Mourir sur Seine, Michel Bussi.

Sixième jour de l’Armada. Un marin est retrouvé poignardé au beau milieu des quais de Rouen Quel tueur invisible a pu commettre ce crime impossible ? Quel étrange pacte semble lier les matelots du monde entier ? De quels trésors enfouis dans les méandres de la Seine sont-ils à la recherche ? Quel scandale dissimulent les autorités ? Une implacable machination qui prend en otage 8 millions de touristes. Une course effrénée contre la montre avant la parade de la Seine.

Depuis que je travaille en bibliothèque, j’essaie de lire un peu « ce qui sort » et s’il y a bien un auteur très emprunté au rayon polar, c’est Michel Bussi. J’ai donc profité d’un temps de travaux pour écouter Mourir sur Seine… et heureusement que j’étais suspendue à mon pinceau à un bout de la pièce, cela m’a évité de coller des coups de pieds dans l’enceinte tant cette lecture m’a agacée !

Et pourtant, cela partait bien, avec une introduction digne d’un roman noir : une famille se promène en bord de Seine, le père et la fille plongent et, à leur sortie de l’eau, la mère est retrouvée morte, victime d’un accident de chasse.
Le premier chapitre, quant à lui, nous entraîne des années plus tard, à Rouen, en pleine Armada, un rassemblement international de grands voiliers qui a lieu tous les quatre à six ans. Évidemment, on se doute que les deux situations vont être liées… sauf qu’il n’en est rien (à part dans les tous derniers chapitres), ce qui m’a laissé un sentiment amer de construction superficielle. La résolution est expédiée en deux coups de cuiller à pot, on nous ressort un coupable en or de sous le coude et les liens entre la situation du passé et la série de meurtres en cours sont aussi ténus que mal amenés. Mais alors que se passe-t-il durant l’essentiel du roman, qui fait quand même quelques 400 pages ?
Eh bien pas grand-chose.

Le récit alterne de façon extrêmement classique entre les points de vue (externes) des deux personnages principaux : d’une part le commissaire Paturel, en proie avec cette enquête et ses problèmes de garde de ses deux bambins (dont la charge de la recherche revient généralement… à sa secrétaire. Pour un mec qui se plaint du sexisme dont il fait les frais en tant que père célibataire, bravo !) ; de l’autre, Maline Abruzze, jeune et sémillante journaliste au Seinomarin, qui va elle aussi se piquer d’enquêter sur cette histoire de marins occis et de possible trésor pirate.

« Quoi ? hurla encore le commissaire. Ne venez pas me dire qu’en plus, vous n’avez pas réussi à trouver de baby-sitter pour mes gosses lorsqu’ils vont se réveiller ! Sinon, j’envoie un fourgon et je les amène dans votre bureau, Sarah. Et je mets trois plantons à jouer aux gendarmes et aux voleurs avec eux. Au point où l’on en est… »

Car il faut le reconnaître, l’emballage est alléchant. Il apparaît rapidement que les meurtres cachent une histoire de piraterie moderne, avec tous les codes et secrets qui vont avec ; ces pirates recherchent un trésor historique enfoui aux abords de la scène et dont la mythologie remonte à la présence des Vikings en Normandie ; il y a tout un pan de l’histoire liée à la philosophie pirate, à la colonie Libertalia, aux codes d’honneur, etc. Et tout ceci débouche sur une vraie chasse au trésor ! Mais malheureusement, c’est aussi très brouillon. Outre ces histoires hyper romantiques de pirates, on nous parle des trafics d’intérêt autour de l’Armada, de vengeances entre les uns les autres. Tout se mêle et s’entremêle dans un récit parfois confus. Autant je comprends l’intérêt de multiplier les fausses pistes, autant un scénario un peu plus resserré sur les véritables enjeux (et pas une sorte d’immense fourre-tout) aurait été bien plus prenant, car tout cela induit des longueurs devant lesquelles il est difficile de ne pas renoncer.

D’autant que le récit fait la part belle à la Normandie en général, à la ville de Rouen en particulier. Ah, c’est sûr, une fois la dernière piste écoutée, j’avais très envie de prendre ma valise et de faire une virée en Normandie. L’aspect guide touristique m’a (limite !) plus intéressée que l’enquête en cours, c’est dire ! Et je ne suis pas certaine que ce soit franchement une qualité pour un roman policier.

Mais ce n’est pas le point qui m’a le plus suprêmement agacée. Non, vraiment, ce qui m’est très clairement sorti par les trous de nez, c’est le traitement des personnages. Alors que le récit se veut moderne et engagé, c’est raté sur tous les plans : la figure du commissaire Paturel, en père célibataire encombré de ses deux mouflets dont il ne sait que faire, se veut moderne et engagée… Pour se plaindre du sexisme dont il est soi-disant victime, lorsque le centre de loisirs l’avertit que la structure ferme à 18h30 et qu’il n’y a pas de rab. Euh, pardon ? En tant que policier on doit connaître le concept de règle et de vie en collectivité, j’imagine ? Ce n’est pas du sexisme, ça !
Les personnages féminins sont tous ou presque décrits par le prisme de leurs postérieurs ou de leurs seins (sinon ce sont de vieille dames très respectables donc on se fiche de leurs attributs). C’est particulièrement visible avec Maline Abruzze, la journaliste, dont les courbes affolantes, la peau bronzée et les jambes fuselées sont décrites plus souvent qu’à leur tour. Avec une condescendance incroyable (car oui, elle a de longues jambes, mais une « pauvre petite tête ». Du coup c’est si duuuur de réfléchir !). Et le pompon sur la Garonne, c’est que les personnages pensent plus avec le contenu de leur slip qu’avec celui de leur cerveau ! On dirait un mauvais roman young-adult, ou alors un récit qui a hésité de bout en bout en polar et romance, sans jamais trancher. Bref : extrêmement agaçant. J’avoue qu’à la énième description corporelle, j’étais prête à abandonner cette lecture (mais je voulais savoir où on allait avec cette histoire de pirate et, malheureusement : nulle part).

Rencontre ratée, donc, avec Michel Bussi, dont ce titre m’aura plus ennuyée/agacée – une combinaison assez improbable s’il en est – que passionnée. Le style fade, l’intrigue confuse et artificielle, les personnages trop peu développés (les récits de pensée sont incroyablement répétitifs) et le côté « guide touristique » ne m’ont clairement pas convaincue. Je ressors de là avec certes l’envie de visiter la Normandie, mais pas tellement celle de me replonger dans l’œuvre de l’auteur (il se trouve que j’ai un autre roman de l’auteur, et pas fini mes travaux, donc qui sait !). Pas le polar du siècle, en somme !

Mourir sur Seine, Michel Bussi. Lizzie, septembre 2020, 745 min. Lu par Julien Châtelet.

Si vous avez aimé (le style guide touristique), vous aimerez peut-être :

Dune, Le Cycle de Dune #1, Frank Herbert.

Il n’y a pas, dans tout l’Empire, de planète plus inhospitalière que Dune. Partout des sables à perte de vue. Une seule richesse : l’épice de longue vie, née du désert, et que tout l’univers convoite.
Quand Leto Atréides reçoit Dune en fief, il flaire le piège. Il aura besoin des guerriers Fremen qui, réfugiés au fond du désert, se sont adaptés à une vie très dure en préservant leur liberté, leurs coutumes et leur foi. Ils rêvent du prophète qui proclamera la guerre sainte et changera le cours de l’Histoire.
Cependant les Révérendes Mères du Bene Gesserit poursuivent leur programme millénaire de sélection génétique : elles veulent créer un homme qui réunira tous les dons latents de l’espèce. Le Messie des Fremen est-il déjà né dans l’Empire ?

2020 a été l’occasion d’enfin terminer Le Seigneur des Anneaux (non, toujours pas chroniqué), 2022 celle de d’enfin, enfin, s’attaquer à ce monument de la SF qu’est Dune. Aita, si tu passes par là : tu vois, fallait pas désespérer, j’ai fini par suivre tes conseils de lecture !

Première chose : l’univers ! Commencer Dune, c’est sauter dans un univers aussi immersif qu’étonnant. L’intrigue se déroule sur la planète Arrakis, plus familièrement nommée Dune, en raison des sables qui la recouvrent, de la chaleur infernale qui y règle et de la sécheresse permanente qui va avec (ce qui, aujourd’hui, a des petits accents angoissants en plus). Arrakis, c’est donc la planète sur laquelle le Duc Leto et sa famille sont expédiés – selon le bon vouloir de l’empereur. Un caillou qui, jusque-là, appartenait à la dynastie Harkonnen… cousins et ennemis jurés des Leto. Vous la voyez, la bonne ambiance ? Mais on y reviendra plus tard ! Sur Arrakis, les Leto – et les lecteurs – doivent se familiariser avec des us bien ancrés, pas toujours faciles à suivre, et majoritairement liés à l’eau (ou du moins à son absence). Le côté dépaysant fonctionne donc à plein.
J’ai été assez frappée par cet univers, qui présente un curieux mélange. D’un côté on est en plein dans un univers féodal : l’empereur fait ce qu’il veut de sa flopée de Ducs vassaux, il y a une Guilde surpuissante, et on nage dans les complots et intrigues des uns contre les autres. En face, on est résolument dans un univers très SF, avec force voyages interstellaires et technologies très avancées. Il y a donc un petit côté Moyen âge intergalactique, que j’ai trouvé surprenant et passionnant !

D’ailleurs, le récit n’a rien à envier aux formes favorites de la fantasy, avec ses prophéties obscures mais très présentes, cette figure d’élu appelé à régner (et dont on soupçonne qu’il pourrait s’agit de Paul), et les différents ordres quasi-mystiques qui se partagent la scène (parmi lesquels les mentats, les Bene Gesserit et, dans une certaine mesure, les Fremen). Ces derniers, nomades, règnent sur les plaines désertiques de la planète, grâce à leurs distilles (sortes d’armures intégrales permettant de récupérer et recycler l’eau issue de leurs sécrétions) et sont reconnaissables à leurs yeux très bleus, en raison de l’omniprésence de l’épice dans l’air qu’ils respirent. Le Bene Gesserit, de son côté, est un ordre matriarcal millénaire, aux motivations et aux actions obscures. Ses adeptes, les Sœurs, pratiquent l’eugénisme et œuvrent dans l’ombre afin que la politique corresponde à leurs aspirations et aux prophéties dont elles sont les gardiennes. En bref : la mystique est bien présente, ce qui fait que le roman oscille sans arrêt entre cet aspect et la science, accentuant l’effet « moyen-âge intergalactique » cité un peu plus haut.

Tout cela est donc bien trapu et, sans trop de surprises, la galerie de personnages est à l’avenant. Ils sont très nombreux (et il faut un peu de concentration au départ pour bien situer tout le monde), mais aussi très fouillés. Sans aller jusqu’à l’arc narratif personnel, ils ont des enjeux, des caractères qui leur sont liés – et c’est bien ce qui rend le roman si prenant. D’autant que s’ils sont nombreux dans la toile de fond, le récit ne tarde pas à se centrer sur quelques figures plus marquantes, dont on va suivre les différentes trajectoires (car, joie, le narrateur est omniscient, et c’est bien le mode que je préfère).
La première partie du roman est plutôt introductive et, soyons honnête, il faut bien ça pour intégrer non seulement les tenants et aboutissants du récit, mais aussi les relations entre les personnages. Comme je le disais plus haut, non seulement ils ont leurs enjeux personnels, mais il y a aussi différents « clans » (si l’on peut dire), qui complotent les uns contre les autres. Mais même si on sent l’introduction, ce n’est ni long ni pénible à lire, tant le suspense est présent. Évidemment, il y a la petite technique des annonces programmatiques qui fait beaucoup : chaque chapitre s’ouvre sur une citation d’un livre de référence concernant Muad’Dib (l’élu), écrit a posteriori par la princesse Irulan (une des filles de l’empereur). Chaque citation éclaire donc un aspect du récit… tout en annonçant la couleur de certains événements. Suspense garanti ! Mais l’autre élément qui fonctionne à plein, c’est la dimension tragique de l’ensemble. A plusieurs reprises, j’ai eu l’impression de lire une tragédie grecque, sur fond de conflit intergalactique. Il y a un côté implacable dans le récit, une sorte de fatalité qui s’abat sur les personnages et entraîne irrémédiablement l’intrigue… et c’est très prenant.

Pour finir, je dois préciser que je n’ai pas lu le roman (hanlala !) mais que je l’ai écouté, dans la version lue par Benjamin Jungers. C’est très bien lu même si, comme souvent lorsqu’il s’agit d’un lecteur, les voix de femmes ne sont pas terribles (elles ont toujours l’air d’être en train de geindre). Malgré ce petit bémol, je suis prête à signer pour la suite en audio-lecture !

Je ne vais pas révolutionner le monde de la chronique en écrivant que Dune est un chef-d’œuvre de la SF (d’ailleurs, l’encre a déjà beaucoup coulé sur ce roman et produit de nombreuses analyses passionnantes). J’ai adoré la plongée dans cet univers passionnant, qui mélange monde féodal et science-fiction la plus pointue. L’intrigue, très riche, s’est révélée passionnante, et m’a donné follement envie d’en savoir plus. J’ai longtemps repoussé cette découverte (peur du pavé et de la complexité) et aujourd’hui, j’ai du mal à comprendre ce qui m’a freinée, tant la lecture a été fluide et prenante !

Le Cycle de Dune #1, Dune, Frank Herbert. Traduit par Michel Demuth et lu par Benjamin
Jungers. Lizzie, 2019, 1080 et 420 minutes.