Les Abîmes d’Autremer, l’intégrale, Danielle Martinigol.

Suite et fin de cette relecture, avec le troisième et dernier tome de la série des Abîmes d’Autremer (celui des trois que j’ai le moins relu, et qui m’a donc réservé le plus de nouvelles re-surprises !).

L’Appel des Abîmes

Dix ans ont passé depuis L’Envol de l’Abîme. Aëla Maguelonne est désormais une fougueuse jeune femme de dix-neuf ans qui pilote avec audace son majestueux Abîme Noir, le redoutable Jang-al. Mais celui-ci porte à sa perl un amour possessif qui va le rendre rapidement incontrôlable.
Nièce du directeur de MGTCom, une puissante chaîne de cosmovision ennemie jurée des Autremeriens, Chaddy est une jeune reporter surdouée de quinze ans qui, avec sa biocam, traque le scoop, et tout particulièrement les excès d’Aëla. Mais pourquoi est-elle ainsi fascinée par la famille Maguelonne ? Lorsque Aëla rencontre de mystérieux Abîmes venant d’une autre galaxie, pilotés par des extraterrestres, MGTCom se répand en délires xénophobes. Entre Autremer et sa famille, dans quel camp Chaddy va-t-elle se ranger ?

Et hop, de nouveau un bon dans le temps, de dix ans cette fois-ci.
Les Maguelonne sont toujours présents, évidemment, et on suit de nouveau le trio Corian, Aëla, Djem. Le premier est devenu représentant d’Autremer à la CCME, le dernier un journaliste émérite enseignant dans une école de journalisme très prisée. Quant à Aëla… son osmose précoce avec Jang-al a certes contribué à renforcer sa réputation de « petite fée des Abîmes », mais ne suffit pas à couvrir toutes les frasques du duo infernal (pour le plus grand désespoir de ses parents).

L’intrigue, cette fois, s’articule autour de deux axes. D’un côté, un voyage spatial en perspective pour chercher l’origine des Abîmes extraterrestres qui croisent au large (l’occasion, pourquoi pas, de retourner voir l’autre planète aux Abîmes trouvée dans le tome précédent). De l’autre, le vieil antagonisme entre le clan Meretta, possesseur de la chaîne MGTCom, et les Autremeriens. Varsos, le patriarche, n’a jamais pardonné aux Maguelonne sa destitution de la présidence de la CCME. Myto Meretta, le fils (le bien-nommé), a une dent contre Sandiane, à la fois comme journaliste et comme Perl. Et l’héritage familial est entre de bonnes mains car Chaddy, la nièce du précédent, a de bonnes raisons d’en avoir après les Maguelonne, ce qui la pousse à traquer Aëla et à filmer ses nombreuses infractions. Si Sandiane avait fini par s’amender, on retrouve en Chaddy son aplomb absolu, son côté rentre-dedans et son mépris pour la vie privée (qui doit s’effacer, selon elle, devant la nécessité d’informer).

De fait, le poids des média est plus que jamais au centre de l’intrigue, Myto Meretta ne reculant devant rien pour atteindre ses fins (y compris le mensonge), à savoir la mise à terre non seulement du clan Maguelonne, mais aussi des Abîmes en général.
L’écologie, la conquête spatiale et la relation avec une espèce extraterrestre reviennent elles aussi au centre du récit. J’ai d’ailleurs trouvé qu’on renouait avec le côté très poétique qu’il y avait dans le premier tome, et qui avait un peu disparu du tome intermédiaire. Le côté politique qui m’avait un peu manqué dans le premier tome est ici beaucoup plus présent puisque la découverte faite par les Autremeriens va avoir des impacts sur l’ensemble des planètes colonisées. D’ailleurs, c’est aussi ce qui fait tellement monter le suspense, puisqu’Autremer est directement menacée (par les autres planètes des Cent Mondes, et non par les découvertes extraterrestres qui sont faites).

Les bonds dans le temps sont vraiment intéressants, car on suit l’évolution des personnages, dont les centres d’intérêt évoluent légèrement au fil des tomes. Ainsi, Corian, Djem et Aëla qui s’entendaient comme larrons en foire dans le tome précédent, se sont séparés au fil des ans à force de non-dits et petits désaccords, chacun ayant sa vision des choses concernant les Abîmes ou les relations humaines. Si l’intrigue est portée par les axes cités un peu plus haut, les relations humaines en sont vraiment le moteur, car elles alimentent à la perfection péripéties et rebondissements – et c’est sans doute ce qui donne à cette série cet aspect si humaniste.

Ce dernier tome est mené tambour battant : entre l’enquête sur les Abîmes, la lutte contre les Meretta, les dissensions au sein de la galaxie et les frasques d’Aëla, impossible de s’ennuyer. Il faut aussi dire que le style extrêmement fluide de Danielle Martinigol rend la lecture particulièrement aisée et incite à avaler les chapitres !

Si vous lisez le roman dans la version intégrale, vous trouverez en fin de volume une nouvelle additionnelle : « L’Enfant et l’Abîme ». Pas de grande surprise dans ce texte, dont l’histoire a été résumée par Madery à Sandiane dans le premier opus. On y découvre la vie des tous premiers colons sur Autremer, leur découverte des Abîmes et la première osmose – entraînée par un Abîme ! – entre un enfant et une de ces nefs vivantes. Le texte clôt joliment la boucle.

L’Appel des Abîmes est donc dans la parfaite lignée des deux tomes précédents : on y retrouve tout ce que l’on a aimé précédemment, dans une intrigue qui ne fait pas de redite et sait encore une fois se renouveler intelligemment.

Dans la même série : L’élue (1) ; L’Envol (2).

Les Abîmes d’Autremer #3 : L’Appel des Abîmes, Danielle Martinigol. Mango (Autres Mondes), 2005, 195 p.

Les Abîmes d’Autremer est sans doute mon plus gros coup de cœur SFFF de jeunesse (pour être tout à fait honnête, mon cœur balance avec Le Royaume de la rivière mais les styles sont tellement différents qu’on va dire qu’ils coexistent). Et cette énième relecture ne m’a pas déçue, une fois de plus, tant l’intrigue est palpitante. Non seulement les aspects planet-opera et space-opera sont très réussis, mais en plus l’autrice parvient à aborder plusieurs thèmes forts, sans rien laisser de côté. Au fil des chapitres s’invitent donc des réflexions bien menées autour de l’écologie, des relations humaines, de la place et du poids des média dans la société ou encore de la rencontre avec l’autre. Le traitement de l’intrigue, ni simpliste, ni trop obscur, rend la série accessible aux jeunes lecteurs, comme aux adultes (pour peu qu’ils ne soient pas allergiques aux romans dédiés à la jeunesse). En bref, je recommande chaudement cette saga familiale de SF aux accents humanistes et poétiques, qui nous plonge dans un univers aussi original qu’enchanteur.

Les Abîmes d’Autremer, l’intégrale, Danielle Martinigol. Actusf (Naos), réédition janvier 2017, 504 p.

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Une autre saga de SF coup de cœur de jeunesse !

Les Abîmes d’Autremer, l’intégrale, Danielle Martinigol

Je mets à profit mes vacances pour relire la saga Les Abîmes d’Autremer de Danielle Martinigol, un coup de cœur d’adolescence. Comme l’article avec les trois tomes était un brin long, j’ai préféré couper en trois parties, chacune correspondant aux tomes initialement édités séparément (dans un temps que les moins de quinze ans ne peuvent pas connaître). Bref, aujourd’hui, on parle du tome 2 !

L’Envol de l’Abîme

Corian est un exclu, un adolescent anonyme parmi les milliards d’individus qui peuplent les Cent Mondes colonisés par les humains. Il mène une vie effroyable sur l’hostile planète Djauze. Rien ne le destine à échapper à son triste sort. Sauf que Corian a un rêve, devenir perl, c’est-à-dire pilote d’Abîme, ces extraordinaires vaisseaux vivants de la planète Autremer ! Il réussit à participer aux sélections de l’émission de cosmovision « Les Vainqueurs de l’impossible ». Arrivé sur Autremer, tout se complique lorsqu’un Abîme sauvage apparaît dans les cieux. D’où vient-il ? Dans quelle intention ? Aux côtés d’Aëla,  » la petite fée des Abîmes « , Corian découvrira le secret du vaisseau-animal. Mais saura-t-il le préserver face à la corruption médiatique qui fait rage ?

Première surprise en ouvrant (et en rouvrant, car j’avais surtout gardé souvenir du tome 1 !!) ce roman : l’intrigue se déroule quinze ans après celle narrée dans le premier tome.
On retrouve malgré tout les personnages phares du premier tome, un peu plus âgés (pas toujours plus sage) : Sandiane et Mel sont désormais mariés et parents d’une jeune Aëla, le clan Maguelonne gravite toujours autour d’eux (pour ma part j’étais ravie de revoir le patriarche, Madery !) et on reprend peu ou prou les mêmes amis et ennemis parmi les journalistes. A cela s’ajoute une nouvelle brochette de personnage adolescents parmi lesquels Aëla, Corian, l’aspirant perl issu de Djauze, et son ami Djem, fils d’un ministre djauzan.

J’ai beaucoup aimé la façon dont l’autrice renouvelle l’intrigue tout en gardant les mêmes bases que précédemment. Côté renouveau, elle implante dans l’univers déjà décrit une émission de téléréalité dont l’objectif est de filmer quelques candidats (voyants et tapageurs) à l’osmose avec des Abîmes, parmi lesquels Corian, qui ne rêve que de ça depuis sa prime enfance. L’ouverture forcée au monde d’Autremer, quinze ans plus tôt, et l’osmose précoce entre Sandiane et Mané-jeï, ont forcé les autremeriens à intégrer des perls venant de toute la galaxie. Il ne manquait donc plus qu’un petit pas pour que cette nouveauté soit intégralement filmée, ce que l’émission « Les Vainqueurs de l’Impossible » se propose de faire.

Et c’est là que l’on retombe sur nos pattes côté bases de l’intrigue. Vous le voyez venir : Autremer est de nouveau sous les feux des projecteurs et, de nouveau, cela suscitera des frictions avec ses opposants, tout comme des interrogations bien menées sur le poids des media, et sur leur rapport à la vérité. Bien sûr, la machine médiatique va de nouveau menacer la vie autremerienne, les querelles du tome 1 n’étant pas toutes soldées.
A nouveau, l’intrigue politique se déroule presque en filigrane : elle est un brin plus présente que précédemment, puisque Sandiane et Mel sont plus âgés et donc plus à même d’y prendre part (Mel étant par ailleurs président de l’union des perls d’Autremer) mais les personnages centraux sont de nouveau les adolescents, Aëla, Corian et Djem, donc pas nécessairement passionnés par la chose politique. Et comme dans le premier tome : cela fonctionne très bien ainsi !

Et on aurait tort de penser que les découvertes de l’univers dans lequel se déroule l’histoire sont terminées. Pas du tout ! L’arrivée d’un Abîme sauvage, sans perl (inimaginable, donc !), enclenche de nouvelles révélations et un voyage spatial vers les confins de la galaxie, ce qui occasionne quelques pages enchanteresses.

Comme dans le premier tome, les relations familiales sont au centre du récit : Sandiane a pesté tout ce qu’elle savait contre ses parents et se retrouve à son tour confrontée à quelques difficultés relationnelles avec sa fille… autour de la question des Abîmes. L’une souhaitant voir l’autre devenir perl, la concernée préférant plutôt traîner des pieds. Le poids des attentes des parents est donc au centre du récit (les deux autres ados en présence ayant aussi de lourdes attentes pesant sur leurs épaules) et vraiment bien traité.

En bref, ce tome 2 sait renouveler l’intrigue, tout en gardant ce qui faisait le charme du premier tome. Essai parfaitement transformé, donc, puisqu’on ne sent même pas l’effet « transition » !

Dans la même série : L’élue (1) ; L’Appel des Abîmes (3).

Les Abîmes d’Autremer #2 : L’Envol de l’Abîme, Danielle Martinigol. Mango (Autres Mondes), 2004, 216 p.

Les Abîmes d’Autremer, l’intégrale, Danielle Martinigol.

Dans la Confédération des Cent Mondes, Sandiane Ravna, fille d’un grand reporter peu scrupuleux, marche sur les traces de son père à la recherche du scoop à tout prix. Quand elle doit la vie sauve à un Abîme d’Autremer, l’un des mystérieux vaisseaux spatiaux de la planète-océan, elle se met au défi de filmer en action un perl, un pilote d’Abîme. Mais elle se heurte à Mel Maguelonne, futur pilote lui-même et farouche adversaire des médias comme tous les Autremeriens. Le début d’une folle aventure qui va bouleverser sa vie, comme celle des milliards d’habitants de la Confédération.

Haa Les Abîmes d’Autremer ! Probablement la saga de SF qui m’a le plus marquée à l’adolescence puisque, depuis, je l’ai déjà relue ! Évidemment, lorsqu’Actusf avait annoncé la publication en intégrale de la trilogie, il n’a pas fallu me pousser beaucoup pour que je me précipite dessus (d’autant que, jusque-là, toutes mes lectures de la série provenaient de la médiathèque). Il était donc grand temps que j’en parle ici !

Les Abîmes d’Autremer : L’Élue

Sandiane est l’assistante de son père, grand reporter à Main World Net. Tous deux sillonnent le cosmos à la recherche de scoops. Ils décident d’aller enquêter sur la planète-océan Autremer, réputée pour ses astronefs mythiques : les mystérieux Abîmes. Mais là, Sandiane et son père se heurtent à la résistance farouche des habitants, et tout particulièrement à celle de Mel et de son oncle, guides-pilotes de safaris sous-marins. Quel secret dissimulent les eaux de la planète Autremer ? Lorsque Sandiane découvrira l’incroyable vérité, osera-t-elle la diffuser dans toute la galaxie, au risque de détruire la civilisation autremerienne ?

Le roman commence en fanfare, avec rien de moins que la scène d’un vaisseau en pleine autodestruction… au fin fond de l’espace. Mais pas de panique pour la postérité : la scène est dûment documentée par les Ravna père et fille, des journalistes qui semblent vivre la volcam chevillée au corps.
Au menu de ce roman, donc : immensité de l’espace et questionnements autour des média !

Après cette introduction magistrale, on plonge dans le planet opera, puisque les Ravna débarquent très rapidement sur Autremer, la si discrète planète maritime, dont ils vont tenter de débusquer tous les petits secrets – lesquels sont nombreux.
Contrairement au souvenir que m’avait laissé ma lecture adolescente, LE gros secret est assez rapidement révélé – a minima, il y a de GROS indices laissés ça et là dans la narration ou les dialogues, permettant de comprendre assez vite de quoi il retourne. Mais malgré cette révélation qui arrive assez tôt dans le récit, l’autrice parvient à lever doucement le voile sur tous les aspects du secret, et à en garder sous la pédale dans les chapitres suivants. Ce qui assure au roman un rythme très confortable !

Si les révélations sont amenées de façon progressive, j’ai trouvé que le récit était tout de même extrêmement bref : les revirements des personnages (même s’ils sont bienvenus et crédibles !) sont assez rapides, de même que les relations qui se nouent entre eux. Et alors que la fin est très bien trouvée, elle semble arriver de façon presque abrupte. C’est une réflexion que je me fais aujourd’hui à la relecture mais je n’avais pas du tout ressenti cela à la première lecture, prise que j’étais par le récit.

L’univers y était sans doute aussi pour quelque chose. Danielle Martinigol déploie un univers particulièrement enchanteur. La planète Autremer, essentiellement composée d’eau, étale des paysages que l’on imagine idylliques (chapelets d’îles volcaniques, atolls, abysses et bord de mer…), même s’ils sont ponctués de quelques créatures peu appétissantes (le merlion en tête). Alors que les autres planètes se sont énormément urbanisées, Autremer est fermée au monde extérieur : elle accueille très peu de touristes et uniquement sur des itinéraires très balisés, elle ne communique pas tellement sur ses particularités et utilise même ses propres réseaux.
Sans trop de surprise, un des thèmes phares de cette trilogie est l’écologie, tout comme le rapport de l’homme à la nature, et aux animaux qui la peuplent. Les thèmes se mêlent vraiment bien au récit, puisqu’au fil des chapitres, il est aussi question de la place des media et du rapport qu’ils peuvent avoir avec la vérité. Mais il est aussi beaucoup question des relations familiales, lesquelles s’avèrent assez désastreuses du côté des Ravna.

J’ai été assez surprise de voir que le côté technologique, présent sans être trop voyant, est resté assez moderne. Les inventions mentionnées sont toujours à créer chez nous, ce qui ne rend pas la lecture anachronique.
Pour désigner tout cela, l’autrice crée des néologismes très bien trouvés comme volcam, plasverre ou encore autograv. D’ailleurs, le vocabulaire en général est très soigné dans le roman : je pense notamment aux délicieuses bordées de jurons tout maritimes qu’affectionnent les autremeriens, et qui sont tous très bien trouvés !

Au final, le seul point qui m’aura un peu déçue, dans cette relecture, est que la politique de l’univers est esquissée, racontée presque en filigrane. On comprend assez vite que le mode de vie autremerien semble presque extraterrestre aux habitants des autres planètes et que c’est essentiellement ce sur quoi ils vont s’opposer (ça, plus le secret que je ne révèlerai pas). Le père de Sandiane, comme beaucoup d’autres personnes, est adepte du jeunisme, qui pousse à parquer (littéralement) les personnes âgées (plus de cinquante ans !!) dans des réserves qui leur sont dédiées. Si quelques scènes à la Chambre des Cents Mondes sont évoquées (lesquelles m’ont fortement fait penser aux scènes tournées au Sénat dans la prélogie Star Wars), toute la partie politique se déroule en coulisses, tout simplement parce que ce n’est pas le propos ici. Du coup, tout fonctionne à la perfection, mais je dois dire que je me suis sentie un peu frustrée (peut-être aussi parce que c’est une série que j’ai tellement portée aux nues, que je me suis créé mon propre horizon d’attente complètement surréaliste).

Les Abîmes d’Autremer ouvre donc avec brio la trilogie éponyme. On y trouve tout ce qui fait un bon roman de SF jeunesse : un univers original et enchanteur, des péripéties (même si tout se résout très vite) bien menées, un secret poétique et vraiment chouette, des inventions qui n’ont pas vieilli, des thèmes bien intégrés au récit, lequel est mené d’un style très fluide. Bref : un coup de cœur !

Dans la même série : L’Envol (2) ; L’Appel des Abîmes (3).

Les Abîmes d’Autremer #1 : L’Élue, Danielle Martinigol. Mango (Autres Mondes), 2001, 216 p.