin de raser le village… et récupérer Amir afin de la remarier. Azher, le frère d’Amir et Joruk, son cousin, sont chargés d’une partie des opérations…

Voilà un tome bien plus sombre ! En effet, la famille d’Amir refait son apparition suite à l’enlèvement raté. Cette fois, ils ont sorti l’artillerie lourde et sont bien décidés à raser le village des Eyhon. Après la pause légère et pleine d’humour du cinquième tome, on reprend les choses sérieuses. D’autant que la situation est critique : les Berdan sont associés aux Russes et lourdement armés. Chez les Hargal, la décision ne fait pas consensus. Azher, le frère aîné d’Amir (et potentiel héritier) n’approuve pas la manœuvre de son père. Aidé des cousins Joruk et Baimat, il va tenter d’inverser la tendance.

L’intrigue développée ici ré-inscrit la série dans le contexte géopolitique de l’époque, dont quelques mots avaient été touchés précédemment – puisque l’on sait que certains clans ont été approchés par des Russes gourmands de territoires. De plus, malgré une apparente entente cordiale, on s’aperçoit assez vite que les clans sont tous à couteaux tirés – ce que les Hargal apprennent à leurs dépens. Et comme l’essentiel de l’intrigue consiste en batailles épiques contre l’envahisseur, adrénaline et suspens sont au rendez-vous !

Le dessin fait donc la part belle aux actions, cavalcades en tous sens, avec un souci du détail toujours aussi appréciable. C’est superbe !

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Cette fois, on quitte le village des Eyhon et l’on reprend la route avec Smith. Celui-ci est en Perse (actuel Irak) et fait étape dans la demeure d’un riche jeune homme. Smith est un peu surpris… Leur hôte est marié… mais son épouse parfaitement invisible. Ali lui explique que les femmes ne se montrent pas en dehors de leur famille.
Anis, l’épouse, mène de son côté une vie assez solitaire, s’occupant de son jeune fils, de son jardin, de ses quelques animaux domestiques. La nourrice, Mahfi, finit par l’emmener au hammam public… de nouveaux horizons s’ouvrent pour Anis !

Et nous revoilà avec un tome de transition, un petit hors-série dans l’histoire de Karluk et Amir, l’occasion de découvrir encore une nouvelle coutume autour du mariage en Asie Mineure. Il y a plusieurs choses abordées dans ce tome. D’une part, le statut des femmes, qui correspond ici bien plus à ce que l’on connaît des états du Moyen-Orient : la femme reste cachée au sein de la maison ou sous un voile intégral. Kaoru Mori perce le mystère féminin et nous fait découvrir un haut lieu de socialisation pour les femmes : le hammam, où elles sont libres de dire et faire ce qu’elles veulent, loin du regard inquisiteur des hommes – qui sont tout de même présentés sous un très bon jour dans cette aventure, il faut le reconnaître !
Au hammam, Anis va faire la rencontre d’une autre jeune mère, Shirin, dont elle souhaite rapidement devenir la sœur conjointe. Les sœurs conjointes étaient, en somme, les meilleures et plus proches amies du monde. A ceci près que la relation était entérinée par une cérémonie similaire à un mariage, entre les deux femmes, tenues à des droits et des devoirs envers leur conjointe. Le volume est extrêmement instructif et les relations entre les personnages (entre Anis et Shirin, ou entre Anis et son mari), mises en scène de façon très touchante.

Côté dessin, le trait de Kaoru Mori s’est un peu affiné – en témoigne la silhouette longiligne d’Anis qui s’affiche sur la couverture mais l’ensemble est toujours aussi fouillé. Le cadre est également très reposant : on passe des jardins  d’Anis au hamman, extrêmement détaillés. C’est tout simplement sublime !
Et le rythme n’est pas en reste : il y a du suspens, l’histoire est dynamique et les rebondissements surprenants. Impossible de s’ennuyer !

Le dernier tome en date de Bride Stories nous propose une petite parenthèse enchantée dans l’histoire d’Amir et Karluk… qu’on a évidemment hâte de retrouver !

 

◊ Dans la même série : tomes 1 à 3 ; tomes 4 et 5 ;

Bride Stories #6 et #7, Kaoru Mori. Traduit du japonais par Yohan Leclerc. 
Ki-oon, mars 2014, 190 p. et août 2015, 191 p.

Erased #4-5, Kei Sanbe

Bienvenue en thriller ! Dans cet opus, on nage dans une ambiance extrêmement pesante et un suspens hallucinant ! Car comme on sait déjà comment cela peut mal finir, on s’angoisse fortement pour Kayo, Satoru et sa mère !
L’intrigue devient de plus en plus complexe (et sombre) : en effet, Satoru ne lésine pas sur les moyens et met un place un stratagème plus qu’alambiqué pour sauver la vie de Kayo. Or, il doit poursuivre un double objectif : sauver Kayo, sa mère et se préserver de la police à son retour en 2006. Pas facile, donc… et l’attente est très forte !

Les personnages adultes ont la part belle dans cet opus : la mère de Satoru s’implique de plus en plus (et malgré ses récriminations initiales contre elle, elle apparaît de plus en plus comme la super-maman par excellence) ; celle de Kayo refait surface (pas forcément pour le meilleur, d’ailleurs) ; l’instituteur, de son côté, sort enfin de sa réserve et montre à Satoru qu’il peut compter sur lui. Par ailleurs, les camarades de Satoru prennent de plus en plus d’ampleur (Kenya, notamment) et semblent prêts à s’entraider.

Côté intrigue, on a l’impression à la fois l’impression de commencer à toucher du doigt la clef et celle de nager en plein cirage ! C’est dire si l’ensemble est prenant et haletant ! De plus, le découpage serré, les cases assez petites et les tons très sombres augmentent l’impression de suspens haletant.
Dans toute cette noirceur surnagent des passages vraiment comiques, lorsque la personnalité adulte de Satoru entre en conflit avec l’enfant qu’il était, lui faisant commettre quelques petites bourdes : c’est drôle et savoureux !
Le volume se terminer sur une note à la fois poétique et mélancolique… et sur une foule de questions.

Erased, #4, Kei Sanbe. Traduit du japonais par David Le Quéré.
Ki-oon, 2015, 194 pages.

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Kayo a été sauvée, mais Satoru est toujours en 1988… Or il se rappelle subitement que deux autres enfants ont été victimes du tueur en série. Justement, il connaît Aya Nakanishi, une fillette qui reste souvent seule au parc et qui avait également disparu. Pour éviter un nouveau drame, Satoru embarque ses camarades dans une drôle d’aventure : il leur propose un jeu de détectives, dans lequel les enfants sont chargés de sortir de leur isolement les enfants de leur entourage, ce qui arrange tout le monde. Les enfants sont ravis de se faire de nouveaux amis, les adultes sont aux anges de voir cette initiative. Satoru, de son côté, est assuré d’empêcher qui que ce soit de se faire enlever. Il s’aperçoit justement que Misato, une fillette de sa propre classe, est très isolée. Or, voilà que de nouveaux indices sur le tueur surgissent… Satoru se sent pousser des ailes !

Plus les tomes avancent et plus la tension augmente ! On pensait l’histoire bouclée avec le sauvetage de Kayo mais l’histoire n’est pas terminée, puisque Satoru n’est pas revenu en 2006 (ce qui est tout de même l’objectif). Cette petite aventure de détectives va permettre d’approfondir un peu plus les enfants et adultes qui gravitent autour de Satoru, ainsi que leurs relations. Le décalage entre les deux personnalités de Satoru est toujours aussi comique et apporte une petite touche de fraîcheur dans un univers de plus en plus sombre.

Dans ce volume, l’uchronie refait surface avec force : si les enfants attaqués ne sont pas décédés… cela met tous les enfants en danger ! La tension est donc à son comble, puisque le danger semble pouvoir surgir de partout et à tout instant.

Et ce n’est pas le redoutable cliffhanger final qui va la faire retomber. Alors que l’enquête de Satoru fait un énorme pas en avant et que l’on commence à comprendre des éléments, voilà que l’on se met subitement à douter d’un personnage…. Le tout dans les quelques dernières pages, évidemment, ce qui laisse le lecteur sur des charbons ardents – d’autant plus que le tome 6 vient tout juste de sortir au Japon ! Quelle fin !

Ces deux tomes donnent l’impression que l’on dénoue plein de fils sur l’intrigue principale, tout en la complexifiant de plus en plus. La tension ne fait qu’augmenter au fil des pages et le cinquième volume s’achève en apothéose sur un cliffhanger haletant ! Vivement la suite !

◊ Dans la même série : Erased #1-3 ;

 

Erased, #5, Kei Sanbe. Traduit du japonais par David Le Quéré.
Ki-oon, 2015, 200 pages.

 

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[2015] Petit bilan de juillet

Et hop, on a terminé juillet, sa canicule, ses insupportables problèmes de transport et ses lectures presque estivales. Au menu de ce mois-ci, un week-end à mille, des chroniques, des brèves, une sélection d’albums jeunesse

Carnet de lectures.

Rayon bulles.

Ce mois-ci, j’ai  lu le premier volume du comic Lazarus, Pour la famille, signé Greg Rucka, Michael Lark et Santiago Arcas.

C’est l’histoire de Forever, qui est la cinquième d’une fratrie et, surtout, le lazare de sa famille, les Carlyle. Le lazare est élu pour subir un entraînement intensif et obtenir le meilleur de ce que l’argent et la technologie peuvent offrir ; elle est donc la gardienne du clan Carlyle, la main armée et le bouclier protecteur.
Dans ce futur assez proche (et salement dystopique !), c’est la richesse qui dirige tout. Une poignée de riches familles s’est départagé le territoire et seuls les gens de même catégorie sociale compte. Les autres ne valent guère mieux que des déchets (dystopie, on a dit !).
Les Carlyle ont justement une famille qui leur fait de l’ombre et Forever est envoyée négocier. Sauf que… pas mal de monde voudrait la voir morte et, si on y regarde bien, peut-être même au sein de sa propre famille.
J’ai beaucoup aimé le dessin un peu anguleux, dans des tonalités sombres, qui cadre tout à fait avec l’univers mis en place. L’histoire est pleine de mystère : il y a plein d’allusions comme quoi Forever n’est pas (ou pas seulement ?) humaine, mais rien n’est jamais clairement dit (ou alors les pistes sont brouillées !). De plus, les inimitiés qui se dessinent dans le clan Carlyle laissent présager le pire. Ce premier volume a suffi pour me mettre l’eau à la bouche, je lirai volontiers la suite !

Côté mangas, j’ai lu le premier tome de The Ancient magus bride (première lecture du WE à mille).

Chise a le pouvoir de voir des choses que d’autres ne peuvent voir : c’est une Slay Vega. Elle est achetée par un magicien très étrange (dont la tête est un crâne animal !), qui souhaite en faire son apprentie magicienne, dès son retour en Angleterre. Ce premier volume m’a laissé un avis très mitigé. D’une part, j’ai bien aimé l’univers, où un magicien à crâne d’équidé (?) à corne peut prendre le joli minois d’un prêtre (chargé de l’envoyer enquêter sur des faits fantastiques et inquiétants de préférence), où les fées sont visibles pour certains et peuvent jouer des tours et où magiciens et sorciers se disputent la vedette (les uns faisant appel à la science, les autres au côté obscur de la force). Le dessin est assez intéressant et donne à voir cet univers prolifique. Je ne sais pas exactement ce qui m’a dérangée. Peut-être une certaine mollesse dans l’installation de l’intrigue et un faux suspens sur la romance plus qu’agaçant : le magicien annonce à la donzelle qu’elle sera sa femme, celle-ci n’est point trop d’accord, mais s’ensuivent moult scènes où l’on est censé comprendre, manifestement, qu’une étincelle jaillit. Mais ce n’est pas vraiment justifié ou creusé. De plus, le fil rouge n’est pas complètement installé, donc tout cela semble relativement light. En fait, je pense faire l’économie de la suite !

Et j’ai testé la forme gazette de la série Le Château des Étoiles d’Alex Alice, avec le numéro 4 (qui correspond au début du tome 2) : Les Naufragés des étoiles !

Bon, je ne vais pas m’étendre sur le dessin, qui est toujours aussi sublime, vu que je ne ferais que répéter ce que j’écrivais ici.
Je vais plutôt parler du format ! Premier point : la gazette est imprimée sur du beau papier (journal, mais beau quand même). Ensuite, il faut s’assurer d’avoir de la place pour la déplier, car le format est plus grand que celui de la B.D. On ne profite que mieux des illustrations, donc 🙂 Enfin, petit point de détail vraiment sympa : les articles ‘ »façon gazette » qui évoquent l’actualité en lien avec l’histoire ! C’est très riche et cela permet de prolonger l’expérience. Allez, il y a quand même un petit bémol… C’est bien court, j’ai envie de lire la suite !

 

Côté romans. 

L’an dernier, j’ai découvert avec plaisir La Dynamique des fluides, de Mathieu Tazo et, cette année, j’ai rempilé avec son deuxième roman, Un caillou dans la chaussure. C’est l’histoire de Samuel Marion, obscur fonctionnaire du Secrétaire des Droits de l’Homme, qui fait une boulette et se fait virer. En plus, son père décède le même jour, ce qui est franchement pas de bol. Il a alors l’idée de retourner à Barjance, le village de l’arrière-pays varois où ses parents ont une maison (pas de loyer donc !) et où il a eu un grand amour de jeunesse pour une jeune femme dénommée Sonia. Objectif avoué : devenir maire de la commune – et vu le maire en poste, ce n’est pas difficile. Objectif non avoué : revoir la-dite Sonia, malgré l’amour qu’il porte à son épouse et à sa fille. Aussitôt dit, aussitôt fait ! Le déménagement est acté, la campagne sur les rails et, en moins de temps qu’il n’en faut pour dire Barjance Samuel est maire. Sauf que. 25 ans plus tôt, Samuel a tué le gendarme Bardan, une brute épaisse. Quatre personnes seulement sont au courant, les ex-meilleurs amis du monde : Georges, qui vient de reprendre l’usine de lavande locale, Patrick, un gars pas toujours bien vu et… Sonia, bien sûr. Et pendant sa campagne, Samuel a imprudemment promis au fils Bardan qu’il pourrait mener son enquête… Voilà le caillou dans la chaussure.
Or, on sait dès le départ qu’il y a du rififi, puisque Samuel Marion ouvre le roman en nous disant que tout est fini. Mais hormis le fait qu’il s’en sort – presque – indemne, mystère… Le suspens est donc au rendez-vous !
Le premier roman avait des allures de road-trip vengeur ; celui-ci ressemble à une chronique sociale, avec tout ce que cela suppose de mesquineries villageoises, de petits secrets sordides cachés et de machinations bien huilées ! Sous des dehors assez acidulés, c’est un véritable roman noir !
La narration réserve sa part de sarcasmes : le Samuel qui narre l’histoire a plus de recul que le Samuel qui la vit… et fait quantité de mauvais choix ! On a d’ailleurs souvent envie de le secouer. L’ensemble est assez grinçant, mais l’auteur ne sombre pas dans la surenchère : c’est noir, c’est aussi drôle et c’est surtout très réaliste. Comme, en plus, on a une partie des éléments en attaquant la lecture mais que l’affaire est assez opaque, le suspens est au rendez-vous. Un mélange assez réjouissant entre polar et chronique sociale – mais pour être tout à fait honnête, j’ai préféré son autre titre.

Côté séries. 

Début juillet a été marqué par un marathon Le Visiteur du Futur. On s’est avalé les quatre saisons sur un petit week-end – ce qui vous donne d’ores et déjà un aperçu de l’appréciation !
La série a démarré sur le web, avant d’être diffusée sur la chaîne Nolife ; les deux dernières saisons sont coproduites par Ankama et France TV Nouvelles Écritures.

De quoi ça parle ?
De nos jours. Raph est un jeune homme tout à fait banal. Mais voilà : il est littéralement harcelé par un fou furieux au visage constamment tuméfié et bizarrement vêtu, qui affirme être un voyageur du Futur… et venir de 2550. Le Visiteur passe sa vie à pourrir celle de Raph, l’empêchant de jeter une canette près d’une poubelle ou d’engloutir sa pizza au motif que cela pourrait engendrer – à terme ! – une catastrophe anéantissant la Terre. Le Visiteur tente, en outre, d’échapper à la redoutable Brigade Temporelle qui le pourchasse et qui va d’ailleurs bientôt s’intéresser à Raph de près, de très près… Je ne vais pas résumer plus parce que, d’une part, ayant regardé toutes les saisons à la suite, je risquerais de vous spoiler bêtement en mélangeant la chronologie et, d’autre part, c’est bien plus sympa de découvrir comment tout va dégénérer. Sachez juste que, dans la saison 4, on découvre un petit côté steampunk fort sympathique.
La série est hyper dynamique et on n’a pas le temps de s’ennuyer, que l’on suive les déboires des personnages face à la Brigade Temporelle ou sur Terre en 2550, rasée et infestée de zombies. Au départ, j’ai été un peu déstabilisée par les premiers épisodes, très brefs, qui ressemblent plutôt à des sketchs. Jusqu’à ce que la sauce prenne et qu’on se retrouve embarqués dans l’histoire – ceci s’explique par le fait qu’au départ, il n’y avait que 3 épisodes ; devant l’engouement, François Descraques a réalisé une première saison de 22 épisodes.  Si vous avez bien suivi, il s’agit donc d’une web-série amateur, au début : mais le rendu de la première saison est très pro et le jeu des acteurs bien dosé ! On est assez loin de la web-série qui peine à passionner – en plus, la réalisation ne fait qu’évoluer. Le scénario est super dense : à chaque saison, quelque chose de nouveau fait son apparition dans l’histoire et l’ensemble est super bien ficelé : voyages et paradoxes temporels, ambiance post-apo, zombies, baston, mystère, sentiments, il y a de tout. En plus, la psychologie des personnages est particulièrement soignée et ne fait qu’évoluer. Avec ça, la tension est maintenue jusqu’à la fin – pas tellement sur l’arc narratif principal, mais sur plusieurs petits points restés en suspens. Bref : du très très bon. En fait j’aurais volontiers signé pour une ou deux saisons de plus, vu la qualité de la série !
La totalité de la série est visible sur leur site, mais vous pouvez également vous procurer les DVD !

Top & Flops. 

On ne change pas les bonnes habitudes et on attaque par les seconds.

J’ai lu, pendant le WE à 1000, le premier volume de la série The Ancient Magus Bride, dont j’ai apprécié les graphismes, mais dont le sujet ne m’a pas franchement passionnée. Je ne ferai pas d’autre chronique donc je vais résumer ici : l’univers dans lequel on plonge est assez complexe, ce qui est plutôt chouette, mais l’agréable densité est desservie par une intrigue que j’ai trouvée plate à souhait, la faute à trop de répétitions (comme l’obsession du magicien envers Chise, le personnage principal) et à des lieux communs. Je ne continuerai donc pas la série.

J’avais beaucoup aimé La Dynamique des fluides, mais le deuxième roman de Mathieu Tazo, Un caillou dans la chaussure, m’a un peu déçue. Je ne saurais dire si c’est l’aspect furieusement tête-à-claques du personnage principal qui m’a agacée ou les sarcasmes – pourtant bien dosés ! – qui m’ont laissée de marbre, mais le fait est que je me suis un peu moins amusée dans ce roman noir que dans le précédent. De l’art de ne pas comparer les différents titres d’un même auteur ?

Passons aux réjouissances, maintenant !

la-voie-des-rois-1-les-archives-de-roshar-brandon-sandersonOn attaque avec la nouvelle série de Brandon Sanderson, Les Archives de Roshar : ce premier volume (qui n’est, en fait, que la moitié du tome 1 !) est énorme, mais se lit super bien. Comme souvent (j’ai l’impression) chez Sanderson, c’est l’étendue et la complexité de l’univers qui étonne et fascine. Impossible de ne pas se figurer les habits, bâtiments, plats ou coutumes des différents royaumes traversés tant tout est précisément détaillé ici. Et malgré la redoutable épaisseur, jamais on n’a l’impression de se traîner dans l’histoire. Génial !

En fait, cette lecture était tellement géniale qu’elle a salement éclipsé toutes les autres – pourtant il y avait de super découvertes mais, parfois, c’est dur de rivaliser !

Heureusement, il y a un manga qui m’a laissée sur des charbons ardents : le volume 5 d’Erased. Mais c’est QUOIerased-5-kei-sanbe cette fin ??!! Quand, en plus, je lis que le volume 6 vient SEULEMENT de sortir au Japon, je me dis que je ne suis pas sortie de l’auberge. Mais pourquoi tant de haine, franchement ? Bref, un tome bourré de révélations, j’ai adoré.

 

 

 Citations. 

«Sur l’écran, les yeux mordorés de la fille-soleil sont grands ouverts, ourlés de cils que le mascara Rosier allonge infiniment : « Un soleil ?… Marcus a dit ça de moi ?… »
Kenji : « Oui. Il est responsable Planétologie, il sait de quoi il parle. Il a dit que tu étais comme une géante rouge – tu sais, ces étoiles en fin de vie qui s’enflamment, qui rougissent, et qui brûlent tout leur système solaire autour d’elles en mourant ?»
Phobos, Victor Dixen.

«Culsans et Dionysos étaient les seuls à voir le jour se lever, les seuls à entendre les oiseaux saluer le soleil. Le dieu étrusque fit un pas vers l’estrade.
– Nous sommes seuls, lui confia-t-il. Tous orphelins d’un monde mort, d’un passé dont la mémoire s’étiole peu à peu. Ce n’est pas en épuisant nos ultimes fidèles que nous changerons cela. La trame du destin se tisse quoi qu’il advienne, et nul ne peut la défaire, nul ne peut revenir en arrière, ni les humains ni les dieux.»
Enoch, Estelle Faye.

«- Est-ce Jasnah Kholin qui vous a enseigné ce talent au crayon ?
– Non, ardent, dit-elle, encore debout.
– Toujours aussi cérémonieuse, dit-il en lui souriant. Dites-moi, suis-je donc si intimidant?
– On m’a appris à témoigner du respect aux ardents.
– Eh bien, je trouve pour ma part que ce respect est semblable au fumier. Utilisez-le où c’est nécessaire, et les cultures s’épanouiront. Répandez-le en trop grande quantité, et les choses se mettront simplement à empester. […]

– Vous avez appris ça, dit Kabsal en élevant son dessin de Jasnah, dans un livre.
– Heu … oui ?
Il regarda de nouveau le portrait.
– Il faut que je lise davantage.»
La Voie des rois, partie 1, Brandon Sanderson.

A Silent voice #3-4, Yoshitoki Oima.

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Shoya et Shoko se sont rapprochés. Le jeune homme, pour faire plaisir à Shoko, entreprend de retrouver leurs anciens camarades de classe, notamment Miyoki et Naoka. La première se rapproche très vite de Shoko, jusqu’à atteindre une complicité que Shoya jalouse. La seconde, en revanche, faisait partie des tourmenteurs de Shoko et n’a pas l’intention de changer d’avis. Parallèlement, Shoya se pose d’intenses questions sur les fondements de l’amitié…

Shoya est vraiment au centre de ce volume (jusque-là, l’histoire se concentrait vraiment sur la relation Shoko-Shoya). Ce qui est intéressant, c’est que les deux nouvelles venues (Miyoki et Naoka, d’anciennes camarades de classe) vont remettre en perspective le personnage.
Depuis le début, Shoya s’interroge sur sa personnalité ; cette fois, il se demande s’il est vraiment un bon ami. En observant Miyoki être si complice avec Shoko, il se demande pourquoi lui n’arrive pas à être sincère, pourquoi il s’est emprunté. Fait-il, comme le dit Naoka, semblant ? Pire : a-t-il vraiment changé ou ne fait-il que se donner vaguement bonne conscience ?

L’opus tourne vraiment autour de ces questions ; côté péripéties, il est donc plus calme que les précédents car la relation entre Shoko et Shoya continue seulement sur sa lancée. Pourtant, le rythme et le suspense sont maintenus tout du long car, d’une part, on a très envie de savoir si la relation entre les deux protagonistes va évoluer (et si oui, dans quel sens !) et, d’autre part, on se demande si Shoya va laisser son dark side reprendre le dessus… et se remettre à brimer Shoko.

De son côté, celle-ci se laisse apprivoiser par le jeune homme et fait de louables efforts pour parler. D’ailleurs, dans ce volume, il y a moins de scènes où les deux adolescents communiquent par la langue des signes et un peu plus de moments où Shoko tente de s’exprimer verbalement. On sent que, doucement, la problématique de départ évolue !

Vu comme cela, on pourrait penser que le volume est plat et manque de suspens. Mais pas du tout ! Les questions induisent un gros suspens car Shoya pousse assez loin l’introspection. Une fois qu’on a fini de s’interroger sur ce point, on se demande si Shoya va enfin – ENFIN ! – comprendre les messages que Shoko tentent de lui envoyer. À ce titre, la conclusion est une véritable torture et laisse le lecteur sur une fin douce-amère !

A Silent voice #3, Yoshitoki Oima. Traduit du japonais par Géraldine Oudin.
Ki-oon, 2015, 224 p. 

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Tomohiro, le meilleur ami de Shoya, est bien décidé à tourner un court-métrage. Pour cela, il lui faut des acteurs : cela tombe bien, il va profiter de ce projet pour faire en sorte que Shoya se fasse des amis. Celui-ci n’est pas fan de l’idée mais serre les dents. Or, Tomohiro doit aussi inviter Yuzuru, la petite soeur de Shoko, au parc d’attractions, pour la remercier d’avoir prêté son appareil-photo. La situation dégénère et c’est toute une bande qui se retrouve au parc avec Tomohiro, Yuzuru, Shoya et Shoko, la plupart des nouveaux venus étant d’anciens camarades de classe. Ce qui confronte, à nouveau, Shoya à sa grande solitude et à son incapacité à communiquer. 

À nouveau, le tome est centré sur Shoya, dont les questions sur l’amitié et sa propre capacité à se lier semblent sans fin. Le jeune homme aimerait ne pas s’attacher mais, force est de constater qu’il s’amuse tout de même un peu et peut même avoir des pensées futiles de jeune homme de son âge. De plus, il confronte sa propre expérience à ce qu’il observe : il note que Shoko, quoique sourde, semble n’avoir aucun problème à se faire des amis.

En fait, la communication est vraiment au centre des préoccupations. D’une part parce que Shoko ne peut communiquer aussi aisément qu’elle le voudrait, évidemment, mais surtout par le jeu sur les différents types de communications mis en scène par l’auteur. Si Shoko est obligée de passer par la langue des signes (ce qui implique que son interlocuteur la connaisse et diminue ses possibilité de communication), on remarque que Shoya, non entravé, a en fait beaucoup plus de mal à communiquer avec les autres que son amie ! Comme quoi, la parole n’est pas tout.

Autre thème central dans ce volume, et qui revient après avoir été mis en sourdine : le harcèlement. La sortie réunit Shoko et Naoka, qui a fait partie de ses tortionnaires à l’école. Or, on l’a vu, Naoka aimerait que Shoya revienne sur ses bons sentiments et pense que Shoko ne mérite guère mieux que d’être continuellement maltraitée. Les paroles de la jeune fille sont violentes et son opinion est assez dérangeante. Mais là où cela devient encore pire, c’est lorsque se fait un lien entre le présent et l’histoire de Shoko. Au cours d’une brève analepse, on assiste aux accusations auxquelles la mère de Shoko a dû faire face lorsqu’il s’est avéré que sa fille était sourde et qui ont conduit le géniteur des deux fillettes, pleinement soutenu par sa propre famille, à abandonner ce qu’il considérait comme une honte pour son nom. Ce qui en dit long sur les mentalités sur le handicap…

À l’issue de ces deux tomes, on a l’impression de ne plus rien ignorer des mentalités des différents personnages. Le volume 4 finit sur une note légèrement plus joyeuse que le précédent, mais pas avec moins de suspens !

A Silent voice #4, Yoshitoki Oima. Traduit du japonais par Géraldine Oudin.
Ki-oon, 2015, 208 p. 

 

◊ Dans la même série : A Silent voice (1 & 2) ;

Your lie in april #1 et #2, Naoshi Arakawa

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À 11 ans, Kôsei Arima est déjà un virtuose du piano. Formé avec la plus grande sévérité par une mère qui lui inflige d’interminables séances de répétition, il écume inlassablement tous les concours nationaux, où son talent éblouit les juges. Mais le jour où sa mère meurt d’une longue maladie, il perd complètement la faculté de jouer de son instrument.
Quelques années plus tard, son chemin croise celui de Kaori, une violoniste dont l’approche de la musique diffère totalement de la sienne. Alors que Kôsei est une véritable machine qui sait restituer les partitions à la perfection, Kaori, elle, préfère s’approprier les œuvres et les réinterpréter à sa manière… La rencontre avec cette jeune fille au caractère explosif va bouleverser les certitudes de Kôsei et redonner un sens à sa vie !

Voilà un manga qui, franchement, ne paye pas de mine : vous, je ne sais pas, mais les couvertures super girly m’ont fait tiquer. Mais la curiosité l’a emporté et… je ne regrette pas le moins du monde !

Ce premier volume pose vraiment l’univers ; on y découvre les personnages, notamment Kôsei, le protagoniste et Tsubaki, sa meilleure amie. Ils vivent leur petite vie de lycéens, voient des amis, étudient, s’amusent. Tsubaki doit présenter une jeune fille à un de leurs amis communs ; elle convainc Kôsei de l’accompagner, afin qu’elle ne tienne pas seule la chandelle. Et c’est là que Kôsei fait la rencontre de Kaori, une jeune violoniste.
Coup de foudre ! Vous y avez cru, non ? Mais non, pas de coup de foudre. Mais un début d’amitié sur la musique. Les contraires s’attirent, et il serait difficile de trouver plus différent que Kôsei, le perfectionniste et Kaori, l’instinctive !

Le manga est très rafraîchissant : le dessin est doux, l’histoire est réaliste et mignonne et le quotidien se mêle vraiment bien à l’intrigue générale. Le gros point fort, c’est donc l’attention portée à la musique !
Le découpage est relativement classique, mais change du tout au tout pour les scènes musicales : plus serré, plus dynamique, il rend les scènes quasiment épiques ! De plus, la musique est vraiment bien représentée : les émotions, les jeux dans l’interprétation, tout y est. Ne manque que le son !

On n’apprend seulement dans les dernières pages le secret de Kôsei… et ça rend le manga d’autant plus prenant car, une fois que l’on sait, on ne peut que se demander ce qu’il va advenir !

À partir de là, je spoile le secret de Kôsei (mais a priori, la plupart des présentations le spoilent également !). 

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Kaori semble bien décidée à faire de Kôsei son accompagnateur officiel pour la suite du concours Towa !
Malgré le refus du jeune garçon, Kaori ne se démonte pas et finit par le convaincre de remonter sur scène. Seul problème, et de taille : Kôsei ne s’entend toujours pas jouer… Dans ces conditions, ont-ils vraiment une chance de passer les éliminatoires ?

La majeure partie de cet opus montre le fameux concours Towa durant lequel Kôsei et Kaori se produisent sur scène. A nouveau, on y trouve une représentation presque épique de la musique, alternant entre le plaisir manifeste de Kaori et le stress intense de Kôsei. Celui-ci se pose également une foultitude de questions, se demandant s’il est réellement à la hauteur du talent incandescent de Kaori.
En contrepartie, la seconde partie semble un peu moins dynamique et hyper-vitaminée. Ce temps plus calme sert à développer les personnages et leur vie d’ado presque normaux.

Ainsi, on s’intéresse à Kaori et Kôsei en-dehors de leurs talents de musiciens car, comme dit Tsubaki, la meilleure amie, Kôsei a des talents autres que la musique. La relation que celui-ci entretient avec la musique est vraiment passionnante : d’un côté, on sent qu’il ne peut vivre sans ; de l’autre, il refuse de s’y remettre réellement. Ce tiraillement l’empêche de savoir où il en est… et c’est bien sûr le point fort du manga !  Et inutile de préciser que ce n’est pas à la fin du tome 2 que Kôsei a résolu son problème, même si Kaori fait de gros efforts pour le sortir de sa torpeur – de préférence en soignant le mal par le mal !

En conclusion, Your lie in april est un manga qui parle vraiment bien de musique, en la représentant avec une incroyable énergie ! C’est relativement drôle et c’est aussi plutôt fin sur l’aspect psychologique. Après ces deux tomes de mise en bouche, je suis assez curieuse de voir comment la relation semi-professionnelle de Kaori et Kôsei va évoluer et surtout comment Kôsei va se remettre sérieusement au piano !

Your lie in april #1 & 2, Naoshi Arakawa. Traduit du japonais par Géraldine Oudin.
Ki-oon, avril 2015.

A Silent voice #1-2, Yoshitoki Oima

 

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Shoko Nishimiya est sourde depuis sa naissance. Même équipée d’un appareil auditif, elle peine à saisir les conversations, à comprendre ce qui se passe autour d’elle. Effrayé par ce handicap, son père a fini par l’abandonner, laissant sa mère l’élever seule. Quand Shoko est transférée dans une nouvelle école, elle s’emploie à surmonter ses difficultés mais, malgré ses efforts pour s’intégrer dans ce nouvel environnement, rien n’y fait : les persécutions se multiplient, menées par Shoya Ishida, le leader de la classe.
Tour à tour intrigué, fasciné, puis finalement exaspéré par cette jeune fille qui ne sait pas communiquer avec sa voix, Shoya décide de consacrer toute son énergie à lui rendre la vie impossible. Psychologiques puis physiques, les agressions du jeune garçon se font de plus en plus violentes… jusqu’au jour où la brimade de trop provoque une plainte de la famille de Shoko, ainsi que l’intervention du directeur de l’école.
À cet instant, tout bascule pour Shoya : ses camarades, qui jusque-là ne manquaient pas eux non plus une occasion de tourmenter la jeune fille, vont se retourner contre lui et le désigner comme seul responsable…

Le premier volume de A Silent voice prend la forme d’une longue analepse. Au début de l’histoire, Shoya rencontre Shoko, alors qu’ils sont désormais au lycée. Cette rencontre va pousser Shoya à se remémorer la façon dont Shoko et lui se sont rencontrés, puis côtoyés, et la façon dont il lui a rendu la vie absolument impossible.
Ne vous fiez pas à l’aspect tout doux de la jaquette… l’histoire est beaucoup plus dure qu’il n’y paraît.

Car Shoya n’a aucune limite. Et ce qui est terrifiant, c’est que personne (camarades, professeurs, responsables de l’école…) ne lui en donne. Shoya commence par titiller Shoko, avant de devenir plus pressant – pour tenter de déterminer son degré de handicap. Au fil des jours, et de son incompréhension qui monte, il devient de plus en plus inventif dans les brimades à faire subir à sa camarade. Tout ça avec, semble-t-il, l’approbation tacite de son entourage. Dit comme cela, le sujet peut sembler franchement glauque. Mais le manga ne présente pas seulement un vaste catalogue des brimades et autres violences à appliquer à ses camarades.
En fait, c’est l’angle choisi qui rend le manga passionnant : il ne faut pas oublier que l’histoire nous est racontée par le Shoya de 18 ans, qui a donc un certain recul critique. De plus, même enfant, il finit par se heurter à sa conscience (aidé en cela par la classe qui se retourne subitement contre lui), et remâchera ses errements toute sa jeunesse. Et cet angle de vue rend l’histoire nettement plus prenante que s’il était seulement question de Shoko, victime de ce harcèlement scolaire, qui nous contait son histoire ou s’il était seulement question de mettre en scène le harcèlement scolaire.

J’ai aimé le trait qui rend vraiment bien les émotions – notamment celles de Shoko, que l’on lit directement sur son visage.  En plus, le découpage est assez dynamique, donc malgré l’absence d’action proprement palpitante, les pages défilent sans problème.

Le premier volume est vraiment un tome d’exposition. Mais, malgré cela, l’histoire est très prenante, et le thème extrêmement bien traité. Là où l’auteur frappe très fort, c’est que l’on finit par comprendre Shoya… et à s’attacher à lui, aussi odieux a-t-il été enfant. La fin revient à la rencontre du début : on a la sensation d’en savoir beaucoup plus, tout en ayant conscience que le vif de l’histoire n’a pas encore démarré.
Quoi qu’il en soit, ce premier volume est très réussi !

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Shoya a compris ce qu’il a fait, et a fait pénitence. Son objectif est clair : il doit retrouver Shoko, s’excuser… et mettre fin à ses jours. 

À nouveau, ne pas se fier à la couverture. Je craignais que ça ne tourne bêtement à la romance mais, ouf ! Ce n’est pas le cas.

On retrouve donc Shoya au moment où il rencontre Shoko, dans son établissement, et lui présente ses excuses. La façon dont il les présente montre le travail qu’il a effectué sur lui, qui ne manque pas de surprendre (Shoko, comme le lecteur, d’ailleurs).
L’histoire va permettre de développer d’autres personnages, comme le camarade de classe de Shoya, ou le petit ami surprotecteur de Shoko. Ce volume est également plus riche en sentiments : Shoya se heurte à la fureur (compréhensible) de la mère et du petit ami de Shoko, à celle de sa propre sœur, mais aussi à la sollicitude de son camarade de classe et, curieusement, celle de Shoko. Les relations entre personnages sont vraiment plus fouillées que dans le premier volume : celles de Shoya a son entourage, bien sûr, a son importance, mais la plus touchante est probablement celle qui unit Shoko à sa sœur.

Difficile de définir ce qu’il y a entre Shoya et Shoko mais il est évident que la relation s’étoffe. Le volume est assez introspectif, et pousse à s’interroger sur ce que sont les relations fraternelles et l’amitié, ou sur l’importance de la communication (Shoko étant sourde, ce thème a donc toute son importance). Les personnages se posent beaucoup de questions pertinentes, qui font avancer l’histoire. Malgré cet aspect très psychologique, le volume est très prenant, car il y a plein de petites péripéties (dramatiques ou comiques), et le découpage très dynamique permet de ne pas s’ennuyer.
Le volume finit à nouveau en plein suspens… ça va être long d’attendre le tome suivant !

A silent voice démarre donc très bien ! Le trait tout en douceur et rondeurs contraste avec la violence de l’histoire, qui est mise en scène avec intelligence et sans pathos. Les questions que se posent Shoya et les autres, sur leur comportement, l’amitié, ou la communication, sont finement traitées. Le découpage est dynamique et, même si ce n’est pas bourré d’action, on ne s’ennuie pas un instant. La série est terminée au Japon, en 7 volumes… et on attend impatiemment la suite, annoncée pour le mois de mai !

A Silent voice, tomes 1 et 2, Yoshitoki Oima. Traduit du japonais par Géraldine Oudin. Ki-oon, 2015, 192 p.

 

◊ Dans la même série : A Silent voice (3-4) ;

Erased #1-3, Kei Sanbe

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2006. Aspirant mangaka dont la carrière peine à décoller, Satoru Fujinuma travaille comme livreur de pizzas pour joindre les deux bouts. Effacé et peu enclin à s’ouvrir aux autres, il observe le monde qui l’entoure sans vraiment y prendre part. Pourtant, Satoru possède un don exceptionnel : à chaque fois qu’un incident ou une tragédie se déroule près de lui, il est projeté quelques minutes dans le passé pour trouver ce qui cloche et empêcher l’inévitable avant qu’il se produise…

Cette anomalie de l’espace-temps lui vaut un séjour à l’hôpital le jour où, pour rattraper le conducteur d’un camion fou, il est percuté par un autre véhicule de plein fouet. Après l’accident, petit à petit, les souvenirs effacés de l’enfance traumatisante de Satoru resurgissent…

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 Le premier volume est essentiellement un tome introductif. On y découvre Satoru, son petit job de livreur de pizzas et… son don. Les premières pages sont un peu confuses, car les scènes se répètent (après tout, c’est la base du don de Satoru), avec quelques détails présentés sous un angle différent, ce qui fait que la chronologie n’est pas toujours instinctive.
Et cette impression va se poursuivre : l’accident de Satoru, la répétition d’épisodes de retour en arrière, et l’arrivée de sa mère vont faire resurgir des souvenirs d’enfance que Satoru avait préféré enfouir. Cette fois, l’impression de confusion ne vient plus du fait qu’il y a des répétitions que l’on a du mal à bien comprendre, mais plutôt de l’histoire morcelée qui commence à prendre forme. Et, si le départ pouvait sembler quelque peu ardu, la suite met carrément l’eau à la bouche. Il y a sans aucun doute une histoire assez sombre dans le passé de Satoru, et on a hâte de savoir comment son passé va s’articuler avec son présent, et son don particulier.

Le premier volume tourne autour de 3 personnages : Satoru âgé de 28 ans, sa mère – qui, elle, sait ce qu’il y a dans le passé de son fils – et Airi, une lycéenne qui travaille avec Satoru. Si, bien sûr, c’est Satoru qui a le rôle titre, il est intéressant de voir que les deux figures féminines ne sont pas délaissées ; Satoru n’est pas particulièrement sympathique mais, curieusement, c’est bien pour cela qu’on s’intéresse à ses aventures. Car malgré un côté asocial très prononcé, ses réflexions ne manquent pas d’intérêt, et ses préoccupations non plus !
Côté graphismes, les tons plutôt sombres et les décors urbains fouillés viennent souligner l’ambiance assez prenante du thriller, mais on regrettera que les visages ne soient pas toujours très soignés (notamment celui de la mère de Satoru).

Impossible d’évoquer ce premier tome d’Erased sans parler de la fin… le suspens prend doucement mais, une fois qu’il s’installe, il ne quitte plus le lecteur. Le volume s’achève en apothéose, sur un retournement de situation aussi brutal qu’inattendu ! Au vu de la fin, on ne peut qu’avoir envie d’en savoir plus !

Erased #1, Kei Sanbe. Traduit du japonais par David Le Quéré. Ki-oon, 2014, 200 p.

Attention, ce qui suit contient des spoilers sur la fin du premier volume.


Intriguée par ce qui semble être une tentative de kidnapping, la mère de Satoru commence àerased-2-kei-sanbe se poser des questions sur la série de meurtres qui a secoué Hokkaidô 18 ans plus tôt. Et si la justice ne tenait pas le vrai coupable ? Mais celui-ci l’a reconnue : avant qu’elle ait pu mener l’enquête, elle est assassinée. Satoru, arrivé sur les lieux juste après le drame, se retrouve alors propulsé à l’époque de son enfance, quelques jours avant la disparition tragique d’une de ses camarades de classe ! Désormais convaincu que les meurtres sont liés, il va tout faire pour changer le cours des choses…

 

Ce second volume exploite un peu plus le pouvoir de Satoru, puisque celui-ci est projeté 18 ans auparavant, dans son corps d’enfant, avec la certitude qu’il doit empêcher la disparition de sa petite camarade de classe, Kayo.
Le grand intérêt du volume, c’est de voir comment Satoru va tenter, par tous les moyens à sa disposition, d’infléchir le destin de Kayo, parfois en changeant carrément les événements… et parfois, en arrivant exactement aux mêmes résultats (à son grand désespoir).

L’histoire va permettre de questionner les souvenirs d’enfance : Satoru a complètement oublié certains événements de sa jeunesse, alors que d’autres points sont beaucoup plus marquants. C’était déjà amorcé dans le premier tome, évidemment, puisque Satoru redécouvrait totalement cette affaire occultée. Mais là, en étant confronté de nouveau à sa vie d’enfant, Satoru va pouvoir comparer les souvenirs qu’il a, avec ceux qui remontent à sa mémoire.
Ce retour permet également de nuancer les personnages : présentée comme une sorte de mégère dans le premier volume, la mère s’humanise nettement ici. Satoru, de son côté, est nettement plus sympathique ! Le décalage entre son personnage d’enfant et ses réactions d’adulte ne manque pas de piquant, et occasionne quelques passages assez drôles – dans une ambiance plutôt tendue.

Par rapport au premier tome, celui-ci est nettement plus calme et posé, on est toujours dans la lignée du volume introductif. Mais ce n’est pas long pour autant ! L’intrigue est fournie, on cherche comment Satoru va débloquer la situation, et on s’attache aux personnages. De plus, les graphismes semblent plus soignés que dans le premier tome.
Le volume s’achève, encore une fois, en apothéose. L’auteur termine ce tome sur un sentiment de plénitude bien agréable. Avant de replonger le lecteur dans l’angoisse, et ce seulement en deux pages. La conclusion est magistrale et… on veut savoir la suite ! La bonne découverte du tome 1 se confirme donc !

Erased #2, Kei Sanbe. Traduit du japonais par David Le Quéré. Ki-oon, 2014, 192 p.

 

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Aidé par ses camarades de classe, Satoru réussit à se rapprocher de Kayo. Et la fillette survit au 1er mars !

Mais Satoru crie victoire trop vite. Kayo disparaît le 3 mars… et celui-ci est à nouveau projeté dans le présent, en 2006, alors qu’il est en cavale. Pourquoi la rediffusion l’a-t-elle projeté 18 ans plus tôt ? Pourquoi a-t-elle échoué ?

 

Retour au présent et, cette-fois, on nage en plein thriller, Satoru étant recherché pour le meurtre qui clôt le premier volume. Une seule certitude, le meurtrier est à Chiba, et Satoru l’a probablement déjà croisé.
Avec la complicité d’Airi, il tente de le débusquer, et s’enferre peu à peu dans la clandestinité.

La tension est palpable de bout en bout ; autant, dans le tome précédent, on était tenus par l’envie de savoir ce qui allait se passer pour Kayo, autant là c’est du suspens pur. L’ambiance est même un tantinet angoissante : les scènes de fuite, de course-poursuite ou d’esquive sont nombreuses et bien menées, et le découpage des pages souligne ce suspens très prenant.

Les décors sont, à nouveau, très soignés, et accentuent l’atmosphère angoissante qui se dégage des pages. L’enquête progresse nettement, on sent qu’on touche presque au but… et la fin, encore une fois, offre un rebondissement maîtrisé et qui laisse le lecteur plein de questions !

Erased #3, Kei Sanbe. Traduit du japonais par David Le Quéré. Ki-oon, 2014, 190 p.

Voilà une série vraiment prenante ! Le thème du voyage dans le temps est assez léger, mais donne lieu à une intrigue passionnante : l’enquête est bien menée, le suspens est au rendez-vous dans les trois tomes, et on termine chaque volume avec l’envie de savoir comment tout cela se goupille. Le trait de Kei Sanbe est maîtrisé, mais ses visages d’adultes semblent moins réussis que ses personnages enfants. Les décors, de leurs côtés, sont splendides ! Dans ces trois tomes hautement prenants et efficaces, je note une petite préférence pour le second, à l’atmosphère délicieusement mélancolique, tandis que Satoru revisite son enfance. Le tome 4 sort en février, et il va sans dire que j’attends de pied ferme la suite de cette série uchronique !

◊ Dans la même série : tomes 4 et 5 ;