La Honte de la galaxie, Alexis Brocas.


An 300 000 et des poussières. Sur une planète sans loi aux confins de la Voie lactée. Meryma, 17 ans, se noie dans les drogues et la mélancolie pour oublier son passé tumultueux d’héroïne des guerres impériales – ainsi que le scandale qui a fait d’elle la honte de la Galaxie. Un matin, un convoi plein de ses ex-sœurs d’armes fait escale dans son ciel. Mission : explorer la zone inconnue de Nixte, qui abriterait les vestiges d’une civilisation extraterrestre depuis longtemps disparue, et où se produiraient des prodiges… Or, Meryma a toujours été fascinée par Nixte – c’est d’ailleurs ce pourquoi elle a trahi. Avec l’Orphelin, le petit voleur qu’elle a adopté sur Frontière, elle se débrouille pour intégrer le convoi, et se retrouve cuisinière sur un immense vaisseau qui cache bien des secrets dans ses soutes. Meryma va les lever un par un, tout en vivant mille aventures, avant d’affronter la plus grande énigme de ces 10 000 dernières années. Le mystère de Nixte.

Voilà un roman qui m’intriguait diablement et que je suis plus que ravie d’avoir lu !

Et pourtant… tout n’a pas débuté sous les meilleurs auspices. Car en effet, le roman s’ouvre sur un avertissement écrit par la protagoniste, Meryma, qui nous présente un épais dossier documentaire supposé nous introduire à son univers, et qu’elle nous invite à lire, ou à sauter pour débuter directement l’histoire. De mon côté, j’ai choisi de le lire immédiatement et peut-être n’aurais-je pas dû attaquer ce roman juste avant de me coucher, car je dois dire que j’ai trouvé le début quelque peu ardu (uniquement en raison de mon état de fatigue, je me dois quand même de le préciser !).
Mais j’ai trouvé ce début extrêmement original, d’autant que Meryma nous annonce dès le départ qu’elle a choisi de présenter, entre autres documents, l’avis du fondateur de la nation antagoniste, Patrie Bleue.

Après cette introduction originale, on plonge dans la découverte d’un univers vraiment, vraiment riche. Le fait de débuter le récit après la fin de la guerre est vraiment intéressant : pour ainsi dire, tous les enjeux stratégiques sont passés et il s’agit de vivre ensemble dans cet univers galactique. Cela change un peu dans le paysage du planet opera. Heureusement, il reste le mystère de Nixte à se mettre sous la dent, puisque dans ce système planétaire, outre les vestiges d’une antique civilisation, on trouve des phénomènes physiques vraiment étranges, que les scientifiques s’expliquent difficilement, ce pourquoi tout le monde veut aller voir de plus près ce qu’il s’y passe. Or, le voyage pour s’y rendre est semé d’embûches, ce qui fait que l’on retombe sur d’autres motifs auxquels nous a habitués le genre !

De fait, l’intrigue, à l’instar de l’univers, est extrêmement riche. Le roman est découpé en quatre grandes parties qui structurent parfaitement l’intrigue et lui permettent d’avancer à bon train. Les chapitres, à l’intérieur, sont assez courts, ce qui assure un rythme extrêmement prenant au texte. Et l’auteur a mis le paquet niveau péripéties car il se passe énormément, énormément de choses dans ce roman. A tel point qu’à la fin de ma lecture, j’ai eu l’impression d’avoir lu une trilogie complète ! Mais sans avoir l’impression d’avoir traîné sur un livre mal équilibré ou trop riche. Loin de là ! Le rythme, l’enchaînement des péripéties, révélations, rebondissements, tout est géré au poil et d’une main de maître, ce qui permet à l’intrigue de vraiment s’étaler sur la totalité du roman, sans se perdre en longueurs, et sans faire non plus l’impasse sur quoi que ce soit. C’est magistral !

Au fil des chapitres, on aborde aussi pas mal de sujets. Il y a évidemment l’addiction (puisque Meryma est complètement accro à la spéculine, une drogue qui permet de revivre ses souvenirs heureux), et les relations familiales (en raison de l’adoption de l’Orphelin par Meryma). Mais d’autres thèmes émergent dont certains sont vraiment liés au genre SF, comme le clonage, l’intelligence artificielle, l’humain augmenté ou la conquête spatiale. Évidemment, la guerre a aussi une place hyper importante dans l’histoire, avec ce qu’elle suppose de questionnements autour du positionnement (y a-t-il des gentils dans une guerre ?, par exemple), mais aussi autour de l’endoctrinement des troupes, des traumatismes et, avec eux, de la mémoire et des souvenirs. Bref : des thèmes riches, pour accompagner un univers complexe et une intrigue vraiment dense !
D’ailleurs, je n’en ai pas parlé plus tôt, mais j’ai vraiment adoré rencontrer des races extraterrestres originales (mention spéciale aux Ruby), avec des caractéristiques, des façons de penser et de communiquer bien différenciées et qu’on ne croise pas si souvent (il me semble).

En bref, La Honte de la galaxie a été une excellente, excellente découverte – et même le premier coup de cœur de l’année ! Alexis Brocas nous embarque dans une aventure extrêmement prenante, à la densité incroyable, menée d’un style particulièrement fluide. Les divers thèmes s’entremêlent à merveille au récit et le font encore gagner en richesse. Et pour ne rien gâcher, la fabrication est sublime, avec une couverture bleue brillante du plus bel effet !

La Honte de la galaxie, Alexis Brocas. Sarbacane (Exprim’), 6 janvier 2021, 486 p.

L’Attrape-malheur #1 : Entre la meule et les couteaux, Fabrice Hadjadj

Jakob Traum est un garçon comme les autres, et pourtant…
Il est doté d’un étrange pouvoir qui peut le rendre invincible comme extrêmement vulnérable. Forcé de quitter son village natal, il part sur les routes avec un groupe de forains. Alors qu’une guerre éclate entre l’empereur Altemore et Ragar le rebelle, le don du jeune homme éveille l’intérêt des deux clans et, avec eux, celui d’un inquiétant individu au visage dissimulé par une sombre capuche.

Un nouveau roman de ma pile-à-lire boulot (dont vous aurez sans doute compris que je ne choisis pas toujours le contenu !) qui s’est révélé une très très bonne surprise.
Entre la meule et les couteaux est le premier tome d’une trilogie de fantasy qui démarre donc très bien.

L’histoire s’installe très tranquillement et il faut attendre quelques chapitres avant de voir débarquer l’élément perturbateur, à savoir la découverte du pouvoir de Jakob. Alors que dans les canons du genre, c’est le moment qui révèle le héros, ici c’est ce qui va venir irrémédiablement gâcher la vie de Jakob et lui faire prendre un virage radical. De fait, on bascule d’une introduction douce et bienveillante à un développement nettement plus sombre.

L’auteur joue à merveille avec les sentiments tout au long de la lecture. L’intrigue parvient à être à la fois légère, parfois porteuse d’humour, et excessivement sombre deux pages plus loin (sont notamment impliquées des scènes de torture physique ou psychologique, voire une décapitation. En toute simplicité). Le récit nous plonge donc dans une ambiance de conte hyper sombre, ce qui le rend très prenant.

L’intrigue est linéaire et suit le schéma assez classique du roman d’initiation. Jakob découvre l’univers familial du moulin, vit dans un petit patelin de paysans et artisans, puis part sur les routes avec le cirque Barnoves, avec lequel il découvre les autres contrées alentour. Il n’y a pas de carte au début du livre et si cela a frustré l’adoratrice de cartes en moi, je n’ai pas trouvé que cela manquait. Au contraire, cela renforce la sensation que l’on est en train de lire un conte à l’ancienne.
L’univers est un mélange entre notre Moyen-âge avec villes fortifiées, seigneurs locaux, et une certaine industrialisation, puisque l’on croise aussi des cités d’artisans, de paysans-soldats, d’artistes, etc. Bref : un univers qui colle parfaitement à l’ambiance contes.

Mais revenons au récit initiatique de Jakob. Celui-ci est riche en péripéties, qu’elles soient physiques ou morales. Jakob passe par un tas de moments extrêmement marquants (pour lui, comme pour le lecteur), qui viennent rythmer le récit. Il y a donc dans celui-ci une vraie tension qui tient en haleine – et qui tient aussi, il faut l’avouer, aux montagnes russes que nous fait faire l’auteur, entre sommets de douceur et abysses de noirceur.
Au fil des péripéties, on en vient à réfléchir à un tas de thèmes comme l’amour filial, la différence, le malheur (évidemment), la dialectique bonté/méchanceté et, en filigrane, la guerre.
Car si cet aspect est encore assez lointain, le titre annoncé du tome 3 contient le mot « batailles », ce qui me laisse supposer que la guerre qui semble se profiler entre Altemore et Ragar le rebelle va bien finir par dégénérer.

Mais ce qui m’a vraiment vraiment complètement ferrée dans ce roman, c’est le style de Fabrice Hadjadj. Celui-ci joue sur les sonorités, la polysémie, multiplie les jeux de mots, ce qui m’a donné follement envie de lire le texte à voix haute pour pleinement profiter de sa beauté et de sa musicalité. Les jeux de mots sont eux aussi très évocateurs, et ouvrent la réflexion sur les thèmes cités plus haut. Cela donne un roman un aspect à la fois poétique et philosophique, tout ça sans en faire des caisses, ce qui est hyper agréable.

Les illustrations de Tom Tirabosco, tout en noir et blanc, collent parfaitement à l’ambiance avec leur aspect très envoûtant et viennent rythmer le récit pile comme il faut. Sur la fin, une certaine illustration m’a même donné des ailes tant j’ai été inquiète de ce que je découvrais en image !

A ce stade, vous aurez sans doute compris que j’ai adoré ma lecture, de la première à la dernière page. Fabrice Hadjadj propose une introduction extraordinaire à sa trilogie de fantasy, qui renoue avec les aspects les plus sombres des contes. Après cet excellente entrée en matière, j’attends avec impatience les tomes suivants !

L’Attrape-malheur #1 : Entre la meule et les couteaux, Fabrice Hadjadj.
La Joie de Lire, 30 septembre 2020, 280 p.

Chevauche-brumes, Thibaud Latil-Nicolas.

Au nord du Bleu–Royaume, la frontière est marquée par une brume noire et impénétrable, haute comme une montagne. De mémoire d’homme, il en a toujours été ainsi. Mais depuis quelques lunes, le brouillard semble se déchirer. Tandis que ce voile enfle et reflue tel un ressac malsain, de violents éclairs strient ses flancs dans de gigantesques spasmes. La nuée enfante alors des créatures immondes qui ravagent les campagnes et menacent d’engloutir le royaume tout entier.
La neuvième compagnie des légions du roy, une troupe de lansquenets aguerris au caractère bien trempé, aspire à un repos bien mérité après une campagne éprouvante. Pourtant, dernier recours d’un pouvoir aux abois, ordre lui est donné de s’opposer à ce fléau. Épaulée par des cavalières émérites et un mystérieux mage chargé d’étudier le phénomène, la troupe s’enfonce dans les terres du nord, vers cette étrange brume revenue à la vie.
Tous, de l’intendant au commandant, pressentent qu’ils se mettent en route pour leur dernier périple. Tous savent que du résultat de leurs actions dépendra le destin du royaume. Entre courage et résignation, camaraderie et terreur, ces femmes et ces hommes abandonnés par le sort, devront consentir à bien des sacrifices face à la terrible menace. En seront-ils capables ? Les légendes naissent du sang versé, de la cendre et de la boue.

Retour en terre fantasy aujourd’hui avec, une fois n’est pas coutume, un one-shot (oui, je trouve que c’est suffisamment rare pour être signalé). Petit point qu’il me semble également intéressant de signaler : ce roman a été publié dans la collection « Pépites de l’imaginaire » des Indés de l’Imaginaire qui, chaque début d’année, entend ainsi faire découvrir de jeunes auteurs et autrices.
Et donc, quid de cette « pépite » ? Eh bien pépite méritée, il faut le dire !

L’auteur nous plonge dans un univers qui semble plus tenir de la Renaissance que du sempiternel Moyen-âge. En témoignent des tuniques à crevés, des armes sophistiquées et un usage plus qu’enthousiaste de la poudre noire. Car oui, autant le dire : c’est un roman où l’on se tatanne beaucoup, et plus souvent qu’à son tour contre des bestioles cauchemardesques. La quatrième de couverture promet une ambiance horrifique et elle n’est pas usurpée. Car si l’on commence avec des monstres certes rebutant, chaque nouvelle fournée gagne en bizarrerie, en violence et en horreur. Et autant le dire de suite : des fournées, il y en a des tas. Ajoutez à cela une brume qui avance peu à peu et phagocyte une portion de territoire de plus en plus importante, et vous comprendrez que les personnages, comme les lecteurs, aient de quoi s’inquiéter. D’autant que l’on ne sait pas, de prime abord, ce que cache la brume ou les raisons de sa présence. Les informations et détails sont savamment distillés, révélant peu à peu l’ampleur du cauchemar dans lequel sont plongés les personnages. Résultat ? Une tension qui ne se dément jamais, et qui finit par prendre à la gorge !

D’ailleurs, le rythme est là pour assurer la tension : les personnages n’ont presque jamais le temps de se poser et vivent le présent dans l’urgence. Batailles rangées, sièges en règles, cavalcades vers l’inconnu : on est vraiment servis de ce point de vue-là. Tout cela est porté par un style magistral, qui ressuscite du vocabulaire un peu désuet, mais qui sied parfaitement à l’ambiance et à l’époque. De fait, le roman est plus constitué de parties narratives (souvent enlevées) que de dialogues (qui offrent de leurs côtés d’excellentes tirades et réparties). Mais ce n’est pas pesant, car les phrases sont bien rythmées et le récit épique à souhait ! Les descriptions sont hyper précises et créent une ambiance extraordinaire. Certes boueuse et flippante, mais avec une atmosphère que j’ai trouvée authentique et immersive à souhait. Il y a également une vraie recherche stylistique, que ce soit dans les mots choisis ou dans les effets de style. Mais on n’a pas pour autant l’impression de lire une dissertation ou une rédaction appliquée. C’est juste hyper fluide, hyper bien écrit, un pur régal de lecture ! Bref : que du bon !!

Côté personnages, j’ai également été servie. J’ai trouvé d’abord qu’ils étaient hyper nombreux pour un livre aussi court (l’aventure tient tout de même sur un seul tome !). Mais pas un n’est bâclé ou trop archétypique, ce qui est vraiment appréciable. Et ce n’est pas, contrairement à ce qu’on aurait pu craindre, un roman de mecs, car la compagnie menée par Saléon est rapidement rejointe par une compagnie de guerrières à cheval qui sont de vraies dures à cuire. Et le mieux c’est que ce n’est pas, une fois de plus, complètement cliché ou caricatural, dans un sens ou dans l’autre. Les personnages ont une vraie consistance, des failles, des trajectoires particulières, ce qui fait qu’il n’est pas difficile de s’attacher à eux. De plus, l’auteur a vraiment eu à cœur de leur développer un passé et une identité. Aussi n’ont-ils pas tous que des préoccupations martiales en têtes, ce qui amène de très intéressants développements. J’ai aimé la variété des personnages, tant chez ces messieurs que chez ces dames ! Ah, et je dois dire que j’ai hautement, hautement apprécié l’absence de romance comme intérêt secondaire de l’intrigue. Oui messieurs-dames, des personnages peuvent cohabiter et avoir des relations fraternelles (et plus si affinités) sans que cela tourne au mièvre ou à la dégoulinade guimauve ! Et c’est vraiment bien de leur rappeler de temps en temps !

Si tout cela m’a énormément plu, j’ai parfois déploré un léger manque d’informations quant à l’univers. Enfin, pour être tout à fait honnête, on connaît pas mal de détails et, surtout, on les apprend toujours en temps et en heure. La situation politique est dévoilée peu à peu, et l’on se fait ainsi une idée de ce qu’il se trame dans et autour du royaume. La construction est d’ailleurs assez futée : pas d’immense exposé rébarbatif ou de discours explicatif artificiel, tout se fait assez naturellement. De même, j’ai parfois manqué d’explications sur la magie ou son fonctionnement profond. En réalité, tout y est, et on sait exactement ce que l’on a besoin de savoir pour, d’une part, suivre l’intrigue et, d’autre part, saisir les enjeux de l’univers. On découvre ainsi sur le tas la profonde inimitié qui règne entre Collège des Mages et clergé, importante pour le contexte. On apprend également au détour d’une conversation qui tombe naturellement et à point nommé, que le roi est un enfant secondé par un régent, une information capitale pour le contexte politique. Mais parfois, j’aurais aimé en savoir plus sur les uns et les autres, ou sur les enjeux politiques cachés. Non pas que cela manque, encore une fois, mais il faut avouer que l’univers est particulièrement immersif et intrigant, ce qui a exacerbé ce sentiment d’extrême curiosité !

Il y a un autre point que j’ai hautement apprécié : la finalité du roman. Parce qu’on pourrait croire que le roman est un pur survival, sauce Renaissance et version fantasy : on trouve l’origine de la brume, on la dézingue, et on compte les survivants à la fin. Quelque part, oui, c’est le cas. Mais ce n’est pas vraiment le propos. Car la question se transforme assez vite pour passer de « vont-ils survivre ? » à « comment vont-ils s’en sortir » et surtout, surtout « quelles seront les conséquences de ce qui va se produire ? ». Et je dois dire que ce changement de perspective m’a agréablement surprise et tout aussi agréablement sortie des sentiers battus. J’ai trouvé que dans la dernière partie se développait une réflexion hyper intéressante sur ce point, que j’ai adorée suivre.

Très bonne pioche, donc, que ce premier roman de Thibaud Latil-Nicolas. L’intrigue qu’il propose tient en un seul excellent tome, et se lit véritablement d’une traite. L’aventure est particulièrement épique et possède, sous des dehors classiques, une vraie originalité. Les personnages, hauts en couleur, sont vraiment bien travaillés et l’auteur ne tombe ni dans les clichés sexistes, ni dans le travers inverse, ce qui est infiniment agréable. Avec ça, le tout est porté par un style magnifique, qui invite à lire certains passages à voix haute tant c’est bien écrit. Pour la faire brève : j’ai adoré, j’attends les prochains titres de pied ferme !

 

Chevauche-brumes, Thibaud Latil-Nicolas. Mnémos, février 2019, 304 p.

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Rage, Orianne Charpentier.

Rage… C’est le surnom que son amie lui a donné.
C’est désormais ainsi qu »elle se nomme, pour oublier son prénom, ce nom d’avant, celui de son enfance, d’avant l’exil, la déchirure. Son pays d’origine, on ne le connaîtra pas.
Il nous suffit de deviner que Rage a eu affaire à la violence des hommes, de la guerre. Et voilà réfugiée en France, sans plus de repères, ni de famille. Telle une bête traquée, elle se méfie de tous. Mais un soir, sa route croise celle d’un chien – dangereux, blessé, visiblement maltraité. Désormais, sa propre survie passe par celle de l’animal…

Rage est un roman très court – tout juste une centaine de pages, menées par la protagoniste éponyme. Celle-ci en déborde, de rage, suite à son enfance fracassée, la fuite, l’exil, l’arrivée dans un nouveau pays dont elle ne maîtrise pas encore les codes et tellement éloignés de ce qu’elle a connu.

On est donc face à un personnage multi-traumatisé, qui a du mal à faire confiance à qui que ce soit — y compris à elle-même. Le parallèle avec la chienne blessée est donc plus que facile à faire.

Le récit est construit comme une tragédie (d’ailleurs, il en sera question au fil du texte) : l’intrigue tient sur une nuit, quasiment dans un seul lieu (les quelques kilomètres autour de la maison de Jean) et ne comporte qu’un fil d’intrigue : la reconstruction de Rage.
De celle-ci, on ignorera jusqu’à la fin le prénom, la langue et le pays d’origine, de même que l’année de son arrivée en France : le récit atteint donc très facilement un statut intemporel.

Côté style, la plume est vive et percutante mais j’ai été assez dérangée par le changement opéré aux deux tiers du récit : au départ, le texte fourmille de dialogues, qui viennent perturber le récit de Rage, celle-ci étant entourée des autres jeunes faisant la fête avec elle ; mais, lorsqu’elle se retrouve seule avec Jean et la chienne, c’est le discours indirect libre qui l’emporte. Or, j’ai trouvé cette partie-là nettement mieux écrite que la précédente, bien plus incisive et parlante à propos de l’état de la jeune femme. Les deux parties du livre m’ont donc semblé un peu déséquilibrées : je n’irai pas jusqu’à dire que je n’ai pas été intéressée par la première partie, mais seule la seconde m’a touchée, en raison de son intensité rare, et absolument passionnée.

Malgré tout, il m’a été très difficile d’arrêter ma lecture, tenue en haleine que j’étais par les événements qui s’enchaînent. Ceux-ci font d’ailleurs un douloureux écho à l’actualité : si la partie concernant les maltraitances sur animaux occupe la portion congrue, celle sur les réfugiés de guerre forcés d’immigrer et l’accueil qui leur est réservé dans les pays étrangers qui acceptent de les recevoir est absolument centrale – et on ne peut la lire sans penser à tout ce qu’il se passe en ce moment, bien évidemment. Le cas des mineurs isolés reste particulièrement tragique : coupés de tout lien familial, vivant avec des traumatismes difficiles à soigner, leur reconstruction est d’une difficulté extrême.

Avec Rage, Orianne Charpentier signe un roman court et particulièrement incisif qui fait écho à l’actualité en évoquant avec justesse les trajectoires ô combien dramatiques des mineurs isolés étrangers. L’histoire ne dure qu’une courte nuit, mais a l’intensité d’un cri primal, celui que l’on sent bouillonner dans les entrailles de Rage. Un court roman à recommander aux adolescents et qui s’avérera idéal pour une discussion autour de ce que vivent les jeunes de leur âge ailleurs dans le monde, dans des contrées moins riantes que les nôtres. 

Rage, Orianne Charpentier. Gallimard jeunesse, mars 2017, 112 p. 

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