L’Espace d’un an, Becky Chambers.

Rosemary, jeune humaine inexpérimentée, fuit sa famille de richissimes escrocs. Elle est engagée comme greffière à bord du Voyageur, un vaisseau qui creuse des tunnels dans l’espace, où elle apprend à vivre et à travailler avec des représentants de différentes espèces de la galaxie : des reptiles, des amphibiens et, plus étranges encore, d’autres humains. La pilote, couverte d’écailles et de plumes multicolores, a choisi de se couper de ses semblables ; le médecin et cuistot occupe ses six mains à réconforter les gens pour oublier la tragédie qui a condamné son espèce à mort ; le capitaine humain, pacifiste, aime une alien dont le vaisseau approvisionne les militaires en zone de combat ; l’IA du bord hésite à se transférer dans un corps de chair et de sang…

Ai-je enfin, ENFIN, sorti Becky Chambers de ma PAL, après les multiples recommandations des copinautes (Mypianocanta, notamment) ? Eh bien oui. Et ? J’ai adoré. Au point d’avoir eu envie de relire immédiatement le livre après l’avoir terminé !

Becky Chambers nous emmène à bord du Voyageur, un vaisseau spatial chargé de percer des trous de ver dans l’espace. Si on résume l’histoire, elle est assez simple : le Voyageur est appelé à percer un trou afin de relier un peuple nouvellement allié au reste de la fédération galactique. Facile, non ? De fait, le fil rouge de l’intrigue est vraiment simple. Mais peut-être connaissez-vous l’adage suivant : « dans un voyage, ce n’est pas la destination qui compte, mais le chemin » ? Ce qui se confirme totalement ici !

Car avant de nous emmener à l’autre bout de la galaxie, Becky Chambers nous emmène surtout au sein de l’équipage du Voyageur, un équipage composé de membres d’espèces différentes. C’est à la fois dépaysant et rafraîchissant de lire de la SF dans laquelle l’espèce humaine est en fait… une espèce parmi tant d’autres, pas spécialement brillante, pas spécialement extraordinaire. D’ailleurs, c’est l’espèce la plus récemment entrée dans la fédération galactique, c’est dire si les humains sont les bouseux du coin. De fait, l’autrice va vraiment s’attacher à nous montrer la richesse des cultures, des structures familiales, des relations, ou tout simplement des espèces qui peuplent la fédération galactique – ce qui se répète, à plus faible échelle au sein de l’équipage. Cela change un peu des clichés de l’alien incompréhensible, et j’ai adoré ma plongée dans cet univers si riche.

Or donc, on suit le quotidien de l’équipage… et c’est ce quotidien qui fait l’intrigue. Pas la peine donc d’attendre le sacro-saint élément perturbateur par lequel est supposé démarrer le récit, on y est dès la première ligne.
Chaque partie du récit va mettre en lumière l’un ou l’autre des personnages, son passé, ses enjeux personnels, ses envies. On peut avoir l’impression de passer de l’un à l’autre comme d’un épisode de série à un autre, mais ce procédé s’explique dans la seconde partie, où l’autrice va brutalement ramasser tous les fils jusque-là savamment tissés pour en dégager de nouveaux motifs. J’étais déjà très emballée par la première partie (très prenante malgré l’aspect « instantanés »), mais la seconde m’a littéralement ravie.

Puisque le récit repose intégralement sur les personnages, leurs sentiments, leurs relations interpersonnelles, sont des thématiques centrales. Le roman est porté par une bienveillance chaleureuse, une célébration de la tolérance, et de l’amitié. Dit ainsi, cela peut sembler quelque peu cul-cul la praline, mais c’est incroyablement bien fait et juste, et cela crée finalement une ambiance feel-good aussi surprenante qu’agréable. Ce roman est un condensé de bonne humeur et de remonte-moral !

Et pourtant, les péripéties, le danger, la violence n’en sont pas absents : parfois en toile de fond, parfois dans un élément mineur du récit. On n’est peut-être dans le récit le plus bourré d’adrénaline qui soit, mais c’est clairement palpitant. Palpitant ET bienveillant. Alors, que demande le peuple ?
Même si les tomes suivants semblent être consacrés à d’autres personnages que ceux suivis ici, je suis donc hyper impatiente de retrouver la plume fluide et l’univers de l’autrice.

On m’en a tellement parlé que j’ai fini par retarder un peu ma découverte de Becky Chambers – à tort, semble-t-il. L’Espace d’un an propose un très bon récit de science-fiction, avec une indéniable dimension feel-good : pas (trop) de bons sentiments, mais un sentiment chaleureux de bienveillance (pas de bien-pensance !) accompagne agréablement la lecture. L’univers dans lequel on plonge est riche à souhait, ce qui offre un large panel d’aventures et de péripéties, toutes très prenantes. Avec ça, la plume de l’autrice, très fluide, fait qu’il est difficile de s’arrêter entre deux chapitres. Bref, une excellente découverte, dont j’ai hâte de lire la suite, et que je vais évidemment relire !

L’Espace d’un an, Becky Chambers. Traduit de l’anglais par Marie Surgers.
Réédition Le Livre de Poche, septembre 2020, 592 p.

L’Âme de l’Empereur, Brandon Sanderson.

La jeune Shai a été arrêtée alors qu’elle tentait de voler le Sceptre de Lune de l’Empereur. Mais au lieu d’être exécutée, ses geôliers concluent avec elle un marché : l’Empereur, resté inconscient après une tentative d’assassinat ratée, a besoin d’une nouvelle âme. Or, Shai est une jeune Forgeuse, une étrangère qui possède la capacité magique de modifier le passé d’un objet, et donc d’altérer le présent. Le destin de l’Empire repose sur une tâche impossible : comment forger le simulacre d’une âme qui serait meilleur que l’âme elle-même ? Shai doit agir vite si elle veut échapper au complot néfaste de ceux qui l’ont capturée.

Étant arrivée au bout de mes lectures d’été (car oui, cette lecture date du mois d’août), j’ai pioché dans ma bibliothèque ce court roman (parfait pour tenir jusqu’au départ !). Et comme à chaque Sanderson, je dois dire que je n’ai pas été déçue de ma lecture !

Le récit est extrêmement court, puisqu’il fait moins de 200 pages. Malgré cela, l’auteur parvient à installer un univers total. Il faut toutefois noter que l’histoire s’inscrit dans celui d’Elantris, mais est tout à fait lisible indépendamment — du coup, ça m’a donné envie de lire ce roman qui se trouve être également dans ma PAL. Ceci étant dit, c’est vraiment quelque chose que je trouve extraordinaire avec Sanderson : il n’a pas besoin de beaucoup de pages ou de mots pour nous plonger dans des univers hyper complexes et riches, de la même façon qu’il sait comment faire avancer l’histoire par très petites touches (ça m’avait déjà frappée dans La Voie des rois.)
Ici, on est clairement dans un univers de fantasy. Certains personnages sont doués d’une magie très particulière (c’est le cas de Shai), qui leur permet de modifier le passé d’un objet. Dit comme cela, cela semble d’un rien, mais modifier le passé de l’objet permet d’en modifier la forme et la texture. Ainsi, au détour d’un chapitre, elle convainc la fenêtre de sa cellule qu’elle était autrefois un vitrail travaillé et récupère une fenêtre délicatement ouvragée. Pour ce faire, elle crée des tampons spécifiques, qui vont indiquer à l’objet quelle nouvelle forme prendre, tout en l’inscrivant dans une longue tradition (on dirait presque de l’ADN recodant, mais sous forme de tampon et d’encre).
Ce talent (pas hyper bien vu) la place donc dans une position assez compliquée, puisqu’on lui demande tout simplement de forger un tampon d’âme pour l’Empereur (celui-ci étant plongé dans le coma). Honnêtement, après Fils-des-Brumes et La Voie des Rois, je pensais avoir fait le tour des idées novatrices de Sanderson. Mais non ! Il innove encore, avec une magie qui confine ici à la science.

Bien que le récit soit vraiment court, Sanderson prend le temps de détailler la psychologie de ses personnages. Shai est, sans trop de surprise, le personnage le plus développé, mais ceux qui gravitent autour d’elle sont eux aussi travaillés – particulièrement Gaotona, son geôlier et tourmenteur. Sans surprise, ils sont tous « utiles » à l’intrigue principale, mais ce n’est vraiment pas gênant. Ce qui est intéressant, c’est que c’est par ces personnages-là que l’on en apprend plus sur l’univers, l’Empereur, la façon dont est vue la magie et les tenants et aboutissants de l’intrigue. Au fil des leurs dialogues avec Shai, et de quelques scènes annexes, on se fait une parfaite idée de la situation.

L’autre point que j’ai trouvé extraordinaire, c’est que l’intrigue est quasiment un huis-clos : en effet, Shai est enfermée dans sa cellule de travail tout du long, et on ne voit que rarement ce qui se passe à l’extérieur. Et pourtant, l’histoire est loin d’être chiante ou plate — vraiment, j’ai passé chaque chapitre à m’épater devant le talent de Sanderson.

Plus ça va et plus le nom de Brandon Sanderson est pour moi synonyme de « valeur sûre ». En ouvrant ce roman, vu sa maigreur, je dois dire que je ne m’attendais pas à une révélation et chaque chapitre a été un enchantement. L’histoire est courte, mais bien équilibrée. Il y a ce qu’il faut de suspense, de trouvailles originales, d’explications sur l’univers (même si le début est un peu complexe) ou quant aux tenants et aboutissants de l’intrigue. En plus de cela, il y a une vraie réflexion sur l’art (celui que pratique Shai, bien sûr, mais aussi celui des artistes assermentés de son univers), ce qui ne gâche rien.
Bref : une très très bonne découverte !

L’âme de l’empereur, Brandon Sanderson. Traduit de l’anglais par Mélanie Fazi. Le Livre de Poche, 2014, 195 p.