Rocaille, Pauline Sidre.

Gésill ne dort plus depuis qu’il est mort.
Assassiné puis ramené à la vie par les Funestrelles, des brigands sans scrupules qui voudraient le voir reprendre son trône, l’ancien roi Gésill n’a plus goût à rien.
Son sang vert, autrefois seule source de végétation de la Rocaille, s’est tari. Il pourrit. Seul un représentant des Magistres, ces êtres mythiques exterminés par les ancètres de Gésill, pourrait y remédier.
Aussi, lorsque les Funestrelles, accompagnés du défunt, se mettent en quête de trouver un jeune homme qu’on dit leur dernier descendant, ils sont loin d’imaginer que leur découverte ébranlera toutes leurs certitudes. Sur la Rocaille comme sur eux-mêmes.

Rocaille, ça parle de quoi ? D’un roi un peu nul, désormais mort, pourrissant et souffrant d’insomnies, d’un pays au bout du rouleau affligé d’une météo digne d’un été au Pays basque et de malfrats consanguins pas forcément très futés. Bref : tout cela ne peut que bien se passer.

L’autrice nous plonge dans un univers vraiment intéressant : si le pays est globalement aride et désolé, l’enceinte du château, elle, est florissante, grâce au sang vert de la lignée royale. Laquelle est donc chargée d’approvisionner le pays en légumes, fruits et autres denrées végétales. J’ai trouvé ce concept de magie vraiment original ! Bon, on s’en doute, ceux qui touchent les provisions sont surtout les riches et les bien-nés, les autres se débrouillant avec ce qu’ils parviennent à grappiller de-ci de-là, sachant que rien ne pousse en Rocaille et que les jours de la semaine sont rythmés par une météo apocalyptique.

Brume jour de poix
Ventée jour de souffle
Ore jour d’orage
Grésil jour de grêle
Nive jour de neige
Gelée jour de glace
Fonte jour de pluie
et silence de nuit

L’autre point que j’ai trouvé intéressant, c’est que Gésill, de son vivant, ne s’est pas beaucoup intéressé à la politique, semble-t-il (tout roi qu’il était) et n’a jamais quitté son château. Finalement, c’est sa résurrection par les Funestrelles, une bande de malfrats, qui va l’obliger à prendre le taureau par les cornes. En effet, à leurs côtés, il découvre tout ce qu’il n’a jamais su sur son propre pays : la famine, les maltraitances subies, la misère qui règne, l’absence d’espoir. Tout cela va de pair avec une remise en question de ce qu’on lui a inculqué, ce qui donne au roman des airs de satire sociale vraiment bien amenés.

L’intrigue fait intervenir toute une galerie de personnages. Si Gésill est un peu fade sur le début, il reprend du poil de la bête (même un peu brutalement !) dans les derniers chapitres. Côté Funestrelles, l’autrice reste dans un savant mélange de gris : jamais vraiment bons, pas tous définitivement méchants, chacun taille sa route selon ses intérêts privés ou du moment.

Mais l’histoire s’attache aussi à ce qu’il se déroule au palais, où l’on suit notamment Sénielle, la sœur de Gésill et aux Magistres, une caste de magiciens supposément disparus. 
Le récit choral s’intéresse tour à tour à chaque angle de vue, permettant ainsi à l’univers, comme à l’intrigue, de se développer pleinement. Alors certes, la construction éclatée (géographiquement et temporellement) fait que certains épisodes ont l’air d’être rapidement soldés, mais elle a eu le mérite de rendre ma lecture très prenante !

En bref, Rocaille nous plonge au sein d’un univers de dark fantasy original, qui propose un système de magie (et le secret qui va avec) vraiment bien pensés. L’autrice revisite avec brio le mythe du zombie et donne à son roman de petits airs de satire sociale très appréciables. Une bonne lecture !

Rocaille, Pauline Sidre. Sillex, 2020, 480 p.
#PLIB2021 #ISBN9782490700035

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L’Âme de l’Empereur, Brandon Sanderson.

La jeune Shai a été arrêtée alors qu’elle tentait de voler le Sceptre de Lune de l’Empereur. Mais au lieu d’être exécutée, ses geôliers concluent avec elle un marché : l’Empereur, resté inconscient après une tentative d’assassinat ratée, a besoin d’une nouvelle âme. Or, Shai est une jeune Forgeuse, une étrangère qui possède la capacité magique de modifier le passé d’un objet, et donc d’altérer le présent. Le destin de l’Empire repose sur une tâche impossible : comment forger le simulacre d’une âme qui serait meilleur que l’âme elle-même ? Shai doit agir vite si elle veut échapper au complot néfaste de ceux qui l’ont capturée.

Étant arrivée au bout de mes lectures d’été (car oui, cette lecture date du mois d’août), j’ai pioché dans ma bibliothèque ce court roman (parfait pour tenir jusqu’au départ !). Et comme à chaque Sanderson, je dois dire que je n’ai pas été déçue de ma lecture !

Le récit est extrêmement court, puisqu’il fait moins de 200 pages. Malgré cela, l’auteur parvient à installer un univers total. Il faut toutefois noter que l’histoire s’inscrit dans celui d’Elantris, mais est tout à fait lisible indépendamment — du coup, ça m’a donné envie de lire ce roman qui se trouve être également dans ma PAL. Ceci étant dit, c’est vraiment quelque chose que je trouve extraordinaire avec Sanderson : il n’a pas besoin de beaucoup de pages ou de mots pour nous plonger dans des univers hyper complexes et riches, de la même façon qu’il sait comment faire avancer l’histoire par très petites touches (ça m’avait déjà frappée dans La Voie des rois.)
Ici, on est clairement dans un univers de fantasy. Certains personnages sont doués d’une magie très particulière (c’est le cas de Shai), qui leur permet de modifier le passé d’un objet. Dit comme cela, cela semble d’un rien, mais modifier le passé de l’objet permet d’en modifier la forme et la texture. Ainsi, au détour d’un chapitre, elle convainc la fenêtre de sa cellule qu’elle était autrefois un vitrail travaillé et récupère une fenêtre délicatement ouvragée. Pour ce faire, elle crée des tampons spécifiques, qui vont indiquer à l’objet quelle nouvelle forme prendre, tout en l’inscrivant dans une longue tradition (on dirait presque de l’ADN recodant, mais sous forme de tampon et d’encre).
Ce talent (pas hyper bien vu) la place donc dans une position assez compliquée, puisqu’on lui demande tout simplement de forger un tampon d’âme pour l’Empereur (celui-ci étant plongé dans le coma). Honnêtement, après Fils-des-Brumes et La Voie des Rois, je pensais avoir fait le tour des idées novatrices de Sanderson. Mais non ! Il innove encore, avec une magie qui confine ici à la science.

Bien que le récit soit vraiment court, Sanderson prend le temps de détailler la psychologie de ses personnages. Shai est, sans trop de surprise, le personnage le plus développé, mais ceux qui gravitent autour d’elle sont eux aussi travaillés – particulièrement Gaotona, son geôlier et tourmenteur. Sans surprise, ils sont tous « utiles » à l’intrigue principale, mais ce n’est vraiment pas gênant. Ce qui est intéressant, c’est que c’est par ces personnages-là que l’on en apprend plus sur l’univers, l’Empereur, la façon dont est vue la magie et les tenants et aboutissants de l’intrigue. Au fil des leurs dialogues avec Shai, et de quelques scènes annexes, on se fait une parfaite idée de la situation.

L’autre point que j’ai trouvé extraordinaire, c’est que l’intrigue est quasiment un huis-clos : en effet, Shai est enfermée dans sa cellule de travail tout du long, et on ne voit que rarement ce qui se passe à l’extérieur. Et pourtant, l’histoire est loin d’être chiante ou plate — vraiment, j’ai passé chaque chapitre à m’épater devant le talent de Sanderson.

Plus ça va et plus le nom de Brandon Sanderson est pour moi synonyme de « valeur sûre ». En ouvrant ce roman, vu sa maigreur, je dois dire que je ne m’attendais pas à une révélation et chaque chapitre a été un enchantement. L’histoire est courte, mais bien équilibrée. Il y a ce qu’il faut de suspense, de trouvailles originales, d’explications sur l’univers (même si le début est un peu complexe) ou quant aux tenants et aboutissants de l’intrigue. En plus de cela, il y a une vraie réflexion sur l’art (celui que pratique Shai, bien sûr, mais aussi celui des artistes assermentés de son univers), ce qui ne gâche rien.
Bref : une très très bonne découverte !

L’âme de l’empereur, Brandon Sanderson. Traduit de l’anglais par Mélanie Fazi. Le Livre de Poche, 2014, 195 p.

Les Aigles de Vishan Lour, Pierre Bottero.

Plume est une Ombre.
Grâce à ses talents d’acrobate, elle se glisse discrètement dans la nuit.
Jeune écuyer des Chevaliers du Vent, Estéblan accompagne la délégation chargée de rappeler au nouveau roi ses devoirs. Quand la délégation est assassinée, il est menacé à son tour.
Plume sera-t-elle son alliée ?

En 2005, j’étais toujours une lectrice assidue du mensuel Je Bouquine. J’avais donc été ravie d’y lire une nouvelle de Pierre Bottero, dont j’étais déjà très fan. Depuis, Les aigles de Vishan Lour a été republiée, toujours dans Je Bouquine (en 2015), mais jamais en volume tiré à part. Cette année, Rageot publie donc enfin ce texte qui manquait à l’œuvre complète de l’auteur, et c’est l’occasion de se (re)plonger dedans !

Premier point, l’intrigue ne se déroule a priori pas dans le méta-univers Gwendalavir auquel les autres romans de l’auteur nous ont habitués (quoique cela se pourrait, dans une contrée non citée dans les autres romans). Bien que la novella fasse moins de 100 pages, Pierre Bottero parvient à nous expliquer rapidement les tenants et aboutissants de l’univers, tant culturels que politiques.
De même, les personnages sont caractérisés rapidement. Les protagonistes collent à des stéréotypes (la voleuse, le chevalier), mais ce n’est pas gênant. D’une part parce que l’auteur ne sombre pas dans le cliché (du moins pour les protagonistes) et, d’autre part, parce qu’ils sont vraiment cohérents. D’ailleurs, Plume a des petits airs de Marchombre… d’Ombre à Marchombre, il n’y a peut-être qu’un pas ?

Le roman est dépourvu de concept magique hyper alambiqué – ce qui le rend donc accessible à des néophytes. L’originalité de l’univers, c’est l’importance qui y est accordée aux oiseaux. La Confrérie des Chevaliers du vent chevauche d’immenses aigles domestiqués mais néanmoins fiers. Rien que ce point avait suffi à me faire rêver à l’époque de ma première lecture, et m’a de nouveau embarquée cette fois-ci. Estéblan lui-même est maître d’un jeune autour, qu’il promène sur son bras. Plume, quant à elle, ne fait rien sans sa chouette effraie, qui lui sert aussi bien de complice que d’amie.

L’histoire débute in medias res et les lecteurs sont projetés directement dans le feu de l’action. Sur les quelques premières lignes, on peut avoir l’impression d’avoir raté des épisodes, mais rapidement l’auteur rattrape ses lecteurs. Évidemment, on a l’impression que cette petite aventure prend place dans quelque chose de bien plus vaste que l’on ne fait que toucher du doigt, mais ce n’est pas tellement gênant, car on a juste les détails dont on a besoin pour comprendre l’aventure que l’on suit.
Toutefois je mentirais en disant que je n’étais pas frustrée en terminant ma lecture. Le récit était si entraînant que j’aurais aimé en avoir plus, et je serais partie sans barguigner pour 300 pages (voire trois tomes) de plus !

En somme, retrouver l’écriture fluide et imagée de Pierre Bottero, même en relecture, était un plaisir. La nouvelle est bien menée, et propose un univers et des personnages convaincants – malgré la brièveté de l’ensemble. L’intrigue, comme le style, étant très accessible, je proposerais volontiers ce texte à de jeunes lecteurs, ou à de grands débutants en fantasy. 

Les Aigles de Vishan Lour, Pierre Bottero. Rageot, 11 septembre 2019, 96 p.

 

Le Joyau des Valoris, Les Sept Cités #1, Pierre Pevel.

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Dans la cité corrompue de Samarande, Iryän Shaän, voleur aux yeux de drac, est engagé pour voler un précieux diadème. Il s’acquitte de sa mission mais les joyaux qui ornaient le diadème sont dérobés peu après. Pourquoi ? Par qui ? Pour se disculper, Iryän et ses complices devront le découvrir et vaincre par la ruse et le fer de nombreux adversaires : voleurs, assassins, mages et spectres.

Cette série est un spin-off de la série Haut-royaume mais, si vous ne l’avez pas lue, pas de panique : les romans sont lisibles indépendamment (pour peu qu’on accepte d’être un peu largués au départ dans l’univers). En effet, l’histoire débute sur les chapeaux de roues et s’ouvre sur le vol commis par Iryän : ni une ni deux, on découvre univers et personnages d’un coup.

Et c’est délicieusement complexe ! Les cambrioleurs opèrent par bandes, aux intérêts pas toujours bien définis et, parfois, il peut être un peu difficile de savoir qui est train de trahir qui au juste. Il faut, de plus, faire la part des choses entre magiciens, voleurs et autres mercenaires. Bref : on ne sait pas où donner de la tête et cela donne au récit un côté aussi efficace qu’entraînant.
Toutefois, on regrettera que les personnages soient un peu semblables, ce qui les rend difficile à différencier de prime abord. De plus, pour qui n’apprécie guère les stéréotypes, il faut reconnaître que nos personnages s’inscrivent parfois dans ce cadre : ce n’est pourtant pas gênant ici, car cela permet de mieux discerner les rôles de chacun au sein de l’histoire, d’autant que celle-ci n’est pas très longue. Elle l’est cependant suffisamment pour que l’on se surprenne à se prendre d’attachement pour tel et tel personnage, malgré ses défaillances, ses petites compromissions et ses agissements parfois peu louables.

L’histoire, si courte soit-elle (elle tient en 200 petites pages !) est agréablement complexe – on l’a vu, notamment parce qu’elle oppose des bandes de malandrins aux intérêts souvent divergents. Il reprend ici tous les codes de la fantasy à capuches : l’ensemble est parfaitement ficelé et porté par la plume à la fois fluide et entraînante de l’auteur qui, décidément, s’y entend pour créer des récits très efficaces.
J’évoquais une certaine nébulosité au départ : en effet, on découvre tout de go l’univers des Sept Cités, ses subtilités et la mythologie particulière qui s’y rapportent. Mais l’intrigue étant ce qu’elle est, l’auteur donne assez vite les clefs nécessaires à la compréhension de l’histoire : qui (ou ce que) sont les dracs, alliances et inimitiés principales, réputations, spécificités géographiques… C’est bref, certes, mais suffisant pour rattraper un lecteur perdu ! Ainsi, cette trilogie est parfaitement accessible à qui n’aurait pas lu – comme moi – la série principale.

Finalement, le seul point que l’on pourrait regretter serait la brièveté de cette aventure. Car, si la novella semble s’achever sur une conclusion positive, on a envie de retrouver l’univers et les personnages tant l’ambiance de cette première aventure était prenante. Point positif : les deux tomes suivants sont déjà parus.

Les Sept Cités #1, Le Joyau des Valoris, Pierre Pevel. Bragelonne, 25 mai 2016, 288 p.

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Le Pacte brisé, Widdershins #3, Ari Marmell.

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Widdershins, bien éprouvée par ses derniers démêlés avec le monde des ténèbres, a quitté la cité de Davillon pour arpenter les routes de Galice en compagnie d’Olgun. Partie en quête de réponses, d’apaisement, la jeune fille va vite déchanter : les intrigues politiques et religieuses ne sont pas l’apanage de sa ville natale. En souvenir d’un vieil ami, Shins se jette à corps perdu dans une enquête impliquant des Maisons rivales, une troupe de brigands surnommée les Mille Corbeaux, une famille déchirée par la jalousie… et un jeune aristocrate impétueux et maladroit qui s’obstine à vouloir aider la voleuse ! Et pendant que Widdershins est occupée à remettre un peu d’ordre dans la petite bourgade d’Aubier, la vie continue à Davillon… et l’absence de Widdershins laisse le champ libre à ses ennemis !

Après l’apocalyptique conclusion du Pacte du mensonge, ce troisième opus était très attendu, puisqu’il était difficile de deviner de quoi il allait se composer.
Widdershins est donc partie sur les routes de Galice et l’on découvre un petit bout de pays, notamment avec la ville d’Aubier qui, comme Davillon, s’avère être un repaire de machinations et d’intrigues en tous genres.

Le début du roman est assez laborieux : Ari Marmell ne s’embarrasse pas avec les explications et nous largue sans prendre de gants dans une organisation assez complexe : mais qui est qui, là-dedans ? C’est assez confus, on a du mal à comprendre de quoi il retourne et on ne voit pas très bien où il veut en venir. D’autant que les motivations de Widdershins – en pleine crise de reconnaissance pour Alexandre Delacroix – ne sont pas toujours très claires. On déboule donc dans un imbroglio mêlant velléités de familles nobles, guilde de détrousseurs aux motivations obscures et, bien sûr, relents de religion.
Passé une première partie vraiment confuse, on peut se consacrer à l’intrigue sereinement et profiter, une fois de plus, d’une intrigue assez alambiquée. L’ennui, c’est que le rythme n’est pas aussi enlevé que précédemment. Certes, il y a de l’action dans tous les coins, des rebondissements bien troussés, des révélations fracassantes et des péripéties endiablées. Mais si l’on prend l’ensemble de l’histoire… on se dit que le tout aurait mérité d’être un peu resserré et nettement moins délayé. D’autant que la résolution est un peu rapide et qu’on clôt l’intrigue principale en se disant «Facile !».
En fait, le problème de ce volume est d’être un peu bancal. D’un côté, on a une Shins en pleine remise en cause, psychologiquement fragile, secondée par un personnage un peu balourd mais attachant – Cyril Delacroix est la figure type de l’aristocrate à l’étroit dans les pensées de sa caste mais un peu nounouille, difficile de ne pas l’aimer ! – et, de l’autre, une intrigue un peu longuette et un Olgun nettement moins en verve que précédemment. Alors que, jusque-là, l’équilibre Olgun-Shins était plutôt bon, ici, les interventions du petit dieu de poche ont de désagréables relents de deus ex machina… Et c’est franchement dommage. Et si la nouvelle profondeur psychologique est bien appréciable, il est dommage qu’elle n’intervienne qu’au détriment de l’histoire.

Heureusement, tout n’est pas à jeter ! Car pendant que Widdershins baguenaude à Aubier, il se passe pas mal de choses à Davillon : les amis de Shins rongent leur frein, ses ennemis se frottent les mains. Et si, là encore, l’intrigue semble suivre un fil assez simple, le mystère reste juste assez épais pour qu’on ait envie d’en savoir plus. Vu comment cela tourne ici, on peut s’attendre à avoir une intrigue centrée sur la personne de Widdershins et la Guilde des Détrousseurs dans le quatrième – et dernier – tome. De plus, retrouver les saillies caustiques et son petit côté bravache est toujours aussi divertissant !

Le Pacte brisé se place comme un tome de transition : on quitte Davillon, on rencontre de nouveaux personnages (qu’on ne verra peut-être plus) et Widdershins prend l’air. Si l’intrigue est assez simple, le volume permet de mettre en place ce qui sera, sans aucun doute, le cœur de la conclusion. Ce n’est probablement pas le meilleur volume de la saga, mais il remplit son office d’aventure divertissante ! 

◊ Dans la même série : Le Pacte de la voleuse (1) ; Le Pacte du mensonge (2) ;

Widdershins #3, Le Pacte brisé, Ari Marmell. Traduit de l’anglais par Emilie Gourdet.
Lumen, 2015, 409 p.

 

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Le Pacte du mensonge, Widdershins #2, Ari Marmell.

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Les capacités légendaires, quasi-surnaturelles, ont fait de Widdershins une voleuse d’exception, mais aussi une tête brûlée au sein des Dénicheurs. Beaucoup lui en veulent d’avoir attiré un démon assoiffé de sang au sein de la guilde des Dénicheurs. Et le calme n’est pas revenu à Davillon : le nouvel évêque manigance, un mystérieux noble traque Widdershins, et une sombre créature hante les rues et agresse les habitants…
Il n’en faut pas plus pour que Widdershins se retrouve à nouveau mêlée aux tragiques événements, et soit soupçonnée du pire. Armée de sa fidèle rapière, de son sens de l’humour et de l’aide inconditionnelle d’Olgun, Widdershins aura fort à faire pour rétablir sa réputation, déjouer le complot qui pèse sur elle, et éviter de tomber aux griffes de la Garde… bien qu’elle n’y ait pas que des ennemis.

 

Suite des aventures pour Widdershins, voleuse, tenancière de taverne et aristocrate à ses heures perdues !
Le premier tome était un très bon cru ; celui-ci s’avère meilleur sur certains points, moins bon sur d’autres.

À commencer par le style. Dans Le Pacte de la voleuse, Ari Marmell déroulait les aventures de Widdershins d’une plume très efficace, que ce soit dans les descriptions, les scènes d’action ou les dialogues. Si la narration présente, peu ou prou, la même efficacité dans ce second tome, ce sont les dialogues qui pêchent un peu ; l’humour et les piques incessantes de Widdershins sont toujours au rendez-vous, mais sonnent un peu moins justes que dans le premier tome, et sombrent un peu trop dans la surenchère. Malgré toute la saveur du personnage, on a un peu plus de mal à adhérer à ses réparties et autres saillies, bien que la plupart de celles-ci soient bien trouvées, car elles tombent à plusieurs reprises à contretemps.

Heureusement, ce second tome a tout de même quelques atouts par rapport au premier. La construction de l’intrigue, tout d’abord ; l’auteur abandonne le schéma temporel précédent – un peu chaotique mais pas désagréable pour autant – pour adopter une intrigue plus linéaire, beaucoup plus aisée à suivre. La trame n’en est pas moins complexe, l’auteur dédaignant de temps en temps son personnage principal pour aller s’intéresser aux autres : on progresse donc dans l’intrigue par petites touches qui, peu à peu, viennent compléter un schéma aussi complexe que dans le volume précédent.

Aussi complexe… et aussi divin. Avec 147 dieux au compteur, et un dieu de poche, il eût été dommage de renier l’univers pour offrir une «simple» histoire de voleuse. L’intrigue, cette fois, part d’une idée très simple, mais très efficace, que l’auteur s’attache à illustrer tout au long de l’intrigue. Il creuse la mythologie mise en place, le panthéon, et utilise contes et légendes de son univers pour nourrir l’histoire. De même, la hiérarchie ecclésiastique vient jouer son rôle dans l’affaire, de façon plutôt bien pensée, et plus approfondie qu’au volume précédent.
L’histoire est plus sombre que celle du premier tome, raison pour laquelle l’indécrottable humour de Widdershins ne fait pas mouche à chaque coup ; on s’angoisse plus facilement dans cette histoire de croque-mitaines que dans l’aventure démoniaque précédente, et certaines scènes sont assez glauques, le style étant très visuels. On s’imagine sans peine le déroulement des événements et on tremble volontiers pour les personnages.

Ceux-ci sont à nouveau à l’honneur ! La galerie était déjà bien étoffée dans le volume précédent, et Ari Marmell en profite pour explorer un peu plus les caractères de chacun. Sans révéler aucun détail crucial, on peut dire que les portraits s’affinent, et que le cœur du lecteur balance entre tous ces protagonistes charismatiques. Au-milieu de tous ces personnages fouillés, le seul qui dénote est Évrard, dont la sortie de scène semble quelque peu bâclée, au regard du reste de l’histoire. Quoi qu’il en soit, il ajoute du piquant à une intrigue déjà bien fournie. On apprécie de retrouver Renard, le major Julien Bouniard, Robin la serveuse et, bien sûr, Olgun, le petit dieu de Widdershins. Les relations qui les unissent sont vraiment bien décrites, et viennent agrémenter l’histoire, ce qui fait que l’on se passionne autant pour la traque au monstre que pour les petites bisbilles et autres badinages entre les protagonistes.

Le Pacte de la voleuse était un premier tome très honnête ; Le Pacte du mensonge le surpasse, malgré un style qui tombe, de temps en temps, un peu moins juste. On retrouve avec plaisir une brochette extrêmement travaillée de personnages tous plus charismatiques les uns que les autres. L’univers s’étoffe, et vient nourri une intrigue complexe et prenante. Le premier volume s’achevait sur une révélation fracassante, et celui-ci ne déroge pas à la règle : on referme le roman avec la frustration intense due à l’attente de la suite ! Widdershins est donc une série qui démarre fort bien, et dont on attend à nouveau la suite avec impatience ! 

 

◊ Dans la même série : Le Pacte de la voleuse (1) ;

 

Widdershins #2, Le Pacte du Mensonge, Ari Marmell. Traduit de l’anglais par Émilie Gourdet.
Lumen, 6 novembre 2014, 406 p.

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Martyrs #1, Oliver Peru.

 

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Irmine et Helbrand, deux frères assassins descendant d’un ancien peuple guerrier, vivent dans les ombres de la plus grande cité du royaume de Palerkan. Alors qu’ils pensent être à l’abri des persécutions dont on souffert leurs ancêtres, leur passé sanglant les rattrape, sous les traits d’un borgne qui semble nourrir pour eux de sombres projets. Tandis que la guerre menace d’embraser le monde, que les puissants tissent en secrets de noires alliances, Irmine et Helbrand vont devoir choisir un camp…

Martyrs est de ces lectures de longue haleine : pas tellement parce qu’il est épais, mais parce que l’histoire est assez dense !
Au départ, on découvre Irmine et Helbrand, deux frères assassins, descendant de la vieille race des Arserkers, qui a été largement décimée par la royauté en place. Irmine et Helbrand sont furtifs, et exercent leur art dans le secret et, globalement, la bonne humeur. Sauf quand Irmine croise son propre fantôme, qui lui susurre le nom d’une jeune fille recluse dans son château depuis sa naissance. Helbrand tente de convaincre Irmine que rien n’est grave, et qu’il a été victime d’hallucination… et c’est le moment que choisit un certain borgne pour apparaître dans leurs vies, par l’entremise d’atouts de tarots qu’il dissémine un peu partout à l’attention des deux frangins. Ami, ennemi ? Difficile de trancher. Et les deux frères vont de surprise en surprise – lesquelles ne sont pas nécessairement bonnes.

Parallèlement à l’histoire des deux frères, on suit l’évolution de la situation politique assez tendue dans le royaume du Reycorax, mené de main de fer par le roi Karmalys, mais quelque peu déstabilisé par de bouillonnants hommes de l’Ouest qui tentent de reconquérir leurs terres. Et également celle de Kassis, princesse Yrasen, dont la famille ne peut quitter son château… et qui rêve de voir le monde au-delà de ses remparts. Peu à peu, toutes les histoires se retrouvent inextricablement mêlées : on l’a dit, c’est assez dense, et il ne faut pas se laisser décourager par la mise en place minutieuse.
En effet, dans cette première partie, Oliver Péru va dresser les portraits des personnages : peu à peu, on découvre leurs histoires, motivations, et la façon dont ils s’installent dans le gigantesque canevas qu’est l’intrigue de Martyrs (qu’on serait bien en peine de résumer en deux lignes, d’ailleurs). On n’a, du coup, pas l’impression de piétiner, tant c’est fouillé et complet. Et, surtout, on a la très agréable impression de connaître les personnages !

L’intrigue, quant à elle, est de facture assez classique : on est dans un univers de fantasy typique, avec ses complots, ses trahisons, et ses petites histoires personnelles qui viennent interagir avec la grande. Au menu, donc : des machinations, des traîtres, des batailles, de l’amour, des désillusions, et pas mal de tentatives de tous bords pour sauver sa peau.
Le tout est mené de façon assez efficace, si on excepte quelques petites longueurs et répétitions dans le texte – mais que l’on oublie rapidement dès que l’action revient en force. L’intrigue est consolidée par tout un réseau de sous-intrigues, qui fait que le suspens est présent de bout en bout : on ne s’ennuie pas à la lecture de ce roman !
Tout cela monte crescendo jusqu’au final… un final pour le moins surprenant, mais d’une efficacité redoutable. Le genre de final qui fait qu’on se demande avec anxiété si l’on va tenir jusqu’à la parution de la suite (vers septembre 2014, semble-t-il, pour ceux qui se posent la question). Le dénouement est vraiment étonnant, et va venir nuancer tout un tas de petits points de détail. Sans compter que l’auteur va devoir fournir un certain nombre d’explications que l’on attend désormais avec impatience – ne serait-ce que pour savoir comment tout cela va se goupiller proprement. Pourtant, il est un peu rapide : au vu de la minutieuse préparation, et de l’énorme révélation qu’il contient, on a l’impression que tout cela est narré un peu à la va-vite, ce qui contribue à l’impression de rester un peu sur sa faim en terminant le roman !

Martyrs se présente donc comme un roman assez classique sur le déroulement de l’intrigue, hormis cette fin très audacieuse : certaines péripéties sont attendues, et certaines révélations se pressentent à l’avance. Mais c’est tout de même très efficace ! L’intrigue est vraiment bien ficelée, et d’une densité bien agréable : difficile à résumer, certes, mais on n’a pas le temps de s’ennuyer tant c’est bien mené – ce qui fait qu’on oublie aisément longueurs et répétitions. 
Au final, la grande force de ce roman, ce sont ses personnages : principaux, secondaires, tous sont fouillés, ce qui fait qu’on ne se lasse pas en changeant de protagoniste, et que l’auteur évite tout manichéisme. C’est captivant, et la fin – quoique rapide – surprend autant qu’elle donne très envie de lire la suite. En conclusion donc, voilà un roman captivant et bien mené, qui devrait plaire aux amateurs de fantasy dense et travaillée !

Lecture commune ! Les avis de Altaira, Lisalor, Acherontia, MarieJuliet, Michou, Vepug, yuya46, Rose, Galleane, Solessor, nanet, Vashta Nerada, angelebb, licorne, Camille, Gilwen et Mypianocanta.

 Martyrs #1, Oliver Péru.
J’ai Lu, 2013, 694 p.
 8/10

 

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Keleana et le seigneur pirate, Sarah J. Maas.

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Keleana Sardothien est la meilleure assassineuse d’Arobyn Hamel, le Roi des Assassins du Nord. Elle est également sa protégée et son héritière. Envoyée en mission avec som collègue Sam Cortland à Skull Island auprès du Seigneur des Pirates, Keleana apprend subitement qu’elle est là pour superviser une affaire de traite d’esclave. Or on peut être une assassineuse sans foi ni loi, et tout de même avoir des principes. Elle se met donc en devoir de faire capoter l’affaire… ce qui ne s’avère pas sans risques. Et la colère de Rolfe n’est peut-être pas le pire, là-dedans. 

Keleana et le seigneur pirate est  la préquelle servant d’ouverture à la série Keleana l’assassineuse. On y découvre donc la fameuse tueuse, au gré d’une mission bien particulière.

Sarah J. Maas a choisi de faire de ses assassineurs une espèce bien particulière de tueurs, sans toutefois que la différence soit vraiment marquée : des perches sont tendues, mais les explications ne viennent pas. Elles sont probablement plus détaillées dans le roman.
Son personnage central, Keleana, concentre une grande partie des archétypes fantasy : c’est une fille forte avec un métier pas courant, mais d’apparence fragile ; elle est très jeune pour ce qu’elle fait (elle n’a que 15 ans) ; elle a de l’autorité à revendre ; en tant qu’héritière du clan, elle est appelée à un grand destin ; c’est un véritable prodige. Afin de dissimuler son identité, elle évolue masquée, et sous une cape (ce qui n’est, bien sûr, pas du tout suspect). On pourrait penser qu’avec un tel pedigree, l’auteur va nous surprendre. Et ce n’est malheureusement pas le cas. Keleana ressemble dès le départ à un stéréotype, et ne sort malheureusement pas du cadre.

Et l’aventure est  à l’avenant, ce qui est bien dommage : sans surprises, elle se déroule assez platement jusqu’au dernier chapitre, et sans détailler plus que cela l’univers.
De plus, dès le départ, on nous présente deux personnages qui s’opposent, alors que l’attirance entre eux est plus que manifeste. Le suspens est donc biaisé puisque dès le départ on sait comment cela va tourner. Bref, c’est sans surprises.

En somme, si la nouvelle présente plutôt bien les personnages et l’univers, elle est un peu trop prévisible et stéréotypique pour être vraiment efficace. Dommage.

 

 

Keleana l’assassineuse, préquelle : Keleana et le seigneur pirate, Sarah J. Maas. La Martinière jeunesse, 2013.
5,5 / 10. 

 

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Le Pacte de la voleuse, Widdershins #1, Ari Marmell.

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Autrefois, elle s’appelait Adrienne Satti. Désormais, elle n’est plus que Widdershins. Orpheline très jeune, Adrienne a vécu dans la rue. Puis a connu le luxe extrêment de la haute noblesse. Avant de revenir aux ruelles sales et sombres dont elle avait réussi à s’échapper. Aujourd’hui, Widdershins est quasiment une légende de la pègre. Tellement légendaire qu’elle s’est créé beaucoup d’inimitiés. Encore plus de jalousies. Et à Davillon, la cité aux mille dieux (ou presque), il suffit d’un rien pour se retrouver au milieu d’un complot. Surtout lorsqu’il vise de sombres desseins. 
Bienvenue dans le quotidien de Widdershins, l’aristocrate devenue voleuse, la femme qui connaît autant de façon de couper une bourse que de charmer ducs et barons !

Davillon city, Galice. Le royaume de Widdershins, qui exerce ses talents de chapardeuse avec brio, sous le regard des dieux tutélaires. En Galice, il y a un dieu protecteur pour chaque ville, chaque confrérie, chaque Maison. Tous ces dieux vivent en harmonie (ou presque), grâce au Pacte qui reconnaît la liberté de culte pour chacun, moyennant quelques petites restrictions : sacrifices humains, offrandes sanglantes et autres libations mystiques sont assez mal vues par l’Église qui chapeaute le tout. Toutefois, et malgré l’immense choix de divinités offert par ce fameux Pacte, l’Église conçoit qu’il existe quelques cultes secrets, consacrés à des dieux n’ayant pas eu la chance de faire partie du pack de départ : si les divinités pacifiques sont largement tolérées, les foudres de guerre, eux, le sont nettement moins. Quoi qu’il en soit, l’adage «Pour vivre heureux, vivons cachés» s’applique ici parfaitement. Une chose que Widdershins sait à la perfection : seule survivante d’un massacre sanglant visant toute une confrérie de nobles, elle est aussi la seule et unique adepte d’Olgun, un dieu nordique ancien et désormais plus très puissant… mais tout de même assez inquiétant pour avoir motivé ce terrible massacre.
Malgré un passé assez traumatique, Widdershins fait preuve d’une belle assurance ; son pragmatisme laisse rêveur, et ses piques caustiques tombent toujours à point. Dotée d’une ironie redoutable, c’est un personnage que l’on suit avec plaisir.

Le roman s’ouvre en fanfare avec un scène particulièrement marquante. Et, à partir de là, le mystère ne fait que s’épaissir. La narration explore tour à tour le présent et les époques antérieures, alternant les épisodes : si le procédé peut s’avérer un peu déroutant le temps de deux ou trois chapitres, on se fait assez vite à ces allers-retours constants qui entretiennent le suspens et construisent une trame complexe. Éclairant peu à peu une situation pour le moins emberlificotée, l’auteur distille un à un les indices nécessaires à la bonne compréhension. Les pièces du puzzle s’emboîtent doucement, ni trop vite, ni trop lentement : malgré quelques légères longueurs vers le milieu du roman, on lit donc Le Pacte de la voleuse avec un rythme très confortable. D’autant que l’intrigue ménage des accents appartenant tant à la fantasy qu’au thriller : complots, meurtres, mystère, le tout saupoudré de luttes intestines et d’un soupçon de religion. Rien à redire, tout cela est très bon !

La plume d’Ari Marmell est très directe et particulièrement efficace : sans utiliser d’effet de style particulier, l’auteur parvient à captiver le lecteur, en servant un récit mené de façon extrêmement efficace. L’intrigue de fond est assez classique, le personnage aussi, mais la façon dont le tout est narré fait qu’on a du mal à lâcher le roman. Notamment vers la fin, où la machine s’emballe : les révélations et rebondissements pleuvent, et c’est diablement prenant.

Le système religieux créé par l’auteur est très intéressant : on y reconnaît l’organisation ecclésiastique chrétienne dans le clergé. Moines, évêques, prêtres se côtoient. On reconnaît également, dans la toponymie ou dans les choix de noms des personnages, des noms typiquement européens (il y a tout de même un malfrat prénommé Jean-Luc… !). Là où cela change, c’est dans la profusion de dieux, et dans l’organisation des cultes suivant les Maisons, ou les cités à protéger. En utilisant une matière religieuse commune et bien connue, l’auteur crée un environnement particulier, qui se marie merveilleusement bien à son univers et à la fantasy, tout en offrant un terreau propice à une intrigue bien menée.

En somme, ce premier volume de la série Widdershins propose quelques très bons ingrédients : un univers à la fois original et agréablement normal s’appuyant sur des références réelles biens connues, un personnage n’ayant pas sa langue dans sa poche et qu’on suit avec plaisir, une intrigue fort mystérieuse et bien menée. La plume est très directe, et la construction non-linéaire permet d’entretenir le suspens tout en construisant la trame complexe nécessaire à la bonne installation de l’intrigue. Sans être un coup de cœur, Le Pacte de la voleuse est de ces titres que je relirai volontiers, et avec plaisir ! C’est un premier tome sobre, classique par certains points et très original par d’autres, et surtout très efficace : hormis la suite, que demander de plus ?

◊ Dans la même série : Le Pacte du mensonge (2) ;

Widdershins #1, Le Pacte de la voleuse, Ari Marmell. Lumen, 2014, 411 p.
8,5 /10

 

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Le Prince écorché, L’Empire brisé #1, Mark Lawrence.

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A treize ans il est le chef d’une bande de hors-la-loi sanguinaires. Il a décidé qu’à quinze ans, il serait roi. L’heure est venue pour le prince Jorg Ancrath de regagner le château qu’il avait quitté sans un regard en arrière, et de s’emparer de ce qui lui revient de droit. Depuis le jour où il fut contraint d’assister au massacre de sa mère et de son frère, il avance porté par sa fureur. Il n’a plus rien à perdre. Mais, de retour à la cour de son père, c’est la traîtrise qui l’accueille. La traîtrise et la magie noire. Or le jeune Jorg ne craint ni les vivants ni les morts. Animé d’une volonté farouche, il va affronter des ennemis dont il n’imagine même pas les pouvoirs. Car tous ceux qui ont pris l’épée doivent périr par l’épée.

Annoncé comme LE roman de l’année, par son thème et son style, Le Prince écorché a fait pas mal parler de lui, avant même sa sortie. Jorg Ancrath, prince à peine âgé de 13 ans, se retrouve à la tête d’une bande de hors-la-loi sanguinaires, et met la campagne à feu et à sang. Sa motivation ? La vengeance, et la haine de ses congénères. Son but ? Devenir roi à quinze ans.
Avec un tel background, on s’attend donc à un roman d’une noirceur confondante.

Et pourtant, il a été loin, très loin d’être un coup de cœur pour moi. Dès le départ, le style ne m’a pas semblé si transcendant que ça : il y a des phrases bizarrement construites, des choix de mots assez étranges … ce faux départ ne concerne heureusement que les quelques premiers chapitres ; la suite s’améliore nettement, et on relève un grand nombre de phrases aussi bien tournées que trouvées.
Autre point gênant : l’âge du protagoniste. Jorg Ancrath est bel et bien âgé de 13 ans. Malheureusement pour lui, il a les réactions d’un vétéran, qui aurait arpenté toutes les routes de l’empire, et vécu plusieurs vies. Il semble avoir tout vu, tout vécu, et tout, de ses réactions à ses paroles, fleure bon le soudard malpropre. On se demande, du coup, quel était l’intérêt de le faire si jeune, si c’est pour lui donner le comportement d’un adulte. D’autant qu’on ne sait pas exactement au nom de quoi ses compagnons de route le suivent. Certes, c’est un garçon de grande taille, certes, il manie plutôt bien l’épée et les mots, mais cela s’arrête là. Il n’a ni expérience, ni charisme, malgré les nombreuses scènes où on tente de nous le faire croire – mais comme elles sont toutes similaires, et donc répétitives, c’est assez agaçant. Ses actions sont, souvent, assez similaires ; l’ensemble manque de cohérence et souffre d’une juxtaposition qui rend le tout assez long.

D’autre part, les raisons d’agir de Jorg ne m’ont pas semblé les meilleures: ayant perdu sa mère et son frère, et voyant que son père préfère marchander ce décès, il décide dans un premier temps d’aller se faire justice lui-même, avec des mercenaires – pour, finalement, changer d’avis, et se contenter de terroriser des paysans. N’était-il pas plus simple, sincèrement, d’attendre d’être sur le trône et utiliser l’armée? Manifestement pas.

Pourtant, l’univers est intrigant : si le lieu exact de l’action (le royaume d’Ancrath) semble être imaginaire – quoique d’inspiration clairement médiévale – des références à l’univers réel fourmillent dans le récit. Ainsi, la princesse est teutonne ; le meilleur ami de Jorg est un Nubain (il est donc le seul homme noir de l’armée, et est en butte à un racisme primaire, notamment de la part des prêtres). Surtout, les auteurs fétiches de Jorg sont bien connus : Platon, Euclide, Socrate, ou même Nietzsche. Et il est fréquemment fait référence à des Bâtisseurs mystérieux, qui possédaient des armes pour le moins étranges. A ce point-là du récit, l’histoire prend une autre dimension, nettement plus intéressante que les pérégrinations de Jorg, qui a tout de la tête à claques immature. On se surprend à traquer, dans le texte, les petits indices sur la nature exacte de cet univers, et sur la façon dont il s’articule avec le nôtre et ce, au détriment de l’action principale – qui, de toute façon, peine à passionner.

Le portrait du jeune prince n’aide en rien à se concentrer sur cet étrange univers : méchant, voire maléfique, il est d’une puérilité sans nom. S’il s’appuie sur des textes et philosophes classiques, son attitude dévie souvent de ce qu’ils préconisent – son interprétation des textes est, parfois, pour le moins personnelle. Le plus agaçant ici, est cette façon dont tourne le récit : « Je suis super méchant / Ah non, en fait c’était pas moi / Ah finalement, p’têt ben qu’si ». Ha, décidez-vous!!

Ceci étant dit, il est évident que ce tome est le prélude à quelque chose de bien plus étoffé et, on l’espère, de plus intéressant que la banale existence de ce prince déprimé. Si ce tome souffre des quelques défauts évoqués (nature de l’univers, âge du personnage), il suit en plus un schéma classique, parfois un peu ennuyeux. Il y a de bonnes idées, mais le développement laisse parfois à désirer, tout reposant sur un personnage central fort (mais qui m’a semblé exagéré) ; une lecture en demi-teinte, donc. La suite sera peut-être meilleure, mais je ne suis pas certaine de rempiler.

 

Le Prince Ecorché, L’Empire brisé #1, Mark Lawrence. Bragelonne, 2012, 382 p.
6,5/10.

 

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D’autres anti-héros nettement mieux campés, dans un univers lui aussi très sombre !